Texto utilizado para esta edición digital:
Rotrou, Jean. La bague de l’oubli, comédie. 1635. Édité et annoté par Ángeles García Calderón, pour la Bibliothèque Numérique EMOTHE. Valencia: ARTELOPE-EMOTHE Universitat de València, 2024.
- Carmen Cerdán, Rodrigo
Note sur cette édition numérique
Cette publication fait partie du projet I+D+i «EMOTHE: Second Phase of Early Modern Spanish and European Theatre: heritage and databases (ASODAT Third Phase)», référence PID2022-136431NB-C65 financé par MICIN/AEI/10.13039/501100011033 et FEDER/ERDF.
AU ROI
Sire,
Puisqu'enfin la comédie est en un point, où les plus honnêtes récréations ne lui peuvent plus causer d'envie, où elle se peut vanter d'être la passion de toute la France, et le divertissement même de votre Majesté, je ne trouve plus de honte à paraître, et je fais gloire d'avoir aidé à la rendre belle comme elle est. Les excellentes qualités de votre esprit font assez juger que tout ce que vous estimez est estimable: et ma Muse serait une fille trop honteuse, si elle craignait la vue du peuple, après avoir été caressée par le plus grand Roi de la terre. En effet, Sire, j'ai tant travaillé à la rendre capable de vous plaire, je l'ai rendue si modeste, et j'ai pris tant de peine à polir ses mœurs, que si elle n'est belle, au moins elle est sage, et que d'une profane j'en ai fait une Religieuse: ce sont les qualités qui vous la rendent aimable, et qui la font aller aux pieds de votre Majesté, témoigner combien elle est sensible à l'honneur que vous lui faites: le premier abord des grands, étonne la plus ferme assurance, et les meilleurs esprits font quelquefois de mauvais compliments en ces premières visites, de même elle pourra cette première fois vous dire de mauvaises choses: mais le temps, et votre accueil l'enhardiront, et la rendront une autre fois plus éloquente: quoi qu'il en soit elle sera assez satisfaite de soi-même, si elle vous témoigne sa passion, et si elle me procure la permission de me dire,
Sire,
De V. M.
Le très humble, très obéissant, et très affectionné serviteur et sujet,
ROTROU
AU LECTEUR
Je n'ai pas si peu de connaissance de mes ouvrages que de te donner celui-ci pour une bonne chose. C'est la seconde pièce qui est sortie de mes mains, et les vers dont je l'ai traitée, n'ont pas cette pureté que depuis six ans la lecture, la conversation, et l'exercice m'ont acquise: si elle se peut vanter de quelque éclat, elle l'a pris au théâtre: et en effet je crois que la beauté de son sujet y a contenté jusques aux Allemands. Je ne l'aurais pas toutefois sur cette créance hasardée à ta censure, si je n'avais appris que tous les Comédiens de la campagne en ont des copies, et que beaucoup se sont vantés qu'ils en obligeraient un Imprimeur. L'exemple de Cléagénor m'a fait les prévenir, et je te donne ce qui tu tiendrais toujours d'un autre : comme ce présent est forcé, je ne veux point que tu m'en sois obligé, et je te veux seulement avertir que c'est une pure traduction de l'Auteur Espagnol de Vega. Si quelque chose t'y plaît donnes-en la gloire à ce grand esprit; et les défauts que tu y trouveras, que l'âge où j'étais quand je l'entrepris te les fasse excuser.
