Jean Racine

Andromaque, tragédie





Texto utilizado para esta edición digital:
Racine, Jean. Andromaque, tragédie. Texte établie par Paul Fièvre, avril 2006. Publié par Paul Fièvre, Mai 2006, revu décembre 2013, revu juin 2019. Théâtre Classique, 2022. [2023-01-10] http://theatre-classique.fr/index.html
Encodage du texte numérique pour EMOTHE:
  • Hueso Fibla, Silvia

Note sur cette édition numérique

Cette publication fait partie du projet I+D+i "Théâtre espagnol et européen des XVIe et XVIIe siècleS: patrimoine et base de données" référence PID2019-104045GB-C54 (acronyme EMOTHE), financé par MICIN/AEI/10.13039/501100011033

La bibliothèque numérique EMOTHE remercie Paul Fièvre et Théâtre Classique pour l'autorisation de reproduire leur texte.

© Théâtre classique


À MADAME


MADAME,
Ce n'est pas sans sujet que je mets votre illustre nom à la tête de cet ouvrage. Et de quel autre nom pourrais-je éblouir les yeux de mes lecteurs, que de celui dont mes spectateurs ont été si heureusement éblouis ? On savait que VOTRE ALTESSE ROYALE avait daigné prendre soin de la conduite de ma tragédie ; on savait que vous m'aviez prêté quelques-unes de vos lumières pour y ajouter de nouveaux ornements ; on savait enfin que vous l'aviez honorée de quelques larmes dès la première lecture que je vous en fis. Pardonnez-moi, MADAME, si j'ose me vanter de cet heureux commencement de sa destinée. Il me console bien glorieusement de la dureté de ceux qui ne voudraient pas s'en laisser toucher. Je leur permets de condamner l'Andromaque tant qu'ils voudront, pourvu qu'il me soit permis d'appeler de toutes les subtilités de leur esprit au coeur de VOTRE ALTESSE ROYALE.
Mais, Madame, ce n'est pas seulement du coeur que vous jugez de la bonté d'un ouvrage, c'est avec une intelligence qu'aucune fausse lueur ne saurait tromper. Pouvons-nous mettre sur la scène une histoire que vous ne possédiez aussi bien que nous ? Pouvons-nous faire jouer une intrigue dont vous ne pénétriez tous les ressorts ? Et pouvons-nous concevoir des sentiments si nobles et si délicats qui ne soient infiniment au-dessous de la noblesse et de la délicatesse de vos pensées ?
On sait, MADAME, et VOTRE ALTESSE ROYALE a beau s'en cacher, que, dans ce haut degré de gloire où la Nature et la Fortune ont pris plaisir de vous élever, vous ne dédaignez pas cette gloire obscure que les gens de lettres s'étaient réservée. Et il semble que vous ayez voulu avoir autant d'avantage sur notre sexe, par les connaissances et par la solidité de votre esprit, que vous excellez dans le vôtre par toutes les grâces qui vous environnent. La Cour vous regarde comme l'arbitre de tout ce qui se fait d'agréable. Et nous qui travaillons pour plaire au public, nous n'avons plus que faire de demander aux savants si nous travaillons selon les règles. La règle souveraine est de plaire à VOTRE ALTESSE ROYALE.
Voilà sans doute la moindre de vos excellentes qualités. Mais, MADAME, c'est la seule dont j'ai pu parler avec quelque connaissance ; les autres sont trop élevées au-dessus de moi. Je n'en puis parler sans les rabaisser par la faiblesse de mes pensées, et sans sortir de la profonde vénération avec laquelle je suis,
MADAME, DE VOTRE ALTESSE ROYALE, Le très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur,
RACINE.




Acteurs

Andromaque, Veuve d'Hector, captive de Pyrrhus
Pyrrus, Fils d'Achille roi d'Épire
Oreste, Fils d'Agamemnon
Hermione, Fille d'Hélène, accordée avec Pyrrhus
Pylade, Ami d’Oreste
Cléone, Confidente d'Hermione
Céphise, Confidente d'Andromaque
Phoenix, Gouverneur d'Achille, et ensuite de Pyrrhus

ACTE I

SCÈNE PREMIÈRE.

Oreste, Pylade.

ORESTE
1
Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle,
2
Ma fortune va prendre une face nouvelle :
3
Et déjà son courroux semble s'être adouci,
4
Depuis qu'elle a pris soin de nous rejoindre ici.
5
Qui l'eût dit ? Qu'un rivage à mes voeux si funeste,
6
Présenterait d'abord Pylade aux yeux d'Oreste ;
7
Qu'après plus de six mois que je t'avais perdu,
8
À la Cour de Pyrrhus tu me serais rendu ?

PYLADE
9
J'en rends grâces au Ciel, qui m'arrêtant sans cesse,
10
Semblait m'avoir fermé le chemin de la Grèce,
11
Depuis le jour fatal que la fureur des eaux
12
Presque aux yeux de l'Épire, écarta nos vaisseaux.
13
Combien dans cet exil ai-je souffert d'alarmes,
14
Combien à vos malheurs ai-je donné de larmes ?
15
Craignant toujours pour vous quelque nouveau danger,
16
Que ma triste amitié ne pouvait partager.
17
Surtout je redoutais cette mélancolie
18
Où j'ai vu si longtemps votre âme ensevelie.
19
Je craignais que le Ciel, par un cruel secours,
20
Ne vous offrît la mort, que vous cherchiez toujours.
21
Mais je vous vois, Seigneur, et si j'ose le dire,
22
Un destin plus heureux vous conduit en Épire.
23
Le pompeux appareil qui suit ici vos pas,
24
N'est point d'un malheureux qui cherche le trépas.

ORESTE.
25
Hélas ! Qui peut savoir le destin qui m'amène ?
26
L'amour me fait ici chercher une inhumaine.
27
Mais qui sait ce qu'il doit ordonner de mon sort,
28
Et si je viens chercher, ou la vie, ou la mort ?

PYLADE
29
Quoi ! Votre âme à l'amour en esclave asservie,
30
Se repose sur lui du soin de votre vie ?
31
Par quel charme, oubliant tant de tourments soufferts,
32
Pouvez-vous consentir à rentrer dans ses fers ?
33
Pensez-vous qu'Hermione, à Sparte inexorable,
34
Vous prépare en Épire un sort plus favorable ?
35
Honteux d'avoir poussé tant de voeux superflus,
36
Vous l'abhorriez. Enfin, vous ne m'en parliez plus.
37
Vous me trompiez, Seigneur.

ORESTE
Je me trompais moi-même.
38
Ami, n'accable point un malheureux qui t'aime.
39
T'ai-je jamais caché mon coeur et mes désirs?
40
Tu vis naître ma flamme et mes premiers soupirs.
41
Enfin quand Ménélas disposa de sa fille
42
En faveur de Pyrrhus, vengeur de sa famille,
43
Tu vis mon désespoir, et tu m'as vu depuis
44
Traîner de mers en mers ma chaîne et mes ennuis.
45
Je te vis à regret en cet état funeste,
46
Prêt à suivre partout le déplorable Oreste,
47
Toujours de ma fureur interrompre le cours,
48
Et de moi-même enfin me sauver tous les jours.
49
Mais quand je me souvins, que parmi tant d'alarmes
50
Hermione à Pyrrhus prodiguait tous ses charmes,
51
Tu sais de quel courroux mon coeur alors épris
52
Voulut, en l'oubliant, punir tous ses mépris.
53
Je fis croire, et je crus ma victoire certaine.
54
Je pris tous mes transports pour des transports de haine ;
55
Détestant ses rigueurs, rabaissant ses attraits,
56
Je défiais ses yeux de me troubler jamais.
57
Voilà comme je crus étouffer ma tendresse.
58
En ce calme trompeur j'arrivai dans la Grèce ;
59
Et je trouvai d'abord ses princes rassemblés,
60
Qu'un péril assez grand semblait avoir troublés.
61
J'y courus. Je pensai que la guerre, et la gloire,
62
De soins plus importants rempliraient ma mémoire ;
63
Que mes sens reprenant leur première vigueur,
64
L'amour achèverait de sortir de mon coeur.
65
Mais admire avec moi le sort dont la poursuite
66
Me fait courir alors au piège que j'évite.
67
J'entends de tous côtés qu'on menace Pyrrhus.
68
Toute la Grèce éclate en murmures confus.
69
On se plaint qu'oubliant son sang, et sa promesse,
70
Il élève en sa Cour l'ennemi de la Grèce,
71
Astyanax, d'Hector jeune et malheureux fils,
72
Reste de tant de rois sous Troie ensevelis.
73
J'apprends que pour ravir son enfance au supplice,
74
Andromaque trompa l'ingénieux Ulysse,
75
Tandis qu'un autre enfant arraché de ses bras,
76
Sous le nom de son fils fut conduit au trépas.
77
On dit, que peu sensible aux charmes d'Hermione,
78
Mon rival porte ailleurs son coeur et sa couronne ;
79
Ménélas, sans le croire, en paraît affligé,
80
Et se plaint d'un hymen si longtemps négligé.
81
Parmi les déplaisirs où son âme se noie,
82
Il s'élève en la mienne une secrète joie.
83
Je triomphe ; et pourtant je me flatte d'abord
84
Que la seule vengeance excite ce transport.
85
Mais l'ingrate en mon coeur reprit bientôt sa place,
86
De mes feux mal éteints je reconnus la trace,
87
Je sentis que ma haine allait finir son cours,
88
Ou plutôt je sentis que je l'aimais toujours.
89
Ainsi de tous les Grecs je brigue le suffrage.
90
On m'envoie à Pyrrhus. J'entreprends ce voyage.
91
Je viens voir si l'on peut arracher de ses bras
92
Cet enfant, dont la vie alarme tant d'États.
93
Heureux si je pouvais dans l'ardeur qui me presse,
94
Au lieu d'Astyanax lui ravir ma princesse !
95
Car enfin n'attends pas que mes feux redoublés,
96
Des périls les plus grands puissent être troublés.
97
Puisque après tant d'efforts ma résistance est vaine,
98
Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne,
99
J'aime, je viens chercher Hermione en ces lieux,
100
La fléchir, l'enlever, ou mourir à ses yeux.
101
Toi qui connais Pyrrhus, que penses-tu qu'il fasse ?
102
Dans sa Cour, dans son coeur, dis-moi ce qui se passe.
103
Mon Hermione encor le tient-elle asservi ?
104
Me rendra-t-il, Pylade, un bien qu'il m'a ravi ?

PYLADE
105
Je vous abuserais, si j'osais vous promettre
106
Qu'entre vos mains, Seigneur, il voulût la remettre.
107
Non que de sa conquête il paraisse flatté.
108
Pour la veuve d'Hector ses feux ont éclaté.
109
Il l'aime. Mais enfin cette veuve inhumaine
110
N'a payé jusqu'ici son amour que de haine ;
111
Et chaque jour encore on lui voit tout tenter,
112
Pour fléchir sa captive, ou pour l'épouvanter.
113
De son fils, qu'il lui cache, il menace la tête,
114
Et fait couler des pleurs, qu'aussitôt il arrête.
115
Hermione elle-même a vu plus de cent fois
116
Cet amant irrité revenir sous ses lois,
117
Et de ses voeux troublés lui rapportant l'hommage,
118
Soupirer à ses pieds moins d'amour que de rage.
119
Ainsi n'attendez pas, que l'on puisse aujourd'hui
120
Vous répondre d'un coeur si peu maître de lui.
121
Il peut, Seigneur, il peut dans ce désordre extrême,
122
Épouser ce qu'il hait et punir ce qu'il aime.

ORESTE
123
Mais dis-moi, de quel oeil Hermione peut voir
124
Son hymen différé, ses charmes sans pouvoir ?

PYLADE
125
Hermione, Seigneur, au moins en apparence,
126
Semble de son amant dédaigner l'inconstance,
127
Et croit que trop heureux de fléchir sa rigueur,
128
Il la viendra presser de reprendre son coeur.
129
Mais je l'ai vue enfin me confier ses larmes.
130
Elle pleure en secret le mépris de ses charmes.
131
Toujours prête à partir, et demeurant toujours,
132
Quelquefois elle appelle Oreste à son secours.

ORESTE
133
Ah ! Si je le croyais, j'irais bientôt, Pylade,
134
Me jeter...

PYLADE
Achevez, Seigneur, votre ambassade.
135
Vous attendez le Roi. Parlez, et lui montrez
136
Contre le fils d'Hector tous les Grecs conjurés.
137
Loin de leur accorder ce fils de sa maîtresse,
138
Leur haine ne fera qu'irriter sa tendresse.
139
Plus on les veut brouiller, plus on va les unir.
140
Pressez. Demandez tout, pour ne rien obtenir.
141
Il vient.

ORESTE
Hé bien, va donc disposer la cruelle
142
À revoir un amant qui ne vient que pour elle.

SCÈNE II.

Pyrrhus, Oreste, Phoenix.

ORESTE
143
Avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix,
144
Souffrez que j'ose ici me flatter de leur choix,
145
Et qu'à vos yeux, Seigneur, je montre quelque joie
146
De voir le fils d'Achille, et le vainqueur de Troie.
147
Oui. Comme ses exploits, nous admirons vos coups ;
148
Hector tomba sous lui ; Troie expira sous vous ;
149
Et vous avez montré, par une heureuse audace,
150
Que le fils seul d'Achille a pu remplir sa place.
151
Mais ce qu'il n'eût point fait la Grèce avec douleur
152
Vous voit du sang troyen relever le malheur,
153
Et vous laissant toucher d'une pitié funeste,
154
D'une guerre si longue entretenir le reste.
155
Ne vous souvient-il plus, Seigneur, quel fut Hector ?
156
Nos peuples affaiblis s'en souviennent encor.
157
Son nom seul fait frémir nos veuves, et nos filles,
158
Et dans toute la Grèce, il n'est point de familles,
159
Qui ne demandent compte à ce malheureux fils,
160
D'un père, ou d'un époux, qu'Hector leur a ravis.
161
Et qui sait ce qu'un jour ce fils peut entreprendre ?
162
Peut-être dans nos ports nous le verrons descendre,
163
Tel qu'on a vu son père embraser nos vaisseaux,
164
Et la flamme à la main, les suivre sur les eaux.
165
Oserai-je, Seigneur, dire ce que je pense ?
166
Vous-même de vos soins craignez la récompense,
167
Et que dans votre sein ce serpent élevé
168
Ne vous punisse un jour de l'avoir conservé.
169
Enfin, de tous les Grecs satisfaites l'envie,
170
Assurez leur vengeance, assurez votre vie.
171
Perdez un ennemi d'autant plus dangereux,
172
Qu'il s'essaiera sur vous à combattre contre eux.

