Scène I.
Une vallée.
Entre SANCHE.
SANCHE
1Nobles champs de la Galice, qui, dans les profondeurs de ces vallées qu’arrose le Sil, montrez avec orgueil à tous les yeux les fleurs dont vous êtes parés; oiseaux qui chantez gaiement dans les bocages, et vous, hôtes des bois, qui vivez au hasard, contents de votre indépendance, avez-vous jamais vu un amour plus tendre que le mien? Non, certes!… Mais aussi, il faut l’avouer, il n’existe ni ne peut exister nulle part sous le soleil un objet comparable à Elvire; et comme mon amour, qui n’attend de bonheur ici-bas que par elle, — comme mon amour est né de sa beauté, de même que rien n’égale cette beauté merveilleuse, rien n’égale non plus mon amour… Ô ma douce amie! si ta beauté pouvait croître encore, mon amour croîtrait également; mais, charmante bergère, il ne peut rien s’ajouter à tes attraits pas plus qu’à ma tendresse, et si je t’aime autant que tu es belle, jamais on n’a aimé davantage. — Hier, tandis que sous tes pieds de lis tu foulais le sable sur lequel coule ce ruisseau, les grains s’en changeaient en perles; et moi, comme je ne pouvais plus voir dans l’eau tes pieds délicats, je souhaitais secrètement que tes yeux, brillants comme deux soleils, s’abaissassent sur le ruisseau pour donner plus de clarté et de transparence à son onde. — Le linge que tu lavais, Elvire, te causait une peine inutile, car dans tes mains il paraissait n’avoir jamais de blancheur. — Caché derrière ces châtaigniers, je te regardais avec crainte, lorsque je vis l’Amour, qui, par faveur, te donnait à laver son bandeau; et maintenant le ciel protège le monde! — l’Amour va marcher les yeux découverts, l’Amour n’est plus aveugle! — Ah! Dieu! quand donc viendra le jour, ce jour où je mourrai de bonheur, où je pourrai te dire: « Elvire, tu es toute à moi! » Je te comblerai de présents; et comme je t’apprécie à ta valeur, mon affection augmentera sans cesse, loin que je devienne jamais indifférent à la possession d’un si riche trésor
Entre ELVIRE.
ELVIRE
2à partIl me semblait pourtant que Sanche descendait de ce côté. Mes désirs m’auront trompée. Mais non, c’est lui, je le vois, et mon cœur ne s’abusait pas. Il contemple le ruisseau où il me vit hier; et comme je m’éloignai fâchée en m’apercevant qu’il me regardait, peut-être cherche-t-il à présent s’il y est resté quelque ombre de moi.
(À Sanche)
Le ciel te garde, Sanche! Que viens-tu donc chercher tous les jours dans le cristal de ce ruisseau? As-tu par hasard trouvé des coraux que j’ai perdus sur ses bords?
SANCHE
3Non pas; je me cherche moi-même, car hier je me perdis en ce lieu. Mais je me retrouve enfin, car je te vois, et je vis tout en toi.
ELVIRE
4Je croyais que tu venais m’aider à chercher mes coraux.
SANCHE
5Tu es bonne de venir chercher ici ce dont tu es si bien pourvue. Tu plaisantes sans doute… Mais, ma foi, donne-moi ma récompense, je les ai trouvés.
SANCHE
7Sur ta bouche, où ils servent d’entourage à des perles.
SANCHE
9Toujours ingrate, toujours insensible à ma foi!
ELVIRE
10C’est qu’aussi, Sanche, tu es par trop hardi. Et que ferais-tu de plus, si demain tu devais être mon mari?
SANCHE
11Mon Dieu! si je ne le suis pas, à qui la faute?
ELVIRE
12À toi seul, s’il te plaît.
SANCHE
13À moi? non, certes. Je t’ai dit mes sentiments, je t’ai dit tout ce qu’il y a dans mon cœur, et tu ne m’as pas répondu.
ELVIRE
14Est-ce que mon silence ne répondait pas pour moi?
SANCHE
15Alors les torts sont partagés.
ELVIRE
16Sanche, toi qui as de l’esprit, tu devrais savoir que nous autres femmes, nous parlons en nous taisant et accordons en refusant. Il ne faut jamais nous juger sur l’apparence; il ne faut jamais sur l’apparence nous croire cruelles ou éprises. Avec nous, il faut toujours croire le contraire de ce que nous faisons paraître.
SANCHE
17D’après cela, tu me permets de te demander à Nuño? Tu te tais, c’est me dire oui… il suffit; maintenant je ne m’y tromperai plus
ELVIRE
18À la bonne heure! mais au moins ne va pas dire à mon père que je le désire.
SANCHE
19Le voici qui vient!
ELVIRE
20J’attends derrière cet orme le résultat de votre conversation.
SANCHE
21Ô ciel! fais qu’il écoute ma prière. Sinon, j’en mourrai.
Elvire se cache.
Entrent NUÑO et PÉLAGE.
