1141
Le soleil réglait sa nuitée
1142
avec l’or de son habit,
1143
au sixième signe,
1144
qui correspond à la Vierge
1145
si dans le quart du jour, il y a une vierge
1146
et au moment où l’antipode de janvier
1147
demande des bras pour Cérès et Bacchus,
1148
dont les récoltes remplissent les maisons
1149
et gonflent les hangars,
1150
bref, en août,
1151
je ne peux me faire à l’idée
1152
que des récits barbouillés de latin
1153
puissent donner du plaisir,
1154
quand l’illustre Fajardo,
1155
fakir ou pharaon, ceint
1156
de l’écharpe d’Iris,
1157
qui entoure les dix sphères du ciel
1158
pour y célébrer son nom,
1159
ravi que l’on ait planté
1160
les bannières de Felipe,
1161
avec la croix d’Espagne, à Larache,
1162
un repaire de viles pirates,
1163
et, désireux de voir
1164
sur les rives d’Afrique
1165
le vénérable Océan jouir
1166
en toute liberté,
1167
de ses côtes et de ses ports,
1168
voulut exterminer
1169
une horde de tigres affamés
1170
qui assaillent les moutons dorés,
1171
que le Pacifique ramène en Espagne.
1172
Alors, à la Mamora, il élève
1173
un fort quasi invincible pour ôter
1174
aux Maures et autres hérétiques
1175
tout espoir de passer.
1176
Il réunit pour cette entreprise
1177
cent voiliers, entre navires,
1178
galères et brigantins,
1179
dans les Colonnes d’Hercule.
1180
Sept mille soldats,
1181
dignes de rivaliser avec le soleil
1182
sans la clique de condamnés aux galères
1183
hissent les voiles subtiles.
1184
Fanions et drapeaux
1185
verts, rouges et turquoise,
1186
flottant au vent,
1187
déroulent un tapis volant;
1188
et, pour ne pas entendre
1189
la mer gémir sous les coups de rames,
1190
les poissons sans voix sont tout ouïe
1191
au son des clairons.
1192
Sur ses flots, la gente marine
1193
voit mille floraisons,
1194
lorgnant ornements et décorations
1195
de chaque jardin et de chaque courtil.
1196
Alors, en vue de Larache
1197
desquelles murailles partent des coups
1198
de canon monstrueux
1199
de couleuvrines et de mousquets,
1200
les nôtres arrivent à une lieue
1201
de la Mamora. Comme les bas-fonds
1202
de la mer farouche humble en ce lieu
1203
empêchent de toucher terre,
1204
ils s’échouent en cet endroit,
1205
où, un peu plus tard, les interceptent
1206
deux navires de ces Hollandais
1207
qui brident la mer avec des digues.
1208
D’eux, le général eut vent
1209
qu’il se trouvait dans le port
1210
quinze navires de corsaires
1211
hérétiques affidés aux Maures
1212
pour les aider.
1213
Alors, le grand Fajardo,
1214
dont la renommée inscrit
1215
les hauts faits sur le marbre
1216
à titre de gloire éternelle,
1217
en dépit des sauvages
1218
qui empêchent l’accès,
1219
grâce à leur connaissance des lieux,
1220
touche le sol avec, pour lui permettre
1221
de mettre pied à terre en toute sécurité,
1222
quatre Navarrais, lesquels, d’un bond,
1223
entraînent derrière eux d’autres compagnies.
1224
Au son du tambour,
1225
les Arabes se montrent, prêts au combat;
1226
leurs bonnets rouges couvrent les montagnes
1227
comme des coquelicots;
1228
sans laisser passer la lumière du soleil,
1229
leurs arcs, que la guerre a fait naître
1230
comme le ciel créa l’arc-en-ciel pour la paix,
1231
décochent des flèches,
1232
empêchant de débarquer
1233
nos vénérables Argonautes,
1234
qui étendirent le «Plus Oultre»
1235
de Cadix jusqu’au Chili.
1236
Mais, à la vue de la horde de barbares,
1237
qui résistent,
1238
avec force cris et flèches,
1239
à l’invasion de l’Espagne sur le sol africain,
1240
les canons de Ferdinanda et d’Elda,
1241
—Hector, pour l’un, Achille, pour l’autre,
1242
tous deux dignes d’être chantés
1243
par les cygnes espagnols—,
1244
crachent le plomb et la poudre,
1245
une fois les proues des galères sur le rivage
1246
ventre à terre, comme les hypocrites.
1247
Les idolâtres de la Mecque
1248
n’attendent pas nos rafraîchissements
1249
conservés en barils!
1250
À nos souhaits de bonne santé,
1251
ils n’osent riposter
1252
et fuient à la débandade,
1253
abandonnant sur la plage
1254
éclaboussée de leur sang vil,
1255
sous la volée de nos battes,
1256
mille Arabes morts.
1257
Quand ils entrent sans résistance,
1258
dans le fort, faible à ce moment,
1259
les bienheureux Espagnols
1260
aperçoivent, ses habitants,
1261
tout craintifs, des pirates
1262
à la nuque raide,
1263
que leurs épées rougissent
1264
de leur sang impur.
1265
Ceux qui furent hier des Hercule,
1266
se transforment alors en maçons
1267
et commencent des fortifications
1268
pour servir d’éternelle commémoration.
1269
Contre plus de deux cents mille Maures,
1270
les nôtres, peu nombreux, résistent.
1271
Rien d’étonnant, là où
1272
s’activent des troupes espagnoles!