PYRRHUS
173
La Grèce en ma faveur est trop inquiétée,
174
De soins plus importants je l'ai crue agitée,
175
Seigneur, et sur le nom de son ambassadeur,
176
J'avais dans ses projets conçu plus de grandeur.
177
Qui croirait en effet, qu'une telle entreprise
178
Du fils d'Agamemnon méritât l'entremise ;
179
Qu'un peuple tout entier, tant de fois triomphant,
180
N'eût daigné conspirer que la mort d'un enfant ?
181
Mais à qui prétend-on que je le sacrifie ?
182
La Grèce a-t-elle encor quelque droit sur sa vie ?
183
Et seul de tous les Grecs ne m'est-il pas permis
184
D'ordonner d'un captif que le sort m'a soumis ?
185
Oui, Seigneur, lorsqu'au pied des murs fumants de Troie,
186
Les vainqueurs tout sanglants partagèrent leur proie,
187
Le sort, dont les arrêts furent alors suivis,
188
Fit tomber en mes mains Andromaque et son fils.
189
Hécube, près d'Ulysse, acheva sa misère ;
190
Cassandre, dans Argos, a suivi votre père.
191
Sur eux, sur leurs captifs, ai-je étendu mes droits ?
192
Ai-je enfin disposé du fruit de leurs exploits ?
193
On craint, qu'avec Hector Troie un jour ne renaisse :
194
Son fils peut me ravir le jour que je lui laisse.
195
Seigneur, tant de prudence entraîne trop de soin.
196
Je ne sais point prévoir les malheurs de si loin.
197
Je songe quelle était autrefois cette ville :
198
Si superbe en remparts, en héros si fertile,
199
Maîtresse de l'Asie, et je regarde enfin
200
Quel fut le sort de Troie, et quel est son destin.
201
Je ne vois que des tours, que la cendre a couvertes,
202
Un fleuve teint de sang, des campagnes désertes,
203
Un enfant dans les fers, et je ne puis songer
204
Que Troie en cet état aspire à se venger.
205
Ah ! Si du fils d'Hector la perte était jurée,
206
Pourquoi d'un an entier l'avons-nous différée ?
207
Dans le sein de Priam n'a-t-on pu l'immoler ?
208
Sous tant de morts, sous Troie il fallait l'accabler.
209
Tout était juste alors. La vieillesse et l'enfance
210
En vain sur leur faiblesse appuyaient leur défense.
211
La victoire et la nuit, plus cruelles que nous,
212
Nous excitaient au meurtre, et confondaient nos coups.
213
Mon courroux aux vaincus ne fut que trop sévère.
214
Mais que ma cruauté survive à ma colère ?
215
Que malgré la pitié dont je me sens saisir,
216
Dans le sang d'un enfant je me baigne à loisir ?
217
Non, Seigneur. Que les Grecs cherchent quelque autre proie,
218
Qu'ils poursuivent ailleurs ce qui reste de Troie,
219
De mes inimitiés le cours est achevé,
220
L'Épire sauvera ce que Troie a sauvé.

ORESTE
221
Seigneur, vous savez trop, avec quel artifice
222
Un faux Astyanax fut offert au supplice,
223
Où le seul fils d'Hector devait être conduit.
224
Ce n'est pas les Troyens, c'est Hector qu'on poursuit.
225
Oui, les Grecs sur le fils persécutent le père.
226
Il a par trop de sang acheté leur colère.
227
Ce n'est que dans le sien qu'elle peut expirer,
228
Et jusque dans l'Épire il les peut attirer.
229
Prévenez-les.

PYRRHUS
Non, non. J'y consens avec joie.
230
Qu'ils cherchent dans l'Épire une seconde Troie.
231
Qu'ils confondent leur haine, et ne distinguent plus
232
Le sang qui les fit vaincre, et celui des vaincus.
233
Aussi bien ce n'est pas la première injustice,
234
Dont la Grèce, d'Achille a payé le service.
235
Hector en profita, Seigneur, et quelque jour
236
Son fils en pourrait bien profiter à son tour.

ORESTE
237
Ainsi la Grèce en vous trouve un enfant rebelle ?

PYRRHUS
238
Et je n'ai donc vaincu que pour dépendre d'elle ?

ORESTE
239
Hermione, Seigneur, arrêtera vos coups ;
240
Ses yeux s'opposeront entre son père et vous.

PYRRHUS
241
Hermione, Seigneur, peut m'être toujours chère,
242
Je puis l'aimer, sans être esclave de son père.
243
Et je saurai peut-être accorder quelque jour
244
Les soins de ma grandeur, et ceux de mon amour.
245
Vous pouvez cependant voir la fille d'Hélène.
246
Du sang qui vous unit je sais l'étroite chaîne.
247
Après cela, Seigneur, je ne vous retiens plus,
248
Et vous pourrez aux Grecs annoncer mon refus.

SCÈNE III.

Pyrrhus, Phoenix.

PHOENIX
249
Ainsi vous l'envoyez aux pieds de sa maîtresse ?

PYRRHUS
250
On dit qu'il a longtemps brûlé pour la princesse.

PHOENIX
251
Mais si ce feu, Seigneur, vient à se rallumer,
252
S'il lui rendait son coeur, s'il s'en faisait aimer !

PYRRHUS
253
Ah ! Qu'ils s'aiment, Phoenix, j'y consens. Qu'elle parte.
254
Que charmés l'un de l'autre, ils retournent à Sparte.
255
Tous nos ports sont ouverts et pour elle et pour lui.
256
Qu'elle m'épargnerait de contrainte et d'ennui !

PHOENIX
257
Seigneur...

PYRRHUS
Une autre fois je t'ouvrirai mon âme,
258
Andromaque paraît.

SCÈNE IV.

Pyrrhus, Andromaque, Céphise.

PYRRHUS
Me cherchiez-vous, Madame ?
259
Un espoir si charmant me serait-il permis ?

ANDROMAQUE
260
Je passais jusqu'aux lieux, où l'on garde mon fils.
261
Puisqu'une fois le jour vous souffrez que je voie
262
Le seul bien qui me reste, et d'Hector et de Troie,
263
J'allais, Seigneur, pleurer un moment avec lui,
264
Je ne l'ai point encore embrassé d'aujourd'hui.

PYRRHUS
265
Ah, Madame ! Les Grecs, si j'en crois leurs alarmes,
266
Vous donneront bientôt d'autres sujets de larmes.

ANDROMAQUE
267
Et quelle est cette peur dont leur coeur est frappé,
268
Seigneur ? Quelque Troyen vous est-il échappé ?

PYRRHUS
269
Leur haine pour Hector n'est pas encore éteinte.
270
Ils redoutent son fils.

ANDROMAQUE
Digne objet de leur crainte !
271
Un enfant malheureux, qui ne sait pas encor
272
Que Pyrrhus est son maître, et qu'il est fils d'Hector.

PYRRHUS
273
Tel qu'il est, tous les Grecs demandent qu'il périsse.
274
Le fils d'Agamemnon vient hâter son supplice.

ANDROMAQUE
275
Et vous prononcerez un arrêt si cruel ?
276
Est-ce mon intérêt qui le rend criminel ?
277
Hélas ! On ne craint point qu'il venge un jour son père.
278
On craint qu'il n'essuyât les larmes de sa mère.
279
Il m'aurait tenu lieu d'un père, et d'un époux.
280
Mais il me faut tout perdre, et toujours par vos coups.

PYRRHUS
281
Madame, mes refus ont prévenu vos larmes.
282
Tous les Grecs m'ont déjà menacé de leurs armes ;
283
Mais dussent-ils encore, en repassant les eaux,
284
Demander votre fils, avec mille vaisseaux :
285
Coûtât-il tout le sang qu'Hélène a fait répandre,
286
Dussé-je après dix ans voir mon palais en cendre,
287
Je ne balance point, je vole à son secours,
288
Je défendrai sa vie aux dépens de mes jours.
289
Mais parmi ces périls, où je cours pour vous plaire,
290
Me refuserez-vous un regard moins sévère ?
291
Haï de tous les Grecs, pressé de tous côtés,
292
Me faudra-t-il combattre encor vos cruautés ?
293
Je vous offre mon bras. Puis-je espérer encore
294
Que vous accepterez un coeur qui vous adore ?
295
En combattant pour vous, me sera-t-il permis
296
De ne vous point compter parmi mes ennemis ?

ANDROMAQUE
297
Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce ?
298
Faut-il qu'un si grand coeur montre tant de faiblesse ?
299
Voulez-vous qu'un dessein si beau, si généreux,
300
Passe pour le transport d'un esprit amoureux ?
301
Captive, toujours triste, importune à moi-même,
302
Pouvez-vous souhaiter qu'Andromaque vous aime ?
303
Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés,
304
Qu'à des pleurs éternels vous avez condamnés ?
305
Non, non, d'un ennemi respecter la misère,
306
Sauver des malheureux, rendre un fils à sa mère,
307
De cent peuples pour lui combattre la rigueur,
308
Sans me faire payer son salut de mon coeur,
309
Malgré moi, s'il le faut, lui donner un asile,
310
Seigneur, voilà des soins dignes du fils d'Achille.

PYRRHUS
311
Hé quoi ? Votre courroux n'a-t-il pas eu son cours ?
312
Peut-on haïr sans cesse ? Et punit-on toujours ?
313
J'ai fait des malheureux, sans doute, et la Phrygie
314
Cent fois de votre sang a vu ma main rougie.
315
Mais que vos yeux sur moi se sont bien exercés !
316
Qu'ils m'ont vendu bien cher les pleurs qu'ils ont versés !
317
De combien de remords m'ont-ils rendu la proie ?
318
Je souffre tous les maux que j'ai faits devant Troie.
319
Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé,
320
Brûlé de plus de feux que je n'en allumai,
321
Tant de soins, tant de pleurs, tant d'ardeurs inquiètes...
322
Hélas ! Fus-je jamais si cruel que vous l'êtes !
323
Mais enfin, tour à tour, c'est assez nous punir.
324
Nos ennemis communs devraient nous réunir.
325
Madame, dites-moi seulement que j'espère,
326
Je vous rends votre fils, et je lui sers de père.
327
Je l'instruirai moi-même à venger les Troyens.
328
J'irai punir les Grecs de vos maux et des miens.
329
Animé d'un regard, je puis tout entreprendre.
330
Votre Ilion encor peut sortir de sa cendre.
331
Je puis, en moins de temps que les Grecs ne l'ont pris,
332
Dans ses murs relevés couronner votre fils.

ANDROMAQUE
333
Seigneur, tant de grandeurs ne nous touchent plus guère.
334
Je les lui promettais tant qu'a vécu son père.
335
Non, vous n'espérez plus de nous revoir encor,
336
Sacrés murs, que n'a pu conserver mon Hector.
337
À de moindres faveurs des malheureux prétendent,
338
Seigneur. C'est un exil que mes pleurs vous demandent.
339
Souffrez que loin des Grecs, et même loin de vous,
340
J'aille cacher mon fils, et pleurer mon époux.
341
Votre amour contre nous allume trop de haine.
342
Retournez, retournez à la fille d'Hélène.

PYRRHUS
343
Et le puis-je, Madame ? Ah, que vous me gênez !
344
Comment lui rendre un coeur que vous me retenez ?
345
Je sais que de mes voeux on lui promit l'empire.
346
Je sais que pour régner elle vint dans l'Épire.
347
Le sort vous y voulut l'une et l'autre amener,
348
Vous pour porter des fers, elle pour en donner.
349
Cependant ai-je pris quelque soin de lui plaire ?
350
Et ne dirait-on pas, en voyant au contraire,
351
Vos charmes tout-puissants, et les siens dédaignés,
352
Qu'elle est ici captive, et que vous y régnez ?
353
Ah ! Qu'un seul des soupirs, que mon coeur vous envoie,
354
S'il s'échappait vers elle, y porterait de joie !

ANDROMAQUE
355
Et pourquoi vos soupirs seraient-ils repoussés ?
356
Aurait-elle oublié vos services passés ?
357
Troie, Hector, contre vous révoltent-ils son âme ?
358
Aux cendres d'un époux doit-elle enfin sa flamme ?
359
Et quel époux encore ! Ah souvenir cruel !
360
Sa mort seule a rendu votre père immortel.
361
Il doit au sang d'Hector tout l'éclat de ses armes ;
362
Et vous n'êtes tous deux connus que par mes larmes.

PYRRHUS
363
Hé bien, Madame, hé bien, il faut vous obéir.
364
Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr.
365
Oui, mes voeux ont trop loin poussé leur violence,
366
Pour ne plus s'arrêter que dans l'indifférence.
367
Songez-y bien. Il faut désormais que mon coeur
368
S'il n'aime avec transport, haïsse avec fureur.
369
Je n'épargnerai rien dans ma juste colère.
370
Le fils me répondra des mépris de la mère,
371
La Grèce le demande, et je ne prétends pas
372
Mettre toujours ma gloire à sauver des ingrats.

ANDROMAQUE
373
Hélas ! Il mourra donc. Il n'a pour sa défense,
374
Que les pleurs de sa mère, et que son innocence.
375
Et peut-être après tout, en l'état où je suis,
376
Sa mort avancera la fin de mes ennuis.
377
Je prolongeais pour lui ma vie, et ma misère.
378
Mais enfin sur ses pas j'irai revoir son père.
379
Ainsi, tous trois, Seigneur, par vos soins réunis,
380
Nous vous...