NUÑO
22Tu fais si mal ton service, Pélage, qu’il me faudra chercher quelqu’un qui soit plus leste que toi à parcourir ces vallées. As-tu quelque sujet de mécontentement dans ma maison?
PÉLAGE
23Dieu sait ce qu’il en est!
NUÑO
24Eh bien, dès aujourd’hui tu peux partir. Le service n’est pas un mariage.
PÉLAGE
25Et voilà justement ce qui me fâche.
NUÑO
26Tu m’aurais bientôt perdu tous mes porcs.
PÉLAGE
27Hélas! quand on a perdu l’esprit, ça ne peut pas aller autrement. — Écoutez-moi, je voudrais m’établir.
NUÑO
28Poursuis, mais prends garde à ne pas me conter quelque sottise.
PÉLAGE
29Un moment, de grâce. C’est que ça n’est pas aisé à dire.
NUÑO
30Alors il nous sera malaisé de nous entendre.
PÉLAGE
31Voici. — Hier, au moment où je partais: « Vraiment, Pélage, me dit Elvire, tes porcs sont bien gras. »
NUÑO
32Bon! et que lui répondis-tu?
PÉLAGE
33Amen! comme dit le sacristain.
NUÑO
34Eh bien, où veux-tu en venir par là?
PÉLAGE
35Quoi! vous ne comprenez pas?
PÉLAGE
37Je crois que je vais perdre ma timidité.
SANCHE
38à partPeste de l’imbécile! il ne s’en ira pas.
PÉLAGE
39Ne voyez-vous pas que c’est une petite galanterie, et que cela prouve qu’Elvire aurait envie de se marier avec moi?
PÉLAGE
41Eh! ne vous fâchez pas pour ça. Il n’y a pas de mal, et je ne vous l’ai pas dit à mauvaise intention.
NUÑO
42Ah! Sanche, tu étais là?
SANCHE
43Oui, et je voudrais vous parler.
NUÑO
44Je t’écoute, mon ami. — Toi, Pélage, un moment.
SANCHE
45Vous savez, Nuño, que mes parents, pour être de pauvres laboureurs, n’en étaient pas moins de braves et honnêtes gens?
PÉLAGE
46Sanche, vous qui vous entendez dans les choses d’amour, dites-moi, lorsqu’une fille jeune et jolie, et qui a de la fortune, dit à un jeune homme frais comme une rose: « Tes porcs sont bien gras! » cela ne signifie-t-il pas qu’elle voudrait bien ce jeune homme pour mari?
SANCHE
47En effet, une pareille agacerie ne va pas à moins qu’au mariage!
NUÑO
48Laisse-nous, imbécile.
SANCHE
49Puisque vous connaissez leur réputation et leur noblesse, je ne crois pas que vous puissiez repousser avec dédain un amour honnête: je brûle, je meurs pour Elvire.
PÉLAGE
50Il y a tel autre porcher dont le bétail est si sec que l’on dirait du lard fumé à la cheminée; mais moi, lorsque je mène mon troupeau aux champs…
NUÑO
51Comment! tu es encore là, animal?… Par la mort…
PÉLAGE
52Eh! maître, je parlais des pourceaux, et non pas d’Elvire.
SANCHE
53Maintenant que vous savez ma tendresse…
PÉLAGE
54Maintenant que vous savez ses agaceries…
NUÑO
55On ne trouverait pas dans toute l’Amérique un sauvage de cette espèce.
SANCHE
56Daignez consentir à notre union.
PÉLAGE
57C’est que, voyez-vous, j’ai ici tel cochon…
NUÑO
58Tu me romps la tête.
PÉLAGE
59
continuantQui pourrait être maître de chapelle, tant il a la voix belle et forte, surtout lorsqu’il entre ou qu’il sort du hameau.
NUÑO
60Elvire y consent-elle?
SANCHE
61Elle approuve mon amour, et m’a autorisé à vous parler.
NUÑO
62Ta recherche l’honore, et je ne doute pas qu’elle ne soit heureuse avec toi, puisqu’elle apprécie ton mérite. Elle sait d’ailleurs que tu pourrais prétendre à un parti plus relevé.
PÉLAGE
63Si j’avais à moi tant seulement cinq ou six petits cochons, et que ceux-là en fissent d’autres, et ainsi de suite, — au bout de quelques années je pourrais aller en coche[7].
NUÑO
64Tu es, en qualité de berger, au service de don Tello, le seigneur de ce pays, et tout-puissant en Galice et même encore plus loin: fais-lui part de tes projets, Sanche. Tu y es obligé, étant de sa maison. Et puis il est riche et généreux, et il pourra te donner un peu de bétail. Mon Elvire n’a pas grand’chose, et pour la demander, il faut que tu sois amoureux. Cette chaumière mal bâtie et toute noircie par la fumée, quelques petits morceaux de terre épars çà et là, et plus loin une douzaine de châtaigniers, voilà la dot de ma fille. Tout cela n’est rien si le seigneur de ce pays ne vient pas à ton aide.
