Alexandre Hardy

Mariamne





Texto utilizado para esta edición digital:
Hardy, Alexandre. Mariamne: Tragédie. Édité et annoté par Ángeles García Calderón, pour la collection EMOTHE. Valencia: ARTELOPE Universitat de València, 2019.
Adaptación digital para EMOTHE:
  • Barreda Villafranca, Cristina (Artelope)
  • Tronch Pérez, Jesus (Artelope)

Bibliografía

MARIAMNE

TRAGÉDIE

PAR ALEXANDRE HARDY, Parisien
___________


ARGUMENT

Ce même Hérode, qui signala ses cruautés par le meurtre des Saints lnnocents, prit à femme, autant pour la commodité de ses affaires, que pour une excellence de beauté, Mariamne, issue du sang Royal des Assamonéens; mais cette généreuse Princesse ne peut jamais aimer cordialement un Tyran, qui lui avait fait tuer ses père et frère, afin de parvenir à la Couronne de Judée, si bien que toutes les caresses d’un mari qui l’idolâtrait, méprisées, ne servaient qu’à faire éclater la haine d’un humeur altière, tant sur Hérode, que sur sa parenté; ce qui occasionna Phérore et Salomé, frère et sœur du Roy, à concevoir une haine irréconciliable contre Mariamne, et à pratiquer toute sorte d’impostures et d’inventions pour la perdre. L’amour d'Hérode tint toutefois longtemps bon à l'encontre, sans se pouvoir résoudre à priver de lumière ce Soleil de vertueuse beauté qui l’animait. Nonobstant Salomé s’avise enfin de suborner le premier Échanson du Roi, déférant Mariamne vers sa Majesté, comme celle qui lui avait voulu persuader un mélange de poison, parmi son breuvage. La fraude succéda, à cause que Salomé sut prendre son temps, et choisit l’occasion du courroux d’Hérode, naguères épris contre sa moitié, pour certain refus qui se lit dans Josèphe, plus honnête à taire, qu'utile à révéler. Tant y a que ce Monstre de cruauté lâchant la bride à une vengeance inconsidérée sur telle fausse accusation, fait décapiter sa femme, saisi à même temps d'un tel regret de sa perte qu’il en devint furieux, et la regretta depuis jusques à la mort.


LES ACTEURS

L’Ombre d’Aristobule
Hérode
Mariamne
Phérore
Salomé
Soême
Nourrice
Prévôt
Échanson
Messager
Eunuque
Page

ACTE I

L’OMBRE D’ARISTOBULE, HÉRODE, PHÉRORE, ET SALOMÉ

SCÈNE I

L’OMBRE D’ARISTOBULE.
Monstre le plus cruel qui respire la vie,
Tyran bouffi d’orgueil, et forcené d’envie,
Fléau de l’innocence, horreur du genre humain,
Que fait si longuement ocieuseN
X
Nota del editor

désuet du latin otiosus « oisif ». «Je suis prisonnier de tes yeux Toujours, −et parfois de tes bras, Mais ne plains pas ces embarras Qui ne sont guère qu'ocieux » Verlaine.

ta main ?
5
Comment peut reposer ta dextre carnassière ?
Ta soif, qu’oncquesN
X
Nota del editor

: Onc, on(c)ques, onques, oncques, adv.: A. [Avec une valeur positive] Un jour, à un certain moment. B. [Avec une valeur négative, servant, avec ne, à former une négation de temps] Jamais, à aucun moment (Dictionnaire du Moyen Français).

le sang rebuN
X
Nota del editor

Rebu : part. passé de reboire (Littré : Dictionnaire de la langue française).

ne désaltère ?
Après mon Géniteur,N
X
Nota del editor

Père (Huguet : Dictionnaire de la langue française du seizième siècle).

le bon Hyrcane,N
X
Nota del editor

Jean Hyrcan Ier, dit Hyrcanus, règne sur la Judée de 134 à sa mort en 104 av. J.-C. Il est le deuxième fils de Simon Maccabée et grand prêtre du Temple de Jérusalem à la fin du IIe siècle av. J.-C. C'est donc un Hasmonéen et le neveu de Judas maccabée. Plusieurs campagnes de conquêtes lui permettent d'étendre son royaume sur une grande partie de l’aire géographique palestinienne à l'exception de la Galilée. Deux de ses fils marquèrent la dynastie hasmonéenne : Aristobule Ier et Alexandre Jannée.