PYRRHUS
Allez, Madame, allez voir votre fils.
381
Peut-être en le voyant, votre amour plus timide
382
Ne prendra pas toujours sa colère pour guide.
383
Pour savoir nos destins, j'irai vous retrouver.
384
Madame, en l'embrassant, songez à le sauver.


ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.

Hermione, Cléone.

HERMIONE
385
Je fais ce que tu veux. Je consens qu'il me voie,
386
Je lui veux bien encore accorder cette joie.
387
Pylade va bientôt conduire ici ses pas.
388
Mais si je m'en croyais, je ne le verrais pas.

CLÉONE
389
Et qu'est-ce que sa vue a pour vous de funeste ?
390
Madame, n'est-ce pas toujours le même Oreste,
391
Dont vous avez cent fois souhaité le retour,
392
Et dont vous regrettiez la constance et l'amour ?

HERMIONE
393
C'est cet amour payé de trop d'ingratitude,
394
Qui me rend en ces lieux sa présence si rude.
395
Quelle honte pour moi ! Quel triomphe pour lui,
396
De voir mon infortune égaler son ennui !
397
Est-ce là, dira-t-il, cette fière Hermione ?
398
Elle me dédaignait, un autre l'abandonne.
399
L'ingrate qui mettait son coeur à si haut prix,
400
Apprend donc à son tour à souffrir des mépris ?
401
Ah dieux !

CLÉONE
Ah ! Dissipez ces indignes alarmes.
402
Il a trop bien senti le pouvoir de vos charmes.
403
Vous croyez qu'un amant vienne vous insulter ?
404
Il vous rapporte un coeur qu'il n'a pu vous ôter.
405
Mais vous ne dites point ce que vous mande un père.

HERMIONE
406
Dans ses retardements si Pyrrhus persévère,
407
À la mort du Troyen s'il ne veut consentir,
408
Mon père avec les Grecs m'ordonne de partir.

CLÉONE
409
Hé bien, Madame, hé bien, écoutez donc Oreste.
410
Pyrrhus a commencé, faites au moins le reste.
411
Pour bien faire, il faudrait que vous le prévinssiez.
412
Ne m'avez-vous pas dit que vous le haïssiez ?

HERMIONE
413
Si je le hais Cléone ? Il y va de ma gloire,
414
Après tant de bontés dont il perd la mémoire.
415
Lui qui me fut si cher, et qui m'a pu trahir.
416
Ah ! Je l'ai trop aimé pour ne le point haïr.

CLÉONE
417
Fuyez-le donc, Madame. Et puisqu'on vous adore...

HERMIONE
418
Ah ! Laisse à ma fureur le temps de croître encore.
419
Contre mon ennemi laisse-moi m'assurer.
420
Cléone, avec horreur je m'en veux séparer.
421
Il n'y travaillera que trop bien, l'infidèle.

CLÉONE
422
Quoi ! Vous en attendez quelque injure nouvelle ?
423
Aimer une captive, et l'aimer à vos yeux,
424
Tout cela n'a donc pu vous le rendre odieux ?
425
Après ce qu'il a fait, que saurait-il donc faire ?
426
Il vous aurait déplu, s'il pouvait vous déplaire.

HERMIONE
427
Pourquoi veux-tu, Cruelle, irriter mes ennuis ?
428
Je crains de me connaître, en l'état où je suis.
429
De tout ce que tu vois tâche de ne rien croire.
430
Crois que je n'aime plus. Vante-moi ma victoire.
431
Crois que dans son dépit mon coeur est endurci,
432
Hélas ! Et s'il se peut, fais-le moi croire aussi.
433
Tu veux que je le fuie. Hé bien, rien ne m'arrête.
434
Allons. N'envions plus son indigne conquête.
435
Que sur lui sa captive étende son pouvoir.
436
Fuyons. Mais si l'ingrat rentrait dans son devoir !
437
Si la foi dans son coeur retrouvait quelque place !
438
S'il venait à mes pieds me demander sa grâce !
439
Si sous mes lois, Amour, tu pouvais l'engager,
440
S'il voulait !... Mais l'ingrat ne veut que m'outrager.
441
Demeurons toutefois, pour troubler leur fortune.
442
Prenons quelque plaisir à leur être importune.
443
Ou le forçant de rompre un noeud si solennel,
444
Aux yeux de tous les Grecs rendons-le criminel.
445
J'ai déjà sur le fils attiré leur colère.
446
Je veux qu'on vienne encor lui demander la mère.
447
Rendons-lui les tourments qu'elle me fait souffrir,
448
Qu'elle le perde, ou bien qu'il la fasse périr.

CLÉONE
449
Vous pensez que des yeux toujours ouverts aux larmes,
450
Se plaisent à troubler le pouvoir de vos charmes ?
451
Et qu'un coeur accablé de tant de déplaisirs,
452
De son persécuteur ait brigué les soupirs !
453
Voyez si sa douleur en paraît soulagée.
454
Pourquoi donc les chagrins où son âme est plongée ?
455
Contre un amant qui plaît pourquoi tant de fierté ?

HERMIONE
456
Hélas ! Pour mon malheur je l'ai trop écouté.
457
Je n'ai point du silence affecté le mystère.
458
Je croyais sans péril pouvoir être sincère.
459
Et sans armer mes yeux d'un moment de rigueur,
460
Je n'ai pour lui parler, consulté que mon coeur.
461
Et qui ne se serait comme moi déclarée,
462
Sur la foi d'une amour si saintement jurée ?
463
Me voyait-il de l'oeil qu'il me voit aujourd'hui ?
464
Tu t'en souviens encor, tout conspirait pour lui.
465
Ma famille vengée, et les Grecs dans la joie,
466
Nos vaisseaux tout chargés des dépouilles de Troie,
467
Les exploits de son père, effacés par les siens,
468
Ses feux que je croyais plus ardents que les miens,
469
Mon coeur, toi-même enfin de sa gloire éblouie,
470
Avant qu'il me trahît, vous m'avez tous trahie.
471
Mais c'en est trop, Cléone, et quel que soit Pyrrhus,
472
Hermione est sensible, Oreste a des vertus.
473
Il sait aimer du moins, et même sans qu'on l'aime ;
474
Et peut-être il saura se faire aimer lui-même.
475
Allons. Qu'il vienne enfin.

CLÉONE
Madame, le voici.

HERMIONE
476
Ah ! Je ne croyais pas qu'il fût si près d'ici.

SCÈNE II.

Hermione, Oreste, Cléone.

HERMIONE
477
Le croirai-je, Seigneur, qu'un reste de tendresse
478
Vous fasse ici chercher une triste princesse ?
479
Ou ne dois-je imputer qu'à votre seul devoir,
480
L'heureux empressement qui vous porte à me voir ?

ORESTE
481
Tel est de mon amour l'aveuglement funeste.
482
Vous le savez, Madame, et le destin d'Oreste
483
Est de venir sans cesse adorer vos attraits,
484
Et de jurer toujours qu'il n'y viendra jamais.
485
Je sais que vos regards vont rouvrir mes blessures,
486
Que tous mes pas vers vous sont autant de parjures,
487
Je le sais ; j'en rougis. Mais j'atteste les Dieux,
488
Témoins de la fureur de mes derniers adieux,
489
Que j'ai couru partout, où ma perte certaine
490
Dégageait mes serments, et finissait ma peine.
491
J'ai mendié la mort chez des peuples cruels
492
Qui n'apaisaient leurs dieux que du sang des mortels :
493
Ils m'ont fermé leur temple, et ces peuples barbares
494
De mon sang prodigué sont devenus avares.
495
Enfin je viens à vous ; et je me vois réduit
496
À chercher dans vos yeux une mort qui me fuit.
497
Mon désespoir n'attend que leur indifférence,
498
Ils n'ont qu'à m'interdire un reste d'espérance.
499
Ils n'ont pour avancer cette mort où je cours,
500
Qu'à me dire une fois ce qu'ils m'ont dit toujours.
501
Voilà depuis un an le seul soin qui m'anime.
502
Madame, c'est à vous de prendre une victime,
503
Que les Scythes auraient dérobée à vos coups,
504
Si j'en avais trouvé d'aussi cruels que vous.

HERMIONE
505
Quittez, Seigneur, quittez ce funeste langage.
506
À des soins plus pressants la Grèce vous engage.
507
Que parlez-vous du Scythe, et de mes cruautés ?
508
Songez à tous ces rois que vous représentez.
509
Faut-il que d'un transport leur vengeance dépende ?
510
Est-ce le sang d'Oreste enfin qu'on vous demande ?
511
Dégagez-vous des soins dont vous êtes chargé.

ORESTE
512
Les refus de Pyrrhus m'ont assez dégagé,
513
Madame, il me renvoie ; et quelque autre puissance
514
Lui fait du fils d'Hector embrasser la défense.

HERMIONE
515
L'infidèle !

ORESTE
516
Ainsi donc tout prêt à le quitter,
517
Sur mon propre destin je viens vous consulter.
518
Déjà même je crois entendre la réponse
519
Qu'en secret contre moi votre haine prononce.

HERMIONE
520
Hé quoi ? toujours injuste en vos tristes discours,
521
De mon inimitié vous plaindrez-vous toujours ?
522
Quelle est cette rigueur tant de fois alléguée ?
523
J'ai passé dans l'Épire où j'étais reléguée ;
524
Mon père l'ordonnait. Mais qui sait si depuis,
525
Je n'ai point en secret partagé vos ennuis ?
526
Pensez-vous avoir seul éprouvé des alarmes ?
527
Que l'Épire jamais n'ait vu couler mes larmes ?
528
Enfin, qui vous a dit, que malgré mon devoir,
529
Je n'ai pas quelquefois souhaité de vous voir ?

ORESTE
530
Souhaité de me voir ? Ah divine princesse...
531
Mais de grâce, est-ce à moi que ce discours s'adresse ?
532
Ouvrez vos yeux. Songez qu'Oreste est devant vous,
533
Oreste si longtemps l'objet de leur courroux.

HERMIONE
534
Oui, c'est vous dont l'amour naissant avec leurs charmes,
535
Leur apprit le premier le pouvoir de leurs armes,
536
Vous que mille vertus me forçaient d'estimer,
537
Vous que j'ai plaint, enfin que je voudrais aimer.

ORESTE
538
Je vous entends. Tel est mon partage funeste.
539
Le coeur est pour Pyrrhus et les voeux pour Oreste.

HERMIONE
540
Ah ! Ne souhaitez pas le destin de Pyrrhus,
541
Je vous haïrais trop.

ORESTE
Vous m'en aimeriez plus.
542
Ah ! Que vous me verriez d'un regard bien contraire !
543
Vous me voulez aimer, et je ne puis vous plaire ;
544
Et l'amour seul alors se faisant obéir,
545
Vous m'aimeriez, Madame, en me voulant haïr.
546
Ô dieux ! Tant de respects, une amitié si tendre...
547
Que de raisons pour moi, si vous pouviez m'entendre !
548
Vous seule pour Pyrrhus disputez aujourd'hui,
549
Peut-être malgré vous, sans doute malgré lui.
550
Car enfin il vous hait. Son âme ailleurs éprise
551
N'a plus...

HERMIONE
Qui vous l'a dit, Seigneur, qu'il me méprise ?
552
Ses regards, ses discours vous l'ont-ils donc appris ?
553
Jugez-vous que ma vue inspire des mépris ?
554
Qu'elle allume en un coeur des feux si peu durables ?
555
Peut-être d'autres yeux me sont plus favorables.

ORESTE
556
Poursuivez. Il est beau de m'insulter ainsi.
557
Cruelle, c'est donc moi qui vous méprise ici ?
558
Vos yeux n'ont pas assez éprouvé ma constance ?
559
Je suis donc un témoin de leur peu de puissance ?
560
Je les ai méprisés ? Ah ! Qu'ils voudraient bien voir
561
Mon rival, comme moi, mépriser leur pouvoir.

HERMIONE
562
Que m'importe, Seigneur, sa haine, ou sa tendresse ?
563
Allez contre un rebelle armer toute la Grèce.
564
Rapportez-lui le prix de sa rébellion.
565
Qu'on fasse de l'Épire un second Ilion.
566
Allez. Après cela, direz-vous que je l'aime ?

ORESTE
567
Madame, faites plus, et venez-y vous-même.
568
Voulez-vous demeurer pour otage en ces lieux ?
569
Venez dans tous les coeurs faire parler vos yeux.
570
Faisons de notre haine une commune attaque.

HERMIONE
571
Mais, Seigneur, cependant s'il épouse Andromaque ?

ORESTE
572
Hé Madame !

HERMIONE
Songez quelle honte pour nous,
573
Si d'une Phrygienne il devenait l'époux.

ORESTE
574
Et vous le haïssez ? Avouez-le, Madame,
575
L'amour n'est pas un feu qu'on renferme en une âme.
576
Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux,
577
Et les feux mal couverts n'en éclatent que mieux.

HERMIONE
578
Seigneur, je le vois bien, votre âme prévenue
579
Répand sur mes discours le venin qui la tue,
580
Toujours dans mes raisons cherche quelque détour,
581
Et croit qu'en moi la haine est un effort d'amour.
582
Il faut donc m'expliquer. Vous agirez ensuite.
583
Vous savez qu'en ces lieux mon devoir m'a conduite.
584
Mon devoir m'y retient, et je n'en puis partir,
585
Que mon père, ou Pyrrhus ne m'en fasse sortir.
586
De la part de mon père allez lui faire entendre,
587
Que l'ennemi des Grecs ne peut être son gendre.
588
Du Troyen, ou de moi, faites-le décider :
589
Qu'il songe qui des deux, il veut rendre, ou garder.
590
Enfin qu'il me renvoie, ou bien qu'il vous le livre.
591
Adieu, s'il y consent, je suis prête à vous suivre.

SCÈNE III.