SANCHE
65Je suis fâché que vous mettiez en doute mon amour.
PÉLAGE
66Par ma foi, c’est lui qui épouse Elvire. Eh bien, moi, je la plante là, et je tourne mon cœur d’un autre côté.
SANCHE
67À un homme qui soupire pour sa beauté, que peut-on donner de plus précieux que cette beauté céleste? Je ne suis point tel, Nuño, que je puisse préférer la richesse à la vertu.
NUÑO
68Il n’y a pas de mal, Sanche, à donner connaissance de tes projets à ton maître, et à lui demander un témoignage de satisfaction. Don Tello et sa sœur peuvent le faire aisément, et l’on ne verra dans ta démarche qu’une nouvelle preuve d’amour.
SANCHE
69C’est un peu malgré moi; mais enfin, puisque vous le voulez, j’irai.
NUÑO
70Bien, Sanche! bien, mon garçon! que le ciel te bénisse, et te donne une famille nombreuse! — Viens avec moi, Pélage.
PÉLAGE
71Comment lui avez-vous sitôt accordé Elvire, et devant moi encore?
NUÑO
72Sanche n’est-il pas un jeune homme aimable et bien né?
PÉLAGE
73À dire vrai, il n’y en a pas un dans le pays qui le vaille, mais moi, je vous aurais été plus utile… je vous aurais donné toutes les semaines un petit…
Ils sortent.
SANCHE
74Parais maintenant, chère Elvire! parais, ma charmante amie!
Entre ELVIRE.
ELVIRE
75Ô ciel! quel supplice que l’attente et l’incertitude lorsqu’on aime! Je tremble, comme si toutes mes espérances n’étaient suspendues qu’à un fil.
SANCHE
76Ton père m’a dit qu’il avait déjà donné sa parole à un domestique de don Tello. Quel changement étrange!
ELVIRE
77Hélas! il n’était que trop vrai que mes espérances ne tenaient à rien. Quoi! Sanche, mon père me marie avec un écuyer! Ah! tout est fini pour moi… Vis heureux, cher objet de ma tendresse; je me donnerai la mort.
SANCHE
78Doucement, chère Elvire, je plaisantais. N’as-tu point vu la vérité dans mes yeux? N’as-tu point vu ma joie? Ton père n’a pas hésité un seul moment; il m’a dit oui tout de suite.
ELVIRE
79Ce n’était pas de te perdre qui m’affligeait, c’était d’aller habiter un palais où l’on se serait moqué de mes manières rustiques. Voilà ce qui causait mon chagrin.
SANCHE
80Et moi, sot, qui m’y suis laissé prendre! « Vis, mon Sanche, vis, imbécile, je me donnerai la mort! » Ah! trompeuse adorée, comme vous vous moquiez de moi!
ELVIRE
81Eh bien, moi aussi je plaisantais. Va, sois tranquille, je t’aime, et c’est l’amour qui m’a dit de te donner cette leçon. Ne sais-tu donc pas que l’amour est tout vengeance?
SANCHE
82Ainsi donc tu acceptes ma main?
ELVIRE
83Ne dis-tu pas que tu as le consentement de mon père?
SANCHE
84Oui, mais il m’a donné un conseil que je ne lui demandais pas: il veut que j’aille chez don Tello, mon seigneur et seigneur de tout ce pays, puissant en paix comme en guerre, et que je lui demande quelque faveur. J’ai en toi, mon Elvire, ce qu’il y a de plus précieux au monde, et tous les trésors des Indes ne sont rien près de toi; mais ton père dit que je dois cela à mon seigneur. Nuño a de l’expérience, il est homme de bon conseil, puis, ma charmante, il est ton père… Je vais chez don Tello.
ELVIRE
85J’attends ton retour.
SANCHE
86Je voudrais que lui et sa sœur me donnassent mille bijoux de prix pour te les offrir.
ELVIRE
87Contente-toi de lui faire part de notre mariage.
SANCHE
88Ma vie, mon âme, j’ai tout remis dans ces belles mains: accorde-m’en une.
ELVIRE
89Elle doit être à toi, et la voilà!
SANCHE
90Maintenant que j’ai cette main, que pourrait contre moi la fortune? Aussi ce n’est pas sans regret que je la quitte même un instant. — Tu le vois, mon esprit s’est formé aux leçons de l’amour.
Ils sortent.
Scène II.
Une forêt.
Entrent DON TELLO, JULIO et CELIO.
CELIO
2Vous devez vous être amusé.
JULIO
3La chasse a été belle.
TELLO
4La campagne est si agréable que son aspect seul réjouit.
CELIO
5Il est charmant de voir ces ruisseaux s’efforçant de baiser les pieds des fleurs qui croissent sur leurs bords.
TELLO
6Pour Dieu! Celio, tu ferais beaucoup mieux de donner à manger à mes chiens.
CELIO
7Ils ont joliment escaladé le sommet de ces rochers.