ARGUMENT DE LA BAGUE DE L'OUBLI
Alfonse jeune Roi de Sicile, nouvel héritier du Royaume par la mort de Venceslas son père, devient passionnément amoureux de Liliane, fille d'Alexandre Duc de Terre-Neuve, grand Seigneur de Sicile, et le principal de ses vassaux. Il feint de l'aimer d'une amour légitime, lui promettant de la faire Reine de Sicile, sachant que sans cela il lui serait impossible de rien obtenir d'elle. Elle, alléchée de cette espérance, et d'ailleurs ravie de se voir adorée d'un si puissant Prince, et doué de toutes les perfections qu'on peut désirer en une personne qu'on aime, recherche tous les moyens de lui plaire, et le Roi de faire ses préparatifs pour le mariage de sa sœur Léonor qu'il avait accordée au Duc de Calabre, fils aîné du Roi de Naples. Mais cette Léonor refusant l'alliance de ce Prince sortable à sa condition, et s'étant rendue amoureuse d'une simple Cavalier de fortune, nommé Léandre, qui avait été élevé à la Cour du feu Roi Venceslas, et qu'il avait à sa mort recommandé à son fils Alfonse, méprise ce mariage et fait tous ses efforts pour en empêcher l'exécution. Ce Léandre brave et galant Cavalier, doué de toutes les perfections qui peuvent rendre une personne recommandable, se voyant aimé avec toute sorte de passion d'une si grande Princesse, veut prendre l'occasion aux cheveux, et lors il a le courage grand, il prétend par ce moyen à la Monarchie de la Sicile. Il aborde sa Maîtresse, lui dit qu'il se sent indigne d'être aimé d'elle s'il n'a des qualités pour la mériter, et que pour ce faire il n'en peut avoir de moindre que celle de Roi, qu'il lui est facile (si elle approuve son dessein, et si elle le veut aider en une si généreuse entreprise,) de lui mettre la Couronne de Sicile sur la tête, et de partager avec elle une souveraine puissance dans le pays. Elle qui a assez d'ambition pour cela, lui représente qu'elle ne peut espérer ce bonheur que par la mort de son frère, que si c'est par cette voie qu'il prétend l'élever en un si haut degré de gloire, elle n'y peut consentir. Léandre prend son temps là-dessus, lui témoigne qu'il a moyen de la faire Reine sans attenter à la vie de son frère, lui déclare qu'il a un de ses meilleurs amis qui autrefois avait été au service du feu Roi, et que depuis qu'il avait quitté la Cour avait appris une infinité de beaux secrets en l'art magique, et que par son moyen il espérait de conserver la vie au Roi, et de le priver de ses États. Léonor y consent à cette condition. Léandre fut trouver ce Cavalier Magicien, nommé Alcandre, lui déclare sa passion, lui protestant que si par son moyen, sans attenter à la vie du Roi il pouvait régner dans la Sicile, qu'il partagerait sa puissance avec lui, l'assurant que ce n'était pas tant l'ambition de régner qui le portait à cette dangereuse résolution, comme l'appréhension de perdre sa maîtresse, sans laquelle il lui protesta de ne pouvoir vivre, lui dit que le Roi l'avait promise au Duc de Calabre, qu'elle répugnait à cette alliance, et qu'il était assuré de l'affection qu'elle lui portait, et que s'il ne détournait cette résolution, il lui était impossible de vivre; Alcandre lui dit qu'il pourrait bien cacher un enchantement sous la pierre d'un anneau, qui lui ferait perdre la mémoire de toutes choses tant qu'il l'aurait dans le doigt. Il sait que le Roi en portait un qu'il tenait extrêmement cher pour venir du feu Roi son père, lui conseille d'en faire faire un tout semblable au même orfèvre qui avait fait le premier, et qu'après qu'il y aurait mis l'enchantement, il lui serait facile en donnant à laver au Roi de changer ce diamant, et mettre l'autre en sa place. Léandre satisfait de cette