ORESTE
592
(seul)
Oui, oui, vous me suivrez, n'en doutez nullement.
593
Je vous réponds déjà de son consentement.
594
Je ne crains pas enfin que Pyrrhus la retienne,
595
Il n'a devant les yeux que sa chère Troyenne ;
596
Tout autre objet le blesse, et peut-être aujourd'hui
597
Il n'attend qu'un prétexte à l'éloigner de lui.
598
Nous n'avons qu'à parler. C'en est fait. Quelle joie
599
D'enlever à l'Épire une si belle proie !
600
Sauve tout ce qui reste et de Troie, et d'Hector.
601
Garde son fils, sa veuve, et mille autres encor,
602
Épire, c'est assez qu'Hermione rendue
603
Perde à jamais tes bords et ton prince de vue.
604
Mais un heureux destin le conduit en ces lieux.
605
Parlons. À tant d'attraits, Amour, ferme ses yeux.

SCÈNE IV.

Pyrrhus, Oreste, Phoenix.

PYRRHUS
606
Je vous cherchais, Seigneur. Un peu de violence
607
M'a fait de vos raisons combattre la puissance,
608
Je l'avoue. Et depuis que je vous ai quitté,
609
J'en ai senti la force, et connu l'équité.
610
J'ai songé comme vous, qu'à la Grèce, à mon père,
611
À moi-même en un mot je devenais contraire ;
612
Que je relevais Troie, et rendais imparfait
613
Tout ce qu'a fait Achille, et tout ce que j'ai fait.
614
Je ne condamne plus un courroux légitime,
615
Et l'on vous va, Seigneur, livrer votre victime.

ORESTE
616
Seigneur, par ce conseil prudent et rigoureux,
617
C'est acheter la paix du sang d'un malheureux.

PYRRHUS
618
Oui, mais je veux, Seigneur, l'assurer davantage.
619
D'une éternelle paix Hermione est le gage.
620
Je l'épouse. Il semblait qu'un spectacle si doux
621
N'attendît en ces lieux qu'un témoin tel que vous.
622
Vous y représentez tous les Grecs et son père,
623
Puisqu'en vous Ménélas voit revivre son frère,
624
Voyez-la donc. Allez. Dites-lui que demain
625
J'attends, avec la paix, son coeur de votre main.

ORESTE
626
Ah dieux !

SCÈNE V.

Pyrrhus, Phoenix.

PYRRHUS
Hé bien, Phoenix, l'amour est-il le maître ?
627
Tes yeux refusent-ils encor de me connaître !

PHOENIX
628
Ah ! Je vous reconnais, et ce juste courroux
629
Ainsi qu'à tous les Grecs, Seigneur vous rend à vous.
630
Ce n'est plus le jouet d'une flamme servile.
631
C'est Pyrrhus. C'est le fils, et le rival d'Achille,
632
Que la gloire à la fin ramène sous ses lois.
633
Qui triomphe de Troie une seconde fois.

PYRRHUS
634
Dis plutôt qu'aujourd'hui commence ma victoire.
635
D'aujourd'hui seulement je jouis de ma gloire,
636
Et mon coeur aussi fier que tu l'as vu soumis,
637
Croit avoir en l'amour vaincu mille ennemis.
638
Considère, Phoenix, les troubles que j'évite,
639
Quelle foule de maux l'amour traîne à sa suite,
640
Que d'amis, de devoirs j'allais sacrifier,
641
Quels périls... Un regard m'eût tout fait oublier.
642
Tous les Grecs conjurés fondaient sur un rebelle.
643
Je trouvais du plaisir à me perdre pour elle.

PHOENIX
644
Oui, je bénis, Seigneur, l'heureuse cruauté
645
Qui vous rend...

PYRRHUS
Tu l'as vu comme elle m'a traité.
646
Je pensais, en voyant sa tendresse alarmée,
647
Que son fils me la dût renvoyer désarmée.
648
J'allais voir le succès de ses embrassements.
649
Je n'ai trouvé que pleurs mêlés d'emportements.
650
Sa misère l'aigrit. Et toujours plus farouche
651
Cent fois le nom d'Hector est sorti de sa bouche.
652
Vainement à son fils j'assurais mon secours,
653
C'est Hector, disait-elle en l'embrassant toujours.
654
Voilà ses yeux, sa bouche, et déjà son audace,
655
C'est lui-même ; c'est toi, cher époux que j'embrasse.
656
Et quelle est sa pensée ? Attend-elle en ce jour
657
Que je lui laisse un fils pour nourrir son amour ?

PHOENIX
658
Sans doute. C'est le prix que vous gardait l'ingrate.
659
Mais laissez-la Seigneur.

PYRRHUS
Je vois ce qui la flatte.
660
Sa beauté la rassure, et malgré mon courroux,
661
L'orgueilleuse m'attend encore à ses genoux.
662
Je la verrais aux miens, Phoenix, d'un oeil tranquille.
663
Elle est veuve d'Hector, et je suis fils d'Achille.
664
Trop de haine sépare Andromaque et Pyrrhus.

PHOENIX
665
Commencez donc, Seigneur, à ne m'en parler plus.
666
Allez voir Hermione, et content de lui plaire,
667
Oubliez à ses pieds jusqu'à votre colère.
668
Vous-même à cet hymen venez la disposer.
669
Est-ce sur un rival qu'il s'en faut reposer ?
670
Il ne l'aime que trop.

PYRRHUS
Crois-tu, si je l'épouse,
671
Qu'Andromaque en son coeur n'en sera pas jalouse ?

PHOENIX
672
Quoi toujours Andromaque occupe votre esprit ?
673
Que vous importe, ô Dieux ! Sa joie, ou son dépit ?
674
Quel charme malgré vous vers elle vous attire ?

PYRRHUS
675
Non, je n'ai pas bien dit tout ce qu'il lui faut dire.
676
Ma colère à ses yeux n'a paru qu'à demi.
677
Elle ignore à quel point je suis son ennemi.
678
Retournons-y. Je veux la braver à sa vue,
679
Et donner à ma haine une libre étendue.
680
Viens voir tous ses attraits, Phoenix, humiliés.
681
Allons.

PHOENIX
Allez, Seigneur, vous jeter à ses pieds.
682
Allez, en lui jurant que votre âme l'adore,
683
À de nouveaux mépris l'encourager encore.

PYRRHUS
684
Je le vois bien, tu crois que prêt à l'excuser,
685
Mon coeur court après elle, et cherche à s'apaiser.

PHOENIX
686
Vous aimez, c'est assez.

PYRRHUS
Moi l'aimer ? une ingrate,
687
Qui me hait d'autant plus que mon amour la flatte ?
688
Sans parents, sans amis, sans espoir que sur moi ?
689
Je puis perdre son fils ; peut-être je le dois.
690
Étrangère... Que dis-je ? Esclave dans l'Épire,
691
Je lui donne son fils, mon âme, mon Empire.
692
Et je ne puis gagner dans son perfide coeur
693
D'autre rang que celui de son persécuteur ?
694
Non, non, je l'ai juré, ma vengeance est certaine.
695
Il faut bien une fois justifier sa haine.
696
J'abandonne son fils. Que de pleurs vont couler !
697
De quel nom sa douleur me va-t-elle appeler ?
698
Quel spectacle pour elle aujourd'hui se dispose !
699
Elle en mourra, Phoenix, et j'en serai la cause.
700
C'est lui mettre moi-même un poignard dans le sein.

PHOENIX
701
Et pourquoi donc en faire éclater le dessein ?
702
Que ne consultiez-vous tantôt votre faiblesse ?

PYRRHUS
703
Je t'entends. Mais excuse un reste de tendresse.
704
Crains-tu pour ma colère un si faible combat ?
705
D'un amour qui s'éteint c'est le dernier éclat.
706
Allons. À tes conseils, Phoenix, je m'abandonne :
707
Faut-il livrer son fils ? Faut-il voir Hermione ?

PHOENIX
708
Oui, voyez-la, Seigneur, et par des voeux soumis
709
Protestez-lui...

PYRRHUS
Faisons tout ce que j'ai promis.


ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE.

Oreste, Pylade.

PYLADE
710
Modérez donc, Seigneur, cette fureur extrême.
711
Je ne vous connais plus. Vous n'êtes plus vous-même.Souffrez...

ORESTE
Non, tes conseils ne sont plus de saison,
712
Pylade ; je suis las d'écouter la raison.
713
C'est traîner trop longtemps ma vie et mon supplice.
714
Il faut que je l'enlève, ou bien que je périsse.
715
Le dessein en est pris, je le veux achever.Oui je le veux.

PYLADE
Hé bien il la faut enlever,
716
J'y consens. Mais songez cependant où vous êtes.
717
Que croira-t-on de vous à voir ce que vous faites ?
718
Dissimulez. Calmez ce transport inquiet.
719
Commandez à vos yeux de garder le secret.Ces gardes, cette Cour, l'air qui vous environne.
720
Tout dépend de Pyrrhus, et surtout Hermione.
721
À ses regards surtout cachez votre courroux.
722
Ô dieux ! En cet état pourquoi la cherchiez-vous ?

ORESTE
723
Que sais-je ? De moi-même étais-je alors le maître ?La fureur m'emportait, et je venais peut-être
724
Menacer à la fois l'ingrate et son amant.

PYLADE
725
Et quel était le fruit de cet emportement ?

ORESTE
726
Et quelle âme, dis-moi, ne serait éperdue
727
Du coup dont ma raison vient d'être confondue ?Il épouse, dit-il, Hermione demain.
728
Il veut pour m'honorer la tenir de ma main.
729
Ah ! Plutôt cette main dans le sang du barbare...

PYLADE
730
Vous l'accusez, Seigneur, de ce destin bizarre ;
731
Cependant, tourmenté de ses propres desseins,Il est peut-être à plaindre, autant que je vous plains.

ORESTE
732
Non, non, je le connais, mon désespoir le flatte.
733
Sans moi, sans mon amour il dédaignait l'ingrate.
734
Ses charmes jusque-là n'avaient pu le toucher.
735
Le cruel ne la prend que pour me l'arracher.Ah dieux ! C'en était fait. Hermione gagnée
736
Pour jamais de sa vue allait être éloignée.
737
Son coeur entre l'amour et le dépit confus
738
Pour se donner à moi n'attendait qu'un refus.
739
Ses yeux s'ouvraient, Pylade. Elle écoutait Oreste.Lui parlait, le plaignait. Un mot eût fait le reste.

PYLADE
740
Vous le croyez.

ORESTE
Hé quoi ? Ce courroux enflammé
741
Contre un ingrat...

PYLADE
Jamais il ne fut plus aimé.
742
Pensez-vous, quand Pyrrhus vous l'aurait accordée,
743
Qu'un prétexte tout prêt ne l'eût pas retardée ?M'en croirez-vous ? Lassé de ses trompeurs attraits,
744
Au lieu de l'enlever, fuyez-la pour jamais.
745
Quoi ? Votre amour se veut charger d'une furie
746
Qui vous détestera, qui toute votre vie
747
Regrettant un hymen tout prêt à s'achever,Voudra...

ORESTE
C'est pour cela que je veux l'enlever.
748
Tout lui rirait, Pylade ; et moi, pour mon partage,
749
Je n'emporterais donc qu'une inutile rage ?
750
J'irais loin d'elle encor, tâcher de l'oublier ?
751
Non, non, à mes tourments je veux l'associer.C'est trop gémir tout seul. Je suis las qu'on me plaigne.
752
Je prétends qu'à mon tour l'inhumaine me craigne,
753
Et que ses yeux cruels à pleurer condamnés,
754
Me rendent tous les noms, que je leur ai donnés.

PYLADE
755
Voilà donc le succès qu'aura votre ambassade.Oreste ravisseur.

ORESTE
Et qu'importe, Pylade ?
756
Quand nos États vengés jouiront de mes soins,
757
L'ingrate de mes pleurs jouira-t-elle moins ?
758
Et que me servira que la Grèce m'admire,
759
Tandis que je serai la fable de l'Épire ?Que veux-tu ? Mais s'il faut ne te rien déguiser,
760
Mon innocence enfin commence à me peser.
761
Je ne sais de tout temps quelle injuste puissance
762
Laisse le crime en paix, et poursuit l'innocence.
763
De quelque part sur moi que je tourne les yeux,Je ne vois que malheurs qui condamnent les Dieux.
764
Méritons leur courroux, justifions leur haine,
765
Et que le fruit du crime en précède la peine.
766
Mais toi, par quelle erreur veux-tu toujours sur toi
767
Détourner un courroux qui ne cherche que moi ?Assez et trop longtemps mon amitié t'accable.
768
Évite un malheureux, abandonne un coupable.
769
Cher Pylade, crois-moi, ta pitié te séduit.
770
Laisse-moi des périls dont j'attends tout le fruit.
771
Porte aux Grecs cet enfant que Pyrrhus m'abandonne.Va-t'en.

PYLADE
Allons, Seigneur, enlevons Hermione.
772
Au travers des périls un grand coeur se fait jour.
773
Que ne peut l'amitié conduite par l'amour ?
774
Allons de tous vos Grecs encourager le zèle.
775
Nos vaisseaux sont tout prêts, et le vent nous appelle.Je sais de ce palais tous les détours obscurs.
776
Vous voyez que la mer en vient battre les murs.
777
Et cette nuit sans peine une secrète voie
778
Jusqu'en votre vaisseau conduira votre proie.

ORESTE.
779
J'abuse, cher ami, de ton trop d'amitié.
780
Mais pardonne à des maux, dont toi seul as pitié.
781
Excuse un malheureux, qui perd tout ce qu'il aime.
782
Que tout le monde hait, et qui se hait lui-même.
783
Que ne puis-je à mon tour dans un sort plus heureux...

PYLADE
784
Dissimulez, Seigneur, c'est tout ce que je veux,
785
Gardez qu'avant le coup votre dessein n'éclate.
786
Oubliez jusque-là qu'Hermione est ingrate.
787
Oubliez votre amour. Elle vient, je la vois.

ORESTE
788
Va-t'en. Réponds-moi d'elle, et je réponds de moi.

SCÈNE II.

Hermione, Oreste, Cléone.

ORESTE
789
Hé bien ? mes soins vous ont rendu votre conquête.
790
J'ai vu Pyrrhus, Madame, et votre hymen s'apprête.