occis,
Qui, t’ayant de plein gré dedans son trône assis,
Ne conspirait sinon de passer sans envie
10
Loin du fardeau Royal le reste de sa vie,
Qui crédule séduit de ta parjure foi,
Recors deN
X
Nota del editor

se souvenant de.

ses bienfaits vers AntipâtreN
X
Nota del editor

père d’Hérode et autrefois soutien principal d’Hyrcan (A. Howe).

et toi,
Et ravi deN
X
Nota del editor

emporté par.

l’amour de sa terre natale,
Y retourna victime à ta fureur brutale ;
15
Barbare, après ce meurtre, après m’avoir éteint,N
X
Nota del editor

détruire, anéantir.

L’âge de puberté à toute peine atteint.
Moi, qu’un peuple en son cœur réclamait à l’encontre
De tes impiétés, et qui ne me démontreN
X
Nota del editor

présent historique, dicté probablement pour la rime (A. Rowe).

Que trop d’affection, premier qu’il fût saison,
20
Trop regretter le frein de ceux de ma maison,
Ses Princes naturels, ces Pasteurs débonnaires,
Ennemis d’injustice et d’actes sanguinaires,
Après avoir fauché les fleurs de mon printemps,
Sous ombre, déloyal, d’un mortel passe-temps,
25
Étouffé dans les eaux de la troupe assassine ;
Mort qui presque causa ton extrême ruine,
Sinon que ce destin, moteur de l’univers,
À de pires tourments te réserve (pervers)
Te donne mille morts deN
X
Nota del editor

par des.

troubles domestiques,
30
Outre une fin tragique entre les plus tragiques,
Dévoré de vermine en chaque part du corps,
Au lieu d’une, souffrant un siècle mille morts.N
X
Nota del editor

Cette longue question étalée sur 28 vers (5-32) offre au lecteur une initiation immédiate au style touffu d’Hardy, qui faisait de même au commencement de La Force du sang, Félismène et La Belle Égyptienne. Le fantôme d’Aristobule reproche à Hérode les meurtres d’Hyrcan et de lui-même. Aristobule, ayant à peine 18 ans et considéré par le peuple comme son futur roi, avait été noyé par les serviteurs d’Hérode pendant qu’il se baignait.

Poursuis donc, poursuis donc, ô scélérat infâme,N
X
Nota del editor

L’alinéa souligne les articulations majeures du discours d’Aristobule, qui après avoir évoqué le passé parle du présent et de l’avenir. Le procédé est repris tout au long de la pièce : v. 77, 99, 117, etc. (S. Berrégard).

Ta haine, ta fureur contre ta propre femme.
35
Prive, ennemi commun, de la clarté du jour
Celle qui te brûlait d’un idolâtre amour.
Ma misérable sœur, Mariamne, qui traîne
En ta captivitéN
X
Nota del editor

= soumission amoureuse.

une mortelle chaîne,
Ne respire qu’à l’heur d’un abrégé trépas,
40
RetraçantN
X
Nota del editor

poursuivre.

au séjour du silence nos pas.
Tigre, hé! cuiderais-tuN
X
Nota del editor

cuider, v. n. Vieux mot, qui signifie croire. La Fontaine a encore employé ce vieux mot :

Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,
Qui souvent s'engeigne soi-même. (Féraud : Dictionnaire critique de la langue française).

son humeur magnanime
Oublier envers nous la grandeur de ton crime ?
Que le front déceptifN
X
Nota del editor

néologisme tiré de l’anglais deceptive, est un faux ami et c’est à tort qu’on lui donne le sens de « décevant ». L’anglais deceptive signifie en effet « trompeur». Cet adjectif est dérivé de deception, lui-même emprunté de l’ancien français deception, « tromperie ». Dans les textes médiévaux, on rencontrait certes l’adjectif deceptif et ses dérivés, fréquemment associés à des termes comme faux, traistre, pervers, cauteleux, tricheur, etc., mais ce mot est sorti de notre langue depuis plus de cinq siècles. (www.academie-francaise.fr/deceptif).

