Antoine de Montchrestien

Tragédie de la Reine d’Écosse





Texto utilizado para esta edición digital:
Montchrestien, Antoine de. Tragédie de la Reine d’Écosse. 1604. Édité et annoté par María del Carmen Aguilar Camacho, pour la Bibliothèque Numérique EMOTHE. Valencia: EMOTHE Universitat de València, 2024.
Encodage du texte numérique pour EMOTHE:
  • Carmen Cerdán, Rodrigo

Note sur cette édition

Cette publication fait partie du projet I+D+i «EMOTHE: Second Phase of Early Modern Spanish and European Theatre: heritage and databases (ASODAT Third Phase)», référence PID2022-136431NB-C65 financé par MICIN/AEI/10.13039/501100011033 et FEDER/ERDF.


Note sur le texte

TRAGÉDIE DE LA REINE D'ÉCOSSE À Monseigneur le Prince de Condé Édition nouvelle augmentée par l'Auteur. 1604. Avec privilège du Roi [Par Antoine de Montchrestien, sieur de Vasteville]. À ROUEN. Chez Jean Osmont Libraire dedans la cour du Palais.

Texte tiré de TRAGÉDIES DE MONTCHRESTIEN. NOUVELLE ÉDITION AVEC NOTICE ET COMMENTAIRE PAR L. PETIT DE JULLEVILLE PROFESSEUR A LA SORBONNE, 1604, pp. 1-56 [BnF YF-2083-2084]).

La Reine d’Escosse de 1604 (L’Escossaise en 1601) traite un sujet contemporain (un des 9 recensés par Forsyth sur les 125, avant 1610: Elliott Forsyth, La tragédie française de Jodelle à Corneille, Paris, Nizet, 1962). La littérature a beaucoup évoqué le drame de Marie Stuart. Montchrestien insiste sur la faiblesse d’Elizabeth face aux états d’Angleterre et aux conseillers; Elizabeth est, comme Marie, aux prises avec le destin tragique.

Le prince de Condé (père du Grand Condé) que Montchrestien dédie ses tragédies, en 1601 et en 1604, fut effectivement son mécène comme il le sera d’Alexandre Hardy. En 1601, Montchrestien veut convaincre le prince de Condé que la tragédie a un rôle moral, parce qu’elle fournit des exemples pour le guider.

L'étude fondamentale sur le théâtre de Montchrestien reste la thèse de Françoise Charpentier: Les débuts de la tragédie héroïque: Antoine de Montchrestien (1575-1621),. Université de Lille III, service de reproduction des thèses, 1981, 712 pages.


ENTREPARLEURS

Reine d’Écosse
Reine d’Angleterre
Conseiller
D'Avison
Maître d’hôtel
Messager
Page
Chœur des États
Chœur des suivantes de la Reine d’Écosse

ACTE I

REINE D'ANGLETERRE, CONSEILLER, [CHŒUR DES ÉTATS]

REINE D’ANGLETERRE
1
Enfin jusques à quand mon âme désolée
2
D'effroyables sursauts doit-elle être ébranlée?
3
Jusques à quand vivrai-je exposée au danger
4
Du poison domestique et du glaive étranger?
5
Un corps sous le Soleil n'a jamais plus d'une ombre;
6
Mais tant et tant de maux qu'ils surpassent tout nombre,
7
Accompagnent le Sceptre, envié des humains,
8
Lourd fardeau toutefois de l'esprit et des mains
9
Qui croît de jour en jour, puis à la fin accable
10
Son possesseur superbeNXNota del editor

Superbe: plein de fierté.

encor que misérable.
11
Bien qu'un monde de gens me respecte à l'envi,
12
Me regarde marcher d'œil et d'esprit ravi:
13
Bien que cent Nations admirent mes richesses,
14
M'élèvent plus d'un rang sur les autres Princesses;
15
J'estime quant à moi malheureux mon bonheur,
16
Qui prend pour les séduire un vain masque d'honneur.
17
Le glaive de Damocle appendu sur ma tête
18
Menace de la chute, et moins que rien l'arrête:
19
L'Espagnol non content de son monde nouveau
20
Veut son trône orgueilleux planter sur mon tombeau;
21
Où la force ne vaut l'artifice il emploie,
22
Pour remettre ma vie et mon État en proie:
23
Ce Pyrrhe ambitieux, dont la toile est sans bout
24
Embrasse tout d'espoir, aspire à gagner tout,
25
De la fin d'un dessein un autre fait renaître:
26
Des deux bouts de la terre on le connaît pour maître:
27
Encor sa convoitise il ne peut assouvir,
28
S'il ne vient, ô forfait! Cette Île me ravir;
29
Et sans la main d'en haut qui m'est toujours propice,
30
L'innocence aurait vu triompher la malice.
31
Ma Tamise l'honneur de nos fleuves plus beauxNXNota del editor

Emploi du comparatif au sens du superlatif.

32
Roulerait pour lui seul ses tributairesNXNota del editor

Tributaires: Ma Tamise lui payerait comme tribut le droit d'être le seul utiliser ses eaux.

eaux;
33
Et mon peuple Guerrier en armes indomptable
34
Porterait gémissant son joug insupportable.
35
Mais à quoi désormais me réserve le sort?
36
Lorsque moins je me douteNXNota del editor

Doute (moins je me): moins je le soupçonne.

, on me brasse la mortNXNota del editor

On complote ma mort.

.
37
Une Reine exilée, errante, fugitive,
38
Se dégageant des siens qui la tenaient captive,
39
Vint surgir à nos bords contre sa volonté:
40
Car son cours malheureux tendait d'autre côtéNXNota del editor

Son voyage malheureux lui destinait un autre lieu.

.
41
Je l'ai bien voirementNXNota del editor

Vraiment.

dès ce temps arrêtée,
42
Mais, hors la liberté, Royalement traitée;
43
Et voulant mille fois sa chaîne relâcher,
44
Je ne sais quel destin est venu m'empêcher.
45
Chacun par mon exemple à l'avenir regarde,
46
Qu'une beauté Royale est de mauvaise garde.
47
Quoique de sa prison l'ennuyeuse longueur
48
Pût un juste courroux allumer en son cœur;
49
Par mon doux traitement elle devait l'éteindre,
50
Se plaignant en son mal de ne s'en pouvoir plaindre:
51
Mais l'on m'a rapporté qu'en ce dernier effort,
52
Elle brigue mon Sceptre, et minute ma mort.
53
Serait-ce donc l'amour, Âme ingrate et légère,
54
Que me jurait sans fin ta bouche mensongère?
55
Aurai-je ce loyer non dû, non attendu,
56
D'une à qui tant de bien pour le mal j'ai rendu!
57
Mais dois-je tenir vraie une simple apparence,
58
Et former un soupçon en certaine créance?
59
Qui croit trop de léger aisément se déçoit:
60
Aussi qui ne croit rien mainte perte en reçoit.
61
Qui s'émeut à tous vents, montre trop d'inconstance:
62
Aussi la sûreté naît de la méfiance.
63
Celui qui vit ainsi, meurt cent fois sans mourir;
64
Il vaut mieux craindre un peu que la mort encourir.
65
Si donc pour assurer mon État et ma vie,
66
Je l'ai, même à regret, quelque temps asservie,
67
Ne cherchant point sa mort, ainsNXNota del editor

Ains: particule d'opposition, qui signifie, Mais. Il est vieilli, et ne se dit guère qu'en raillant dans cette seule phrase. «Ains, au contraire» (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

tâchant seulement
68
À dompter son audace et vivre assurément,
69
Faut-il qu'une fureur à l'autre la transporte,
70
Et qu'à me courir susNXNota del editor

Sus: interjection dont on se sert pour exhorter, pour exciter. Sus mes amis, sus donc, levez-vous. Or sus dites-nous. Style familier (Dictionnaire de l'Académie française, 4ème édition).
On dit aussi par exclamation, Sus donc, Or sus, pour exciter quelqu'un à prendre courage. Sus debout. Sus, camarade, marchons. (Le Robert. Dict. en ligne).

tout le monde elle exhorte?
71
Que contre moi les miens elle tâche animer,
72
Qu'elle excite mon peuple, et s'efforce à l'armer,
73
Bref que par ses attraits maint qui m'était fidèle
74
Distrait de son devoir s'engage à sa cordelle.
75
Ô cœur trop inhumain pour si douce beauté,
76
Puisque tu peux couver tant de déloyauté,
77
D'envie et de dépit, de fureur et d'audace,
78
Pourquoi tant de douceur fais-tu lire en ta face?
79
Tes yeux qui tous les cœurs prennent à leurs appas,
80
Sans en être troublés, verront-ils mon trépas?
81
Ces beaux Astres luisant au ciel de ton visage,
82
De ma funeste mort seront-ils le présage?
83
N'auras-tu point le cœur touché d'affliction,
84
Voyant cette belle Île en désolation,
85
En proie à la discorde en guerres allumée,
86
Au meurtre de ses fils par ses fils animée?
87
Verras-tu sans douleur les soldats enragés,
88
Massacrer à leurs pieds les vieillards outragés,
89
Égorger les enfants présenceNXNota del editor

En présence.

de leurs pères,
90
Les pucelles forcer au gironNXNota del editor

Giron de leurs mères: espace qui est depuis la ceinture jusqu'aux genoux dans une personne assise.

de leurs mères,
91
Et les fleuves encor regorger sur leurs bords
92
Par les pleurs des vivants et par le sang des morts?
93
Si cette volonté barbarement cruelle
94
Peut tomber en l'esprit d'une Reine si belle,
95
Si le cœur d'une femme ayant la mort au seinNXNota del editor

Étant très affligée.

,
96
Ose encor concevoir ce furieux dessein;
97
Je croirai désormais que les Ourses cruelles
98
Dépouillent les fureurs qui leur sont naturelles;
99
Et que la femme née à la bénignité
100
Environne son cœur d'une âpre cruauté.

CONSEILLER
101
Le masque est jàNXNota del editor

Déjà.

levé, la chose est trop connue:
102
L'œil qui ne la voit point est voilé d'une nue;
103
L'esprit qui ne la croit soi-même se dément;
104
Le cœur qui ne la craint n'a point de sentiment;
105
Il s'endort misérable, et l'orage tempête
106
Qui doit à l'impourvu fondre dessus sa tête.
107
Il ne faut plus, Madame, en demeurer ici;
108
Embrassez de vous-même et de nous le souci:
109
Car si le bien public doit être votre envie,
110
Il faut aussi pour lui conserver votre vie.
111
Ainsi pourrez-vous rendre éteints plutôt que nés
112
Les barbares desseins de ces fiers BasanésNXNota del editor

Les Espagnols.

;
113
Ainsi vous pouvez apporter assurance,
114
À l'Écosse dommage, et terreur à la France;
115
Là où si vous mourez c'est le souhait des Rois,
116
La fin de notre Foi, le tombeau de nos lois.
117
Et comme le troupeau dépourvu de son maître
118
Qui pense en sûreté dans l'herbage se paître
119
Est exposé en proie à la fureur des loups;
120
Un semblable danger tomberait dessus nous,
121
Si la Parque cruelle avait coupé la trameNXNota del editor

La Parque Atropos coupait la trame de la vie.

,
122
Qui joint pour notre bien votre corps et votre âme:
123
Lorsque de factions l'État est divisé,
124
Toujours le plus méchant est plus autorisé;
125
Le désordre a la voix, la licence effrénée
126
Aux énormes péchés rend l'âme abandonnée;
127
Tout est indifférent et profane et sacréNXNota del editor

Tout est indifférent le sacré comme le profane.

,
128
Le mal fait est sans peineNXNota del editor

La mauvaise action n'est pas punie.

et le bienfait sans gréNXNota del editor

La bonne action n'apporte pas de plaisir.

.
129
Madame, je vous priNXNota del editor

) Pri': prie, l'apostrophe évite les 13 pieds.

' de remettre en mémoire,
130
Que tous les Rois du monde envient votre gloire;
131
Que chacun vous en veut, que l'orgueil étranger
132
Vous trame incessamment quelque nouveau danger,
133
Recherche tous moyens de vous ravir la vie,
134
Votre mort seule étant le but de son envie.
135
L'effort de l'Espagnol mille fois retentéNXNota del editor

Tenté de nouveau.

,
136
Fait voir assez à claire son infidélité;
137
Et s'il n'a satisfait à son traître courage,
138
C'est faute de bonheur et non faute de rage;
139
C'est que le Ciel bénin veille toujours pour vous,
140
D'autant qu'en votre bien gît le salut de tous.

REINE D’ANGLETERRE
141
Je sais bien, mon ami, qu'ores les destinées
142
Des Anglais, semblent être à ma vie enchaînées;
143
Que plusieurs par ma mort du devoir divertisNXNota del editor

Écartés du devoir.

,
144
Auraient bientôt éclos cent Monstres de Partis;
145
Que comme la Vipère est de son fruit rongéeNXNota del editor

Les Anciens disaient que les petits de la vipère tuent leur mère en naissant.

,
146
L'Angleterre serait des siens-mêmes mangée.
147
Songeant à tel malheur je souffre cent tourments,
148
Et d'une seule peur j'ai mille étonnements;
149
Mais cette noire humeur qui mon âme possède,
150
Ne me permet jamais de songer au remède,
151
Semblable au Patient qui languit sans mourir,
152
Et ne peut malheureux sa douleur secourir.

CONSEILLER
153
Sortez-vous de ce trouble, il n'est rien plus facile.
154
Maintenant que le Ciel est serein et tranquille,
155
Que la mer est bonaceNXNota del editor

Mer calme après un orage.

et le vent bien tourné,
156
Mettez la voile au mât; c'est par trop séjourné:
157
Car lorsqu'à ce beau temps succèdera l'orage,
158
Démarrer seulement c'est chercher le naufrage.
159
Tel peut en temps de paix sa vengeance exercer
160
Qui s'endort en son aise et ne veut y penser;
161
Puis quand la guerre vient est contraint de le faire,
162
Trouvant pour son salut, juste, le nécessaire.

REINE D’ANGLETERRE
163
À quoi me résoudrai-je en ces confusions?