JULIO
8Ce sont de fameuses bêtes.
CELIO
9Florisel est le meilleur du pays.
TELLO
10Il ne manque pas d’ardeur.
JULIO
11Il n’y a pas de lévrier qui le vaille.
CELIO
12Voici votre sœur, notre maîtresse. Elle vous a deviné.
Entre FELICIANA.
TELLO
13Voilà une aimable attention, ma chère Feliciana; mais, croyez-le, mon cœur n’est pas ingrat.
FELICIANA
14J’ai pour vous un tel attachement, mon frère, que lorsque vous êtes loin de moi, Dieu le sait, tout m’alarme. Alors il n’y a plus pour moi ni repos ni sommeil. Un lièvre, un lapin deviennent à mes yeux des monstres horribles.
TELLO
15Dans nos forêts de Galice, ma sœur, il est bien rare que l’on trouve une bête féroce; et j’en suis fâché, car nous autres jeunes gens nous ne haïrions point de semblables rencontres. Parfois seulement on voit sortir des profondeurs de la forêt un sanglier farouche, et j’ai eu ce plaisir; on l’y voit, dans sa fureur, après avoir mis en pièces une douzaine de chiens, s’attaquer au cheval le plus vaillant, l’éventrer, et lui tirer des flots de sang comme en échange de l’écume qui blanchit sa gueule. Quelquefois aussi paraît un ours qui, plein d’audace, vient lui-même attaquer le chasseur, et debout, l’embrasse dans ses pattes robustes, et il n’est pas rare de les voir tomber morts en même temps. Mais notre chasse ordinaire, bien qu’assez variée, est plus humble, et nous ne tentons pas le ciel. Au reste, la chasse est l’exercice le plus digne des princes et des nobles, car il enseigne les ruses de la guerre, rend familier l’usage des armes, et le corps plus dispos.
FELICIANA
16Je voudrais vous voir marié… Alors sans doute vous ne vous livreriez plus avec tant de fureur à un plaisir qui me cause mille craintes.
TELLO
17Me marier n’est pas facile. Seigneur de ce pays, je n’y ai point d’égale.
FELICIANA
18Vous pourriez bien demander la fille de quelque seigneur de haute naissance.
TELLO
19Vous me dites cela, je crois, pour me reprocher indirectement de ne vous avoir pas encore mariée. C’est un désir naturel aux jeunes filles.
FELICIANA
20Non vraiment, vous vous trompez, et je ne parlais que pour vous.
Entrent SANCHE et PÉLAGE.
PÉLAGE
21
à SancheApproche; ils sont seuls, personne ne te gêne.
SANCHE
22Tu as raison. Il n’y a auprès d’eux que quelques-uns de leurs domestiques.
PÉLAGE
23Nous verrons ce qu’ils vont te donner.
SANCHE
24Je ne songe qu’à m’acquitter de mon devoir. — Noble et illustre don Tello, et vous, belle Feliciana, seigneurs de ce pays qui vous est tout dévoué, veuillez permettre de baiser vos pieds à Sanche, — à Sanche, l’un des gardiens de vos troupeaux. C’est un office bien humble, il est vrai; mais dans notre Galice le sang est si généreux, que la seule chose qui distingue le pauvre du riche, c’est que le premier est obligé de servir. Je suis pauvre, et dans une condition tellement inférieure, que sans doute vous ne me connaissez pas, d’autant qu’il y a cent trente personnes qui vivent de votre pain et attendent de vous leur salaire. Cependant il est possible qu’en chassant vous m’ayez aperçu.
TELLO
25Oui, mon ami, je t’ai vu, je te connais, et je suis bien disposé pour toi.
SANCHE
26Je vous suis bien reconnaissant, et je vous baise humblement les pieds.
SANCHE
28Seigneur, les années passent sans qu’on s’en aperçoive; nous courons vers le trépas, et la vie n’est qu’un séjour dans une hôtellerie: on y arrive le soir, et l’on en sort le lendemain par la mort. Je suis le fils d’un homme qui n’a pas eu besoin de servir, et avec moi finit ma famille. J’ai demandé en mariage une honnête demoiselle, fille de Nuño de Aybar, lequel, bien que simple laboureur, a cependant au-dessus de sa porte des vestiges de vieilles armoiries, et aussi plus d’une lance du vieux temps. C’est cela, joint à la vertu d’Elvire (ainsi se nomme ma future), qui m’a déterminé. Elle consent, et son père aussi, mais il exige votre agrément. « Le seigneur, me disait-il ce matin, doit savoir tout ce qui se passe chez ses vassaux et chez tous ceux qui vivent de son bien, depuis le plus grand jusqu’au plus petit, et les rois ont tort de ne pas attacher la plus grande importance à ce point. » Moi, seigneur, d’après son avis et sur son ordre, je viens vous annoncer que je me marie.
TELLO
29Nuño est un fin matois, et il t’a conseillé à merveille. — Celio!