de ta prospérité
Jetât l’oubli dedans son courage irrité,
45
Alors certes, alors, la Cigogne pieuse
N’aurait plus du Serpent la semence odieuse,
L’agneau s’irait alors en franchise jeter
Chez la Louve brigande, afin de la téter,
Jamais il n’adviendra, jamais, elle vivante
50
De posséder sa grâce indigne ne te vante,
Jamais le souvenir de ton lâche délit
Ne lui figureraN
X
Nota del editor

décrira, représentera.

qu’un noir vipère au lit,
N’approchera de toiN
X
Nota del editor

« Elle n’approchera de toi». Ellipse du pronom personnel sujet.

qu’à contrecœur sa bouche,
Tant ce profond regret équitable la touche ;
55
Même, l’occasion présentée à ses vœux,
Soudain tu broncherais dans l’ÉrèbeN
X
Nota del editor

Dans la mythologie grecque, Erèbe (en grec ancien Erebos, en latin Erebus) est une divinité infernale née du Chaos, personnifiant les Ténèbres, l'Obscurité des Enfers. Il est le frère de Nyx (la Nuit), dont il a engendré Éther (le Ciel supérieur) et Héméra (le Jour). Il est décrit dans la Théogonie d'Hésiode.

larveux.N
X
Nota del editor

qui accueille les larves, c’est-à-dire les esprits des mort (S. Berrégard).

Pense à ce que prédit l’ombre d’Aristobule,
Reconnais-le, homicide, et tes maux accumule,
Et les laresN
X
Nota del editor

les Lares et les Pénates étaient dans, la civilisation romaine, les dieux chargés de la protection du foyer.

emplis du sang de ta moitié,
60
Dépouillé de raison, de douceur, de pitié,N
X
Nota del editor

Flavius Josèphe raconte qu’après la mort de Mariamne, Hérode « tomba en une grosse et grave maladie.

Tandis, mainte autre perte à la sienne succède,
Qui la borne à présent de mon pouvoir excède,
Qu’assez tôt tu sauras à tes dépens toujours,
Qui prépare un Enfer à tes langoureuxN
X
Nota del editor

languissant, malade.

jours,
65
Qui fera de ton sort un affreux exemplaire
Aux Monarques qui font ce que tu ne dois faire,
Abusent impudents de la faveur des Cieux,
Et n’estiment vertu que d’être vicieux.

SCÈNE II

HÉRODE, PHÉRORE, SALOMÉ

HÉRODE
Quelque Démon jaloux de l’honneur de ma gloire
70
Ramène des horreurs funèbres en mémoire,
Tâche d’intimideN
X
Nota del editor

par.

r un effroi deN
X
Nota del editor

par.

la peur
Un qui, présent, résout les périls en vapeur,
Depuis que ce côté capable d’une épée,
Ce chef de soutenir la Couronne usurpée,
75
Le courage enrôlaN
X
Nota del editor

enroller = noter, enregistrer.

mes gestes, mes Lauriers,
Au nombre valeureux des plus braves guerriers.
Jadis (à ce qu’on dit) l’AmphitryoniadeN
X
Nota del editor

épithète patronymique désignant Hercule, fils qu’Alcmène eut de son union avec Jupiter, qui s’était déguisé sous les traits de son mari Amphitryon. Suivant un procédé que recommandaient les poètes de la Pléiade, Hardy crée un néologisme qui désigne Hercule (S. Berrégard).

Rompit de sa marâtre au berceau l’embuscade,
Écrasa deux Serpents de ses faiblettesN
X
Nota del editor

On trouve aussi les formes « flammèches » (v. 734) et « Pauvrette » (v. 1521). Le diminutif est un procédé que Ronsard déjà affectionnait (S. Berrégard).

mains,
80
RepurgeantN
X
Nota del editor

Participe présent du verbe répurger = purifier.

l’univers de Monstres inhumains,
À mesure que l’âge ajoutait à sa force,
Si qu’un labeur servait à un autre d’amorce.
J’ai de même, indomptable aux travaux présentés,
Tous obstacles franchis, toutes difficultés,
85
Pour atteindre le faîte envié d’un Empire,
Où premier je me suis de ma race fait luire,
Malgré fortune adverse et ceux de qui le sang
Voulait de généreux me disputer ce rang,
Que pendantN
X
Nota del editor

pendant ce temps.