CONSEILLER
164
Tranchez en un seul chef l'Hydre des factions.

REINE D’ANGLETERRE
165
Pour frapper ce grand coup il faut un bras d'AlcideNXNota del editor

Hercule.

.

CONSEILLER
166
On peut sans grand péril occire une homicide.

REINE D’ANGLETERRE
167
Combien qu'elle fût telle, elle est hors de nos lois:
168
De Dieu tiennent sans plus les Reines et les RoisNXNota del editor

Sans plus (de Dieu tiennent): ne tiennent que de Dieu.

.

CONSEILLER
169
C'est piété d'occire une femme méchante
170
Aussi bien qu'un Tyran: de tous deux on se vante.

REINE D’ANGLETERRE
171
Considérez-la bien; elle est mère d'un Roi,
172
L'épouse de deux Rois, et Reine comme moi.

CONSEILLER
173
Considérez-la bien; c'est une déloyale
174
Qui dément par ses mœurs la majesté Royale.

REINE D’ANGLETERRE
175
Mon intérêt privé m'empêche d'en juger.

CONSEILLER
176
Et ce même intérêt vous semondNXNota del editor

Semond: invite.

d'y songer.

REINE D’ANGLETERRE
177
J'y vois plus de péril alors que plus j'y pense.

CONSEILLER
178
Vous pouvez l'amoindrir en vengeant votre offense.

REINE D’ANGLETERRE
179
Cette juste vengeance il faut laisser à Dieu.

CONSEILLER
180
Dieu la remet en vous, qu'il a mise en son lieu.

REINE D’ANGLETERRE
181
Si le Ciel est pour moi la terre m'est contraire.

CONSEILLER
182
Si le Ciel est pour vous rien ne vous peut mal faire.

REINE D’ANGLETERRE
183
Ses secrets sont profonds, et l'humain jugement
184
Proposant d'une sorte, il dispose autrement.

CONSEILLER
185
Puisque le Ciel est juste il ne peut lui déplaire,
186
Que la justice rende aux méchants leur salaire.

REINE D’ANGLETERRE
187
Non, non, quelque vengeur sortirait de ses os,
188
Qui m'ôterait la vie et à vous le repos.
189
Les Rois qui font mourir ceux qui leur sont contraires,
190
Pensant les amoindrir, croissent leurs adversairesNXNota del editor

Croissent leurs adversaires: augmente le nombre de leurs adversaires. Verbe actif seulement en poésie.

,
191
Les parents, les voisins, les enfants, les amis,
192
Revivent pour ceux-là qu'au sépulcre ils ont mis:
193
L'arbre rejette ainsi mainte nouvelle branche
194
Au lieu des vieux rameaux que le fer en retranche.

CONSEILLER
195
Mais en telle saison l'arbre peut se trancher
196
Que jusqu'en la racine on le voit dessécher.

REINE D’ANGLETERRE
197
Ce remède est jugé pire que le mal même.

CONSEILLER
198
Mais aux extrêmes maux, il est toujours extrême.

REINE D’ANGLETERRE
199
Supporter une injure est quelquefois meilleur
200
Que d'en chercher revanche, et trouver son malheur.

CONSEILLER
201
Si vaut-il toujours mieux se venger de l'injure,
202
Qu'en attirer mainte autre à cause qu'on l'endure.

REINE D’ANGLETERRE
203
En deux périls du moindre on fait électionNXNota del editor

On choisit le moindre.

.

CONSEILLER
204
Mais il en faut juger sans nulle passion.

REINE D’ANGLETERRE
205
Si nous l'exécutons, nous irritons la France.

CONSEILLER
206
La laissant vivre aussi quelle est votre assurance?

REINE D’ANGLETERRE
207
Nous pouvons l'accuser mais non pas la punir.

CONSEILLER
208
Puisqu'elle est en vos mains qui vous en peut tenirNXNota del editor

Qui peut vous en empêcher?

?

REINE D’ANGLETERRE
209
Maint peuple sous cet ombre envahirait ma terre.

CONSEILLER
210
À qui la paix la paix. La guerreNXNota del editor

À ceux qui nous laisserons la paix, nous accorderons la paix; à ceux qui nous ferons la guerre, nous apporterons la guerre.

à qui la guerreNXNota del editor

À ceux qui nous laisserons la paix, nous accorderons la paix; à ceux qui nous ferons la guerre, nous apporterons la guerre.

.

REINE D’ANGLETERRE
211
Les Rois la pleureront, j'aurai seule le tort.

CONSEILLER
212
Ils ne pourront au moins rire de votre mort.

REINE D’ANGLETERRE
213
Pour l'injure commune ils armeront leur destre.

CONSEILLER
214
Plus d'effroi que de mal le tonnerre fait naître.
215
Lorsqu'un grand se châtie il s'émeut bien du bruitNXNota del editor

Aye entrepris (qu'elle): qu'elle ait entrepris.

.
216
Après le coup frappé peu d'effet s'en ensuit.

REINE D’ANGLETERRE
217
Le sacré sang des Rois doit être inviolable.

CONSEILLER
218
Elle devait du vôtre estimer le semblable.

REINE D’ANGLETERRE
219
Nul ne croira qu'elle ait à ma vie entrepris!

CONSEILLER
220
Encor le vaut-il mieux que d'en être surpris.

REINE D’ANGLETERRE
221
Les Ligues sont toujours obscurément connues,
222
Tant qu'à l'effet sanglant elles soient parvenues.

CONSEILLER
223
Mais telle connaissance arrive un peu bien tard;
224
Car on est cependant trop sujet au hasard.

REINE D’ANGLETERRE
225
Je tiens qu'il vaudrait mieux abandonner la vie
226
Que pour la conserver s'acquérir de l'envie.

CONSEILLER
227
Le Prince a peu de cœur s'il ne peut endurer
228
Ceux qui ne peuvent rien outre le murmurer.

REINE D’ANGLETERRE
229
La Clémence le gagne, il convient que j'essaie
230
Si par doux appareils je puis sonder la plaie;
231
Je veux encor un coupNXNota del editor

Une fois.

cette voie éprouver;
232
Car la pouvant bien perdre et la voulant sauver,
233
Au moins l'on connaîtra que j'ai l'âme si bonne
234
Que je veux tout sauver et ne perdre personne.

CONSEILLER
235
Gardez en la gardant de perdre vous et nous.

REINE D’ANGLETERRE
236
J'ai peu de soin pour moi, mais j'en aurai de vous.

CONSEILLER
237
Ce n'est rien de le dire, il en faut apparaître.

REINE D’ANGLETERRE
238
Voulant ôter le mal gardons bien de l'accroître.

CONSEILLER
239
Sans employer le fer on ne le peut guérir.

REINE D’ANGLETERRE
240
Si ne le faut-il mettre à la faire mourirNXNota del editor

Néanmoins il ne faut pas le mettre.

.

CONSEILLER
241
Quoi! Votre âme au pardon lâchement s'abandonne?

REINE D’ANGLETERRE
242
Quand la douceur nous sert je la juge être bonne.

CONSEILLER
243
L'homme doux au méchant est inhumain au bon.

REINE D’ANGLETERRE
244
Le méchant quelque fois se vainc par le pardon:
245
Mais qui veut par le sang cimenter sa fortune,
246
Meurt toujours à la fin d'une mort non commune.

CONSEILLER
247
Celle qu'on ne craint point ou qui pardonne tout
248
Achève son chemin avant que d'être au bout.

REINE D’ANGLETERRE
249
La peur qui n'a pouvoir que sur l'âme couarde
250
Des Royaumes puissants est une faible garde.

CONSEILLER
251
L'impunité du vice a causé maintes fois
252
La ruine et la mort du Royaume et des Rois.

REINE D’ANGLETERRE
253
La trop grande rigueur jamais ne va sans haine.

CONSEILLER
254
Et la facilité des mépris nous amèneNXNota del editor

Inversion, trop grande rigueur nous amène la facilité des mépris.

.

REINE D’ANGLETERRE
255
D'être aimée entre vous j'ai beaucoup eu de soin.

CONSEILLER
256
D'y être crainte aussi vous aviez bon besoin.

REINE D’ANGLETERRE
257
L'amour de nos sujets qu'engendre la Clémence,
258
Cent fois plus que leur crainte apporte d'assurance.

CONSEILLER
259
L'amour de vos sujets vous doit donc émouvoir
260
À fermer l'œil à tout forsNXNota del editor

Fors: excepté.

à votre devoir.

REINE D’ANGLETERRE
261
Je le veux faire aussi, mais sans être cruelle:
262
La douceur en la femme est vertu naturelle.

CONSEILLER
263
Ce n'est point cruauté que d'ordonner la mort
264
À celle qui tâchait vous la donner à tort.

REINE D’ANGLETERRE
265
C'est un bien grand honneur de remettre l'offense,
266
Quand on a le pouvoir d'en prendre la vengeance.

CONSEILLER
267
Si l'œil peut pénétrer jusques dans le penser,
268
Punissez bien plutôt qui songe d'offenser.

REINE D’ANGLETERRE
269
Qui pardonne à l'autrui pour l'amour de soi-même,
270
Se connaissant fautif mérite un losNXNota del editor

Los: «s. m. Vieux mot qui signifie, Louange, & qui n'est plus en usage que dans le burlesque» (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

extrême.

CONSEILLER
271
Mais souvent il se livre en proie à l'étranger,
272
Lorsque de ses sujets il ne s'ose venger.

REINE D’ANGLETERRE
273
Des AvettesNXNota del editor

Avettes: abeilles.

le Roi porte en sa république
274
Un poignant aiguillon et si jamais ne piqueNXNota del editor

Néanmoins jamais il ne pique.

.

CONSEILLER
275
Aussi contre les bons vous n'en devez avoir;
276
Mais contre les méchants qui forcent leur devoirNXNota del editor

Manquent gravement à leur devoir.

.

REINE D’ANGLETERRE
277
Le Prince trop sévère est taxé d'injustice.

CONSEILLER
278
Le Prince trop bénin se rend fauteur du vice.

REINE D’ANGLETERRE
279
Pécher en la Clémence est toujours le meilleur.

CONSEILLER
280
L'un aussi bien que l'autre est cause de malheur.
281
L'excès et le défaut font des erreurs notables
282
En matières d'État, peu ou point réparables.

REINE D’ANGLETERRE
283
Je veux donc à ce coup un entre-deux choisirNXNota del editor

Choisir une solution moyenne.

284
Utile à mes sujets, et propre à mon désir.

CONSEILLER
285
Madame, avisez bien, pensant être en la voie,
286
Gardez que votre pied maintenant ne fourvoieNXNota del editor

Ne s'égare.

,
287
Tel s'égare souvent qui pensait bien aller.
288
En ce chemin glissant venant à vaciller,
289
Vous verriez (Ô bon Dieu, détournez ces présages)
290
Ruiner les Châteaux, fourrager les villages,
291
Ravager les Cités, les flottes abîmer,
292
Et le sang à torrents fuir dedans la mer;
293
Que dis-je vous verriez? Possible votre vue
294
Cacherait sa clarté d'une mortelle nue,
295
Et parmi tant de maux vous resterait ce bien
296
De ne les pouvoir voir et de n'en sentir rien.
297
Heureux qui dormirait en la tombe poudreuse,
298
Pour ne languir captif sous une grotte ombreuse,
299
Où tout vif enterré comme dans un tombeau,
300
En vain Phœbus pour lui ressortirait de l'eau.

REINE D’ANGLETERRE
301
Et bien, pour empêcher qu'une telle tempête
302
N'enveloppe avec vous mon incoupable têteNXNota del editor

Innocente tête.

,
303
En prison plus étroite il la faut enfermer;
304
Je le fais par contrainte, on ne m'en peut blâmer.

CONSEILLER
305
Pour vous bien délivrer de cette prisonnière,
306
Vous tenterez en vain la façon coutumière:
307
Rechargez de cent fers ses jambes et ses mains,
308
Vous la rendrez toujours plus âpre en ses desseins,
309
Et s'elleNXNota del editor

S'elle: si elle, évite le hiatus.

peut un coup échapper de la chaîne,
310
Elle se plaira lors à faire l'inhumaine,
311
Mille maux, mille morts elle suscitera;
312
Le souvenir des fers sa rage augmentera,
313
Et sa propre fureur se rendra plus félonne.
314
Ainsi voit-on le Tigre ou la rousse Lionne
315
Retenus pour un temps dans la cage enfermés,
316
S'ils gagnent la campagne être plus animés,
317
Faire plus de dégâts, de meurtres, de carnages,
318
Que ceux qui sont nourris dans les déserts sauvages.

REINE D’ANGLETERRE
319
Nous pouvons l'adoucir en lui faisant merciNXNota del editor

Faisant grâce, pardonnant.

,
320
Encor qu'elle eût le cœur d'un Rocher endurci,
321
Et du mont Caucase elle prit sa naissance:
322
Aussi serait-ce alors de ma seule Clémence
323
Qu'elle obtiendrait la vie avec la liberté
324
Que perdre par sa faute elle avait mérité.

CONSEILLER
325
Son courage perfide est si fier de nature
326
Que ces rares bienfaits lui seraient une injure.
327
Je connais son humeur. D'un ingrat obligé
328
Que peut-on espérer que d'en être outragé?

CHŒUR DES ÉTATS
329
Heureux le siècle d'or où sans avoir envie.
330
De monter à l'honneur,
331
L'homme sentait couler tous les jours de sa vie
332
En un égal bonheur.
333
Il n'était affligé de crainte et d'espérance
334
Ni mu d'ambition;
335
Son corps plein de vigueur était franc de souffranceNXNota del editor

Libre de souffrance, sans souffrance.