TELLO
31Tu donneras à Sanche vingt vaches et cent brebis; ma sœur et moi, nous honorerons la noce de notre présence.
SANCHE
32Quelle faveur signalée!
PÉLAGE
33Quelle signalée faveur!
SANCHE
34Le magnifique présent!
PÉLAGE
35Le présent magnifique!
SANCHE
36La rare générosité!
PÉLAGE
37La générosité rare!
TELLO
38Quel est cet homme qui répète comme une espèce d’écho toutes vos paroles?
PÉLAGE
39Je suis un homme qui répète à l’envers toutes ses paroles.
SANCHE
40C’est un des gens de Nuño.
PÉLAGE
41Oui, son enfant prodigue.
PÉLAGE
43Je suis le gardien de ses pourceaux, et moi aussi, je venais vous demander une grâce.
TELLO
44Qui épouses-tu, toi?
PÉLAGE
45Pour le moment personne, monseigneur: mais je viens vous demander un petit cadeau de moutons pour le cas où le diable viendrait à me tenter[8]: autrement je reste garçon. Un astrologue m’a dit jadis à Salamanque de bien prendre garde à l’eau et aux taureaux; et pour éviter le danger, je ne me marie pas et je bois sec!
FELICIANA
46Le drôle d’homme!
FELICIANA
48Allez, Sanche, et soyez heureux. Toi, Celio, envoie chez lui au plus tôt le bétail que mon frère lui donne.
SANCHE
49Je n’ai pas assez d’esprit pour vous exprimer dignement ma reconnaissance.
TELLO
50Et quand songes-tu à te marier?
SANCHE
51Mon amour voudrait bien que ce fût pour ce soir même.
TELLO
52Eh bien, puisque déjà le soleil, entouré de nuages d’or, commence à descendre vers l’occident, va-t’en faire les préparatifs. Ma sœur et moi nous assisterons à ta noce. — Holà! que le carrosse soit prêt!
SANCHE
53Mon cœur et ma bouche, seigneur, ne cesseront de vous louer et de vous bénir.
Il sort.
FELICIANA
54Et vous, vous ne voulez donc pas absolument vous marier?
PÉLAGE
55Moi, madame, j’aurais volontiers épousé sa future, qui est bien vraiment la plus jolie bergère de toute la Galice; mais elle a su que je gardais les pourceaux, et elle m’a traité comme si j’en étais un autre[9].
FELICIANA
56Ma foi! mon ami, elle est fort excusable.
PÉLAGE
57Mon Dieu! madame, chacun ici-bas garde comme il peut…
PÉLAGE
59Ce qu’il doit garder.
Il sort.
FELICIANA
60Ce garçon-là m’amuse.
CELIO
61Maintenant qu’il est parti, ce villageois, — qui n’est pas si bête qu’il le paraît, — je puis assurer à vos seigneuries qu’Elvire est en effet la plus jolie fille qui soit au monde, et que par sa figure, son esprit, sa vertu, elle serait digne du plus noble gentilhomme d’Espagne.
FELICIANA
62Vraiment! elle est si jolie?
TELLO
64À la manière dont tu l’exaltes, on dirait que tu en as été amoureux?
CELIO
65Un tant soit peu; mais ce n’est pas ça qui me fait parler ainsi.
TELLO
66Il y a de ces villageoises qui sans fard et sans atours charment les yeux et entraînent l’âme; mais elles font les difficiles, et j’abhorre leurs minauderies.
FELICIANA
67Si elles se défendent, vous devriez les en estimer davantage.
Ils sortent.
Scène III.
Une chambre dans la maison de Nuño.
Entrent NUÑO et SANCHE.
NUÑO
1C’est là la réponse de don Tello?
SANCHE
2Comme je vous le dis.
NUÑO
3Sa conduite, certes, est digne de sa naissance et de sa noblesse.
SANCHE
4Il a ordonné qu’on me donnât le bétail aujourd’hui même.
NUÑO
5Que le ciel conserve ses jours!
SANCHE
6Mais quelle que soit l’importance d’un semblable présent, j’estime encore plus l’honneur qu’il me fait en voulant bien me servir de parrain.
NUÑO
7Et sa sœur viendra-t-elle aussi?
NUÑO
9C’est le ciel qui leur inspire tant de bonté.
SANCHE
10Ce sont d’excellents seigneurs.
NUÑO
11Oh! je voudrais que cette maison, qui attend les hôtes les plus puissants du royaume, pût se changer en un grand palais.
SANCHE
12Ne vous inquiétez pas. La bonne volonté suppléera à l’étroitesse de la maison. — Je les aperçois qui viennent.
NUÑO
13Ne t’ai-je pas donné un bon conseil?
SANCHE
14Ma foi, oui. J’ai vu en don Tello le seigneur le plus parfait, comme ses largesses le prouvent bien. Il ressemble à la Divinité, et, à mon avis, de même que la Divinité se manifeste par des bienfaits, il n’y a de véritable seigneur que le seigneur qui fait du bien.