j’observasse un moyen de Justice ?
90
Que mes compétiteurs prudent je ne perdisse,
Que, crainte d’encourir un nom de cruauté,
Je flottasse incertain de telle Royauté ?
Que je ne lui donnasse un fondement solide ?
La faute n’appartient qu’au vulgaire stupide ;
95
Quiconque veut régner longuement assuré,
Jamais, en ce scrupule importun demeuré,
N’attende que celui auquel ore il pardonne,
Tantôt à l’impourvuN
X
Nota del editor

locution adverbiale archaïque : à l'improviste, non prévu ; le prestigieux grammairien Vaugelas utilisait à l'improviste, à l'impourvu.

ravisse sa Couronne.
En matière d’État, les préceptes meilleurs:
100
Gardons la piété; hormis ce point, ailleurs,
Prévoyants n’épargnons amis ni parentèle,
Qui sa part avec nous du Royaume querelle,N
X
Nota del editor

quereller = réclamer, contester.

Du secret pratiqué je dépouille les fruits,
Ces mutins factieux dessous le frein réduits,
105
Que le ressouvenir d’une famille antique
Soulevait, réputant mon pouvoir tyrannique,
Et jusqu’à la racine extirpée, il n’y a
Plus de quoi redouter quant à ce côté-là,N
X
Nota del editor

ces deux vers renferment plusieurs aspects de la versification de Hardy –emploi de l’hiatus et de l’enjambement, position de la césure, rime banale- que Malherbe aurait désavoués (A. Rowe).

Seul, paisible je tiens la Judée asservie,
110
Autant ou plus heureux que Monarque en sa vie,
Si l’orgueil amolli de celle que je sers,
Jaçoit qu’N
X
Nota del editor

ancienne conjonction signifiant quoique, bien que. L'ancienne conjonction était jà soit ce que. L'orthographe par ç est fausse (Littré : Dictionnaire de la langue française).

Épouse, ainsi qu’esclave mis aux fers,N
X
Nota del editor

par cette dernière expression, Hérode se désigne lui-même, soulignat ainsi le caractère paradoxal de la situation dans laquelle il se trouve (s. Berrégard).

Que j’adore brûlé d’une flamme loyale,
Daignait réciproquer l’amitié nuptiale,
115
Daignait, hélas! daignait de bon œil recevoir
L’hommage repoussé de mon humble devoir.
Ô Mariamne ingrate ! ô farouche rebelle !
Que n’es-tu plus bénigne, ou moins chaste, ou moins belle ?
Tu me fais tout le jour mille fois remourirN
X
Nota del editor

il se conjugue comme mourir. Mourir une seconde fois (Littré : Dictionnaire de la langue française).

120
Du rancœur obstiné que je te vois nourrir,
Rancœur qu’à la parfinN
X
Nota del editor

loc. adverb. tombée en désuétude et signifiant : à la fin dernière (Littré : Dictionnaire de la langue française).

je douteN
X
Nota del editor

douter = se demander.

intolérable,
T’apporter justement un malheur déplorable.
Ah ! perverse nature, ah ! courage rebours,
Les yeux clos, furieuse, à ta perte tu cours.

PHÉRORE
125
Votre Majesté dût reprendre un peu d’haleine,
Au courantN
X
Nota del editor

cours.

des soucis journaliers qui l’entraine,
Se relâcher un peu de ces pensersN
X
Nota del editor

penser. s. m. Pensée. Il n'a d'usage que dans la poésie (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

cuisants,N
X
Nota del editor

douloureux.

Qui blanchissent la tête et abrègent les ans.
Le pilote assuré du courroux de Neptune
130
Jouit telle qu’elle est de sa bonne fortune,
N’a sans cesse ses yeux dans les astres fichés,
Ou ses robustes bras sur le timon penchés :
Ainsi dorénavant, les guerres étouffées,
Par vos braves labeurs, terminés en trophées,
135
Paisible possesseur du Sceptre Palestin,
Nul rival demeuré, nul discord intestin,
Grâces à l’Éternel, toutes choses si calmes,
Un monde s’égayant à l’abri de vos palmes,
Hé! que pouvez-vous moins, de la guerre recous,N
X
Nota del editor

de recourre. Terme vieilli dont on ne connaît aujourd'hui que le présent, je recous tu recous, il recout, l'infinitif recourre, et le participe passé recous. Reprendre sur l'ennemi (Littré : Dictionnaire de la langue française).