HERMIONE
791
On le dit. Et de plus, on vient de m'assurer
792
Que vous ne me cherchiez que pour m'y préparer.

ORESTE
793
Et votre âme à ses voeux ne sera pas rebelle ?

HERMIONE
794
Qui l'eût cru, que Pyrrhus ne fût pas infidèle ?
795
Que sa flamme attendrait si tard pour éclater ?
796
Qu'il reviendrait à moi, quand je l'allais quitter ?
797
Je veux croire avec vous, qu'il redoute la Grèce,
798
Qu'il suit son intérêt plutôt que sa tendresse,
799
Que mes yeux sur votre âme étaient plus absolus.

ORESTE
800
Non, Madame, il vous aime, et je n'en doute plus.
801
Vos yeux ne font-ils pas tout ce qu'ils veulent faire ?
802
Et vous ne vouliez pas sans doute lui déplaire.

HERMIONE
803
Mais que puis-je, Seigneur ? On a promis ma foi.
804
Lui ravirai-je un bien, qu'il ne tient pas de moi ?L'amour ne règle pas le sort d'une princesse.
805
La gloire d'obéir est tout ce qu'on nous laisse.
806
Cependant je partais, et vous avez pu voir
807
Combien je relâchais pour vous de mon devoir.

ORESTE
808
Ah ! Que vous saviez bien, cruelle... Mais, Madame,
809
Chacun peut à son choix disposer de son âme.
810
La vôtre était à vous. J'espérais. Mais enfin
811
Vous l'avez pu donner sans me faire un larcin.
812
Je vous accuse aussi bien moins que la fortune.
813
Et pourquoi vous lasser d'une plainte importune ?Tel est votre devoir, je l'avoue. Et le mien
814
Est de vous épargner un si triste entretien.

SCÈNE III.

Hermione, Cléone.

HERMIONE
815
Attendais-tu, Cléone, un courroux si modeste ?

CLÉONE
816
La douleur qui se tait n'en est que plus funeste.
817
Je le plains. D'autant plus qu'auteur de son ennui,Le coup qui l'a perdu n'est parti que de lui.
818
Comptez depuis quel temps votre hymen se prépare.
819
Il a parlé, Madame, et Pyrrhus se déclare.

HERMIONE
820
Tu crois que Pyrrhus craint ? Et que craint-il encor ?
821
Des peuples, qui dix ans ont fui devant Hector ?Qui cent fois effrayés de l'absence d'Achille,
822
Dans leurs vaisseaux brûlants ont cherché leur asile,
823
Et qu'on verrait encor, sans l'appui de son fils,
824
Redemander Hélène aux Troyens impunis.
825
Non, Cléone, il n'est point ennemi de lui-même,Il veut tout ce qu'il fait, et s'il m'épouse, il m'aime.
826
Mais qu'Oreste à son gré m'impute ses douleurs.
827
N'avons-nous d'entretien que celui de ses pleurs ?
828
Pyrrhus revient à nous. Hé bien, chère Cléone,
829
Conçois-tu les transports de l'heureuse Hermione ?Sais-tu quel est Pyrrhus ? T'es-tu fait raconter
830
Le nombre des exploits... Mais qui les peut compter ?
831
Intrépide, et partout suivi de la victoire,
832
Charmant, fidèle, enfin, rien ne manque à sa gloire.
833
Songe...

CLÉONE
Dissimulez. Votre rivale en pleurs,
834
Vient à vos pieds sans doute apporter ses douleurs.

HERMIONE
835
Dieux ! Ne puis-je à ma joie abandonner mon âme ?
836
Sortons. Que lui dirais-je ?

SCÈNE IV.

Andromaque, Hermione, Cléone, Céphise.

ANDROMAQUE
Où fuyez-vous, Madame ?
837
N'est-ce point à vos yeux un spectacle assez doux
838
Que la veuve d'Hector pleurante à vos genoux ?Je ne viens point ici par de jalouses larmes,
839
Vous envier un coeur, qui se rend à vos charmes.
840
Par une main cruelle, hélas ! J'ai vu percer
841
Le seul, où mes regards prétendaient s'adresser.
842
Ma flamme par Hector fut jadis allumée,Avec lui dans la tombe elle s'est enfermée.
843
Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,
844
Madame, pour un fils jusqu'où va notre amour.
845
Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite,
846
En quel trouble mortel son intérêt nous jette,Lorsque de tant de biens, qui pouvaient nous flatter,
847
C'est le seul qui nous reste, et qu'on veut nous l'ôter.
848
Hélas ! Lorsque lassés de dix ans de misère,
849
Les Troyens en courroux menaçaient votre mère,
850
J'ai su de mon Hector lui procurer l'appui ;Vous pouvez sur Pyrrhus ce que j'ai pu sur lui.
851
Que craint-on d'un enfant qui survit à sa perte ?
852
Laissez-moi le cacher en quelque île déserte.
853
Sur les soins de sa mère on peut s'en assurer,
854
Et mon fils avec moi n'apprendra qu'à pleurer.

HERMIONE
855
Je conçois vos douleurs. Mais un devoir austère,
856
Quand mon père a parlé, m'ordonne de me taire.
857
C'est lui qui de Pyrrhus fait agir le courroux.
858
S'il faut fléchir Pyrrhus, qui le peut mieux que vous ?
859
Vos yeux assez longtemps ont régné sur son âme.Faites-le prononcer, j'y souscrirai, Madame.

SCÈNE V.

Andromaque, Céphise.

ANDROMAQUE
860
Quel mépris la cruelle attache à ses refus !

CÉPHISE
861
Je croirais ses conseils, et je verrais Pyrrhus.
862
Un regard confondrait Hermione et la Grèce...
863
Mais lui-même il vous cherche.

SCÈNE VI.

Pyrrhus, Andromaque, Phoenix, Céphise.

PYRRHUS
(à Phoenix)
  Où donc est la princesse ?
864
Ne m'avais-tu pas dit qu'elle était en ces lieux ?

PHOENIX
865
Je le croyais.

ANDROMAQUE
(à Céphise)
Tu vois le pouvoir de mes yeux.

PYRRHUS
866
Que dit-elle, Phoenix ?

ANDROMAQUE
Hélas ! Tout m'abandonne.

PHOENIX
867
Allons, Seigneur, marchons sur les pas d'Hermione.
868
Qu'attendez-vous ? Rompez ce silence obstiné.

ANDROMAQUE
869
Il a promis mon fils.

CÉPHISE
Il ne l'a pas donné.

ANDROMAQUE
870
Non, non, j'ai beau pleurer, sa mort est résolue.

PYRRHUS
871
Daigne-t-elle sur nous tourner au moins la vue ?
872
Quel orgueil !

ANDROMAQUE
Je ne fais que l'irriter encor.
873
Sortons.

PYRRHUS
Allons aux Grecs livrer le fils d'Hector.

ANDROMAQUE
874
Ah ! Seigneur, arrêtez. Que prétendez-vous faire ?
875
Si vous livrez le fils, livrez-leur donc la mère.
876
Vos serments m'ont tantôt juré tant d'amitié.
877
Dieux ! Ne pourrai-je au moins toucher votre pitié ?
878
Sans espoir de pardon m'avez-vous condamnée ?
879
Phoenix vous le dira, ma parole est donnée.

ANDROMAQUE
880
Vous qui braviez pour moi tant de périls divers !

PYRRHUS
881
J'étais aveugle alors, mes yeux se sont ouverts.
882
Sa grâce à vos désirs pouvait être accordée.
883
Mais vous ne l'avez pas seulement demandée.C'en est fait.

ANDROMAQUE
Ah ! Seigneur, vous entendiez assez
884
Des soupirs, qui craignaient de se voir repoussés.
885
Pardonnez à l'éclat d'une illustre fortune
886
Ce reste de fierté, qui craint d'être importune.
887
Vous ne l'ignorez pas, Andromaque sans vousN'aurait jamais d'un maître embrassé les genoux.

PYRRHUS
888
Non, vous me haïssez. Et dans le fond de l'âme
889
Vous craignez de devoir quelque chose à ma flamme.
890
Ce fils même, ce fils, l'objet de tant de soins,
891
Si je l'avais sauvé, vous l'en aimeriez moins.La haine, le mépris, contre moi tout s'assemble.
892
Vous me haïssez plus que tous les Grecs ensemble.
893
Jouissez à loisir d'un si noble courroux.
894
Allons, Phoenix.

ANDROMAQUE
Allons rejoindre mon époux.

CÉPHISE
895
Madame...

ANDROMAQUE
Et que veux-tu que je lui dise encore ?
896
Auteur de tous mes maux, crois-tu qu'il les ignore ?
897
Seigneur, voyez l'état où vous me réduisez.
898
J'ai vu mon père mort, et nos murs embrasés.
899
J'ai vu trancher les jours de ma famille entière,
900
Et mon époux sanglant traîné sur la poussière,Son fils seul avec moi réservé pour les fers.
901
Mais que ne peut un fils ? Je respire, je sers.
902
J'ai fait plus. Je me suis quelquefois consolée
903
Qu'ici plutôt qu'ailleurs le sort m'eût exilée ;
904
Qu'heureux dans son malheur, le fils de tant de rois,Puisqu'il devait servir, fût tombé sous vos lois.
905
J'ai cru que sa prison deviendrait son asile.
906
Jadis Priam soumis fut respecté d'Achille.
907
J'attendais de son fils encor plus de bonté.
908
Pardonne, cher Hector, à ma crédulité.Je n'ai pu soupçonner ton ennemi d'un crime,
909
Malgré lui-même enfin je l'ai cru magnanime.
910
Ah ! S'il l'était assez, pour nous laisser du moins
911
Au tombeau qu'à ta cendre ont élevé mes soins ;
912
Et que finissant là sa haine et nos misères,Il ne séparât point des dépouilles si chères !

PYRRHUS
913
Va m'attendre, Phoenix.

SCÈNE VII.

Pyrrhus, Andromaque, Céphise.

PYRRHUS
(continue)
Madame, demeurez.
914
On peut vous rendre encor ce fils que vous pleurez.
915
Oui, je sens à regret, qu'en excitant vos larmes,
916
Je ne fais contre moi que vous donner des armes.Je croyais apporter plus de haine en ces lieux.
917
Mais, Madame, du moins tournez vers moi les yeux :
918
Voyez si mes regards sont d'un juge sévère,
919
S'ils sont d'un ennemi qui cherche à vous déplaire.
920
Pourquoi me forcez-vous vous-même à vous trahir ?Au nom de votre fils, cessons de nous haïr.
921
À le sauver enfin, c'est moi qui vous convie.
922
Faut-il que mes soupirs vous demandent sa vie ?
923
Faut-il qu'en sa faveur j'embrasse vos genoux ?
924
Pour la dernière fois, sauvez-le, sauvez-vous.Je sais de quels serments je romps pour vous les chaînes,
925
Combien je vais sur moi faire éclater de haines.
926
Je renvoie Hermione, et je mets sur son front,
927
Au lieu de ma couronne, un éternel affront.
928
Je vous conduis au temple, où son hymen s'apprête.Je vous ceins du bandeau préparé pour sa tête.
929
Mais ce n'est plus, Madame, une offre à dédaigner.
930
Je vous le dis, il faut ou périr, ou régner.
931
Mon coeur désespéré d'un an d'ingratitude,
932
Ne peut plus de son sort souffrir l'incertitude.C'est craindre, menacer, et gémir trop longtemps.
933
Je meurs, si je vous perds, mais je meurs si j'attends.
934
Songez-y, je vous laisse, et je viendrai vous prendre,
935
Pour vous mener au temple, où ce fils doit m'attendre.
936
Et là vous me verrez soumis, ou furieux,Vous couronner, Madame, ou le perdre à vos yeux.

SCÈNE VIII.

Andromaque, Céphise.

CÉPHISE
937
Je vous l'avais prédit, qu'en dépit de la Grèce,
938
De votre sort encor vous seriez la maîtresse.

ANDROMAQUE
939
Hélas ! De quel effet tes discours sont suivis !
940
Il ne me restait plus qu'à condamner mon fils.

CÉPHISE
941
Madame, à votre époux c'est être assez fidèle.
942
Trop de vertu pourrait vous rendre criminelle.
943
Lui-même il porterait votre âme à la douceur.

ANDROMAQUE
944
Quoi ? je lui donnerais Pyrrhus pour successeur ?

CÉPHISE
945
Ainsi le veut son fils, que les Grecs vous ravissent.Pensez-vous qu'après tout, ses mânes en rougissent ?
946
Qu'il méprisât, Madame, un roi victorieux,
947
Qui vous fait remonter au rang de vos aïeux ;
948
Qui foule aux pieds pour vous vos vainqueurs en colère,
949
Qui ne se souvient plus qu'Achille était son père,Qui dément ses exploits et les rend superflus ?

ANDROMAQUE
950
Dois-je les oublier, s'il ne s'en souvient plus ?
951
Dois-je oublier Hector privé de funérailles,
952
Et traîné sans honneur autour de nos murailles ?
953
Dois-je oublier son père à mes pieds renversé,Ensanglantant l'autel qu'il tenait embrassé ?
954
Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle,
955
Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.
956
Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants,
957
Entrant à la lueur de nos palais brûlants,Sur tous mes frères morts se faisant un passage,
958
Et de sang tout couvert échauffant le carnage.
959
Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants,
960
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants.
961
Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue.Voilà comme Pyrrhus vint s'offrir à ma vue ;
962
Voilà par quels exploits il sut se couronner,
963
Enfin voilà l'époux que tu me veux donner.
964
Non, je ne serai point complice de ses crimes.
965
Qu'il nous prenne, s'il veut, pour dernières victimes.Tous mes ressentiments lui seraient asservis.

CÉPHISE
966
Hé bien, allons donc voir expirer votre fils.
967
On n'attend plus que vous. Vous frémissez, Madame.