promesse va faire commander l'anneau. Le Roi cependant va visiter sa maîtresse, et apprend de sa bouche que son père l'a accordée à un Prince étranger, nommé le Comte Tancrède, Prince de Tarante, et qu'on l'attendait tous les jours à la Cour. Elle presse le Roi de vouloir promptement effectuer le dessein qu'il témoignait avoir de la rendre heureuse par le mariage qu'il lui faisait espérer, l'assure que s'il diffère davantage elle craint de le perdre pour jamais, et d'être violentée. Le Roi qui était bien éloigné de ces prétentions, et qui ne lui faisait ces vaines promesses que pour l'abuser, et pour tâcher d'en avoir la jouissance, cherchait toujours de prolonger l'exécution de ce mariage, et prenait pour prétexte qu'il lui fallait auparavant penser à pourvoir sa sœur unique qu'il avait accordée au Duc de Calabre, qui devait en peu de temps venir à la Cour. Elle lui représente la violence qu'elle attend de son père sitôt que le Comte Tancrède sera arrivé, et qu'elle ne sait aucun moyen de résister à sa volonté pour empêcher ce mariage. Le Roi là-dessus s'avise d'une ruse, lui promet de faire épier son arrivée, et qu'aussitôt il le ferait arrêter, et le Duc Alexandre son père, sous prétexte de quelques pratiques secrètes qu'il feindrait être contre son autorité, qu'il la ferait même arrêter au Palais pour donner plus de couleur à cette feinte; Liliane y consent. Le père les surprend comme ils discouraient ensemble, le Roi se retire confus, le Duc menace sa fille, et sur le champ la fait enlever dans un vaisseau, et la fait mener au château de Termini, éloigné de trois lieues de Palerme. Le Roi averti de cette absence envoie Dorame Capitaine de ses gardes avec quelques-uns de ses archers vers le Château avec commandement, sitôt que le Comte Tancrède serait arrivé de se saisir de lui, du Duc et de Liliane, et de les emmener prisonniers. Dorame obéit à ce commandement, et arrive au Château avec ses gens un peu après que le Comte Tancrède y fut arrivé, qui à son abord avait reçu un fort mauvais accueil de sa maîtresse, les fait prisonniers de par le Roi. Le Comte étonné de cette procédure se veut mettre en défense, dit qu'il est étranger, et qu'il n'est point sujet du Roi: mais cette résistance étant vaine, ils cèdent à la force, et se laissent emmener. Le Duc voyant qu'on se saisissait aussi de sa fille, soupçonne la vérité de cette affaire, et connaît qu'il n'est criminel que pour avoir engendré cette beauté. Fabrice serviteur, bouffon du Roi, et son confident en ses pratiques amoureuses, qui accompagnait Dorame en cette action, et qui en savait le secret, qui était caché à tout autre prend le devant pour venir avertir le Roi de cette prise sous l'espérance d'une bonne récompense; il arrive sur le point qu'il sortait du lit, lui dit cette bonne nouvelle qui réjouit extrêmement le Roi, qui lui promit pour ce sujet deux mille écus, Fabrice sort pour aller faire faire son ordonnance. Cependant le Roi demande à laver, Léandre prompt et qui avait l'anneau enchanté se saisit du plat à laver, dans lequel le Roi met son diamant, et comme il lavait les mains, Léandre subtilement s'en saisit et coule l'autre en sa place que le Roi mit en son doigt, et incontinent après l'enchantement opérant, le Roi se trouve tout assoupi, se mit à sommeiller sur un des bras de sa chaire. Léandre autant étonné que content admire la prompte vertu de l'anneau, et se promet une heureuse fin de son entreprise. Dorame entre là-dessus qui veut rendre compte au Roi de sa commission, l'assure que le Duc Alexandre, le Comte Tancrède et Liliane sont arrêtés prisonniers. Le Roi qui par la vertu de l'anneau enchanté avait perdu la mémoire