1273
Ils se battent tout en travaillant;
1274
de la main droite, ils manient l’épée;
1275
de la gauche, talochent chaux et sable
1276
alternant coups d’éclats et coups de pioches, l
1277
tout à la fois capitaines
1278
et maîtres d’ouvrage,
1279
en démonstration de leur vaillance,
1280
Des Arabes du sud nous encerclent
1281
sous une nuée de flèches,
1282
pensant obtenir par la faim
1283
la reddition de nos soldats.
1284
Alors, le vaillant Fajardo
1285
écrit au roi d’Espagne
1286
ce qui se passe et
1287
lui demande des renforts
1288
pour s’assurer de la victoire.
1289
L’Andalousie offre sur le champ
1290
ses fils fougueux qui prient
1291
la mer, tandis qu’on leur fournit des navires,
1292
que ses dauphins leur ouvrent le passage.
1293
Alors, la Bétique toute entière,
1294
jusqu’aux fils d’Ulysse,
1295
s’en va en renforts rapides,
1296
pareille à des tigres traquant leur proie.
1297
La nouvelle arrive à la cour
1298
et pour que ces prémices si favorables
1299
ne se terminent pas en tragédie,
1300
notre monarque fait savoir
1301
la stratégie choisie: que ses courtisans
1302
aillent au secours de la Mamora.
1303
À peine le roi
1304
a-t-il signifié sa volonté
1305
divine, sans rien dire,
1306
qu’ils laissent là,
1307
leurs défis amoureux,
1308
offrandes au dieu de Chypre
1309
qui incendie
1310
le cœur des hommes
1311
de ses flammes mortelles.
1312
Mille preux de nobles lignages
1313
troquent la harpe
1314
pour le clairon et le tambour,
1315
dont les sons font
1316
hennir leurs hippogriffes;
1317
mille soldats amoureux
1318
dont la paix aime à célébrer
1319
les exploits, en vers mal écrits
1320
dans des livres, mal vendus,
1321
s’éveillent au tumulte des armes
1322
et leur épée passée à la ceinture
1323
sort toute seule de l’étui
1324
qui la protège.
1325
À leur tête, issu des Manrique,
1326
Maqueda, au nom fatidique,
1327
lié, par sa mère,
1328
aux Cardenas. J’eus l’honneur
1329
de me joindre à eux
1330
et de les suivre, car
1331
il est naturel qu’un tel chef
1332
suscite de nobles désirs.
1333
Nous arrivons promptement,
1334
à la Mamora, où nous reçoivent
1335
leurs soldats aussi heureux
1336
que leurs ennemis sont abattus.
1337
Lors de diverses escarmouches
1338
l’Espagne atteste la supériorité
1339
de sa race sur les Africains
1340
jusqu’à ce lundi faste,
1341
quand l’aube pleure et rit,
1342
parce que le soleil dore
1343
ses œillets et ses jasmins.
1344
Un chef maure, qui refuse
1345
le triomphe de l’Espagne
1346
sur l’Afrique, dresse des croix.
1347
Il commande à tous les Maures,
1348
entre autres affronts,
1349
d’accrocher à leur épaule
1350
des quenouilles,
1351
au lieu de cimeterres.
1352
Il saisit une alezane
1353
plus rapide que le vent
1354
et une pique à deux pointes
1355
souple, comme l’osier.
1356
Il donne l’assaut,
1357
et fonce en tête
1358
sur les murs qu’on élève,
1359
plus défendus que solides.
1360
Il met pied à terre et grimpe
1361
pour saisir la lance
1362
le long de la palissade,
1363
sous les huées de tous les nôtres:
1364
« À mort le Maure impudent! » .
1365
De la main gauche, il détache
1366
une bannière céleste
1367
à trois lunes qui représente
1368
la rage d’un amour déclinant.
1369
Avec une rapidité incroyable,
1370
il jette la croix rouge,
1371
emblème du courage espagnol,
1372
par-dessus le mur,
1373
et fixe, tout en haut, les lunes viles
1374
qu’il brandit en étendard.
1375
Puis, une fois redescendu, il déclare:
1376
« Quiconque veut venger
1377
cet affront et voir libre
1378
la croix que, malgré l’Espagne,
1379
Allah met à mes pieds,
1380
qu’il vienne!
1381
Je lui laisse une bonne échelle,
1382
pour que la renommée immortalise
1383
son nom glorieux, non pas retranché,
1384
mais au combat! »
1385
Un de nos braves, deux fois héros,
1386
entend ces mots arrogants
1387
que le Maure répète à haute voix.
1388
Tout en édifiant le mur, il l’invective
1389
et lui lance une pierre;
1390
le tir est si bien ajusté
1391
qu’il lui fend le crâne,
1392
et le monde, de voir deux David!
1393
Il descend alors ramasser la lance
1394
et, pour lui rendre la monnaie,
1395
tranche, de son coutelas,
1396
la tête de l’infidèle.
1397
Il relève la croix à terre
1398
sous une pluie de flèches
1399
et se couvre les épaules
1400
de son trophée sacré.
1401
La meute l’encercle et,
1402
tandis qu’il fait front,
1403
des salves de bronze
1404
s’abattent en cadence.
1405
Comme des poules mouillées,
1406
les Arabes déguerpissent,
1407
chassés par les chrétiens victorieux.
1408
La campagne se vide;
1409
le son rauque des tambours,
1410
fait place à des fifres mélodieux,
1411
et, remplis d’allégresse,
1412
on rentre au fort en triomphe.
1413
Alors, le grand Fajardo distribue
1414
les trophées, qu’à ses pieds
1415
le Maure sacrilège a déposés.
1416
À la vue des nobles héros,
1417
qui partaient, je voulus les suivre.
1418
Avec ma part du butin,
1419
soit deux mille sequins maures,
1420
je suis venu vous rapporter
1421
la nouvelle de cette victoire
1422
et vous serrer dans mes bras.