ANDROMAQUE
968
Ah ! De quel souvenir viens-tu frapper mon âme !
969
Quoi, Céphise, j'irai voir expirer encorCe fils ma seule joie, et l'image d'Hector ?
970
Ce fils que de sa flamme il me laissa pour gage ?
971
Hélas ! Je m'en souviens : le jour que son courage
972
Lui fit chercher Achille, ou plutôt le trépas,
973
Il demanda son fils, et le prit dans ses bras.Chère épouse, dit-il, en essuyant mes larmes
974
J'ignore quel succès le sort garde à mes armes,
975
Je te laisse mon fils, pour gage de ma foi ;
976
S'il me perd, je prétends qu'il me retrouve en toi.
977
Si d'un heureux hymen la mémoire t'est chère,Montre au fils à quel point tu chérissais le père.
978
Et je puis voir répandre un sang si précieux ?
979
Et je laisse avec lui périr tous ses aïeux ?
980
Roi barbare ! Faut-il que mon crime l'entraîne ?
981
Si je te hais, est-il coupable de ma haine ?T'a-t-il de tous les siens reproché le trépas ?
982
S'est-il plaint à tes yeux des maux qu'il ne sent pas ?
983
Mais cependant, mon fils, tu meurs, si je n'arrête
984
Le fer que le cruel tient levé sur ta tête.
985
Je l'en puis détourner, et je t'y vais offrir ?Non tu ne mourras point, je ne le puis souffrir.
986
Allons trouver Pyrrhus. Mais non, chère Céphise,
987
Va le trouver pour moi.

CÉPHISE
Que faut-il que je dise ?

ANDROMAQUE
988
Dis-lui que de mon fils l'amour est assez fort...
989
Crois-tu que dans son coeur il ait juré sa mort ?L'amour peut-il si loin pousser sa barbarie ?

CÉPHISE
990
Madame, il va bientôt revenir en furie.

ANDROMAQUE
991
Hé bien, va l'assurer...

CÉPHISE
De quoi ? De votre foi ?

ANDROMAQUE
992
Hélas ! Pour la promettre est-elle encore à moi ?
993
Ô cendres d'un époux ! Ô Troyens ! Ô mon père !Ô mon fils, que tes jours coûtent cher à ta mère !
994
Allons.

CÉPHISE
Où donc, Madame ? Et que résolvez-vous ?

ANDROMAQUE
995
Allons, sur son tombeau consulter mon époux.


ACTE IV

SCÈNE PREMIÈRE.

Andromaque, Céphise.

CÉPHISE
996
Ah ! Je n'en doute point. C'est votre époux Madame,
997
C'est Hector qui produit ce miracle en votre âme.
998
Il veut que Troie encor se puisse relever,
999
Avec cet heureux fils, qu'il vous fait conserver.
1000
Pyrrhus vous l'a promis. Vous venez de l'entendre,
1001
Madame, il n'attendait qu'un mot pour vous le rendre.
1002
Croyez en ses transports. Père, sceptre, alliés,
1003
Content de votre coeur, il met tout à vos pieds.
1004
Sur lui, sur tout son peuple il vous rend souveraine.
1005
Est-ce là ce vainqueur digne de tant de haine ?
1006
Déjà contre les Grecs plein d'un noble courroux,
1007
Le soin de votre fils le touche autant que vous,
1008
Il prévient leur fureur, il lui laisse sa garde,
1009
Pour ne pas l'exposer lui-même il se hasarde.
1010
Mais tout s'apprête au temple. Et vous avez promis.

ANDROMAQUE
1011
Oui, je m'y trouverai. Mais allons voir mon fils.

CÉPHISE
1012
Madame, qui vous presse ? Il suffit que sa vue
1013
Désormais à vos yeux ne soit plus défendue.
1014
Vous lui pourrez bientôt prodiguer vos bontés,
1015
Et vos embrassements ne seront plus comptés.
1016
Quel plaisir d'élever un enfant, qu'on voit croître,
1017
Non plus comme un esclave élevé pour son maître,
1018
Mais pour voir avec lui renaître tant de rois !

ANDROMAQUE
1019
Céphise, allons le voir pour la dernière fois.

CÉPHISE
1020
Que dites-vous ? Ô Dieux !

ANDROMAQUE
Ô ! Ma chère Céphise,
1021
Ce n'est point avec toi que mon coeur se déguise.
1022
Ta foi dans mon malheur s'est montrée à mes yeux.
1023
Mais j'ai cru qu'à mon tour tu me connaissais mieux.
1024
Quoi donc, as-tu pensé qu'Andromaque infidèle,
1025
Pût trahir un époux qui croit revivre en elle,
1026
Et que de tant de morts réveillant la douleur,
1027
Le soin de mon repos me fît troubler le leur ?
1028
Est-ce là cette ardeur tant promise à sa cendre ?
1029
Mais son fils périssait, il l'a fallu défendre.
1030
Pyrrhus en m'épousant s'en déclare l'appui,
1031
Il suffit. Je veux bien m'en reposer sur lui.
1032
Je sais quel est Pyrrhus. Violent, mais sincère,
1033
Céphise, il fera plus qu'il n'a promis de faire.
1034
Sur le courroux des Grecs je m'en repose encor,
1035
Leur haine va donner un père au fils d'Hector.
1036
Je vais donc, puisqu'il faut que je me sacrifie,
1037
Assurer à Pyrrhus le reste de ma vie.
1038
Je vais, en recevant sa foi sur les autels,
1039
L'engager à mon fils par des noeuds immortels.
1040
Mais aussitôt ma main, à moi seule funeste,
1041
D'une infidèle vie abrégera le reste,
1042
Et sauvant ma vertu, rendra ce que je dois
1043
À Pyrrhus, à mon fils, à mon époux, à moi.
1044
Voilà de mon amour l'innocent stratagème ;
1045
Voilà ce qu'un époux m'a commandé lui-même.
1046
J'irai seule rejoindre Hector et mes aïeux.
1047
Céphise, c'est à toi de me fermer les yeux.

CÉPHISE
1048
Ah ! Ne prétendez pas que je puisse survivre...

ANDROMAQUE
1049
Non, non, je te défends, Céphise, de me suivre.
1050
Je confie à tes soins mon unique trésor,
1051
Si tu vivais pour moi, vis pour le fils d'Hector.
1052
De l'espoir des Troyens seule dépositaire,
1053
Songe à combien de rois tu deviens nécessaire.
1054
Veille auprès de Pyrrhus. Fais-lui garder sa foi.
1055
S'il le faut, je consens qu'on lui parle de moi.
1056
Fais-lui valoir l'hymen, où je me suis rangée ;
1057
Dis-lui, qu'avant ma mort je lui fus engagée,
1058
Que ses ressentiments doivent être effacés,
1059
Qu'en lui laissant mon fils c'est l'estimer assez.
1060
Fais connaître à mon fils les héros de sa race.
1061
Autant que tu pourras, conduis-le sur leur trace.
1062
Dis-lui, par quels exploits leurs noms ont éclaté,
1063
Plutôt ce qu'ils ont fait, que ce qu'ils ont été.
1064
Parle-lui tous les jours des vertus de son père,
1065
Et quelquefois aussi parle-lui de sa mère.
1066
Mais qu'il ne songe plus, Céphise, à nous venger,
1067
Nous lui laissons un maître, il le doit ménager.
1068
Qu'il ait de ses aïeux un souvenir modeste.
1069
Il est du sang d'Hector, mais il en est le reste.
1070
Et pour ce reste enfin j'ai moi-même en un jour,
1071
Sacrifié mon sang, ma haine et mon amour.

CÉPHISE
1072
Hélas !

ANDROMAQUE
Ne me suis point, si ton coeur en alarmes,
1073
Prévoit qu'il ne pourra commander à tes larmes.
1074
On vient. Cache tes pleurs, Céphise, et souviens-toi
1075
Que le sort d'Andromaque est commis à ta foi.
1076
C'est Hermione. Allons, fuyons sa violence.

SCÈNE II.

Hermione, Cléone.

CLÉONE
1077
Non, je ne puis assez admirer ce silence.
1078
Vous vous taisez, Madame, et ce cruel mépris
1079
N'a pas du moindre trouble agité vos esprits ?
1080
Vous soutenez en paix une si rude attaque,
1081
Vous qu'on voyait frémir au seul nom d'Andromaque ?
1082
Vous qui sans désespoir ne pouviez endurer
1083
Que Pyrrhus d'un regard la voulût honorer ?
1084
Il l'épouse. Il lui donne avec son diadème
1085
La foi, que vous venez de recevoir vous-même :
1086
Et votre bouche encor muette à tant d'ennui,
1087
N'a pas daigné s'ouvrir pour se plaindre de lui ?
1088
Ah ! Que je crains, Madame, un calme si funeste !
1089
Et qu'il vaudrait bien mieux...

HERMIONE
Fais-tu venir Oreste ?

CLÉONE
1090
Il vient, Madame, il vient. Et vous pouvez juger
1091
Que bientôt à vos pieds il allait se ranger.
1092
Prêt à servir toujours sans espoir de salaire,
1093
Vos yeux ne sont que trop assurés de lui plaire.
1094
Mais il entre.

SCÈNE III.

Oreste, Hermione, Cléone.

ORESTE
Ah Madame ! Est-il vrai qu'une fois
1095
Oreste en vous cherchant obéisse à vos lois ?
1096
Ne m'a-t-on point flatté d'une fausse espérance ?
1097
Avez-vous en effet souhaité ma présence ?
1098
Croirai-je que vos yeux à la fin désarmés
1099
Veulent...

HERMIONE
Je veux savoir, Seigneur, si vous m'aimez.

ORESTE
1100
Si je vous aime ? Ô Dieux ! Mes serments, mes parjures,
1101
Ma fuite, mon retour, mes respects, mes injures,
1102
Mon désespoir, mes yeux de pleurs toujours noyés,
1103
Quels témoins croirez-vous, si vous ne les croyez ?

HERMIONE
1104
Vengez-moi, je crois tout.

ORESTE
Hé bien allons, Madame.
1105
Mettons encore un coup toute la Grèce en flamme.
1106
Prenons, en signalant mon bras et votre nom,
1107
Vous la place d'Hélène, et moi d'Agamemnon.
1108
De Troie en ce pays réveillons les misères,
1109
Et qu'on parle de nous ainsi que de nos pères.
1110
Partons, je suis tout prêt.

HERMIONE
Non, Seigneur, demeurons,
1111
Je ne veux pas si loin porter de tels affronts.
1112
Quoi de mes ennemis couronnant l'insolence,
1113
J'irais attendre ailleurs une lente vengeance,
1114
Et je m'en remettrais au destin des combats,
1115
Qui peut-être à la fin ne me vengerait pas ?
1116
Je veux qu'à mon départ toute l'Épire pleure.
1117
Mais si vous me vengez, vengez-moi dans une heure.
1118
Tous vos retardements sont pour moi des refus.
1119
Courez au temple. Il faut immoler...

ORESTE
Qui ?

HERMIONE
Pyrrhus.

ORESTE
1120
Pyrrhus, Madame ?
HERMIONE Hé ! Quoi ? Votre haine chancelle ?
1121
Ah ! Courez, et craignez que je ne vous rappelle.
1122
N'alléguez point des droits que je veux oublier.
1123
Et ce n'est pas à vous à le justifier.

ORESTE
1124
Moi, je l'excuserais ? Ah ! Vos bontés, Madame,
1125
Ont gravé trop avant ses crimes dans mon âme.
1126
Vengeons-nous, j'y consens. Mais par d'autres chemins.
1127
Soyons ses ennemis, et non ses assassins.
1128
Faisons de sa ruine une juste conquête.
1129
Quoi pour réponse aux Grecs porterai-je sa tête ?
1130
Et n'ai-je pris sur moi le soin de tout l'État,
1131
Que pour m'en acquitter par un assassinat ?
1132
Souffrez, au nom des Dieux, que la Grèce s'explique,
1133
Et qu'il meure chargé de la haine publique.
1134
Souvenez-vous qu'il règne, et qu'un front couronné...

HERMIONE
1135
Ne vous suffit-il pas que je l'ai condamné ?
1136
Ne vous suffit-il pas que ma gloire offensée
1137
Demande une victime, à moi seule adressée ;
1138
Qu'Hermione est le prix d'un tyran opprimé,
1139
Que je le hais, enfin, Seigneur, que je l'aimai ?
1140
Je ne m'en cache point. L'ingrat m'avait su plaire,
1141
Soit qu'ainsi l'ordonnât mon amour, ou mon père ;
1142
N'importe. Mais enfin réglez-vous là-dessus.
1143
Malgré mes voeux, Seigneur, honteusement déçus,
1144
Malgré la juste horreur, que son crime me donne,
1145
Tant qu'il vivra, craignez que je ne lui pardonne.
1146
Doutez jusqu'à sa mort d'un courroux incertain,
1147
S'il ne meurt aujourd'hui, je puis l'aimer demain.

ORESTE
1148
Hé bien, il faut le perdre, et prévenir sa grâce.
1149
Il faut... Mais cependant, que faut-il que je fasse ?
1150
Comment puis-je sitôt servir votre courroux ?
1151
Quel chemin jusqu'à lui peut conduire mes coups ?
1152
À peine suis-je encore arrivé dans l'Épire,
1153
Vous voulez par mes mains renverser un Empire,
1154
Vous voulez qu'un roi meure, et pour son châtiment,
1155
Vous ne donnez qu'un jour, qu'une heure, qu'un moment.
1156
Aux yeux de tout son peuple, il faut que je l'opprime.
1157
Laissez-moi vers l'autel conduire ma victime.
1158
Je ne m'en défends plus. Et je ne veux qu'aller
1159
Reconnaître la place où je dois l'immoler.
1160
Cette nuit, je vous sers. Cette nuit je l'attaque.