de toutes choses, le méconnaît, s'étonne de cette action, s'informe du crime dont on les accuse, et nie d'avoir jamais fait ce commandement, et ayant su qu'on les accusait d'être criminels d'État, commande qu'ils soient mis en sûre garde, et que pour Liliane, elle soit retenue dans le Palais en la compagnie de sa sœur. Dorame étonné de cette méconnaissance du Roi obéit à son commandement, et la mène en prison: Fabrice vient avec l'ordonnance des deux mille écus, le Roi le méconnaît, prend son ordonnance et la met en pièces, niant de lui avoir jamais promis cette somme. Liliane se réjouit de l'affection que le Roi lui témoigne, loue son invention d'avoir fait arrêter son père et son serviteur, par le moyen de laquelle elle croit que la Couronne lui est assurée: Mélite sa Demoiselle confidente, semble douter de la vérité des promesses du Roi, lui représentant que si son affection était véritable, il ne serait point nécessaire de recourir aux feintes, et ce qui la confirme en cette croyance est qu'abordant le Roi, il témoigne de la méconnaître. Elle, étonnée, croit au commencement que le Roi veut feindre devant le monde, mais voyant qu'il persiste en cette méconnaissance, attestant de ne l'avoir jamais vue, elle se désespère, l'accuse de peu de foi, et lui demande quel dessein il a eu de faire emprisonner son père et le Comte Tancrède. Le Roi dit qu'il a su qu'ils avaient été injustement emprisonnés, lui promet de leur rendre la liberté, lui dit qu'elle aille trouver Dorame le Capitaine de ses gardes pour les tirer de prison, et afin qu'il n'en fasse point de difficulté il lui donne son anneau, elle le prend et s'en va fort affligée vers la prison. Le Roi n'ayant plus l'anneau au doigt recouvre son bon sens, et tout changé d'humeur il lui semble sortir de quelque maladie, commence à se railler avec ses gens. Fabrice se plaint de son ordonnance qu'il avait déchirée, le Roi le nie, lui repromet de nouveau la somme et de signer l'ordonnance sitôt qu'il [la] lui apporterait. Liliane retournant des prisons met par mégarde l'anneau dans son doigt, perd la mémoire de toutes choses, rencontre Léandre et Léonor qu'elle ne connaît point, dont ils sont ravis pour reconnaître la grande vertu de l'enchantement. Le Roi la voyant court pour l'embrasser, elle méconnaît le Roi et le rebute, il se fâche, ses gens lui disent qu'elle a raison de la traiter ainsi, et qu'elle lui rend la pareille du mépris qu'il avait auparavant fait d'elle; le Roi en colère le nie, lui proteste que tout ce qu'on lui impute est faux. Là-dessus le Duc Alexandre et le Comte Tancrède qui avaient été délivrés par Liliane arrivent, se jettent à genoux devant le Roi, le remerciant de la grâce qu'il leur a faite; le Roi en colère s'étonne qui les a délivrés, nie d'en avoir jamais donné le commandement, fait appeler le Capitaine des gardes, s'enquiert de la cause de cette délivrance. Dorame dit qu'il n'avait point douté qu'il ne l'eût commandé, ayant vu son diamant que Liliane lui avait apporté. Il [le Roi] regarde à son doigt, et voyant qu'il n'avait point son anneau, croit qu'on lui ait ôté par surprise, le reprend des mains de Liliane, et commande qu'on les remette en prison; il remet le diamant au doigt, et au même point il reperd le sens, et Liliane le recouvre; le Roi la méconnaît de nouveau, et la fait chasser de sa présence. Fabrice rentre avec sa seconde ordonnance, la présente au Roi, duquel il eut la même satisfaction que la première fois. Le Roi continuant à porter sa bague ne perd pas seulement la connaissance de toutes choses, mais aussi celle de lui-même, se méconnaît et tous ceux qui lui parlent. Léandre et Léonor résolus de