140
Le corps cicatriséN
X
Nota del editor

blesser.

de tant d’horribles coups,
Que savourer les fruits d’un repos souhaitable ?
Moins que de vous donner une part équitable,
De ce suprême bienN
X
Nota del editor

le repos, la paix qui a suivie ses victoires.

dont vous êtes l’auteur,
Dont envers le commun vous estes bienfaiteur ?
145
Néanmoins à ce front imprimé de tristesse
Il semble qu’appeliez une fâcheuse hôtesse,
Que vos utiles jours veuillez précipiter,
Et tel heur, à regret conféré, nous ôter.

HÉRODE
Favorisé de Mars autant qu’homme du monde,
150
Ma grandeur affermie à peu d’autres seconde,
Affluant de richesse, un point d’adversité
Obscurcit le Soleil de ma félicité,
Rembarre d’un fléau domestique ma joie,
De sorte que partout un tourment me côtoie,
155
De sorte que frustré de mon principal bien,
Cuidant tout posséder, je ne possède rien.

PHÉRORE
Mariamne possible, ensuivantN
X
Nota del editor

suivant, conformément à.

sa coutume,
D’une rage d’orgueil encontre vous s’allume,
Abusant du pouvoir que ce charme d’Amour
160
Lui concède sur vous. Ah ! pernicieux jour,
Qui vous empoisonna le premier de sa vue !
Combien votre raison s’extravague déçue,
S’efforçant de gagner un Monstre par douceur,
Auquel rien que l’effort n’est convenable et seur!N
X
Nota del editor

on garde la graphie seur, pour la rime.

HÉRODE
165
L’effort, incompatible à sa beauté divine,
À ce miracle issu de Royale origine,
N’aigrirait que ma plaie au lieu de l’adoucir,
Prolongerait ma peine au lieu de l’accourcir.N
X
Nota del editor

abréger.

Sa haine, ses dédains, son mépris ordinaire
170
Je préfère aux faveurs d’une amitié vulgaire.

PHÉRORE
Erreur qui pourtant couve un périlleux brasier,
Qui fera son audace à plus licencier,N
X
Nota del editor

omission après faire du pronom réfléchi du verbe se licentier : Prendre de soi-même des libertés (Furetière : Dictionnaire universel). Sortir de son devoir (Richelet : Dictionnaire François contenant les mots et les choses…). S’émanciper (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

Sur une ferme foi que toute félonie,
Toute injure envers vous lui demeure impunie.

HÉRODE
175
La volonté mauvaise, inutile, ne sert
Lors qu’à l’effectuer le moyen n’est offert.

PHÉRORE
Liguée avec sa mère, une Érine infernale,N
X
Nota del editor

Comme l’indique Flavius Josèphe, Alexandra, la mère de Mariamne, se plaignait régulièrement des violences commises par son gendre, notamment sur les membres de sa famille. Dans la pièce elle n’est jamais visible, mais le messager la mentionne dans le récit qu’il fait de la mort de l’héroïne (v.1495-1512) (S. Berrégard).

Qui lui souffle le meurtre, et dans son sein dévale
Des conseils pestilents de dol, de trahison,
180
Votre assurance pend d’une étroite prison.

HÉRODE
Captive, je voudrais en sa place me mettre,
Mon amour ne saurait de cruauté permettre.

PHÉRORE
Repensez aux périls qu’elles vous ont brassés.

HÉRODE
Il ne me souvient plus des outrages passés.

PHÉRORE
185
Il lui ressouvientN
X
Nota del editor

se ressouvenir = se souvenir fortement.

trop des siens qu’elle regrette,
Reclus à votre aveu dans la tombe muette.

HÉRODE
Le temps ensevelit de pareilles douleurs.

PHÉRORE
Au contraire, il accroît sa menace et ses pleurs.N
X
Nota del editor

Exemple de la stichomythie (Vv.183-188), procédé fort goûté par Sénèque et par ses disciples au XVIe siècle (A. Howe).

HÉRODE
Encore les lions à la fin s’apprivoisent,
190
Les orages plus forts dessurN
X
Nota del editor

« Le mot a les sens suivants : A : sur, B : au-dessus de. C : en plus de » Dictionnaire du Moyen Âge (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales).

l’onde s’accoisent :
J’espère la fléchir à force d’endurer,N
X
Nota del editor

souffrir.