NUÑO
15Vingt vaches et cent brebis! ce sera une jolie propriété lorsque, au retour du printemps, tu les mèneras dans la vallée du Sil. Que Dieu récompense don Tello pour tant de bontés!
SANCHE
16Où est Elvire, seigneur?
NUÑO
17Elle est occupée sans doute après sa coiffure ou quelque parure de noce.
SANCHE
18Elle n’a pas besoin de s’attifer; elle est toujours bien; elle n’a qu’à paraître, et voilà le soleil!
NUÑO
19Il y a dans ton amour quelque chose qui n’est pas d’un villageois.
SANCHE
20Avec elle, mon père, je serai constant comme un berger, et soigneux comme un courtisan.
NUÑO
21On n’aime jamais bien quand on n’a pas d’esprit. Pour bien aimer, il faut savoir décrire ce qu’on sent; et tu es précisément l’homme que je souhaitais pour ma fille… Mais appelle nos gens; je veux que don Tello voie que je suis, ou que j’ai été quelque chose.
SANCHE
22Les voici qui viennent. Ils accompagnent nos deux seigneurs. — Dites donc à Elvire de laisser là sa coiffure et de venir les recevoir.
Entrent DON TELLO, JUANA, LÉONOR, Domestiques et Paysans.
JUANA
24Elle est allée voir la mariée.
SANCHE
27Ce serait folie à un pauvre rustre tel que moi de prétendre vous remercier comme il convient pour tant de bontés.
TELLO
28Où est ton beau-père?
NUÑO
29Ici, où l’honneur que vous lui faites va prolonger le cours de ses années.
NUÑO
31Je voudrais que cette maison fût un monde, et que vous fussiez le seigneur de ce monde.
TELLO
32
à JuanaComment vous nommez-vous, ma petite?
PÉLAGE
33Pélage, seigneur.
TELLO
34Je ne te parle pas, à toi.
PÉLAGE
35Alors je me suis trompé.
JUANA
36Juana, à votre service.
TELLO
37Elle est gentille.
PÉLAGE
38Oh! vous ne la connaissez pas. Il faut voir, quand quelque garçon s’avise de la pincer, comme elle vous lui donne de sa cuiller à pot sur la tête rudement. Une fois, pour ma part, ayant voulu m’approcher de la marmite, je reçus d’elle un coup dont je demeurai deux mois durant tout étourdi.
TELLO
39
à LéonorEt vous, votre nom?
PÉLAGE
40Pélage, seigneur.
TELLO
41Ce n’est pas à toi que je parle.
PÉLAGE
42Alors je me suis trompé.
TELLO
43Comment vous appelez-vous, ma petite?
LÉONOR
44Moi, seigneur? Léonor.
PÉLAGE
45à partIl s’informe des jeunes filles, et des garçons pas du tout.
(Haut)
Moi, seigneur, je m’appelle Pélage.
TELLO
46Es-tu quelque chose à quelqu’un d’elles?
PÉLAGE
47Oui, seigneur, je suis le porcher.
TELLO
48Je demande si tu es le mari ou le frère…
PÉLAGE
51Ce n’est pas ma faute, si ma mère m’a fait comme ça.
SANCHE
52Voici la mariée qui vient avec sa marraine.
Entrent FELICIANA et ELVIRE.
FELICIANA
53Ils méritent toutes vos bontés, mon frère. Heureux les seigneurs qui ont de tels vassaux!
TELLO
54Vous avez bien raison. La belle fille!
FELICIANA
55Elle est charmante.
ELVIRE
56Excusez mon embarras. Vous le comprendrez sans peine: c’est la première fois que je vois votre seigneurie.
NUÑO
57Veuillez vous asseoir sur ces siéges modestes. Ce sont ceux d’un laboureur.
TELLO
58à partJamais je n’ai rien vu d’aussi beau. Quelle divine perfection! Combien elle est au-dessus de tous les éloges que l’on fait d’elle! Heureux celui qui a l’espoir de posséder tous ces charmes!
FELICIANA
59Mon frère, permettez à Sanche de s’asseoir.
SANCHE
61Oh! non, monseigneur.
SANCHE
63Non pas, c’est trop d’honneur. Moi m’asseoir devant vos seigneuries!
FELICIANA
64Mettez-vous près de la mariée. Personne ne vous disputera cette place.
TELLO
65à partJe n’aurais jamais cru qu’il existât une beauté aussi parfaite.
PÉLAGE
66Et moi, où pourrai-je m’asseoir?
NUÑO
67Toi, mon ami, ta place est dans l’écurie, et c’est là que tu peux faire la fête.
TELLO
68à partVive Dieu! je me sens brûler de mille feux.
(Haut)
Comment se nomme la mariée?
PÉLAGE
69Pélage, seigneur.
NUÑO
70Te tairas-tu! Sa seigneurie parle aux femmes, et tu n’es pas une femme, toi. — Elle se nomme Elvire, monseigneur.