HERMIONE
1161
Mais cependant, ce jour il épouse Andromaque.
1162
Dans le temple déjà le trône est élevé.
1163
Ma honte est confirmée, et son crime achevé.
1164
Enfin qu'attendez-vous ? Il vous offre sa tête.
1165
Sans gardes, sans défense il marche à cette fête.
1166
Autour du fils d'Hector il les fait tous ranger.
1167
Il s'abandonne au bras qui me voudra venger.
1168
Voulez-vous, malgré lui, prendre soin de sa vie ?
1169
Armez avec vos Grecs, tous ceux qui m'ont suivie.
1170
Soulevez vos amis. Tous les miens sont à vous.
1171
Il me trahit, vous trompe, et nous méprise tous.
1172
Mais quoi ? Déjà leur haine est égale à la mienne,
1173
Elle épargne à regret l'époux d'une Troyenne.
1174
Parlez. Mon ennemi ne vous peut échapper.
1175
Ou plutôt, il ne faut que les laisser frapper.
1176
Conduisez, ou suivez une fureur si belle.
1177
Revenez tout couvert du sang de l'infidèle.
1178
Allez, en cet état soyez sûr de mon coeur.

ORESTE
1179
Mais, Madame, songez...

HERMIONE
Ah ! C'en est trop, Seigneur.
1180
Tant de raisonnements offensent ma colère.
1181
J'ai voulu vous donner les moyens de me plaire,
1182
Rendre Oreste content. Mais enfin je vois bien,
1183
Qu'il veut toujours se plaindre, et ne mériter rien.
1184
Partez, allez ailleurs vanter votre constance,
1185
Et me laissez ici le soin de ma vengeance.
1186
De mes lâches bontés mon courage est confus,
1187
Et c'est trop en un jour essuyer de refus.
1188
Je m'en vais seule au temple, où leur hymen s'apprête,
1189
Où vous n'osez aller mériter ma conquête.
1190
Là, de mon ennemi je saurai m'approcher.
1191
Je percerai le coeur que je n'ai pu toucher.
1192
Et mes sanglantes mains sur moi-même tournées,
1193
Aussitôt malgré lui joindront nos destinées,
1194
Et tout ingrat qu'il est, il me sera plus doux
1195
De mourir avec lui, que de vivre avec vous.

ORESTE
1196
Non, je vous priverai de ce plaisir funeste,
1197
Madame, il ne mourra que de la main d'Oreste.
1198
Vos ennemis par moi vont vous être immolés.
1199
Et vous reconnaîtrez mes soins, si vous voulez.

HERMIONE
1200
Allez. De votre sort laissez-moi la conduite.
1201
Et que tous vos vaisseaux soient prêts pour notre fuite.

SCÈNE IV.

Hermione, Cléone.

CLÉONE
1202
Vous vous perdez, Madame. Et vous devez songer...

HERMIONE
1203
Que je me perde, ou non, je songe à me venger,
1204
Je ne sais même encor, quoi qu'il m'ait pu promettre,
1205
Sur d'autres que sur moi, si je dois m'en remettre.
1206
Pyrrhus n'est pas coupable à ses yeux comme aux miens,
1207
Et je tiendrais mes coups bien plus sûrs que les siens.
1208
Quel plaisir, de venger moi-même mon injure,
1209
De retirer mon bras teint du sang du parjure,
1210
Et pour rendre sa peine et mes plaisirs plus grands,
1211
De cacher ma rivale à ses regards mourants !
1212
Ah ! Si du moins Oreste, en punissant son crime,
1213
Lui laissait le regret de mourir ma victime !
1214
Va le trouver. Dis-lui qu'il apprenne à l'ingrat,
1215
Qu'on l'immole à ma haine, et non pas à l'État.
1216
Chère Cléone, cours. Ma vengeance est perdue,
1217
S'il ignore, en mourant, que c'est moi qui le tue.

CLÉONE
1218
Je vous obéirai. Mais qu'est-ce que je vois ?
1219
Ô Dieux ! Qui l'aurait cru, Madame ? C'est le roi.

HERMIONE
1220
Ah ! Cours après Oreste, et dis-lui, ma Cléone,
1221
Qu'il n'entreprenne rien sans revoir Hermione.

SCÈNE V.

Pyrrhus, Hermione, Phoenix.

PYRRHUS
1222
Vous ne m'attendiez pas, Madame, et je vois bien
1223
Que mon abord ici trouble votre entretien.
1224
Je ne viens point armé d'un indigne artifice,
1225
D'un voile d'équité couvrir mon injustice.
1226
Il suffit que mon coeur me condamne tout bas,
1227
Et je soutiendrais mal ce que je ne crois pas.
1228
J'épouse une Troyenne. Oui, Madame, et j'avoue
1229
Que je vous ai promis la foi, que je lui voue.
1230
Un autre vous dirait que dans les champs troyens
1231
Nos deux pères sans nous formèrent ces liens,
1232
Et que sans consulter ni mon choix ni le vôtre,
1233
Nous fûmes sans amour engagés l'un à l'autre.
1234
Mais c'est assez pour moi que je me sois soumis.
1235
Par mes ambassadeurs mon coeur vous fut promis.
1236
Loin de les révoquer, je voulus y souscrire.
1237
Je vous vis avec eux arriver en Épire.
1238
Et quoique d'un autre oeil l'éclat victorieux
1239
Eût déjà prévenu le pouvoir de vos yeux,
1240
Je ne m'arrêtai point à cette ardeur nouvelle,
1241
Je voulus m'obstiner à vous être fidèle.
1242
Je vous reçus en reine, et jusques à ce jour
1243
J'ai cru que mes serments me tiendraient lieu d'amour.
1244
Mais cet amour l'emporte. Et par un coup funeste,
1245
Andromaque m'arrache un coeur qu'elle déteste.
1246
L'un par l'autre entraînés, nous courons à l'autel
1247
Nous jurer, malgré nous, un amour immortel.
1248
Après cela, Madame, éclatez contre un traître,
1249
Qui l'est avec douleur, et qui pourtant veut l'être.
1250
Pour moi, loin de contraindre un si juste courroux,
1251
Il me soulagera peut-être autant que vous.
1252
Donnez-moi tous les noms destinés aux parjures,
1253
Je crains votre silence, et non pas vos injures;
1254
Et mon coeur soulevant mille secrets témoins,
1255
M'en dira d'autant plus que vous m'en direz moins.

HERMIONE
1256
Seigneur, dans cet aveu dépouillé d'artifice,
1257
J'aime à voir que du moins vous vous rendiez justice.
1258
Et que voulant bien rompre un noeud si solennel,
1259
Vous vous abandonniez au crime en criminel.
1260
Est-il juste après tout, qu'un conquérant s'abaisse
1261
Sous la servile loi de garder sa promesse ?
1262
Non, non, la perfidie a de quoi vous tenter.
1263
Et vous ne me cherchez que pour vous en vanter.
1264
Quoi, sans que ni serment, ni devoir vous retienne,
1265
Rechercher une Grecque, amant d'une Troyenne ?
1266
Me quitter, me reprendre, et retourner encor
1267
De la fille d'Hélène, à la veuve d'Hector ?
1268
Couronner tour à tour l'esclave et la princesse,
1269
Immoler Troie aux Grecs, au fils d'Hector la Grèce ?
1270
Tout cela part d'un coeur toujours maître de soi,
1271
D'un héros qui n'est point esclave de sa foi.
1272
Pour plaire à votre épouse, il vous faudrait peut-être
1273
Prodiguer les doux noms de parjure, et de traître.
1274
Vous veniez de mon front observer la pâleur
1275
Pour aller dans ses bras rire de ma douleur.
1276
Pleurante après son char vous voulez qu'on me voie.
1277
Mais, Seigneur, en un jour ce serait trop de joie.
1278
Et sans chercher ailleurs des titres empruntés,
1279
Ne vous suffit-il pas de ceux que vous portez ?
1280
Du vieux père d'Hector la valeur abattue
1281
Aux pieds de sa famille expirante à sa vue,
1282
Tandis que dans son sein votre bras enfoncé
1283
Cherche un reste de sang que l'âge avait glacé ;
1284
Dans des ruisseaux de sang Troie ardente plongée,
1285
De votre propre main Polyxène égorgée
1286
Aux yeux de tous les Grecs indignés contre vous :
1287
Que peut-on refuser à ces généreux coups ?

PYRRHUS
1288
Madame, je sais trop à quels excès de rage
1289
La vengeance d'Hélène emporta mon courage.
1290
Je puis me plaindre à vous du sang que j'ai versé.
1291
Mais enfin je consens d'oublier le passé.
1292
Je rends grâces au Ciel, que votre indifférence
1293
De mes heureux soupirs m'apprenne l'innocence.
1294
Mon coeur, je le vois bien, trop prompt à se gêner,
1295
Devait mieux vous connaître, et mieux s'examiner.
1296
Mes remords vous faisaient une injure mortelle,
1297
Il faut se croire aimé, pour se croire infidèle.
1298
Vous ne prétendiez point m'arrêter dans vos fers.
1299
J'ai craint de vous trahir, peut-être je vous sers.
1300
Nos coeurs n'étaient point faits dépendants l'un de l'autre.
1301
Je suivais mon devoir, et vous cédiez au vôtre.
1302
Rien ne vous engageait à m'aimer en effet.

HERMIONE
1303
Je ne t'ai point aimé, cruel ? Qu'ai-je donc fait ?
1304
J'ai dédaigné pour toi les voeux de tous nos princes.
1305
Je t'ai cherché moi-même au fond de tes provinces.
1306
J'y suis encor, malgré tes infidélités,
1307
Et malgré tous mes Grecs honteux de mes bontés.
1308
Je leur ai commandé de cacher mon injure.
1309
J'attendais en secret le retour d'un parjure.
1310
J'ai cru que tôt ou tard à ton devoir rendu,
1311
Tu me rapporterais un coeur qui m'était dû.
1312
Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ?
1313
Et même en ce moment où ta bouche cruelle
1314
Vient si tranquillement m'annoncer le trépas,
1315
Ingrat, je doute encor si je ne t'aime pas.
1316
Mais, Seigneur, s'il le faut, si le Ciel en colère
1317
Réserve à d'autres yeux la gloire de vous plaire,
1318
Achevez votre hymen, j'y consens. Mais du moins
1319
Ne forcez pas mes yeux d'en être les témoins.
1320
Pour la dernière fois je vous parle peut-être,
1321
Différez-le d'un jour, demain vous serez maître.
1322
Vous ne répondez point ? Perfide, je le vois :
1323
Tu comptes les moments que tu perds avec moi.
1324
Ton coeur impatient de revoir ta Troyenne,
1325
Ne souffre qu'à regret qu'un autre t'entretienne.
1326
Tu lui parles du coeur, tu la cherches des yeux.
1327
Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux.
1328
Va lui jurer la foi, que tu m'avais jurée.
1329
Va profaner des Dieux la majesté sacrée.
1330
Ces Dieux, ces justes Dieux n'auront pas oublié,
1331
Que les mêmes serments avec moi t'ont lié.
1332
Porte aux pieds des autels ce coeur qui m'abandonne.
1333
Va, cours. Mais crains encor d'y trouver Hermione.

SCÈNE VI.

Pyrrhus, Phoenix.

PHOENIX
1334
Seigneur, vous entendez. Gardez de négliger
1335
Une amante en fureur, qui cherche à se venger.
1336
Elle n'est en ces lieux que trop bien appuyée,
1337
La querelle des Grecs à la sienne est liée.
1338
Oreste l'aime encore. Et peut-être à ce prix...

PYRRHUS
1339
Andromaque m'attend. Phoenix, garde son fils.


ACTE V

SCÈNE PREMIÈRE.

HERMIONE
1340
(seule)
Où suis-je ? Qu'ai-je fait ? Que dois-je faire encore ?
1341
Quel transport me saisit ? Quel chagrin me dévore ?
1342
Errante, et sans dessein, je cours dans ce palais.
1343
Ah ! Ne puis-je savoir si j'aime, ou si je hais ?
1344
Le cruel ! De quel oeil il m'a congédiée ?
1345
Sans pitié, sans douleur, au moins étudiée.
1346
L'ai-je vu se troubler, et me plaindre un moment ?
1347
En ai-je pu tirer un seul gémissement ?
1348
Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes,
1349
Semblait-il seulement qu'il eût part à mes larmes ?
1350
Et je le plains encore ? Et pour comble d'ennui,
1351
Mon coeur, mon lâche coeur s'intéresse pour lui ?
1352
Je tremble au seul penser du coup qui le menace ?
1353
Et prête à me venger je lui fais déjà grâce ?
1354
Non, ne révoquons point l'arrêt de mon courroux.
1355
Qu'il périsse. Aussi bien il ne vit plus pour nous.
1356
Le perfide triomphe, et se rit de ma rage.
1357
Il pense voir en pleurs dissiper cet orage.
1358
Il croit que toujours faible, et d'un coeur incertain,
1359
Je parerai d'un bras les coups de l'autre main.
1360
Il juge encor de moi par mes bontés passées.
1361
Mais plutôt le perfide a bien d'autres pensées.
1362
Triomphant dans le temple, il ne s'informe pas
1363
Si l'on souhaite ailleurs sa vie ou son trépas.
1364
Il me laisse, l'ingrat ! Cet embarras funeste.
1365
Non, non encore un coup, laissons agir Oreste.
1366
Qu'il meure, puisqu'enfin il a dû le prévoir,
1367
Et puisqu'il m'a forcée enfin à le vouloir.
1368
À le vouloir ? Hé quoi ? C'est donc moi qui l'ordonne ?
1369
Sa mort sera l'effet de l'amour d'Hermione ?
1370
Ce prince, dont mon coeur se faisait autrefois,
1371
Avec tant de plaisir redire les exploits,
1372
À qui même en secret je m'étais destinée,
1373
Avant qu'on eût conclu ce fatal hyménée ?
1374
Je n'ai donc traversé tant de mers, tant d'États,
1375
Que pour venir si loin préparer son trépas ?
1376
L'assassiner, le perdre ? Ah ! Devant qu'il expire...

SCÈNE II.

Hermione, Cléone.

HERMIONE
1377
Ah ! Qu'ai-je fait, Cléone ? Et que viens-tu me dire ?
1378
Que fait Pyrrhus ?

CLÉONE
Il est au comble de ses voeux.
1379
Le plus fier des mortels, et le plus amoureux.
1380
Je l'ai vu vers le temple, où son hymen s'apprête,
1381
Mener en conquérant sa nouvelle conquête,
1382
Et d'un oeil où brillaient sa joie et son espoir,
1383
S'enivrer, en marchant, du plaisir de la voir.
1384
Andromaque, au travers de mille cris de joie,
1385
Porte jusqu'aux autels le souvenir de Troie :
1386
Incapable toujours d'aimer et de haïr,
1387
Sans joie, et sans murmure elle semble obéir.