Et son contentement de tout point procurer.

PHÉRORE
Ô forte passion, que tu aveugles l’homme !
Mais j’aperçois venir, ce me semble, Salome,N
X
Nota del editor

on garde la forme « Salome », pour la rime avec « homme ».

195
Morne de contenance, et qu’un pressant souci,
Pour le communiquer, aura conduite ici.

SALOMÉ
Jusques à quel éclat de ruine suprême
Voulez-vous demeurer oisif, hors de vous-même ?
Et jusques à quel terme attendre qu’un méchefN
X
Nota del editor

s. m. Malheur, fâcheuse aventure (Dictionnaire de L'Académie française, 4ème édition). Terme vieilli.

200
D’heure en autre survienne accabler votre chef ?
Attendre qu’un Aspic ingrat, de sa pointure
Pique qui l’éleva d’une idolâtre cure,
N’aspire frauduleux moins qu’à vous arracher
L’Empire, après le jour, faute de l’écacher ?N
X
Nota del editor

écraser, aplatir.

205
Ah ! que votre prudence au grand besoin sommeille !
Qu’ores aux bons conseils vous étoupez l’oreille,
Pris d’une frénésie aveugle, qui messiedN
X
Nota del editor

messeoir = ne pas convenir.

À votre âge, en quiconque en un trône se sied !
Maîtrise des bouillons d’une jeunesse folle,
210
Sur le théâtre humain jouant un moindre rolle,N
X
Nota del editor

Rolle, Rollet, cerchez Rouler (Nicot : Thresor de la langue française).

On vous excuserait; mais Monarque vieillard,
Votre honneur, votre vie, et nous tous en hasard,
Sous ombre d’affecter une femme ennemie,
Ici le repentir est joint à l’infamie,
215
Ici vous offusquez le clair de vos vertus,
Et vous vous laissez vaincre aux vices combattus.

HÉRODE
Jaçoit que son humeur aucunement hautaine
Ait les miens à mépris, et provoqué leur haine,
Confessez qu’un excès de rancœur envieilli
220
Me l’accuse souvent oùN
X
Nota del editor

là où.

elle n’a failli,
Trouve en ses actions toute chose mauvaise,
L’apparence que rienN
X
Nota del editor

quelque chose, en référence au latin res, dont le mot est issu (S. Berrégard).

d’un ennemi nous plaise ?
Or à ma volonté que la pouvant plier,
Je pusse désormais vous réconcilier :
225
Neutre, j’égalerai au défaut la balance,
Sans qu’aucun des partis endure violence,
Sans qu’elle l’intéresse à votre occasion,
Ni vous par conséquent à sa suasion.N
X
Nota del editor

terme vieilli. Conseil, sollicitation (Littré : Dictionnaire de la langue française).

PHÉRORE
Moi, que la passion puisse particulière
230
Tant de l’honneur me faire affranchir la carrière
Qu’accroissant ce discord vous la calomnier ?
Plutôt ce jour ici me tombe le dernier,
J’accepterais pour vous son amour de la tête,N
X
Nota del editor

la préposition de ne le cède en rien à sa rivale à pour la variété des emplois. De = au pris de : « J’accepterais pour vous son amour de la tête » (Eugène Rigal : « Le Théâtre d' Alexandre Hardy: Corrections à la réimpression Stengel et au texte original », Zeitschrift für Neufranzösicche Sprache und Literatur, XIII, p. 603).

Et c’est envers le Ciel ma fréquente requête.

HÉRODE
235
L’homme sait beaucoup mieux se modérer aussi,
Beaucoup mieux commander à son ire adouci,N
X
Nota del editor

« adouci » se rapporte à « homme » (S. Berrégard).

Que ce sexe imparfait, qui, pourvu qu’il se venge,
Estime indifférent le blâme et la louange.

SALOMÉ
Volontiers je lui ai, faussaire, supposésN
X
Nota del editor

accord du participe passé en dehors de la règle, licence poétique pratiquée au XVIe siècle (Brunot, II, pp. 468-470).

240
Mille et mille attentats encontre vous osés,
Ses plaintes sourdement à Cléopâtre faites,
Afin de la tirer de vos griffes funestes,
Du Sceptre vous priver sur sa race envahie.
Jamais Epoux fut il plus lâchement trahi,
245
QuiN
X
Nota del editor

lui qui.

l’adore, en faisant hébété son Idole ?
» Pardonnez si je lâche un telle parole, 
Contrainte du devoir et de la vérité.
Quelle créance après a-elle méritée ?