mettre à fin leur entreprise, lui font entendre qu'il doit nommer un Vice-Roi pour se reposer sur lui des soins du Royaume, lui font trouver bon d'honorer Léandre de cette qualité, et de mettre toutes ses forteresses de la Sicile entre les mains d'Agis, frère de Léandre, et de donner à Théodose son autre frère la charge de la marine. Le Roi leur signe toutes les provisions nécessaires, même [ils] font rompre le traité de mariage fait entre l'Infante et le Duc de Calabre, et font consentir le Roi au mariage de Léandre avec Léonor, et craignant que le Duc Alexandre prisonnier, étant un des plus puissants du Royaume ne troublât leur entreprise, ils font entendre au Roi qu'il est criminel d'État, et que sa mort est nécessaire pour la conservation de sa Couronne. Le Roi qui se laisse absolument mener par leur avis signe l'arrêt de sa mort. Fabrice connaît l'indisposition du Roi qui l'empêche de signer son ordonnance, et voyant que chacun tâchait à profiter de son infirmité, il se résout d'en faire de même. Rencontrant donc un jour le Roi, et voyant qu'il avait entièrement perdu l'esprit, il lui fait mille contes frivoles que le Roi prend pour autant de vérités. Et voyant qu'il était capable de lui faire croire tout ce qu'il désirerait en l'état où il le voyait, et qu'il avait une chaîne d'or au col, et le diamant au doigt, il lui fait croire que son frère était une grand Astrologue et véritable en toutes ses prédictions, et qu'il avait prévu par une science très certaine que ceux qui porteraient de l'or sur eux durant cette année mourraient indubitablement. Le Roi épouvanté arrache la chaîne de son col et le diamant de son doigt, et commande à Fabrice de les jeter en l'eau de peur que cet or ne fût fatal à quelque autre. Fabrice les ayant enveloppés dans son mouchoir, ravi que sa ruse avait réussi sort pour les aller serrer. Le Roi n'ayant plus son diamant rentre en son bon sens, s'étonne de se voir seul, appelle ses gens; Philène son Secrétaire arrive, qui lui demande audience pour Agis, Général des forteresses, et Théodose Amiral. Le Roi étonné de ces nouveaux officiers ne sait de qui on lui parle. Ils entrent, et à genoux devant le Roi le remercient des charges qu'il leur a données, lui protestent toute sorte de fidélité, et de s'en acquitter en gens d'honneur. Le Roi leur demande qui les a pourvus de ces titres, eux montrent leurs provisions signées de la main du Roi, et autorisées par Léandre qui prend qualité de Vice-Roi. Le Roi se met en colère, demande quelle autorité se donne ce Léandre dans ses États; Filène atteste avoir vu signer le Roi la provision de Léandre qu'il avait fait son Vice-Roi, et à qui il avait donné une souveraine puissance dans son État, et que chacun lui obéissait en cette qualité. Le Roi en furie les nomme traîtres, met l'épée à la main contre eux et court après. Ils se sauvent, et le Roi rencontrant Fabrice lui demande où ils étaient. Fabrice croit qu'il lui redemande sa chaîne et son diamant, se jette à genoux devant le Roi et lui demande pardon de son larcin. Le Roi lui demande des nouvelles de Liliane; il apprend de Fabrice qu'elle est extrêmement affligée, qu'on a prononcé l'arrêt de mort à son père, et qu'on est prêt de l'exécuter. Le Roi entre en plus grande colère, ayant appris de la bouche de Fabrice que lui-même avait signé l'arrêt de sa mort, et qu'il avait donné permission à Liliane d'épouser le Comte Tancrède: il jure que si l'on a fait mourir le Duc, il mettra tout à feu et à sang. Va [il] tout à l'heure dans la prison, voit tout en pleurs pour l'exécution qu'on était prêt de faire du Duc Alexandre; le Roi fait tout cesser, embrasse le Duc, le fait mettre en