TELLO
71Vive Dieu! voilà une Elvire qui est bien belle, et qui est digne par ses attraits d’un mari… aussi bien né.
NUÑO
72Allons, jeunes filles, égayez la fête.
TELLO
73à partElle est ravissante.
NUÑO
74En attendant que le curé arrive, dansez à la mode de ce pays.
JUANA
75Le curé est déjà arrivé.
TELLO
76Dites-lui qu’il n’entre pas. à partCette beauté céleste me fait perdre la raison.
SANCHE
77Pourquoi, monseigneur, ne voulez-vous pas que le curé…
TELLO
78Parce que… à présent que je vous connais, je veux vous honorer davantage.
SANCHE
79Tout ce que je demande, tout ce que je désire, monseigneur, c’est de me marier avec Elvire.
TELLO
80Demain ce sera mieux.
SANCHE
81Ah! seigneur, ne retardez pas, de grâce, le bonheur que j’attends. Ce serait pour moi un désespoir. D’ici à demain, songez-y, le moindre accident peut me ravir un bien que je suis au moment de posséder. On a dit depuis longtemps que chaque soleil amène avec soi quelque chose de nouveau. Qui sait ce que nous amènera le soleil de demain?
TELLO
82Quel entêtement!… Je veux lui faire honneur, lui faire fête, et lui, ma sœur, sans égard pour votre présence, il s’obstine de la façon la plus malhonnête!… Emmenez votre fille, Nuño, et demeurez tranquille cette nuit.
NUÑO
83Il sera fait comme vous ordonnez.
Don Tello, Feliciana et leurs Domestiques sortent.
ELVIRE
84Quelle injustice! et de quoi se fâche don Tello?… Je le lui aurais dit si cela n’eût pas été inconvenant de ma part.
NUÑO
85J’ignore sa volonté, son intention; mais il est seigneur, et tout ce que je puis faire, c’est de m’affliger qu’il soit venu dans ma maison.
Il sort.
SANCHE
86J’en suis encore plus fâché, quoique je n’aie rien fait paraître.
PÉLAGE
87Ah ça, est-ce qu’il n’y a pas de noce cette nuit?
JUANA
90Don Tello ne le veut pas.
PÉLAGE
91Don Tello peut donc l’empêcher?
JUANA
92Il paraît qu’il en a le pouvoir.
PÉLAGE
93En ce cas, il a bien fait d’y mettre opposition avant l’arrivée du curé.
Il sort avec Juana et Léonor.
ELVIRE
95Hélas! mon ami, je sens que je ne suis pas née pour être heureuse.
SANCHE
96Quel est donc le projet de don Tello, qu’il ait désiré différer jusqu’à demain?
ELVIRE
97Je ne sais ce qu’il peut vouloir; mais il n’en faut pas douter, il veut quelque chose.
SANCHE
98Combien il est cruel de m’enlever cette nuit!… J’ai peine, ma chère âme, à contenir mon dépit, ma rage.
ELVIRE
99Sanche, je te regarde comme étant déjà mon mari. Viens cette nuit à ma porte.
SANCHE
100Ô mon bien! la laisseras-tu ouverte?
ELVIRE
101Oh! non, impossible.
SANCHE
102Enfin, par cette promesse, tu me sauves la vie. Je me serais tué.
ELVIRE
103Et moi je serais morte avec toi.
SANCHE
104Le curé est venu, mais n’a pas pu entrer.
ELVIRE
105Don Tello s’y est opposé.
SANCHE
106Mais si tu consens à m’ouvrir, je me consolerai de ce malheur; car pour guérir des tourments comme les miens, l’amour vaut un curé[10].
Ils sortent.
Scène IV.
La campagne devant la maison de Nuño. Il est nuit.
Entrent DON TELLO et des Domestiques.
TELLO
1Vous m’avez compris?
CELIO
2Oui, monseigneur, et il ne faut pas être si malin pour cela.
TELLO
3Entrez. À cette heure la charmante Elvire et le vieux doivent être seuls.
CELIO
4Tout le monde s’est retiré, non sans pester un peu de voir la noce remise.
TELLO
5Ma foi! Celio, j’ai suivi l’inspiration de l’amour. J’étais jaloux, je souffrais de voir que ce vilain rustre possédât la beauté que je désire. Lorsque je serai fatigué d’elle, le nigaud pourra l’épouser; je lui donnerai du bétail, des biens, de l’argent, et avec cela il vivra aussi heureux que tant d’autres qui sont dans le même cas. Après tout, je suis riche et puissant; et puisque cet homme n’est point encore marié, je veux user de mon pouvoir. — Allons, mettez vos masques.
CELIO
6Faut-il frapper à la porte?
CELIO
8Bon! voilà qu’on ouvre.
ELVIRE
9
du dehorsEst-ce toi, Sanche, mon ami?
UN DOMESTIQUE
12Heureuse rencontre!
ELVIRE
13Ah! ce n’est point Sanche! — Ah! mon père! Hélas! au secours! on m’enlève!