HÉRODE
SéduiteN
X
Nota del editor

« puisqu’elle a été séduite », emploi absolu du participe passé (A. Howe).

de sa mère, il y a de l’excuse.

PHÉRORE
250
Une persévérance à mal faire l’accuse,
À médire de vous, ignoble vous nommer,
Des propos chaque jour de révolte entamer.

HÉRODE
Qu’importe qu’elle dise, impuissante du reste ?

SALOMÉ
Le peuple là-dessus son oreille lui prête.

HÉRODE
255
Ma justice exercée est un mors suffisant,
Des exemples passés rendu sage à présent.

PHÉRORE
Cette hydre,N
X
Nota del editor

l’Hydre de Lerne.

un chef ôté, de mille repullule.

HÉRODE
Et pour un million je représente Hercule.

SALOMÉ
En elle, prévoyant, d’un coup vous les tranchez.

HÉRODE
260
Son amourN
X
Nota del editor

c’est-à-dire: l’amour que j’ai pour elle.

plus profond au cœur vous me fichez,
Plus l’aiguillon vengeur me découvre sa pointe
Contre celle qui m’est d’un sacré nœud conjointe,
Race illustre des Rois, ornement de mon lit,
Avant que consentir tel énorme délit,
265
Je me déposerai du Sceptre et de la vie,
Mon pouvoir ne se règle au compas de l’envie.

PHÉRORE
Dieu veuille que je sois trompé de l’avenir.

HÉRODE
Que pourrait-elle pis, s’il en faut là venir ?

SALOMÉ
Corrompre un domestique à force de promesses,
270
Employant du poison les embûchesN
X
Nota del editor

les pièges, les ruses.

traîtresses,
Du poison qui se mêle au breuvage, au repas,
Ou pendant le sommeil vous brasser le trépas.

HÉRODE
Ses actions ainsi que le cœur magnanime,
J’oserais la plégerN
X
Nota del editor

pleiger. v. act. Cautionner en Justice. Il vieilli (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

pour un si lâche crime.

PHÉRORE
275
La bonne impression qu’elle vous a conçue,
Que vous avoir empreint de longtemps elle a su,
D’autant l’animera d’entreprendre hardie,
Voire d’effectuer une entreprise ourdie.

HÉRODE
Résolu de me croire où j’ai plus d’intérêts,
280
Le destin ne pourrait révoquer mon arrêt.
Que l’on désiste donc de ces répliques vaines,
De perdre sciemment son labeur et ses peines.

SALOMÉ
Hélas ! il est bien vrai que ce foudre orageux
Atterre en vous le tronc d’un grand chêne ombrageux.
285
Mais nous qui demeurons à l’abri du feuillage,
Ne laissons de tirer notre part du dommage,
Mais privés des rayons du Soleil qui nous luit,
Il nous le faudrait suivre en l’éternelle nuit.

PHÉRORE
Amour l’appelle ailleurs, Tyran de sa pensée ;
290
Or que sa mort elle eût volontaire brassée,
Il ne peut, ni ne veut, le coup en détourner,
Un salutaire avis ne le fait qu’obstiner.

SALOMÉ
Hélas ! je l’aperçois plus que je ne désire,
Dussé-je nonobstant renouveler son ire,
295
J’espère l’arrogante épier de si près,
Mettre tant de lumière et tant d’Argus après,
Que nous rétorqueronsN
X
Nota del editor

rétorquer = retourner contre quelqu’un.

ses fraudes dessur elle,
Qu’elle succombera sous le faix, criminelle,
Que le Roi, décharnéN
X
Nota del editor

dépouillé.

par l’objet du danger,
300
Se laissera, contraint, à l’équité ranger.