,
336
Son cœur sans passion.
337
Il ne désirait point voir sa vie estimée
338
Au prix de ses travaux;
339
Ni pour un peu de gloire, agréable fumée,
340
N'endurait mille maux.
341
Il repaissait des fruits que la terre bénigne
342
De soi-même apportait;
343
Et tout plat étendu sur une eau cristalline
344
Sa soif il contentait.
345
Libre il se promenait ès forêts verdoyantes
346
De son plaisir conduit.
347
Et n'habitait encor les places résonnantes
348
D'un populaire bruit.
349
Il reposait l'Été dessous un frais ombrage
350
S'il se trouvait lassé,
351
Et sommeillait la nuit dans un antre sauvage
352
De mousse tapissé.
353
Là sans être touché des vains soucis du monde
354
À son aise il dormait:
355
Le chagrin ni l'envie en mille maux féconde
356
Son cœur ne consommait.
357
Qui ne préférerait l'heur de ces douces choses
358
À la pompe des Rois;
359
Qui ne souhaiterait cueillir ainsi les roses
360
Sans se piquer les doigts?
361
L'ardente ambition qui les Princes transporte
362
Trouble leur jugement;
363
La gloire plus de mal que de bien leur apporte;
364
Leur aise est un tourment.
365
Leur repos s'établit au milieu de la peine;
366
Leur jour se change en nuit:
367
Leur plus haute grandeur n'est qu'une Idole vaine,
368
Qui le peuple séduit.
369
Leur État n'a rien sûr que son incertitude;
370
En moins d'un tournemain
371
On voit leur liberté tomber en servitude,
372
Et leur gloire en dédain.
373
Encore que chacun les prise et les honore,
374
Ils n'en sont plus contents:
375
Car le ver du souci sourdement les dévore
376
Parmi leurs passetemps.
377
J'estime bienheureux qui peut passer son âge
378
Franc de peur et de soiNXNota del editor

Libre, exempt de peur et de soi.

,
379
Et qui tous ses désirs borne dans son village,
380
Sans aspirer plus loin.


ACTE II

CHŒURS DES ÉTATS, REINE D'ANGLETERRE

CHŒUR DES ÉTATS
381
Ô l'honneur souverain des Dames Souveraines
382
Qui feras désormais bénir le joug des Reines,
383
Daigne baisser tes yeux d'éclairs environnés
384
Sur tes humbles sujets devant toi prosternés,
385
Qui viennent par ma voix te sommer de promesseNXNota del editor

Te demander de tenir ta promesse.

,
386
Assurés en leur cœur, que toi grande Princesse
387
Qui même à tes haineux de parole ne fauxNXNota del editor

Faux de parole: manque de parole.

,
388
N'en manqueras jamais à tes peuples loyaux,
389
AinsNXNota del editor

Ains: particule d'opposition, qui signifie, Mais. Il est vieilli, et ne se dit guère qu'en raillant dans cette seule phrase. «Ains, au contraire» (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

que tu permettras que la juste sentence
390
Donnée en plein Conseil en ta sainte présence
391
Contre cette Princesse, ayeNXNota del editor

Aye son libre cours: ait son libre cours. Aye permet d'avoir 12 pieds.

son libre cours,
392
Puisque les factions renaissent tous les jours.
393
C'est le désir de tous. Le bien de la patrie,
394
Que seul tu dois chercher maintenant t'y convie;
395
Tes États assemblés en sont làNXNota del editor

Là résolus (en sont): en sont maintenant résolus. Là est fautif, il devrait y avoir .

résolus,
396
Et ton peuple dévot ne souhaite rien plus.
397
Il n'est tempsNXNota del editor

Temps (il n'est): ce n'est pas le moment.

qu'au pardon ta bonté se hasarde,
398
Garde ta Majesté afin qu'elle nous garde;
399
Ce que tu ne peux faire en voulant que les lois
400
Épargnent celle-ci pour toucher à nos Rois.
401
Souffre que l'Angleterre en ma parole jure,
402
Que par ta seule mort plus de perte elle endure
403
Qu'elle n'acquît jamais par ces preux Chevaliers
404
Qui dans le champ des Lis plantèrent leurs Lauriers.
405
Ils moururent suivant une frivole Guerre,
406
Et toi plus charitable envers ta propre terre
407
La pourras garantir de tout nuisible effort
408
Si tu trompes un coup les pièges de la mort.
409
Mais en l'abandonnant à ce cruel orage,
410
Son État est pour faire un si piteux naufrage
411
Qu'aucun n'ayant moyen d'en ramasser le brisNXNota del editor

Le bris: le débris.

,
412
Sa gloire et son honneur tomberont en mépris:
413
Celle qui fut jadis en armes si prisée,
414
À ceux qu'elle a vaincus servira de risée;
415
Ceux qui tremblaient de peur voyant ses étendards,
416
Accourront l'assaillir, bandés de toutes parts.
417
Portant donques le front peint d'une couleur blême,
418
Et craignant plus pour toi que non pas pour soi-même,
419
Imagine la voir, et te dire ces mots
420
Tranchés de longs soupirs et de tristes sanglots:
421
Fille que j'enfantai pour me servir de mère,
422
Reine chère à mon cœur, à mon bien nécessaire,
423
Prends garde à ton salut, et si ce n'est pour toi,
424
Soit au moins pour les tiens, pour les miens, et pour moi:
425
Si de mourir pour nous jamais te prît envie,
426
Conserve aussi pour nous le reste de ta vie.
427
La Dame est bienheureuse à qui les Cieux amis
428
Par une grand'faveurNXNota del editor

L'apostrophe évite les 13 pieds.

ont tant de bien permis
429
Qu'elle vive une vie au public profitable,
430
Agréable à chacun, à soi-même honorable.

REINE D’ANGLETERRE
431
Ô combien malheureuse est l'humaine grandeur,
432
Quoiqu'elle éclate aux yeux d'une belle splendeur,
433
Si des malheureux même il faut qu'elle se garde;
434
Car que ne peut la main qui sans peur se hasarde?
435
Qui présage un orage au port se va ranger;
436
Qui prévoit le danger doit pourvoir au danger;
437
Aussi veux-je assurer mon État et ma vie
438
Comme le bien publiqueNXNota del editor

Public. Publique était au Moyen âge la forme usuelle pour public.

et le mien m'y convie.
439
Moi qui voudrais me perdre afin de vous sauver,
440
Pour ne vous perdre pas me dois bien conserver.
441
La cause est raisonnable et prudente est la crainte
442
De ce péril voisin, dont vous doutez l'atteinte:
443
Car il semble à peu près qu'en moi-seule est compris
444
Tout l'espoir du repos qui nourrit vos esprits.
445
Mais vous n'ignorez point que cette belle Reine,
446
En qui nous offensons la grandeur Souveraine
447
Par trop injustement la tenir en prison,
448
De chercher sa franchise a bien quelque raison;
449
Encores que peut-être il nous soit dommageable
450
D'élargir une Dame en beautés admirable,
451
Féconde en artifice et faconde en discours,
452
Et qui sert de Soleil aux Astres de deux CoursNXNota del editor

Courts (deux): deux Cours.

.
453
Je ne veux point ici m'informer davantage
454
S'elle me veut du mal; je sais bien son courage.
455
À dire vrai, sa vie importe à notre État,
456
Mais la faire mourir c'est un grand attentat.

CHŒUR DES ÉTATS
457
Plusieurs jours sont passés que nous l'y destinâmes
458
S'elle ourdissait encor d'autres nouvelles trames.

REINE D’ANGLETERRE
459
Le temps au sage esprit sert parfois de raison,
460
La volonté se tourne avecque la saison,
461
Et le Pilote seul est digne de louange,
462
Qui peut tendre la voile ainsi que le vent change.

CHŒUR DES ÉTATS
463
Quand un dessein est pris il ne le faut changer,
464
Si par ne le point faire on se met en danger.

REINE D’ANGLETERRE
465
Étant bien convaincue elle est mal condamnée.

CHŒUR DES ÉTATS
466
Au péché non au rang la peine soit donnée.

REINE D’ANGLETERRE
467
Je veux encor surseoir cette exécution.

CHŒUR DES ÉTATS
468
Gardez-vous d'avancer notre perdition.

REINE D’ANGLETERRE
469
Que peut plus, je vous prie, une femme enchaînée?

CHŒUR DES ÉTATS
470
Que ne peut une femme à mal faire adonnée?

REINE D’ANGLETERRE
471
Trop tard après sa mort viendra le repentir.

CHŒUR DES ÉTATS
472
Trop libre en peu de jours vous la pourrez sentir.

REINE D’ANGLETERRE
473
Sa mine est éventée à son propre dommageNXNota del editor

Sa mine est éventée: au figuré, ses desseins sont découverts.

.

CHŒUR DES ÉTATS
474
Encor le marinier vogue après le naufrage.

REINE D’ANGLETERRE
475
S'elle ose l'entreprendre il faudra la punir.

CHŒUR DES ÉTATS
476
Vous êtes à ce point pour n'y plus revenir.
477
Voyez l'éclat brillant des cuirasses Françaises,
478
Écoutez les tambours des bandes Écossaises,
479
Et les pifresNXNota del editor

Pifres: joueur de fifre.

d'Espagne, aujourd'hui son danger
480
Suscite tout le monde, et pour la dégager
481
On va couvrir la mer de voiles et de rames,
482
Emplir nos riches ports et de fer et de flammes.
483
Cependant parmi nous ce tison consommant
484
Ira de tous côtés les Ligues allumant,
485
Et la peste mortelle enclose en nos moelles
486
Causera plus de mal que les guerres cruelles:
487
Où voulant seulement consentir à sa mort,
488
Vous pouvez dès le bersNXNota del editor

BER, subst. masc. Synon. de berceau. CNRTL: Centre National de Ressources textuelles et Lexicales, version 2012. UMR ATILF (CNRS-Nancy Université). Site internet: http://www.cnrtl.fr/. http://www.atilf.fr/dmf.

suffoquer cet effortNXNota del editor

Étouffer cet effort.

;
489
Et par un peu de sang l'embrasement éteindre,
490
Qui, tant plus rampe avant, est davantage à craindre.

REINE D’ANGLETERRE
491
Bien, faites, mes amis, comme vous l'entendez,
492
De ma part vos desseins ne seront retardés;
493
En toutes les deux parts même raison je trouve
494
Comme même péril; ainsi je n'en approuveNXNota del editor

Éprouve (je n'en): je n'en approuve.

,
495
Et n'en réprouve rien; mais soyez avertis
496
D'aviser bien encor au meilleur des partis.

CHŒUR DES ÉTATS
497
Le Ciel veuille bénir notre haute entreprise;
498
À ce notable effet la terre favorise;
499
Soit le DémonNXNota del editor

Démon anglais (le): le génie de l'Angleterre.

Anglais des autres le vainqueur,
500
Aussi bien par nos mains comme par notre cœur.
501
Dieu veuille sur ton chef assurer la couronne,
502
Le Sceptre dans ta main, et que l'ire félonne
503
Des peuples conjurés pour le rendre abattu,
504
Cède finalement à l'heur de sa vertu:
505
Afin qu'à l'avenir l'image de sa gloire
506
Vole sur les autels du temple de Mémoire.

REINE D’ANGLETERRE
507
Quoi! Que pour contenter ce conseil obstiné,
508
L'on mène cette Reine au supplice ordonné?
509
Dois-je bien le vouloir? Le puis-je bien permettre?
510
Que ne pourra donc plus l'audace se promettre?
511
Teindre ainsi l'échafaud du sacré sang des Rois?
512
Je pourrais le mien même y verser quelquefois:
513
Car qui force le droit des Gens et de Nature,
514
Ce qu'il fait à tout autre en soi-même l'endure.
515
Il faut bien empêcher que mon bruit renommé
516
Soit d'acte si barbare à jamais diffamé,
517
Je pourrai mieux d'ailleurs signaler ma mémoire
518
Que d'une si tragique, et si malheureuse histoire:
519
Pour le vulgaire seul soit levé l'échafaud,
520
Non pour ceux que Dieu monte en un degré si haut.
521
Car que diraient de moi les Nations étranges?
522
Pourraient-ils sans dépit écouter mes louanges
523
Que la voix du Renom publie en tous endroits?
524
Veux-je en cette Princesse outrager tous les Rois?
525
Leur mettre contre moi la fureur au courage?
526
Le blasphème dans l'âme? En la bouche l'outrage?
527
Qui pourrait désormais sans horreur me nommer?
528
Elle a pris, dirait-on, naissance de la mer;
529
Au bers elle a tété le pis d'une Lionne
530
Moins rempli de lait doux que de rage félonne;
531
Bref elle porte bien un estomac de chair,
532
Mais il recèle un cœur de marbre ou de Rocher.
533
Mon sexe qui de moi tire tant d'avantage,
534
N'en pourrait recevoir que vergoigne et dommage;
535
On le blasonneraitNXNota del editor

On le blasonnerait: on le décrirait, on le dépeindrait.

cruel, vindicatif,
536
Méchant, double, jaloux, cauteleux, et craintif,
537
Sanguinaire, imposteur, artisan de mensonges,
538
Inventeur de malice, et controuvreur de songes,
539
Caméléon venteux, sujet au changementNXNota del editor

Comme un caméléon il prend la couleur de ce qu'il aproche.

,
540
Prenant toutes couleurs, fors le blanc seulement.
541
Les femmes que le Sceptre a misNXNota del editor

En 1604, on peut faire ou ne pas faire l'accord du participe avec le verbe avoir.

sous ma puissance
542
Ne se tiendraient jamais de dire en mon absence:
543
Ô cruel déshonneur de notre sexe humain!
544
Tu ne devrais tenir en ta sanglante main
545
Le sacré gouvernail de cette Île fameuse
546
Qui ceint de tous côtés la grand'mer écumeuse.
547
Si tu vins sur la terre en un tel ascendant,
548
Qu'il faille que ta vie y passe en commandant,
549
Que n'établissais-tu ta fière tyrannie
550
Sur les Lions d'Afrique et Tigres d'HyrcanieNXNota del editor

Hyrcanie: Province de Perse au sud de la mer Caspienne.