HERMIONE
1388
Et l'ingrat ? Jusqu'au bout il a poussé l'outrage ?
1389
Mais as-tu bien, Cléone, observé son visage ?
1390
Goûte-t-il des plaisirs tranquilles et parfaits ?
1391
N'a-t-il point détourné ses yeux vers le palais ?
1392
Dis-moi, ne t'es-tu point présentée à sa vue ?
1393
L'ingrat a-t-il rougi, lorsqu'il t'a reconnue ?
1394
Son trouble avouait-il son infidélité ?
1395
A-t-il jusqu'à la fin soutenu sa fierté ?

CLÉONE
1396
Madame, il ne voit rien. Son salut, et sa gloire
1397
Semblent être avec vous sortis de sa mémoire.
1398
Sans songer qui le suit, ennemis, ou sujets,
1399
Il poursuit seulement ses amoureux projets.
1400
Autour du fils d'Hector il a rangé sa garde,
1401
Et croit que c'est lui seul que le péril regarde.
1402
Phoenix même en répond, qui l'a conduit exprès
1403
Dans un fort éloigné du temple et du palais.
1404
Voilà, dans ses transports, le seul soin qui lui reste.

HERMIONE
1405
Le perfide ! Il mourra. Mais que t'a dit Oreste ?

CLÉONE
1406
Oreste, avec ses Grecs, dans le temple est entré.

HERMIONE
1407
Hé bien ? À me venger n'est-il pas préparé ?

CLÉONE
1408
Je ne sais.

HERMIONE
Tu ne sais ? Quoi donc Oreste encore,
1409
Oreste me trahit ?

CLÉONE
Oreste vous adore.
1410
Mais de mille remords son esprit combattu
1411
Croit tantôt son amour, et tantôt sa vertu.
1412
Il respecte en Pyrrhus l'honneur du diadème.
1413
Il respecte en Pyrrhus Achille, et Pyrrhus même.
1414
Il craint la Grèce, il craint l'Univers en courroux,
1415
Mais il se craint, dit-il, soi-même plus que tous.
1416
Il voudrait en vainqueur vous apporter sa tête.
1417
Le seul nom d'assassin l'épouvante et l'arrête.
1418
Enfin il est entré, sans savoir dans son coeur,
1419
S'il en devait sortir coupable, ou spectateur.

HERMIONE
1420
Non, non, il les verra triompher sans obstacle,
1421
Il se gardera bien de troubler ce spectacle.
1422
Je sais de quels remords son courage est atteint.
1423
Le lâche craint la mort, et c'est tout ce qu'il craint.
1424
Quoi ? sans qu'elle employât une seule prière,
1425
Ma mère en sa faveur arma la Grèce entière ?
1426
Ses yeux pour leur querelle, en dix ans de combats,
1427
Virent périr vingt rois, qu'ils ne connaissaient pas ?
1428
Et moi je ne prétends que la mort d'un parjure,
1429
Et je charge un amant du soin de mon injure ;
1430
Il peut me conquérir à ce prix, sans danger,
1431
Je me livre moi-même, et ne puis me venger ?
1432
Allons. C'est à moi seule, à me rendre justice :
1433
Que de cris de douleur le temple retentisse.
1434
De leur hymen fatal troublons l'événement,
1435
Et qu'ils ne soient unis, s'il se peut, qu'un moment.
1436
Je ne choisirai point dans ce désordre extrême.
1437
Tout me sera Pyrrhus, fût-ce Oreste lui-même.
1438
Je mourrai. Mais au moins ma mort me vengera,
1439
Je ne mourrai pas seule, et quelqu'un me suivra.

SCÈNE III.

Oreste, Hermione, Cléone.

ORESTE
1440
Madame, c'en est fait, et vous êtes servie.
1441
Pyrrhus rend à l'autel son infidèle vie.

HERMIONE
1442
Il est mort ?

ORESTE
Il expire. Et nos Grecs irrités
1443
Ont lavé dans son sang ses infidélités.
1444
Je vous l'avais promis. Et quoique mon courage
1445
Se fît de ce complot une funeste image,
1446
J'ai couru vers le temple, où nos Grecs dispersés
1447
Se sont jusqu'à l'autel dans la foule glissés.
1448
Pyrrhus m'a reconnu. Mais sans changer de face,
1449
Il semblait que ma vue excitât son audace,
1450
Que tous les Grecs bravés en leur ambassadeur
1451
Dussent de son hymen relever la splendeur.
1452
Enfin avec transport prenant son diadème,
1453
Sur le front d'Andromaque il l'a posé lui-même.
1454
"Je vous donne, a-t-il dit, ma couronne, et ma foi,
1455
Andromaque, régnez sur l'Épire et sur moi.
1456
Je voue à votre fils une amitié de père,
1457
J'en atteste les Dieux, je le jure à sa mère.
1458
Pour tous mes ennemis je déclare les siens
1459
Et je le reconnais pour le roi des Troyens.
1460
À ces mots, qui du peuple attiraient le suffrage,
1461
Nos Grecs n'ont répondu que par un cri de rage.
1462
L'infidèle s'est vu partout envelopper,
1463
Et je n'ai pu trouver de place pour frapper.
1464
Chacun se disputait la gloire de l'abattre.
1465
Je l'ai vu dans leurs mains quelque temps se débattre,
1466
Tout sanglant à leurs coups vouloir se dérober,
1467
Mais enfin à l'autel il est allé tomber.
1468
Du peuple épouvanté j'ai traversé la presse
1469
Pour venir de ces lieux enlever ma princesse,
1470
Et regagner le port, où bientôt nos amis
1471
Viendront couverts du sang, que je vous ai promis.

HERMIONE
1472
Qu'ont-ils fait !

ORESTE
Pardonnez à leur impatience.
1473
Ils ont, je le vois bien, trahi votre vengeance.
1474
Vous vouliez que ma main portât les premiers coups,
1475
Qu'il sentit en mourant qu'il expirait pour vous.
1476
Mais c'est moi, dont l'ardeur leur a servi d'exemple,
1477
Je les ai pour vous seule entraînés dans le temple,
1478
Madame, et vous pouvez justement vous flatter
1479
D'une mort, que leurs bras n'ont fait qu'exécuter.
1480
Vous seule avez poussé les coups...

HERMIONE
Tais-toi, perfide,
1481
Et n'impute qu'à toi ton lâche parricide.
1482
Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur,
1483
Va, je la désavoue, et tu me fais horreur.
1484
Barbare qu'as-tu fait ? Avec quelle furie
1485
As-tu tranché le cours d'une si belle vie ?
1486
Avez-vous pu, cruels, l'immoler aujourd'hui,
1487
Sans que tout votre sang se soulevât pour lui ?
1488
Mais parle. De son sort qui t'a rendu l'arbitre ?
1489
Pourquoi l'assassiner ? Qu'a-t-il fait ? À quel titre ?
1490
Qui te l'a dit ?

ORESTE
Ô dieux ! Quoi ne m'avez-vous pas
1491
Vous-même, ici, tantôt, ordonné son trépas ?

HERMIONE
1492
Ah ! Fallait-il en croire une amante insensée ?
1493
Ne devais-tu pas lire au fond de ma pensée ?
1494
Et ne voyais-tu pas dans mes emportements,
1495
Que mon coeur démentait ma bouche à tous moments ?
1496
Quand je l'aurais voulu, fallait-il y souscrire ?
1497
N'as-tu pas dû cent fois te le faire redire,
1498
Toi-même avant le coup me venir consulter,
1499
Y revenir encore, ou plutôt m'éviter ?
1500
Que ne me laissais-tu le soin de ma vengeance ?
1501
Qui t'amène en des lieux où l'on fuit ta présence ?
1502
Voilà de ton amour le détestable fruit.
1503
Tu m'apportais, cruel, le malheur qui te suit.
1504
C'est toi, dont l'ambassade à tous les deux fatale,
1505
L'a fait pour son malheur pencher vers ma rivale.
1506
Nous le verrions encor nous partager ses soins,
1507
Il m'aimerait peut-être, il le feindrait du moins.
1508
Adieu. Tu peux partir. Je demeure en Épire,
1509
Je renonce à la Grèce, à Sparte, à son Empire,
1510
À toute ma famille. Et c'est assez pour moi,
1511
Traître, qu'elle ait produit un monstre comme toi.

SCÈNE IV.

ORESTE
1512
(seul)
Que vois-je ? Est-ce Hermione ? Et que viens-je d'entendre ?
1513
Pour qui coule le sang que je viens de répandre ?
1514
Je suis, si je l'en crois, un traître, un assassin.
1515
Est-ce Pyrrhus qui meurt ? Et suis-je Oreste enfin ?
1516
Quoi ? J'étouffe en mon coeur la raison qui m'éclaire.
1517
J'assassine à regret un roi que je révère.
1518
Je viole en un jour les droits des souverains,
1519
Ceux des ambassadeurs, et tous ceux des humains ;
1520
Ceux même des autels, où ma fureur l'assiège.
1521
Je deviens parricide, assassin, sacrilège.
1522
Pour qui ? Pour une ingrate, à qui je le promets ;
1523
Qui même, s'il ne meurt, ne me verra jamais,
1524
Dont j'épouse la rage. Et quand je l'ai servie,
1525
Elle me redemande et son sang et sa vie !
1526
Elle l'aime ! Et je suis un monstre furieux !
1527
Je la vois pour jamais s'éloigner de mes yeux,
1528
Et l'ingrate, en fuyant, me laisse pour salaire
1529
Tous les noms odieux que j'ai pris pour lui plaire.

SCÈNE V.

Oreste, Pylade, Soldats d'Oreste.

PYLADE
1530
Il faut partir, Seigneur. Sortons de ce palais,
1531
Ou bien résolvons-nous de n'en sortir jamais.
1532
Nos Grecs pour un moment en défendent la porte.
1533
Tout le peuple assemblé nous poursuit à main forte.
1534
Aux ordres d'Andromaque ici tout est soumis,
1535
Ils la traitent en reine, et nous comme ennemis.
1536
Andromaque elle-même à Pyrrhus si rebelle,
1537
Lui rend tous les devoirs d'une veuve fidèle,
1538
Commande qu'on le venge, et peut-être sur nous
1539
Veut venger Troie encore, et son premier époux.
1540
Allons. N'attendons pas que l'on nous environne,
1541
Nos Grecs nous rejoindront. Et tandis qu'Hermione
1542
Tient encore le peuple autour d'elle arrêté,
1543
Voilà notre chemin, sortons en sûreté.

ORESTE
1544
Non, non, c'est Hermione, amis, que je veux suivre,
1545
À son dernier arrêt, je ne puis plus survivre :
1546
Partez, j'ai fait le crime, et je vais l'expier.

PYLADE
1547
Hermione, Seigneur ? Il la faut oublier.
1548
Quoi ! Toujours l'instrument, et l'objet de sa rage
1549
Cherchez-vous chez les morts quelque nouvel outrage ?
1550
Et parce qu'elle meurt, faut-il que vous mouriez ?

ORESTE
1551
Elle meurt ? Dieux ! Qu'entends-je ?

PYLADE
Hé quoi ? vous l'ignoriez ?
1552
En rentrant dans ces lieux nous l'avons rencontrée,
1553
Qui courait vers le temple, inquiète, égarée.
1554
Elle a trouvé Pyrrhus, porté sur des soldats,
1555
Que son sang excitait à venger son trépas.
1556
Sans doute à cet objet sa rage s'est émue.
1557
Mais du haut de la porte enfin nous l'avons vue,
1558
Un poignard à la main, sur Pyrrhus se courber,
1559
Lever les yeux au Ciel, se frapper, et tomber.

ORESTE
1560
Grâce aux Dieux ! Mon malheur passe mon espérance :
1561
Oui, je te loue, ô Ciel ! De ta persévérance.
1562
Appliqué sans relâche au soin de me punir,
1563
Au comble des douleurs tu m'as fait parvenir.
1564
Ta haine a pris plaisir à former ma misère ;
1565
J'étais né pour servir d'exemple à ta colère,
1566
Pour être du malheur un modèle accompli :
1567
Hé bien, je meurs content, et mon sort est rempli.
1568
Où sont ces deux amants ? Pour couronner ma joie,
1569
Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie :
1570
L'un et l'autre en mourant je les veux regarder.
1571
Réunissons trois coeurs qui n'ont pu s'accorder.
1572
Mais quelle épaisse nuit tout à coup m'environne ?
1573
De quel côté sortir ? D'où vient que je frissonne ?
1574
Quelle horreur me saisit ? Grâce au Ciel, j'entrevois...
1575
Dieu ! Quels ruisseaux de sang coulent autour de moi !

PYLADE
1576
Ah Seigneur !
ORESTE Quoi, Pyrrhus, je te rencontre encore ?
1577
Trouverai-je partout un rival que j'abhorre ?
1578
Percé de tant de coups comment t'es-tu sauvé ?
1579
Tiens, tiens, voilà le coup que je t'ai réservé.
1580
Mais que vois-je ? À mes yeux Hermione l'embrasse ?
1581
Elle vient l'arracher au coup qui le menace ?
1582
Dieux, quels affreux regards elle jette sur moi !
1583
Quels démons, quel serpents traîne-t-elle après soi ?
1584
Hé bien, filles d'enfer, vos mains sont-elles prêtes ?
1585
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
1586
À qui destinez-vous l'appareil qui vous suit ?
1587
Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit ?
1588
Venez, à vos fureurs Oreste s'abandonne.
1589
Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione.
1590
L'ingrate mieux que vous saura me déchirer,
1591
Et je lui porte enfin mon coeur à dévorer.

PYLADE
1592
Il perd le sentiment. Amis, le temps nous presse,
1593
Ménageons les moments que ce transport nous laisse.
1594
Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissants,
1595
S'il reprenait ici sa rage avec ses sens.