TELLO
14Maintenant, partez!
NUÑO
15
du dehorsQuel est ce bruit?
TELLO
17Fermez-lui la bouche.
NUÑO
18Ô ma fille! je t’entends et te vois. Mais, hélas! ma faiblesse et mon âge ne te seront d’aucun secours contre ton ravisseur puissant… Car je crois deviner le coupable.
Entrent SANCHE et PÉLAGE.
SANCHE
19Il me semble avoir entendu des cris du côté de la maison de notre maître.
PÉLAGE
20Parlons bas, de peur que les domestiques ne nous entendent.
SANCHE
21Souviens-toi, quand je serai entré, de ne pas t’endormir.
PÉLAGE
22Ne craignez rien, j’ai pris un à-compte sur le sommeil.
SANCHE
23Je sortirai lorsque paraîtra l’aurore; et cette fois je sortirai en la maudissant, car elle m’aura chassé du ciel.
PÉLAGE
24Pendant que tu seras à causer là-dedans, sais-tu à quoi je ressemblerai, moi? — À la mule d’un médecin rongeant son frein à la porte d’un malade.
SANCHE
25Je vais frapper.
PÉLAGE
26Je gagerais qu’Elvire guette déjà par le trou de la serrure.
SANCHE
27Regarde bien de tous côtés pendant que je frappe,
Entre NUÑO.
SANCHE
31Quoi! c’est vous, Nuño?
NUÑO
32Quoi! c’est toi, Sanche?
SANCHE
33Vous, dans la rue, à cette heure? Que veut dire ceci?
NUÑO
34Tu ne devines pas?
SANCHE
35De grâce, que vous est-il arrivé? Je crains un malheur.
NUÑO
36Oui, le plus grand des malheurs… et auprès duquel tous les autres ne sont rien.
NUÑO
38Une troupe de gens armés est venue, et après avoir brisé les portes, ils ont enlevé…
SANCHE
39Assez! n’achevez pas! Tout est fini pour moi.
NUÑO
40J’ai voulu, à la clarté de la lune, les reconnaître. Mais cela m’a été impossible: ils étaient masqués.
SANCHE
41N’importe, seigneur, il n’en faut pas douter, ce sont des domestiques de don Tello, à qui vous avez voulu que je parlasse. Maudit soit ce conseil! Dans toute la vallée il n’y a qu’une dizaine de maisons, lesquelles sont habitées par de pauvres laboureurs… ce n’est aucun d’eux. Il est certain que c’est le seigneur qui l’aura fait conduire chez lui, et cela me prouve qu’il ne me la laissera pas épouser. Mais, sachez-le bien, j’aurai justice, — oui, j’aurai justice ici-bas, quoiqu’il soit le plus riche et le plus puissant du royaume. Vive Dieu! je vais… Je mourrai du moins, si je ne réussis à autre chose.
PÉLAGE
43Pardieu! si je rencontre ses pourceaux dans le pré, je les assomme à coups de pierres, fussent-ils entourés de gardes.
NUÑO
44Allons, mon fils, appelle la raison à ton secours.
SANCHE
45Eh! mon père, suis-je en état de réfléchir? Vous m’avez donné un conseil funeste, donnez-m’en un bon à présent.
NUÑO
46Demain nous irons parler au seigneur don Tello. C’est une étourderie de jeunesse, et je suis persuadé que déjà il s’en repent. Je te réponds d’Elvire: ni menaces ni prières, rien ne pourra la faire céder.
SANCHE
47Je la connais, et je le crois… Hélas! je meurs d’amour, je succombe à la jalousie. À quel homme est-il jamais arrivé un semblable malheur? Et dire que c’est moi qui ai conduit sous mon toit le loup cruel qui m’a ravi mon innocente brebis!… J’avais donc perdu l’esprit; car les cavaliers riches et puissants n’apportent jamais que du malheur dans la maison des pauvres… Il me semble voir son beau visage couvert des perles qui tombent de ses yeux éplorés, tandis qu’elle défend son honneur. Il me semble, — pensée douloureuse! — il me semble que je l’entends gémir et repousser son tyran. La voyez-vous? elle s’enveloppe de ses cheveux comme d’un voile pour ne pas lire dans ses regards les infâmes désirs qu’il éprouve… Ah! Nuño, laissez-moi; la vie m’est odieuse… Je ne sais plus ce que je dis… Hélas! je me meurs d’amour, je succombe à la jalousie.
NUÑO
48Allons, Sanche, mon enfant, du courage.
SANCHE
49J’imagine, je crains des choses dont la seule idée me bouleverse, malgré moi, jusqu’au fond de l’âme. Enseignez-moi la chambre d’Elvire.
PÉLAGE
50Et à moi la cuisine; car, avec toutes ces aventures, je n’ai pas soupé et je meurs de faim.
NUÑO
51Entre et repose jusqu’à demain. Don Tello n’est pas un barbare.
SANCHE
52Hélas! je meurs d’amour, je succombe à la jalousie.