,
551
Puisque ces animaux en leur plus grand courroux
552
Au prix de toi barbare ont le courage doux.
553
Pour donques éviter qu'avec de si grands blâmes
554
Leur babil neNXNota del editor

Il faut lire me et non ne.

diffame aux étrangères Dames,
555
Ces Dames à leurs fils, ces fils à leurs neveux
556
Et ces neveux encor à ceux qui naîtront d'eux,
557
Il me faut à ce coup délivrer cette Reine
558
Dont tout le monde a plaint la prison et la peine,
559
Tenant comme ses fersNXNota del editor

Tout le monde a plaint ses peines, tenant pour ainsi dire ses fers avec elle.

, et libre de ses fersNXNota del editor

Tout le monde a plaint ses peines, tenant pour ainsi dire ses fers avec elle.

,
560
Possible elle oubliera tous les ennuis soufferts
561
Et le doux souvenir de telle bienveillance
562
Ne sortira jamais hors de ma souvenance.
563
Ainsi de quelque bien nous devons obliger
564
Ceux qui d'un mal reçu peuvent se revenger;
565
L'homme bien avisé toujours s'il se peut faire
566
Gagne par courtoisie un puissant adversaire.
567
Tant de difficultés se viendront présenter
568
Lorsque l'Arrêt de mort devra s'exécuter,
569
Que pour y prendre avis faut prendre une remise;
570
Je romprai cependant le coup de l'entreprise.

CHŒUR DES ÉTATS
571
Qu'est-ce, ô Dieu, que de l'homme! Une fleur passagère,
572
Que la chaleur flétrit ou que le vent fait choir;
573
Une vaine fumée, une ombre fort légère
574
Qui se joue au matin et passe sur le soir;
575
Un Soleil de la terre assez clair de lumière,
576
Mais que mille brouillards vont sans cesse cachant,
577
Qui s'élève au berceau pour tomber en la bière,
578
Qui dès son Orient incline à son couchant:
579
Une ampoule venteuse au front de l'onde enflée,
580
Mais qui tout à l'instant se refond en son eau;
581
Une étincelle morte aussitôt que soufflée,
582
Mais qu'on ne peut jamais raviver de nouveau.
583
La vie est un air chaud sortant par la narine,
584
Qu'un pépin de raisin peut soudain étouffer;
585
Un vif ruisseau de sang arrosant la poitrine,
586
Qui glacé de la mort ne se peut réchauffer.
587
La Lune a un Soleil pour réparer sa perte
588
Et remplir son croissant une fois tous les mois;
589
Mais depuis que la vie est de la mort couverte,
590
Elle ne renaît pas en mille ans une fois.
591
Si les arbres l'Hiver perdent leur chevelure
592
Le Printemps les revêt d'un feuillage plus beau;
593
Et l'homme ayant perdu sa plaisante verdure,
594
Ne doit point espérer de second renouveau.
595
On ne peut rendre aux fleurs leur couleur printanière
596
Lorsqu'elles ont senti les chaleurs de l'Été:
597
Quand une fois la mort flétrit notre paupière,
598
Yeux, vous pouvez bien dire: adieu, douce clarté.
599
La vie est sans arrêt, et si court à son termeNXNota del editor

Et, toutefois, elle court à son terme.

600
D'un mouvement si prompt qu'on ne l'aperçoit point;
601
Là si tôt qu'elle arrive elle y demeure ferme,
602
Le naître et le mourir est presque un même point.
603
Bien certaine est la mort, mais la sortie incertaineNXNota del editor

Le moment de la mort est inconnu.

.
604
Qui pourrait du matin juger la fin du jour?
605
L'on veut bien décoller une Déesse humaineNXNota del editor

Couper la tête à une humaine belle comme une Déesse.

606
Fille de la vertu et mère de l'amour.


ACTE III

DAVISON, REINE D'ÉCOSSE, CHŒUR DES SUIVANTES de la Reine d'Écosse

DAVISON
607
Qui veut à la grandeur élever le courageNXNota del editor

Montrer un très grand courage.

608
Doit exposer son corps et son âme à l'outrage
609
D'un maître injurieux dont le commandement
610
Est suivi d'une honte ou bien d'un monumentNXNota del editor

D'un tombeau.

.
611
Ô l'homme possédé d'une manie extrême
612
Qui s'engage au Seigneur et renonce à soi-même!
613
Qui par une faveur muable comme vent
614
D'honneur et de repos se prive bien souvent.
615
La charge qu'on m'impose est certes bien fâcheuse,
616
Mais je crains qu'elle soit encor plus périlleuse:
617
Je vais frapper un coup, mais soudain je le vois,
618
Je le vois, malheureux retomber dessus moi.
619
Ô que d'un corps meurtri renaîtront de querelles!
620
Que d'une mort vivront de douleurs immortelles!
621
Que de sang innocent sera bas épanché
622
Avant que cette plaie ait le sien étanché!
623
Cette Hydre s'accroîtra sous les coups de l'épée.
624
Cent chefs pullulerontNXNota del editor

Mille têtes naîtront.

d'une tête coupée;
625
Cependant moi chétif, déchassé, langoureux,
626
Je serai mais en vain du trépas désireux,
627
Toujours pour mon tourment s'allongera ma vie.
628
Justement poursuivi de rancune et d'envie:
629
Pour m'être à ce forfait ainsi tôt résolu,
630
De tous également je serai mal voulu.
631
Sans cesse il me souvient de la mort de Pompée
632
Et que de ses meurtriers l'attente fut trompée.
633
Le mâtin hérissé de rage et de courroux,
634
Quand un passant le chasse à grands coups de cailloux,
635
Ne regarde pas le bras qui sur lui se desserre,
636
Mais son aigre fureur consomme sur la pierre:
637
Sur moi seul tout de même on voudra désormais
638
Prendre vengeance d'elle, et je n'en pourrai mais:
639
Où ceux qui sont auteurs du mal de cette Reine,
640
Au milieu de mes pleurs se riront de ma peine.
641
¡Le sort est bien cruel qui me donne la loi!
642
Je ne le veux point faire et faire je le dois:
643
Il faut bien le vouloir; car c'est force forcée;
644
Tremblant je m'y résous. Ô ma triste pensée,
645
Éloigne loin de toi ce qui peut t'effrayer:
646
Quand la promesse est faite il convient la payer.
647
Ne restivons donc plusNXNota del editor

Ne soyons plus rétif.

, ne tardons davantage.
648
Bien, je serai l'auteur de mon propre dommage.
649
BasteNXNota del editor

Vieux. Interjection marquant l'indifférence, le dédain.

, l'on me tiendra pour ma témérité,
650
Fidèle exécuteur d'une infidélitéNXNota del editor

Antithèse qui plaisait au goût du temps.

.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE
651
Que l'âme a de peine à mal faire!
652
Elle sent dix mille combats
653
Qui la pousse de haut en bas
654
Par maint et maint discours contraire:
655
Mais las pour considérer tout,
656
Elle est tant au vice inclinée,
657
Que pourtant elle s'y résout
658
Par malice ou par destinée.
659
Que sert aux mortels la raison
660
Si la passion est si forte
661
Qu'il faut que la pourette sorteNXNota del editor

La pourette: la pauvrette (la raison) sorte pour laisser la place à la passion.

662
Pour la loger dans sa maison?
663
En vain certes en nos devis
664
Reine des hommes on l'appelle,
665
Puisque par force ou par cautelle
666
Ses plus beaux droits lui sont ravis.
667
Cessez, pauvres âmes humaines,
668
De plus vanter vos qualités,
669
D'un vent d'honneur vous vous flattez,
670
Mais vous n'en sentez moins les peines:
671
Et si par les biens et les maux
672
On mesurait le bien de l'Être
673
Les plus stupides animaux
674
Plus heureux se font reconnaître.
675
Un seul point vous fait prévaloir
676
Qui n'est pas commun à la bête,
677
C'est quand la vertu vous arrête
678
Dedans les termes du devoir
679
Sans que l'appétit aveuglé
680
Tyran de votre fantaisie
681
D'un élan plein de frénésie
682
Vous emporte au train dérégléNXNota del editor

À l'allure déréglée.

.
683
Mais qui se pourra tant promettre
684
Sinon par la faveur d'en haut:
685
Sans elle la force défautNXNota del editor

La force manque.

,
686
Quand le vice nous veut soumettre,
687
Mais ne sait quoi de plus qu'humain,
688
Que le Ciel de grâce nous donne
689
À la vertu nous aiguillonne,
690
Au vice nous tire le frein.

REINE D’ÉCOSSE
691
De qui me dois-je plaindre! Ô ciel, ô mer, ô terre!
692
Qui de vous trois me livre une plus âpre guerre?
693
Depuis que le Soleil alluma son flambeau
694
Pour orner de clarté le monde encor nouveau
695
Le sort en son courroux n'a versé tant de peine
696
Sur aucun des mortels non que sur une ReineNXNota del editor

Ni encore moins sur une aucune Reine.

697
Comme sur moi chétive et pleine de douleurs;
698
Seule je suis en butte aux traits de tous malheurs
699
Dès le moment fatal de cette heure première
700
Qui me vit en pleurant saluer la lumière,
701
Jusques au jour présent, jour triste et déploréNXNota del editor

Déploré: désespéré, qui n'apporte plus d'espoir.

,
702
Sans trêve, sans secours j'ai toujours enduré;
703
Et si j'ai quelquefois senti l'ombre d'un aise
704
C'était pour rendre encor ma douleur plus mauvaise.
705
Mon corps faible et débile était gisant au bers,
706
Où ses pleurs présageaient les maux que j'ai soufferts,
707
Quand mon pays natal divisé de courageNXNota del editor

Divisé dans le choix d'entreprendre quelque chose de grand.

,
708
Comme s'il prit plaisir à son propre dommage,
709
Chasse de son esprit toute fidélité,
710
Pour y substituer une déloyauté.
711
De notre antique trône il débouta ma mère,
712
Qui par des lieux secrets errante et solitaire,
713
Transportait mon berceau toujours baigné de pleurs,
714
Au lieu d'être semé de roses et de fleurs,
715
Comme si dès ce temps la fortune inhumaine
716
Eût voulu m'allaiter de tristesse et de peine.
717
Cette grande Princesse ornement de ses ans
718
Me tenant quelquefois en ses bras languissants,
719
De nos malheurs communs émue en son courage,
720
Du ruisseau de ses yeux me noyait le visage;
721
Et haussant vers le Ciel le cœur et le sourci,
722
Soupirait tendrement et me parlait ainsi:
723
Ô chère part de moi-même, débile nature,
724
Je ne sais quelle bonne ou mauvaise aventure
725
Te garde le destin; car l'œil du plus savant
726
Ne peut dans ses secrets pénétrer si avant.
727
Bien sais-je seulement que si ta pauvre vie
728
Du fil qui la commence est toujours poursuivie,
729
Le Ciel pour démontrer combien peut son malheurNXNota del editor

Combien peuvent ses funestes augures.

,
730
T'a fait naître ici-bas pour y vivre en douleur.
731
Mais, dis, Ciel inhumain, quel mal ou quelle injure
732
T'a pu faire au berceau ma pauvre géniture,
733
Qui semble tous les jours à force de pleurer
734
Ta grâce pitoyable à nos maux implorerNXNota del editor

Au sens actif, ta grâce qui a pitié.

?
735
Si c'est pour les péchés de la mère dolente,
736
Que tu punis la fille, elle en est innocente:
737
Épargne-la, cruel, et plutôt dessus moi,
738
Dessus moi misérable épand tout cet émoi.
739
En ces termes ma mère au Ciel fît sa demande;
740
Mais il s'en alluma d'une fureur plus grande,
741
Elle n'était encor au milieu de son cours,
742
Qu'une nuit éternelle obscurcit ses beaux jours,
743
Et redoubla sur moi qui restait orpheline
744
Les coups de sa colère indomptable et maligne.
745
À peine avais-je encor vu neiger sept Hivers,
746
Et sept fois le Printemps prendre ses habits verts,
747
Que j'abandonnai là ma terre naturelle,
748
Qui ne m'était plus mère, ains marâtre infidèle,
749
Et traversant la mer jusques en France vins
750
Dessous un autre Ciel, chercher d'autres destins.
751
Là le Roi m'épousa, mais ce haut Mariage
752
Fut suivi de bien près d'un funèbre veuvage;
753
Il mourut ce bon Prince, et le sort rigoureux
754
Ne fît que le montrer aux Gaulois malheureux.
755
Ô fortune volage, est-ce ainsi que ta roue
756
Des Reines et des Rois inconstamment se joue!
757
Reconnaissant depuis qu'en cette belle Cour
758
J'avais toujours Éclipse au plus clair de mon jour,
759
France, la belle France, à tout autre agréable
760
Ne fut plus à mes yeux qu'un désert effroyable
761
Je revins voir ma terre où je pensais sans fin
762
Lamenter tristement mon malheureux destin;
763
Mais je n'y suis longtemps, qu'au milieu de mes plaintes,
764
Je ressens de plus beau ses fatales atteintes,
765
Et ne vois pas si tôt l'un de mes maux faillir,
766
Qu'un autre plus cruel retourne m'assaillir:
767
Sur le triste moment qu'au monde je fus née,
768
Le Ciel à souffrir tout m'avait bien condamnée!
769
Mais s'il s'est envers moi déclaré rigoureux,
770
Ne s'est montré plus doux mon pays malheureux;
771
Ayant laissé glisser dedans la fantaisie
772
La folle opinion d'une rance hérésie;
773
Ayant pour un erreurNXNota del editor

Ce mot est masculin dans plusieurs auteurs anciens.

fardé de nouveauté,
774
Abreuvé son esprit de la déloyauté;
775
Il émeut furieux des querelles civiles,
776
Il révolte les champs, il mutine les villes,
777
Il conjure ma honte et me recherche à tort,
778
Croyant qu'à mon époux j'eusse brassé la mort.
779
Peux-tu bien, cher mari, qui maintenant reposes
780
Au séjour bienheureux entendre telles choses?
781
Peux-tu voir diffamer ta plus chère moitié
782
Qui même après ta mort vit en ton amitié?
783
Reloge dans ton corps cette âme généreuse,
784
Et par avance sors de la tombe poudreuse,
785
Pour prendre ma défense en l'accusation
786
Qu'intente contre moi ma propre Nation.
787
Cependant je m'enfuis sachant que l'innocence
788
À l'endroit des méchants n'est pas sûre défense,
789
Et m'embarquant sur mer je maudis mille fois
790
Les destins ennemis, mon Royaume et ses lois.
791
Mais comme si la mer eût quelque intelligence
792
Avec la terre ingrate où j'ai reçu naissance,
793
À peine fus-je entrée en son calme giron
794
Ému dessous ma Nef des seuls coups d'aviron,
795
Que je vis aussitôt les plaines écumeuses
796
Faire blanchir l'azur des vagues orgueilleuses,
797
Qui menaçaient aux bords par leur mugissement
798
Le naufrage à ma Nef gémissante âprement.
799
Je cingle nonobstant, doutant moins la tempête
800
Que le danger des miens qui couraient à ma tête;
801
Aussi pensais-je bien trouver plus de repos
802
Au fort de la tourmente, au beau milieu des flots,
803
Qu'entre un peuple agité de félonie et d'ireNXNota del editor

Terme vieilli. Courroux, colère.