liberté, proteste qu'il n'est point cause de son malheur, et qu'il ne se souvient en façon quelconque d'avoir signé l'arrêt de sa mort, ni de beaucoup d'autres choses qu'il a appris de ses gens d'avoir faites, demande pardon à Liliane, lui jure que les désirs qu'il a pour elle sont saints et légitimes, et que son intention est de la faire Reine, mais qu'il veut auparavant tâcher de découvrir la cause de tant de changements: Commande [il] à Dorame de faire fermer les portes de la ville, et que personne n'en sorte sans son ordre, donne charge qu'on cherche Léandre et qu'il veut parler à lui. Fabrice sachant que le Roi a recouvré son bon sens appréhende que son larcin ne soit découvert; il rencontre Léandre qui est extrêmement en peine d'apprendre que le Roi est guéri de sa maladie, demande à Fabrice s'il est vrai; Fabrice lui confirme de nouveau, il se met en colère, demande s'il a encore son diamant au doigt, et ayant appris que non il se désespère, et court pour en consulter avec l'Infante. Fabrice demeure étonné, soupçonne là-dessus qu'il pouvait bien y avoir quelque enchantement en l'anneau, se ressouvenant que le Roi rentra en son bon sens sitôt qu'il l'eût ôté de son doigt, et comme il le considère, le Roi le surprend; il veut savoir la cause de l'étonnement où il le voit; Fabrice lui conte le soupçon qu'il avait que quelque enchantement ne fût caché sous la pierre, et conseille au Roi de quelle façon il [les] lui avait pris. Le Roi pour s'en éclaircir le met dans le doigt de Fabrice; incontinent il extravague, et méconnaît le Roi, ce qui lui fait croire la vérité de la chose; il reprend son diamant: Fabrice revient comme il était auparavant, et comme le Roi est en peine de savoir l'auteur de cette trahison, Fabrice lui dit, qu'il faut nécessairement que Léandre et Léonor en fussent les auteurs, lui conte le désespoir auquel était Léandre, ayant su de lui que le Roi n'avait plus son diamant au doigt, dit que durant la maladie du Roi ils s'étaient mariés ensemble, avaient créé des officiers nouveaux, et disposé absolument de l'État. Le Roi fait ôter le diamant de l'anneau, et trouve dessous certains caractères Arabiques qui faisaient l'enchantement, il déchire le papier, et fait raccommoder la bague en sorte qu'il n'y paraissait point. Il rencontre Liliane à qui il fait part de cet accident, commande à Fabrice d'aller quérir Léandre, Léonor, le Duc Alexandre, et le Comte Tancrède; ils arrivent tous. Le Roi ayant la bague en son doigt, feint qu'elle avait encor le même enchantement, fait semblant de les méconnaître. Léandre et Léonor le voyant en cet état et la bague au doigt sont ravis de joie: le Roi les voyant tous assemblés dit qu'il sent bien que son indisposition est grande, que la charge d'un Royaume est un trop pesant faix pour lui, et que pour se délivrer de tant de peines, il veut céder toute sa puissance à sa sœur, les prie tous de la reconnaître en qualité de Reine, et son mari Léandre le Roi, sort du trône Royal, et le chapeau à sa main convie sa sœur de prendre sa place: elle y résiste au commencement, mais elle lui obéit à la fin; il fait seoir Léandre auprès d'elle, et les confirme pour Rois de Sicile. Là-dessus eux assis, et le Roi debout, la tête nue, il leur dit que maintenant qu'ils ont la place qu'il y a si longtemps qu'ils désirent, c'est à eux à récompenser les bienfaits, et à châtier les offenses, qu'il veut leur communiquer une affaire d'importance, en laquelle un Roi de ses voisins demandait son avis, que le cas était qu'un infidèle vassal aime la sœur de son Prince, et se voit pareillement aimé d'elle, qu'ils attentent à la possession de l'État, et cherchent par la magie