804
Qui la mort de sa Reine injustement désire.
805
Le Ciel ne permit pas comme je le voulais,
806
Que je mouillasse l'ancre au rivage Gaulois,
807
Où j'espérais trouver une terre étrangère
808
Plus que la mienne ingrate à mes cendres légère:
809
Mais comme hélas! Je fuis ce pays qui me fuit
810
La tourmente s'accroît, le jour se change en nuit,
811
Les éclairs enflammés qui partent de l'orage,
812
Comme traits rougissants entrefendent l'ombrageNXNota del editor

Font des coupures dans l'ombrage des nuages.

:
813
L'horreur, le bruit, l'effroi, les sanglots et les cris
814
Étourdissent l'oreille, et brouillent les esprits;
815
Tous s'adressent à Dieu durant l'âpre tempête
816
Et son oreille est sourde aux veux de leur requête;
817
L'air décoche son ire, et plus fort que devant
818
S'animent les combats des ondes et du vent.
819
Tantôt gît notre Nef ès gouffres enfoncée;
820
Tantôt haute s'élève aux étoiles poussée;
821
Puis tantôt ballotée en égal contrepoids
822
Puise le sel flottant par les fentes du bois:
823
Bref courant à peu près la dernière fortune,
824
Une fière bourrasque à nos vœux importune
825
La vient jeter aux bords des barbares Anglais,
826
Peuple double et cruel, dont les suprêmes lois
827
Sont les lois de la force et de la tyrannie,
828
Dont le cœur est couvé de rage et félonie,
829
Dont l'œil se paît de meurtre et n'a rien de plus cher
830
Que voir le sang humain sur la terre épancher.
831
Ô qu'il me valait mieux être bien loin jetée
832
Au rivage inconnu d'une île inhabitée,
833
Ou dans l'onde écumeuse éteindre mon flambeau,
834
L'Océan pour le moins fût mon fameux tombeau.
835
On me fît prisonnière; un grand nombre d'années
836
Dedans leur cercle rond sont du depuis tournées,
837
Et nulle toutefois ne m'a jamais rendu
838
L'heur de ma liberté chétivement perdu.
839
Ô chère liberté, mais en vain désirée!
840
Tu t'es donques de moi pour toujours retirée.
841
Encor un jour enfin j'espérais te revoir;
842
Cela n'a rien servi fors à me décevoir;
843
Je ne dois plus sortir d'une prison si forte,
844
Ou si j'en dois sortir la mort en est la porte.
845
On veut frapper le coup que je ne puis parer;
846
Et bien, c'est fait de vivre, il m'y faut préparer.
847
Le mal impatient s'irrite davantage;
848
Nous n'avons rien d'humain plus grand que le courage.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
849
Madame, quoi qu'on die ils n'en viendront point là.

REINE D’ÉCOSSE
850
Je suis quoi qu'il en soit résolue à cela.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
851
Traiter en criminelle une telle Princesse.

REINE D’ÉCOSSE
852
À qui veut se venger tout autre respect cesse.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
853
Ils le font à dessein pour vous épouvanter.

REINE D’ÉCOSSE
854
Le cœur me trompe, ou bien c'est pour m'exécuter.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
855
On craint trop d'offenser ces grands Princes de France.

REINE D’ÉCOSSE
856
On craint moins pour ma mort que pour ma délivrance.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
857
La Reine votre sœur jamais ne le voudra.

REINE D’ÉCOSSE
858
De ma prison injuste elle se souviendra.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
859
C'en est aussi trop fait sans oser davantage.

REINE D’ÉCOSSE
860
Les grands mesurent tout par le seul avantage.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
861
Et que dirait-on d'elle en toutes Nations?

REINE D’ÉCOSSE
862
Le souci du renom se perds ès passions.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
863
Qui n'a la vertu même au moins l'ombre désire.

REINE D’ÉCOSSE
864
Qui n'a la vertu même à tout forfait aspire.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
865
D'un spécieux prétexte il tâche le voiler.

REINE D’ÉCOSSE
866
Tel est si déploré qu'il ne veut celer.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
867
Un courage modeste a crainte de la honte.

REINE D’ÉCOSSE
868
Un courage impudent n'en fait jamais grand conteNXNota del editor

grand bavardage, ou peut-être, grand compte, grande importance.

.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
869
Il nous faut donc prier, c'est le dernier recours.

REINE D’ÉCOSSE
870
Les esprits furieux aux prières sont sourds.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
871
J'en reviens toujours là que l'on fait cette trame,
872
Pour éteindre le feu nourri dedans votre âme
873
Du vivant souvenir de mille indignités,
874
Que vos déportementsNXNota del editor

Votre conduite.
DÉPORTEMENT, subst. masc.
A.− Littér., gén. au plur. Écart dans la conduite, excès. Déportements de charité (Fabre, Courbezon, 1862, p. 324).
En partic. Dérèglement des mœurs, mauvaise conduite. Déportements scandaleux (Ac.1798-1932). Synon. débordement. Des femmes que leurs passions et leurs déportements ont rendues illustres: Médée, Didon, Phèdre (CNRTL: Centre National de Ressources textuelles et Lexicales, version 2012. UMR ATILF (CNRS-Nancy Université). Site internet: http://www.cnrtl.fr/. http://www.atilf.fr/dmf).

n'avaient point mérités.
875
Car quand au désespoir on vient offrir la grâce,
876
Ès courages plus durs le mal talentNXNota del editor

Mauvais désir.

s'efface.

REINE D’ÉCOSSE
877
Une âme désolée aisément se déçoit
878
Par croire de léger le bien qu'elle conçoit.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
879
Une âme infortunée a toujours méfiance,
880
Et de son bien prochain recule sa croyance.

REINE D’ÉCOSSE
881
Quand les pensers du cœur sont d'espoir agités,
882
Il vit incessamment plein de perplexités.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
883
Heureux en ses malheurs qui nourri d'espérance,
884
Au plus épais des maux s'en promet délivrance.

REINE D’ÉCOSSE
885
Mais plutôt l'homme malheureux l'homme désespéré,
886
Qu'un vain espoir du bien rend sans fin malheuré.
887
Ne m'en parlez jamais; ce n'est en la parole,
888
C'est en la douleur même en quoi je me console,
889
Et chassant loin de moi tout autre doux penser,
890
J'embrasse seulement ce qui peut m'offenser:
891
Aussi d'assez longtemps je suis en servitude,
892
Pour avoir pris au mal une forte habitude.

PAGE
893
Voici des gens, Madame, assez bien assistés,
894
Qui descendus là-bas demeurent arrêtés:
895
Je n'ai rien pu savoir du sujet qui les mène,
896
Mais ils sont pour le vrai de la part de la Reine.

REINE D’ÉCOSSE
897
Bien, s'ils viennent à nous il nous les faudra voir;
898
Plaisir ni déplaisir je n'en puis recevoir;
899
Car à tous accidents j'ai l'âme préparée;
900
Moi-même je me suis de moi-même assurée.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
901
Mes sœurs, prions d'un cœur et d'une voix
902
Le Dieu du Ciel qui tient le cœur des Rois,
903
Qu'il tire hors de peine
904
Notre innocente Reine.
905
Prions celui qui sur tous a puissance,
906
Et qui de tous demande obéissance,
907
Qu'il ait compassion
908
De notre affliction.
909
Prions celui qui ploie à ses desseins
910
Les mouvements des cœurs plus inhumains,
911
Qu'il nous rende propice
912
La grâce ou la Justice.
913
Prions celui de qui la dextre forte
914
De la prison ouvre et ferme la porte,
915
Qu'il nous tire d'ici
916
Par sa douce merciNXNota del editor

Grâce.

.
917
Prions celui qui seul est le recours
918
Des affligés, et des bons le secours,
919
Qu'il ôte la tristesse
920
À notre grand'PrincesseNXNota del editor

Grande Princesse, l'apostrophe évite les 13 pieds.

.
921
Prions celui qui promet délivrance
922
Au cœur constant en sa dure souffrance
923
Qu'il finisse aujourd'hui
924
Son mal et notre ennui.

DAVISON
925
À vous Reine d'Écosse en prison arrêtée
926
Du depuis qu'à nos bords vous fûtes apportée,
927
Les États d'Angleterre unis en même accord,
928
Désireux de venger vos forfaits et leur tort
929
Ce juste Arrêt de mort par moi vous font entendre.
930
Pour avoir contre nous fait les Rois entreprendre,
931
Fomenté la discorde, ourdi la trahison,
932
À notre bonne Reine attenté par poison,
933
Rallumer çà et là les civiles querelles,
934
Semé des factions et des haines mortelles,
935
Ressuscité l'ardeur des combats amortisNXNota del editor

Presque éteints.

,
936
Formé contre l'État grand nombre de partis;
937
Le Conseil vous prononce une telle sentence
938
Loyer bien mérité de votre griève offense.
939
Sur un noir échafaud votre beau chef voilé,
940
Par la main du bourreau tombera décollé.
941
Votre âme monte aux Cieux! En cet espoir fidèle
942
Disposez-vous, Madame, à la vie éternelle.

REINE D’ÉCOSSE
943
Enfin vient le moment si longtemps attendu
944
Par qui le doux repos me doit être rendu?
945
Ô jour des plus heureux tu feras qu'une Reine
946
Sortant de deux prisons sortira de sa peine,
947
Pour entrer dans les Cieux d'où jamais on ne sort,
948
D'où n'approchent jamais les horreurs de la mort.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
949
Ô jour malencontreux, plutôt nuit ténébreuse,
950
Qui mets notre lumière en la tombe ombrageuse!
951
Sans bien et sans support nous laissez-vous ici?

REINE D’ÉCOSSE
952
Il n'est point dépourvu que Dieu prend en souci.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
953
Vous nous laissez, Madame, et nos moites paupières
954
À force de pleurer éteindront leurs lumières,
955
Pour nous voir, ô douleur! Entre mille dangers
956
Parmi ces ennemis et traîtres étrangers.

REINE D’ÉCOSSE
957
Vous me quittez plutôt, ce n'est moi qui vous laisse;
958
J'abandonne la terre et au Ciel je m'adresse.
959
C'est une loi certaine à qui vient ici-bas,
960
Que toujours la naissance apporte le trépas.
961
Que chaque jour, chaque heure et moment qui se passe
962
De la mortelle vie accourcisse l'espace.
963
Mais combien que la mort soit un mal aux méchants,
964
SiNXNota del editor

Toutefois.

est-ce un bien aux bons, qui par le cours des ans
965
Sont conduits à ce port dont l'entrée moleste
966
Introduit les élus en la cité céleste,
967
Plutôt vivants que morts, plutôt jeunes que vieux,
968
De pèlerins errants faits combourgeoisNXNota del editor

Concitoyens.
COMBOURGEOIS, OISE, subst.
[En partic. en Suisse] Vx. Celui, celle qui habite la même ville; celui, celle qui y possède le droit de bourgeoisie. Phèdre (CNRTL: Centre National de Ressources textuelles et Lexicales, version 2012. UMR ATILF (CNRS-Nancy Université). Site internet: http://www.cnrtl.fr/. http://www.atilf.fr/dmf).

des Cieux.
969
Alors que le Coureur a quitté la barrièreNXNota del editor

A commencé sa course.

,
970
Il aspire à gagner le bout de la carrière;
971
Le NocherNXNota del editor

Nocher: s. m. Celui qui gouverne, qui conduit un vaisseau. Il n'a guère d'usage qu'en poésie. «Un habile Nocher» (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition). Pilote (Furetière: Dictionnaire universel).

ennuyé de voguer dessus l'eau
972
Désire sur la rade amarrer son vaisseau;
973
Le voyageur lassé sent rire son courage
974
Quand il voit le clocher de son propre village:
975
Moi donc ayant fourni la course de mes ans,
976
Supporté constamment les orages nuisant,
977
Tandis que je flottais ès tempêtes du monde,
978
Je veux ancrer au port où tout repos abonde,
979
Je finis mon voyage en bien rude saison,
980
Mais tant plus agréable aurai-je la maison,
981
Où même je dois voir ce père pitoyableNXNota del editor

Pitoyable: enclin à la pitié.
PITOYABLE, adj.
A. Vx. Qui a pitié, qui est enclin à éprouver ce sentiment. Anton. Impitoyable. Âme, cœur pitoyable. Cette tendresse pitoyable des paysans pour les pauvres soldats emmenés en captivité (Zola, Débâcle, 1892, p. 470). Ils disaient qu'ils avaient trouvé le roi Charles doux, gracieux, pitoyable et miséricordieux (A. France, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. 507). Maintenant, il pouvait partir; il s'en irait en une gratitude infinie (...). Il l'avait vue douce, bonne, pitoyable, ce qu'elle était, enfin (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 95):
B.1. Au lieu de se montrer terrible et dure envers les vaincus, comme en germinal et en prairial, la Convention cette fois fut très douce et pitoyable, elle ne fusilla que deux insurgés et ne déporta personne. Erckm. -Chatr., Hist. Paysan, t. 2, 1870, p. 378.
C.♦ Pitoyable à. Être pitoyable à la souffrance de qqn. Elle devenait véritablement éloquente, maternelle aux misérables, pitoyable aux opprimés (Huysmans, À rebours, 1884, p. 110).
− [P. méton.] Lieux pitoyables. Les hôpitaux, maladreries, etc., où l'on exerce l'hospitalité, la charité (Ac. 1798-1878). (CNRTL: Centre National de Ressources textuelles et Lexicales, version 2012. UMR ATILF (CNRS-Nancy Université). Site internet : http://www.cnrtl.fr/. http://www.atilf.fr/dmf.

,
982
Qui tire du discord la concorde amiable,
983
Qui régit constamment les mouvements des Cieux,
984
Qui fait danser en rond les Astres radieux,
985
Et tient ce large monde enclos dans sa main forte;
986
Par qui tout est en tous d'une diverse sorte,
987
Par qui nous avons l'être, en qui seul nous vivons,
988
En qui seul nous sentons, respirons, et mouvons.
989
Le feu prompt et léger prend au Ciel sa volée;
990
L'eau par son propre poids est en bas dévalée,
991
D'autant que chaque chose aspire au même lieu
992
Qui lui fut comme un centre assigné de par DieuNXNota del editor

De par le commandement de Dieu.

:
993
Mon esprit né du Ciel au Ciel sans cesse tire,
994
Et d'ardeur altérée incessamment soupire
995
Après le tout-puissant, le bon, le saint, le fort,
996
Que voir est une vie et non voir une mort.
997
JaçoitNXNota del editor

Jaçoit: adv. Combien que. «Jaçoit que vous soyez, etc.» (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition). Terme vieilli.
Jaçoit que: ancienne conjonction signifiant quoique, bien que. L'ancienne conjonction était jà soit ce que. L'orthographe par ç est fausse (Littré : Dictionnaire de la langue française).

que la tempête amassant mainte nue
998
Veuille du Paradis m'empêcher l'avenue,
999
Et que par le chemin mille difficultés
1000
Viennent dessous mes pas s'offrir de tous côtés;
1001
Que le chaud et le froid, que le vent et l'orage
1002
Tâchent me détourner en cet heureux voyage,
1003
SiNXNota del editor

Si: toutefois.

ne le peuvent-ils; là je dois arriver:
1004
Je vois pour m'honorer les Vierges se lever;
1005
Les Princes et les Rois joyeux de ma venue,
1006
M'assigner en leur rang la place retenue;
1007
Et Dieu même au milieu des Anges glorieux,
1008
Me recevoir chez lui d'un accueil gracieux,
1009
Me faire mille traits d'honneur et de caresse,
1010
Et me vêtir au dos la robe de liesse
1011
Teinte au sang précieux de l'innocent Agneau,
1012
Qui voulut s'immoler pour sauver son troupeau;
1013
Qui de libre fait serf, et qui de Dieu fait homme,
1014
Porta dessus la Croix de nos péchés la somme.
1015
Ciel, unique confort de nos âpres travaux,
1016
Port de notre tourmente, et repos de nos maux,
1017
Reçois donc mon esprit qui sauvé du naufrage
1018
De l'éternelle mort descend à ton rivage.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
1019
Ne t'afflige point de la mort,
1020
C'est une chose trop commune:
1021
Comme le faible le plus fort
1022
Court à la fin cette fortune.
1023
Tous finissent également,
1024
Mais non pas tous semblablement.
1025
Mortel, cesse donc de penser
1026
Fléchir la dure destinée;
1027
Si tien ne la peut avancer,
1028
De rien elle n'est détournée;
1029
Larmes, soupirs, plaintes, discours
1030
Sont vains obstacles pour son cours.
1031
Une forte nécessité
1032
Conduit à son point toute chose,
1033
Qui court d'un pas non arrêté
1034
Tant qu'en sa fin elle repose:
1035
Sans sentir mouvoir le bateau,
1036
On gagne à l'autre bord de l'eau.
1037
PiéçaNXNota del editor

Piéça: Il y a longtemps, il y a quelque temps. Terme vieilli.

tous nos premiers parents
1038
Ont battu cette noire voie,
1039
Où mille animaux différents
1040
La Parque nuit et jour convoie,
1041
Si l'un part du monde aujourd'hui
1042
L'autre suit demain après lui.
1043
L'homme au dernier terme arrivé
1044
Ainsi qu'à sa première source,
1045
Par le sort humain est privé
1046
De faire une autre course;
1047
Comme un fleuve à la mer se joint,
1048
Qui puis après n'en ressort point.
1049
Un chemin se peut-il trouver
1050
Qui se termine en quelque issue?
1051
Tu vois le Soleil se lever
1052
Et puis se cacher à ta vue;
1053
De là commence à discourir
1054
Qu'un mortel est né pour mourir.
1055
Celui qui s'estomaquerait
1056
De n'avoir eu plutôt la vie,
1057
Vrai foulNXNota del editor

Foul: fol, fou.

il se déclarerait:
1058
C'est bien une aussi folle envie
1059
De vouloir différer sa mort
1060
Contre le dur Arrêt du sort.
1061
L'homme jamais ne résoudraNXNota del editor

Ne décidera de différer sa mort.

1062
Qui craint une chose assuréeNXNota del editor

Qui craint: ce vers devrait être au vers précédent après homme pour le sens.

:
1063
La Parque aussitôt lui viendra
1064
Toute affreuse et défigurée
1065
Pour craindreNXNota del editor

Pour lui faire craindre.

l'heure du trépas,
1066
Comme pour ne la craindre pas.
1067
Qui voudra constamment la voir,
1068
S'arme le cœur d'un haut courage:
1069
Et s'apprête à la recevoir
1070
Comme un bien non comme un outrage.
1071
Il n'en peut jamais avoir peur
1072
Qui peint son image en son cœurNXNota del editor

Qui peint: Ce vers devrait être à la place de il dans le vers précédent, pour le sens.

.
1073
L'homme qui se reconnaît bien
1074
Sait en quelque saison qu'il meure,
1075
Que de son temps ne se perd rien,
1076
Mais qu'aux autres l'autre demeure;
1077
Étant vieil, finit-il son cours
1078
En la fleur de ses plus beaux jours.
1079
Il voit la Parque racler tout
1080
Sans respect de grandeur ni d'âge,
1081
Voit que de l'un à l'autre bout
1082
Le monde est de son apanageNXNota del editor

Héritage des fils puinés des Rois de France.

;
1083
Et qu'il n'est aucune saison,
1084
Qui ne lui porte sa moisson.
1085
Il épie le vol du temps
1086
Qui toutefois n'importe guère
1087
À ceux dont les esprits contents
1088
Ont la fortune si prospère,
1089
Qu'ils ne sauraient rien espérer
1090
Sinon perdre à plus désirerNXNota del editor

Possible, sauf ne plus désirer plus.

.
1091
Il regarde grands et petits
1092
Se suivre de peu d'intervalle
1093
Au lieu qui les tient engloutis,
1094
Et que dans sa demeure pâle
1095
Tout homme est pressé du sommeil
1096
Jusqu'au grand jour de son réveil.
1097
Il contemple qu'en se plaignant
1098
Pour une belle Créature
1099
Lorsque la mort va l'éteignant,
1100
Il accuse à tort la Nature,
1101
Qui reçoit d'un plus grand que soi
1102
La contrainte de cette loi.
1103
Il connaît qu'au branle soudainNXNota del editor

Mouvement soudain.

1104
De tant d'inconstances humaines,
1105
Le trépas demeure certain
1106
Entre ses façons incertaines,
1107
Mais qu'on ne peut sur son moment
1108
Asseoir aucun vrai jugement.
1109
Celui-là qui médite ainsi
1110
Et l'attend toujours de pied ferme;
1111
Qui n'est point de frayeur transi
1112
Quand il voit avancer son terme,
1113
Mais le croit toujours accompli,
1114
Seul est de sagesse rempli.


ACTE IV

REINE D'ÉCOSSE, CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D'ÉCOSSE

REINE D’ÉCOSSE
1115
Voici l'heure dernière en mes vcœux désirée,
1116
Où je suis de longtemps constamment préparée;
1117
Je quitte sans regret ce limon vicieux
1118
Où l'esprit se radopteNXNota del editor

Se radopte: s'attache de nouveau.

à sa tige éternelle,
1119
Pour luire pure et nette en la clarté des Cieux,
1120
Afin de refleurir d'une vie immortelle.
1121
Ouvre-toi, Paradis, pour admettre en ce lieu
1122
Mon esprit tout brûlant du désir de voir Dieu;
1123
Et vous, Anges tuteurs des bienheureux fidèles,
1124
Déployez dans le vent les cerceaux de vos ailes,
1125
Pour recevoir mon âme entre vos bras alors
1126
Qu'elle et ce chef Royal voleront de mon corps,
1127
Qu'au sein d'AbramNXNota del editor

Abraham, père de tous les Hébreux.

par vous elle soit transportée
1128
Où la gloire de Dieu nous est manifestée.
1129
J'anticipe par foi ce doux contentement,
1130
Qui d'un espoir certain me remplit tellement,
1131
Que tout ce que mon âme à mon cœur représente
1132
Me fait vivre là haut quoique j'en sois absente.
1133
Mais que sera-ce au prixNXNota del editor

Que sera ce que j'ai imaginé en comparaison de ce qui sera vraiment.

si parvenue au Cieux,
1134
Je puis voir de l'esprit ce qui n'est vu des yeux?
1135
Ce qui n'est point ouï? Ce qui ne peut en somme,
1136
Tomber aucunement sous l'intellect de l'homme,
1137
Si déchargé du corps il n'est fait tout esprit,
1138
Pour comprendre le bien qu'en terre il ne comprit?
1139
Or afin de jouir du fruit de mon attente,
1140
Humble et dévotieuse à Dieu je me présente
1141
Au nom de son cher fils, qui sur la Croix fichéNXNota del editor

Fiché: fixé.

1142
Dompta pour moi l'Enfer, la mort et le péché;
1143
Qui prit d'un serf mortel la sensible figureNXNota del editor

Serf: esclave, non attaché à la terre, mais à la personne.

,
1144
Pour nous restituer l'immortelle nature;
1145
Et qui daigna du Ciel en terre s'abaisser,
1146
Afin qu'au Ciel la terre il puisse rehausser:
1147
Au nom, dis-je, du Fils, j'adresse à toi, le Père,
1148
Les fidèles accents de mon humble prière;
1149
Plaise-toi l'accepter en sa seule faveur,
1150
Puisqu'il s'est par sa mort déclaré mon Sauveur,
1151
RamentevantNXNota del editor

RAMENTEVER, verbe trans.,
Vx, littér., rare ou region. (Champagne). Remettre en mémoire, rappeler au souvenir. Mon arrivée à Charleroi dans une famille exquise ne m'en a pas moins fait ramentevoir de quelques vers écrits par moi (...) en 1872 (Verlaine, Souv. et fantais., 1896, p. 180). Elle fut (...) tentée de sauter du haut du donjon (...) elle savait bien tout ce qu'on pouvait lui dire à l'encontre, elle entendait ses Voix le lui ramentevoir (A. France, J. d'Arc, t. 2, 1908, p. 205).
Empl. pronom. Se remettre une chose en mémoire; se rappeler, se remémorer, se souvenir (d'une chose). La vieille se ramentevait que quelque temps après sa première communion (...) M. le curé l'avait prise sur ses genoux (France 1907). (CNRTL: Centre National de Ressources textuelles et Lexicales, version 2012. UMR ATILF (CNRS-Nancy Université). Site internet : http://www.cnrtl.fr/. http://www.atilf.fr/dmf.

les maux dont je suis criminelle
1152
Tu me peux adjuger à la mort éternelle,
1153
À l'abîme de Souffre où résonnent dedans
1154
Plaintes, cris, et sanglots, et grincement de dents:
1155
Mais vêtue au manteau de l'entière innocence
1156
Dont ton enfant unique a couvert notre offense,
1157
Je te prie, ô Seigneur, de donner à ma foi
1158
Ce que peut ta Justice alléguer contre moi.
1159
Père doux et bénin en jugement n'arriveNXNota del editor

Ne vient pas prononcer un jugement.

1160
Contre ta créature. Hélas mon Dieu! N'étriveNXNota del editor

Ne querelle pas.

1161
Contre moi ta servante, et ne me viens prouver
1162
Tous les péchés mortels qu'en moi tu peux trouver.
1163
Tous ont failli, Seigneur, devant ta sainte face:
1164
Si par là nous étions exilés de ta grâce,
1165
À qui serait enfin ton salut réservé?
1166
Qu'aurait servi le bois de tant de sang lavé?
1167
La terre des vivants demeurerait déserte,
1168
Si l'erreur des humains en apportait la perte.
1169
Tu nous as relevés de la chute d'Adam,
1170
Et tiré notre bien de notre propre damNXNota del editor

Dam: dommage, damnation.

:
1171
Puis ouvrant un trésor de grâces libérales,
1172
De toi-même as payé nos dettes déloyales:
1173
Là-même où les péchés avaient plus abondé
1174
Pour tous les abîmer ton sang a débordé.
1175
Comme quand au matin l'air est chargé de nues,
1176
Le Soleil décochant ses œillades menues
1177
Fait soudain disparoir les brouillats épandusNXNota del editor

Disparaître les brouillards.