les moyens d'y parvenir, qu'il font faire un anneau enchanté, par le moyen duquel ils ôtent la mémoire au Roi, et le voyant en cet état disposent du gouvernement à leur fantaisie, et mettent toutes les places du Royaume entre les mains de leurs confidents, contractent ensemble une alliance inégale, et rompent celle que le Roi avait faite de sa sœur avec un Prince de ses voisins, que ce Roi, ayant à présent recouvert son bon sens, lui demande son avis pour savoir comme il se doit comporter en cette affaire, et que la chose étant de grande importance, il prie leurs Majestés de lui donner conseil là-dessus. Léandre et Léonor connaissent que leur fait est découvert; néanmoins sans s'étonner Léandre prend la parole, prie le Roi avant qu'il soit obligé de donner son avis sur cette affaire, de vouloir donner le sien en une autre qu'il lui veut proposer. [Il] dit qu'un jeune Roi aime avec passion la fille d'un de ses sujets que le Père avait promise à un Seigneur étranger, que ce Roi pour abuser de l'honneur de cette fille, empêche ce mariage, et fait emprisonner le père et l'amant de la fille, et les met en danger de perdre la vie pour assouvir ses appétits déréglés. [Il] prie le Roi sans passion de dire si ce Roi n'est pas coupable, que pour lui il croit que l'amour est cause de ce crime, aussi bien que de la première offense que le Roi lui a proposée, et qu'étant un enfant il est incapable de raison, et par conséquent qu'ils ne peuvent tous deux être légitimement châtiés, que cet arrêt est d'autant plus juste que ce fidèle vassal, dont le Roi lui a parlé, n'a eu autre dessein en son entreprise que de posséder sa maîtresse, et recueillir les fruits de son affection. Là-dessus Léandre et Léonor descendent de leurs chaires, et se jetant aux pieds du Roi lui demandent pardon: le Roi les menace, avoue au Duc Alexandre que véritablement ses affections n'étaient pas au commencement légitimes, et que son amour avait été cause de sa prison: mais qu'il veut réparer la faute par le mariage qu'il prétend faire avec sa fille, et que devant être satisfait de côté-là, il le prie de vouloir être juge du reste, et de châtier Léandre et Léonor, ou leur pardonner leur crime. Alexandre ravi de contentement, dit que la joie qu'il a est trop grande pour consentir qu'elle soit mêlée d'aucune amertume, prie le Roi de leur pardonner, et d'autoriser leur mariage, et de les bannir seulement pour quelque temps de la Cour pour réparer leur crime. Le Roi consent à cet arrêt. Leur pardonne leur faute, et les relègue à Saragosse, d'où il leur défend de sortir sans son commandement. [Il] accorde au Comte Tancrède une de ses cousines en mariage pour le satisfaire de la perte de Liliane, et pour récompenser Fabrice il lui donne vingt mille écus de rente et Mélite en mariage, après avoir témoigné au Roi qu'il la désirait.
ACTEURS
| ALFONSE, Roi de Sicile |
| ALEXANDRE, Duc de Terre-Neuve |
| TANCRÈDE, Comte de Tarent |
| LILIANE, Fille du Duc Alexandre |
| LEÓNOR, Sœur du Roi |
| LÉANDRE, Gentilhomme amoureux de Léonor |
| MÉLITE, Suivante de Liliane |
| FABRICE, Plaisant du Roi |
| FILÈNE, Serviteur |
| AGYS, Général d’armée |
| THÉODOSE, Amiral |
| ALCANDRE, Magicien |
| LE BOURREAU |
| LISIS, Valet du Duc |
| DORAME, Capitaine des Gardes |
ACTE I
SCÈNE PREMIÈRE
SCÈNE II
SCÈNE III
SCÈNE IV
SCÈNE V
SCÈNE VI
SCÈNE VII
ACTE II
SCÈNE PREMIÈRE
SCÈNE II
SCÈNE III
SCÈNE IV
SCÈNE V
SCÈNE VI
SCÈNE VII
SCÈNE VIII
ACTE III
SCÈNE PREMIÈRE
SCÈNE II
SCÈNE III
SCÈNE IV
SCÈNE V
SCÈNE VI
SCÈNE VII
ACTE IV
SCÈNE PREMIÈRE
SCÈNE II
SCÈNE III
SCÈNE IV
SCÈNE V
SCÈNE VI
ACTE V
SCÈNE PREMIÈRE
SCÈNE II
SCÈNE III
SCÈNE IV
SCÈNE V
SCÈNE VI
SCÈNE VII
SCÈNE DERNIÈRE