1178
Entre la terre et lui come un voile tendus;
1179
Tu dissipes ainsi, clair Soleil de Justice,
1180
Quand tu lèves sur nous, l'amas de notre vice,
1181
Qui sans les doux regards qui partent de tes yeux,
1182
Ferait comme un obstacle entre nous et les Cieux.
1183
S'il te plaît tant soit peu jeter sur moi la face,
1184
S'éprendront dans mon cœur les rayons de ta grâce,
1185
Qui le repurgeront des infâmes péchés
1186
Dont j'ai l'âme et le corps l'un par l'autre tâchés.
1187
Ô Dieu, fais que mon âme en ses fautes ternie
1188
Reçoive le portrait de ta gloire infinie
1189
Par ta main nettoyée, ainsi que pour s'y voir
1190
Quand la glace est crasseuse on frotte le miroir.
1191
Délivre-moi, Seigneur, de ce mortel servage
1192
Dont la chaine éternelle est le plus certain gage,
1193
Et permets que mon âme en dépouillant ce corps
1194
Qui l'a longtemps serrée en ses liens trop forts,
1195
Par son poix dangereuxNXNota del editor

Poix dangereux: poids trop élevé.

ne soit point retenue,
1196
Mais que prompte et légère elle fende la nue,
1197
Afin qu'étant admise au séjour éternel,
1198
Elle possède en soi ton amour paternel,
1199
Qui se conçoit plus grand par l'objet de ta face
1200
En l'esprit dévoilé de sa fangeuse masse.
1201
Il ne me reste plus au partir de ce lieu,
1202
Que faire à tout le monde un éternel Adieu.
1203
Adieu donc mon Écosse, adieu terre natale,
1204
Mais plutôt terre ingrate à ses Princes fatale,
1205
Où règnent la discorde et les dissensions,
1206
Où les cœursNXNota del editor

Où les cœurs: inversion, où les cœurs, soudains à la guerre, etc., ne sont point maîtres de leurs mouvements.

sont partis d'étranges factionsNXNota del editor

Partis d'étranges factions: des clans, des partisans d'étranges factions.

,
1207
Et soudains à la guerre ainsi qu'à la créance,
1208
Les mouvements premiers n'ont point en leur puissance.
1209
Le Ciel veuille apaiser ces bouillons intestins
1210
Qu'émeuvent en ton sein les orages mutins
1211
D'un tas de factieux, qui de guerres civiles
1212
Déchirent la concorde et la paix de tes villes.
1213
Puisse ton jeune Roi mon enfant bien aimé
1214
Te gouverner longtemps, par les siens estimé,
1215
Bien voulu des voisins, craint des peuples étranges,
1216
Et connu jusqu'au Ciel par ses propres louanges.
1217
Ô toi l'espoir des Gens, doux souci de mon cœur,
1218
Quoique l'on m'use à tort de fraude et de rigueur
1219
Possible en tel sujet partout inusitée,
1220
Que ton âme pourtant ne s'en tienne irritée;
1221
Mais pour le bien public porte patiemment
1222
Ce que tu ne devrais endurer autrement.
1223
En telle occasion se taire de l'outrage
1224
Ce n'est point lâcheté, c'est grandeur de courage.
1225
Adieu puisqu'en vivant ci-bas régner te fautNXNota del editor

Régner te faut: il est nécessaire que tu règnes, et non régner te manque.

1226
Aussi bien qu'en mourant je vais régner là-haut.
1227
Puisses-tu croissant d'âge accroître tant en grâces,
1228
Qu'après tous autres Rois toi-même tu surpasses.
1229
Adieu France jadis séjour de mon plaisir,
1230
Où mille et mille fois m'emporta le désir
1231
Depuis que je quittai ta demeure agréable,
1232
Par toi je fus heureuse, et par toi misérable:
1233
Si toutefois chez toi pouvaient loger mes os,
1234
La mort me tiendrait lieu de grâce et de repos:
1235
Mais puisque l'Éternel autrement en dispose,
1236
Sur son juste vouloir mon âme se repose.
1237
Adieu ton grand HenryNXNota del editor

Henri II, fils de François Ier et de Claude de France.

, Monarque glorieux,
1238
Délices de la terre et doux souci des Cieux,
1239
Qui porte aux yeux l'amour, la grandeur au visage,
1240
L'éloquence en la bouche, et Mars dans le courage.
1241
Adieu Princes du sang honneur de l'univers,
1242
Adieu braves Lorrains qui de Lauriers couverts,
1243
Faites que votre Race en tous lieux estimée,
1244
Vante encor à bon droit les palmes d'IduméeNXNota del editor

Pays d'Asie entre la Judée, l'Égypte et l'Arabie Pétrée.

.
1245
Adieu superbe Louvre, enflé de Courtisans;
1246
Adieu riches Cités, adieu Châteaux plaisants,
1247
Adieu Peuple courtois, adieu belle Noblesse,
1248
Qui m'avez tant chérie étant votre Princesse,
1249
Lorsqu'un François second, clair Astre des ValoisNXNota del editor

François II, fils de Henri II et de Catherine de Médicis.

,
1250
Sur la Gaule exerçait les paternelles lois.
1251
Adieu finalement chastes et belles Dames,
1252
Le beau désir des cœurs, l'ardeur des belles Âmes,
1253
Qui dedans l'air FrançoisNXNota del editor

François (l'air): l'air français.

brillez plus vivement,
1254
Que ne font par la nuit les feux du Firmament,
1255
Et qui passez encor en nombre les Étoiles,
1256
Quand pour luire en Hiver elles n'ont plus de voiles.
1257
Maintenant de quels mots pourrai-je m'aviser,
1258
Belles et chères sœurs, de quels adieux user
1259
En partant d'avec vous pour aller voir les Anges?
1260
Je sens plus que jamais des mouvements étranges,
1261
Lorsque je vois vos yeux de larmes se baigner,
1262
Pour ne pouvoir au Ciel mes pas accompagner;
1263
Au son de ces soupirs qui vous ouvrent la bouche,
1264
Un grand trait de douleur si vivement me touche
1265
Que j'en ai l'âme outrée, et contre mon vouloir,
1266
Je me contrains moi-même à gémir et douloir.
1267
Mais calmons notre esprit, sereinonsNXNota del editor

Sereinons: rendons serein.

notre face
1268
Puisque cette tempête apporte une bonace.
1269
C'est fort peu de mourir pour revivre à jamais
1270
Au séjour éternel en éternelle paix.
1271
À ce dernier départ baisez-moi, Damoiselles,
1272
Et priez Dieu pour moi; vos prières fidèles
1273
Serviront de cerceaux à mon esprit léger,
1274
Pour s'aller d'un plein vol sur les Astres loger.
1275
Mais je vous supplierai (c'est le dernier office
1276
Que je requiers de vous pour comble de service)
1277
Que les mains du bourreau ne profanent mon corps;
1278
Le cher soin de l'honneur doit survivre les morts.
1279
Fermez donc de vos doigts mon obscure paupière,
1280
Ensevelissez-moi, couchez-moi dans la bière:
1281
Si mes membres gelés n'en ont nul sentiment,
1282
Mon âme en goûtera quelque contentement.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
1283
L'homme avant qu'il soit mort heureux ne se doit croire;
1284
Car la félicité n'habite en ces bas lieux;
1285
Elle vit loin du monde et nul ne voit sa gloire,
1286
Si se laissant soi-même il ne retourne aux Cieux.
1287
Que l'esprit est content qui connaît cette Belle
1288
Et peut à plein souhait la chérir et baiser;
1289
Que l'âme est satisfaite en la gloire immortelle
1290
D'user de ses plaisirs qui ne peuvent s'user.
1291
Quels doux ravissements de goûter l'AmbroisieNXNota del editor

Ambroisie: mets des divinités de l'Olympe.

1292
Que sa main délicate offre à ses courtisans,
1293
Et boire son nectarNXNota del editor

Nectar: la boisson des Dieux.

qui de la fantaisie
1294
Écarte la tristesse et les soucis cuisants.
1295
Celui qu'elle reçoit à l'honneur de sa table,
1296
Au banc des immortels elle le fait asseoir,
1297
Pour mener dans le Ciel une vie agréable,
1298
Et commencer un jour qui n'aura point de soir.
1299
Sa tête est par sa main de gloire couronnée,
1300
Son corps est revêtu de l'immortalité;
1301
Il célèbre en ce point le céleste Hyménée,
1302
Qui pour jamais l'allie avec l'éternité.
1303
Les Anges assistants au sacré mariage
1304
Font le chant nuptial retentir dans les Cieux,
1305
Un extrême plaisir chatouille leur courage,
1306
Pour l'extrême plaisir des Amants glorieux.
1307
Possesseurs éternels des grâces éternelles,
1308
Vivez paisiblement en la maison de paix:
1309
Le temps rendra toujours vos liesses nouvelles;
1310
La fleur de vos plaisirs ne flétrira jamais.
1311
Vous habitez un port d'où n'approche l'orage
1312
Qui le calme du monde à l'instant peut troubler:
1313
Là l'esprit s'est sauvé le corps faisant naufrage,
1314
Et les flots courroucés ne le font plus trembler.
1315
Vous ne redoutez plus les aguets d'un Corsaire,
1316
Qui la mer épouvante et périt le Nocher:
1317
Vous n'avez plus la peur d'un brigand sanguinaire,
1318
Qui court le fer au poing le pas vous empêcher.
1319
Plus l'avare usurier qui les vivants dévore,
1320
N'envoye à notre porte un Sergent rigoureux:
1321
L'homme vous méprisait, Dieu même vous honore,
1322
Et par votre malheur vous êtes bienheureux.
1323
Un Prince ambitieux ne vous fait plus d'outrage,
1324
Pour ranger tout un peuple à sa discrétion;
1325
Et vous ne craignez plus d'un Tyran le visage,
1326
Prenant pour tout conseil sa seule passion.
1327
La trompette en sursaut vos âmes ne réveille;
1328
Vous ne voyez nos champs de bataillons couverts;
1329
La musique des Cieux contente votre oreille,
1330
Et pour en voir le bal vos beaux yeux sont ouverts.
1331
Rien ne peut désormais du repos vous distraire,
1332
Vos cœurs sont maintenant saoulés de tous plaisirs;
1333
Ce qui plus nous déplaît ne vous saurait déplaire,
1334
Et vos contentements surmontent vos désirs.
1335
Bref, vous possédez tant de grâces nonpareilles,
1336
Que l'oyant et voyant on ne s'en croirait pas,
1337
Mais on tiendrait suspects les yeux et les oreilles,
1338
Comparant vos plaisirs à ceux-là d'ici-bas.


ACTE V

MAÎTRE D'HÔTEL, (MESSAGER, CHŒUR DES SUIVANTES de la Reine d'Écosse)

MAÎTRE D'HÔTEL
1339
Ô trois et quatre fois serviteur misérable!
1340
Tu vis encor, et vois ce malheur déplorable,
1341
Ains ne le voyant pas, et par trop de regret,
1342
En ta discrétion demeurant indiscret.
1343
Reine unique ornement des Dames de notre âge,
1344
Que ton malheureux sort afflige mon courage!
1345
Beau corps, de qui la mort travaille tant d'esprits
1346
Dont le plus grand bonheur en tes yeux fut compris,
1347
Je n'ai pu ni n'ai dû te faire cet office,
1348
Quoique je fusse né pour te rendre service.
1349
Après t'avoir servie en un degré si haut,
1350
Que je t'eusse conduite au honteux échafaud?
1351
Ce n'eût pas été rendre un certain témoignage
1352
Combien j'abominais un si cruel outrage.
1353
J'avais vu ci-devant ton auguste grandeur
1354
Surpasser le Soleil en sa vive splendeur,
1355
Et croyais que la nue à l'entour amassée,
1356
Serait par ton bonheur quelque jour déchassée;
1357
Mais j'en suis si trompé qu'au lieu de te revoir
1358
Sur un trône Royal exercer ton pouvoir;
1359
Hélas! Je suis contraint te regarder de l'âmeNXNota del editor

Regarder en imagination, non par les yeux du corps.

1360
Exposée au bourreau sur un théâtre infâme.
1361
Certes je fusse mortNXNota del editor

Certes je fusse mort: assurément je serais mort.

au milieu de mes pas,
1362
Si je t'eusse guidée à ce honteux trépas,
1363
Honteux non pas à toi mais à cette Barbare,
1364
Que le visage seul de ses OursesNXNota del editor

OURS, subst. masc.
d) [P. réf. au caractère réputé solitaire, brusque et maladroit de l'ours] Personne peu engageante, sans manière, qui fuit toute relation avec autrui. (CNRTL: Centre National de Ressources textuelles et Lexicales, version 2012. UMR ATILF (CNRS-Nancy Université). Site internet : http://www.cnrtl.fr/. http://www.atilf.fr/dmf.

sépare.
1365
C'est être bien vraiment la même cruauté
1366
De laisser manierNXNota del editor

Manier: maltraiter.

cette unique Beauté,
1367
Qui des Rois seulement mérite être touchée,
1368
À la main d'un bourreau de carnage entachée,
1369
Pour en elle meurtrir sans vergongne et sans peur
1370
La grâce de la grâce et l'honneur de l'honneur.
1371
Ô toi qui le consens, peuple fier et sauvage,
1372
Puisse ton propre sang humecter ton rivage;
1373
Toujours par tes Cités se promène la Mort,
1374
Conduisant devant soi la haine et le discord;
1375
Toujours le Ciel brouillé d'orage et de tempête
1376
Mille foudres aigus délâche sur ta tête.
1377
Toujours la mer enflée en ses bruyants dehors
1378
Coure sur ton rivage et sans bride et sans mors.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
1379
Nous vivons en un siècle auquel la modestie,
1380
La honte et la vergoigne est du mode partie;
1381
Nous sommes en un temps où tout est confondu,
1382
Où l'injuste supplice au bon droit est rendu,
1383
Où le vouloir des grands est estimé loisible,
1384
Où toute la raison se mesure au possible.
1385
On fait si peu de cas du sacré sang Royal
1386
Que la hache s'en trempe et le bras déloyal
1387
L'épand ne plus ne moinsNXNota del editor

Ne plus ne moins: ni plus ni moins. Ne = ni est archaisme.

que le sang mercenaire;
1388
On donne aux majestés le supplice vulgaire,
1389
Et ce qui de tous temps restait d'inviolé
1390
Se voit pour l'avenir profanement souillé.
1391
D'autant plus que de près tel supplice on contemple,
1392
On le juge exécrable et de mauvais exemple:
1393
Car jamais le Soleil dans le Ciel tournoyant
1394
N'aperçut ici-bas de son œil flamboyant
1395
Une si détestable et si perfide injure;
1396
Ô Dieu, tu le connais et ton foudre l'endureNXNota del editor

Tu n'envoies pas ta foudre pour l'empêcher.

!
1397
Mais voici pas quelqu'un qui s'en vient devers nous?
1398
Marchons vite au-devant, mes sœurs, avancez-vous.

MESSAGER
1399
Vous venez à propos, dolentes Damoiselles,
1400
Pour entendre par moi de piteuses nouvelles.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
1401
Nous les attendons bien; mais parle, Messager,
1402
Aussi bien nos esprits cherchent à s'affliger.

MESSAGER
1403
Cette Dame Royale et d'âme et de courage,
1404
En qui le plus haut Ciel admirait son ouvrage,
1405
Est morte maintenant; son sang fumeux et chaud
1406
Ondoie à gros bouillonsNXNota del editor

À gros bouillons: En quantité, intensément.

sur le noir échafaud.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
1407
Forfait inusité! Supplice abominable!
1408
Cruauté barbaresque! Attentat exécrable!
1409
D'un visage si beau les roses et les lis
1410
Par les doigts de la mort ont donc été cueillis?
1411
Cette bouche tantôt si pleine d'éloquence
1412
Est close pour jamais d'un éternel silence?
1413
Et cet esprit divin hôte d'un corps humain
1414
En est chassé dehors d'une bourrelle mainNXNota del editor

De la main du bourreau. Bourreau, en adjectif, au féminin.

.

MESSAGER
1415
Seules vous ne plaignez le sort de cette Dame,
1416
Mais écoutez sa fin pour consoler votre âme.
1417
Une constante mort dite à l'esprit discret,
1418
Mêle quelque plaisir avecques son regret.
1419
Une grand'salle était funèbrement parée,
1420
Et de flambeaux ardents haut et bas éclairée,
1421
D'une noire couleur éclatait le pavé,
1422
L'échafaud paraissait hautement élevé.
1423
Là des peuples voisins se fait une assemblée,
1424
Qui de tel accident était beaucoup troublée,
1425
Et la Reine qui porte un visage constant,
1426
Arrive tôt après où le Bourreau l'attend.
1427
Paulet son garde-corps lui servait de conduite,
1428
Et ses femmes en pleurs cheminaient à sa suite.
1429
Elle qui lentement à la mort se hâtait,
1430
Leur douleur par ses mots doucement confortait:
1431
Je vous prie que ma mort ne soit point poursuivie
1432
De larmes et de sanglots; me portez-vous envie,
1433
Si pour perdre le corps je m'acquiers un tel bien,
1434
Que tout le monde entier auprès de lui n'est rien?
1435
Puisqu'il faut tous mourir suis-je pas bienheureuse
1436
D'aller revivre au Ciel par cette mort honteuse?
1437
Si la fleur de mes jours se flétrit en ce temps,
1438
Elle va refleurir à l'éternel Printemps,
1439
Et la grâce de Dieu comme une almeNXNota del editor

Alme – Adjectif: Vieilli. Qui est bienveillant et nourricier. Du latin almus (nourrissant, nourricier, bienfaisant). Considéré comme désuet par Malherbe, le terme a été repris par les poètes au XIXe siècle.

rosée,
1440
Distillera dessus sa faveur plus prisée,
1441
Pour en faire sortir un air si gracieux,
1442
Qu'elle parfumera le saint pourpris des CieuxNXNota del editor

L'enceinte des Cieux.

.
1443
Les esprits bienheureux sont des célestes Roses
1444
Au Soleil de Justice incessamment écloses;
1445
Celles-là des jardins durent moins qu'un matin,
1446
Mais pour ces fleurs du Ciel elles n'ont point de fin.
1447
Quand elle eut dit ces mots à ses tristes servantes,
1448
Pour son cruel départ plus mortes que vivantes,
1449
S'accrurent les soupirs en leurs cœurs soucieux,
1450
Les plaintes en leur bouche, et les pleurs en leurs yeux.
1451
Comme elle est parvenue au milieu de la salle,
1452
Sa face paraît belle encor qu'elle soit pâle,
1453
Non de la mort hâtée en sa jeune saison,
1454
Mais de l'ennui souffert en si longue prison.
1455
Lors tous les assistants attendris de courage,
1456
Et d'âme tous ravis, regardent son visage,
1457
Lisent sur son beau front le mépris de la mort,
1458
Admirent ses beaux yeux, considèrent son port;
1459
Mais la merveille en eux fait jà place à la crainte,
1460
Du prochain coup mortel leur âme est plus atteinte,
1461
Quand s'abstenant de pleurs elle force à pleurerNXNota del editor

Elle contraint les autres à pleurer.

,
1462
Quand ne soupirant point elle fait soupirer.
1463
Comme tous demeuraient attachés à sa vue
1464
De mille traits d'amour même en la mort pourvue,
1465
D'un aussi libre pied que son cœur était haut,
1466
Elle monte au coupeau du funèbre échafaud,
1467
Puis souriant un peu de l'œil et de la bouche:
1468
Je ne pensais mourir en cette belle couche;
1469
Mais puisqu'il plaît à Dieu user ainsi de moi,
1470
Je mourrai pour sa gloire en défendant ma foi.
1471
Je conquêteNXNota del editor

Je conquiers, je gagne.

une Palme en ce honteux supplice,
1472
Où je fais de ma vie à son nom sacrifice,
1473
Qui sera célébrée en langages divers;
1474
Une seule couronne en la terre je pers,
1475
Pour en posséder deux en l'éternel Empire,
1476
La couronne de vie, et celle du Martyre.
1477
Ces mots sur des soupirs elle envoyait aux Cieux,
1478
Qui semblaient s'attrister des larmes de ses yeux;
1479
Mais soudain se peignant d'allégresseNXNota del editor

Manifestant une allégresse.

plus grande,
1480
Un Père confesseur tout haut elle demande;
1481
L'un s'avance à l'instant qui veut la consoler.
1482
Elle qui reconnaît à l'air de son parler
1483
Qu'il n'est tel qu'elle veut, demeure un peu confuse.
1484
Si peu donc de faveur, dit-elle, on me refuse?
1485
C'est trop de cruauté de ne permettre pas
1486
Qu'un prêtre catholique assiste à mon trépas:
1487
Mais quoi que vous fassiez je mourrai de la sorte,
1488
Que mon instruction et ma croyance porte.
1489
Ce dit sur l'échafaud ployant les deux genoux,
1490
Se confesse elle-même, et refrappe trois coups
1491
Sa poitrine dolente et baigne ses lumières
1492
De pleurs dévotieux qui suivent ses prières,
1493
Et tient tous ses esprits dans le Ciel attachés
1494
Pour avoir le pardon promis à nos péchés.
1495
Son oraison finie elle éclaircit sa face,
1496
Par l'air doux et serein d'une riante grâce,
1497
Elle montra ses yeux plus doux qu'auparavant,
1498
Et son front s'aplanit comme l'onde sans vent;
1499
Puis encor derechef forma cette parole:
1500
Je meurs pour toi, Seigneur, c'est ce qui me console.
1501
À ta sainte faveur, mon Sauveur et mon Dieu,
1502
Je recommande l'âme au partir de ce lieu.
1503
Puis tournant au Bourreau sa face glorieuse:
1504
Arme quand tu voudras ta main injurieuse,
1505
Frappe le coup mortel, et d'un bras furieux
1506
Fais tomber le chef bas et voler l'âme aux Cieux.
1507
Il court oyant ces mots se servir de la hache;
1508
Un, deux, trois, quatre coups sur son col il délâche;
1509
Car le fer acéré moins cruel que son bras
1510
Voulait d'un si beau corps différer le trépas.
1511
Le tronc tombe à la fin, et sa mourante face
1512
Par trois ou quatre fois bondit dessus la place.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
1513
Ô quel froidNXNota del editor

Froid: chagrin.

marrisson nous suffoque le cœur!
1514
Afin que notre sort connaisse sa rigueur:
1515
Transformez-vous, nos yeux, en sources éternelles,
1516
À force de pleurer aveuglez vos prunelles;
1517
Et vous, cœur désolé, lâchez tant de sanglots,
1518
Qu'ils bruyentNXNota del editor

Bruyent: retentissent.

aussi haut que l'orage des flots.

MESSAGER
1519
Laissez, laissez à part ces plaintes misérables.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
1520
Qui peut assez pleurer des maux si déplorables?

MESSAGER
1521
On doit tant seulementNXNota del editor

Tant seulement: seulement.

lamenterNXNota del editor

Lamenter: se lamenter.

pour les morts
1522
Dont toute l'espérance est morte avec le corps
1523
Ignorants l'autre vie, et ne croyant que l'homme
1524
Est mis dans le tombeau pour dormir un court sommeNXNota del editor

Un court somme: un court sommeil.

,
1525
Et qu'à la voix de l'Ange il ressuscitera.
1526
La mort n'est point un mal; et quand le bon mourra,
1527
Cette injure ne peut jusqu'à ce point s'étendre
1528
De changer son état et malheureux le rendre:
1529
Car bien que même fin fût à l'homme innocent,
1530
Qu'à l'homme vicieux qui coupable se sent,
1531
Celui-là dont la vie a toujours été bonne,
1532
Meurt toujours assez bien quelque mort qu'on lui donne.
1533
Si le genre de mort nous faisait malheureux,
1534
Le Ciel serait aux bons trop âpre et vigoureux:
1535
Car il aurait rendu chétifs et misérables
1536
Tant de sacrés Martyrs, de Pères vénérables,
1537
Et de saints Confesseurs qui constants en la foi,
1538
Sont morts honteusement à l'honneur de leur Roi.

CHŒUR DES SUIVANTES DE LA REINE D’ÉCOSSE
1539
Votre conseil est bon. Ne lamentons pour elleNXNota del editor

Ne lamentons: ne nous lamentons.

1540
Qui maintenant jouit de la gloire éternelle,
1541
Mais plaignons notre perte, et pleurons seulement
1542
Pour chercher à nos maux quelque soulagement.
1543
L'amertume des pleurs adoucit la tristesse.
1544
Écoute ces regrets, bienheureuse Princesse.
1545
Princesse unique objet des Princes et des Rois,
1546
Par qui l'amour faisait reconnaître ses lois,
1547
En toi seule acquérant dessus tous la victoire,
1548
La beauté respirait quand tu vivais ici,
1549
Mais lorsque tu mourus elle mourut aussi,
1550
Et le regret sans plus en reste à la mémoire.
1551
Si ta main possédait un sceptre glorieux,
1552
Tu le viens d'échanger au Royaume des cieux:
1553
Mais on nous aveugla nous cachant ta lumière;
1554
Car bien que le Soleil rayonne sur notre œil,
1555
Notre âme en te perdant a perdu son Soleil,
1556
Dont la seule clarté nous ouvrait la paupière.
1557
Beauté qui commandais absolument aux cœurs,
1558
Et qui trempais d'attraits les traits de tes rigueurs,
1559
Par lesquels on mourait de douleur ou d'envie;
1560
S'il te fallait mourir, naître il ne fallait pas,
1561
Ou si rien ne peut vivre immortel ici-bas,
1562
Tu devais toute vive au Ciel être ravie.
1563
Immortel ornement des mortelles beautés
1564
Dont tous les yeux humains languissaient enchantés,
1565
Amour étant lui-même amoureux de ta grâce,
1566
Toujours la Chasteté sur ton front reluisait,
1567
La douceur en tes yeux sa retraite faisait,
1568
Et la pudeur semait ses roses en ta face.
1569
Beau corps qui la vertu dedans toi renfermais,
1570
Comme le seul esprit duquel tu t'animais,
1571
Pour être aux yeux de tous plus parfaite rendue;
1572
Quand l'on te fît aller de la vie au trépas,
1573
Avec toi dans les Cieux elle alla d'ici-bas,
1574
Comme des Cieux en toi elle était descendue.
1575
Tête où les jeux mignards comme oiseaux se nichaient,
1576
Doux liens où les cœurs des Princes s'attachaient,
1577
Et faisaient tous ravis gloire de leur service,
1578
Las vous n'éclairez plus, ô cheveux bien aimés,
1579
Ou bien c'est dans le Ciel, en astres transformés,
1580
Comme furent jadis ceux-là de Bérénice.
1581
Beau front, glace brûlante où les yeux arrêtés
1582
Admiraient chacun jour cent nouvelles beautés,
1583
Siège de majesté tout relevé de gloire;
1584
Amour ce grand Démon qui sait ranger les Rois,
1585
Le sceptre dans la main donnait en toi ses lois,
1586
Assis pompeusement sur un trône d'ivoire.
1587
Beaux yeux de ce beau Ciel en clartés nonpareils,
1588
Beaux Astres, mais plutôt deux rayonnants Soleils,
1589
Aveuglants tout ensemble et brûlants de leurs flames,
1590
Autrefois vos regards doucement courroucés,
1591
Furent autant de traits rudement élancés,
1592
Pour faire en leur désir mourir l'espoir des âmes.
1593
Bouche pleine de baume et charmes coulants
1594
Qui les cœurs plus glacés pouvaient rendre brûlants,
1595
Plus faconde en beaux traits qu'en doux attraits fécondeNXNota del editor

Plus faconde en beaux traits: plus fertile en beaux traits d'éloquence.

:
1596
Vif oracle d'amour toujours tu ruisselais,
1597
D'un grand flux d'éloquence alors que tu parlais,
1598
Pour ravir de merveille et de crainte le monde.
1599
Hélas vous n'êtes plus, cheveux plus beaux que l'or,
1600
Ou vous êtes sanglants si vous êtes encor;
1601
Front tu n'as plus aussi ta blancheur naturelle;
1602
Yeux qui tant de lumière épandiez à l'entour,
1603
La mort vous a voilés en dépit de l'amour;
1604
Le silence te clôt, ô bouche sainte et belle.
1605
Puisque tant de beautés l'on a vu moissonner,
1606
Cessez, pauvres mortels, de plus vous étonner
1607
Si vous ne trouvez rien de constant et durable:
1608
De moment en moment on voit tout se changer;
1609
La vie est comme une ombre ou comme un vent léger,
1610
Et son cours n'est à rien qu'à un rien comparable.

FIN