ACTE II

MARIAMNE, NOURRICE, PAGE, SALOMÉ, ÉCHANSON

SCÈNE I

MARIAMNE, NOURRICE, PAGE

MARIAMNE
Justes Cieux, écoutez à cette fois ma plainte,
Que la pitié vous donne une sensible atteinte,
La pitié des travaux, des douleurs, des ennuis,
Qui de mes jours ont fait de larmoyablesN
X
Nota del editor

Larmoyable, Lachrymabile (Nicot : Thresor de la langue française). Lacrymal, lacrymale, lacrymaux : adjectif (latin médiéval lacrimalis, du latin classique lacrima, larme).

nuits.
305
Hélas ! ne veuillez plus repousser ma prière ;
Ne veuillez plus mes vœux rejeter en arrière,
Vœux que l’ambition ne me suggère pas,
Vœux bornés du secours imploré du trépas,
La mort, la seule mort, humble je vous demande
310
Comme unique soulas de ma misère grande,
QueN
X
Nota del editor

= moi que.

l’Hymen a réduite en la captivité
D’un tyran dépouillé de toute humanité,
D’un tigre plus félon que n’est la félonie,
De qui la cruauté n’a de borne finie,
315
Meurtrier de mes parents, sur lesquels l’assassin
EmpièteN
X
Nota del editor

empiéter =usurper.

sa Couronne, exécrable larcin,
Après avoir éteint la famille Royale,
Ce mâtin carnassier, ceste âme déloyale,
Ce LestrygonN
X
Nota del editor

dans la mythologie grecque, les Lestrygons sont un peuple mythique de géants féroces et anthropophages (mangeurs d'hommes). Bien que présentés sous des traits mythiques, les Lestrygons et leur capitale, Télépyle, ont été localisés dès l’Antiquité par Thucydide en Sicile, là où vivaient aussi les Cyclopes. Dans l’Odyssée, les Lestrygons étaient des géants anthropophages qui dévoraiente les étrangers.

béantN
X
Nota del editor

ancien participe présent de béer =1. qui présente une large ouverture ; 2. qui bée, qui regarde avec étonnement. On appelle aussi, Gueules béantes, Ceux qui veulent toujours manger (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

au carnage, affamé,
320
De la fange venu d’un peuple diffamé,
Qui me feignait vouer plus d’amoureuses flammes,
Sous un semblant pipeur, qu’au reste de ses femmes,
Ne résonne en sa bouche autre nom que le mien,
Ne jure bien souvent que par notre lien,
325
L’hypocrite bourreau, sans offense reçue,
Sinon de soupçonner une sinistre issue,
Alors que, déféré du meurtre fraternel,
Antoine devant lui le cita criminel,
Alors pour confirmer l’amour dont il se vante,
330
Laisser le monument d’une ardeur si fervente,
Il enchargea,N
X
Nota del editor

encharger quelque chose à aucun, Mandare (Nicot : Thresor de la langue française).

puni des outrages commis,
Mourant comme coupable, il se l’était promis,
Qu’au même instant je fusse innocente égorgée,
Et victime agréable à son destin plongée,
335
Enorme cruauté, frénétique fureur,
Telle que son ministre, épouvanté d’horreur,
PointN
X
Nota del editor

participe passé du verbe « poindre ».

d’un pâle remords, me l’a manifestée.
Esclave fut-elle onc de la sorte traitée ?
Nourrice, as-tu jamais sous le tour du Soleil
340
Ouï parler d’un sort en désastre pareil,
Qu’il faille chaque nuit de fureur éperdue
Tenir la gorge prête à mon bourreau tendue,
Recevoir les baisers du pire des humains,
Qui trempa dans le sang de mon père ses mains,
345
Fit mon jeune germain suffoquer dans les ondes ?
Ô douleurs ! ô douleurs entre toutes fécondes !
Las ! hélas ! viendra point ce déplorable jour
Qu’un AlcideN
X
Nota del editor

c'est le nom donné à Héraclès par ses parents, parce qu'il était petit-fils d'Alcée, roi de Tirynthe. S'étant rendu compte que le petit Alcide était poursuivi par la colère de la déesse Héra.

t’immole, ô Busire,N
X
Nota del editor

Busire ou Busiris était autrefois la Ville Capitale de l'Egypte; mais à présent elle est entièrement ruinée; elle avait tiré ce nom d'un Tirien qui avait quitté le Royaume de Phénicie pour s'emparer de celui d Egypte. Adric. pag. 184. Il en est parlé dans Baudran en sa Géographie, & dans Genebrard liv. I.de sa Cronique. (Le Grand Dictionnaire de la Bible, tome premier, Lyon : Jean Certe, 1703, p. 279). Busire fut tué par Alcide (Hercule), petit-fils d’Alcée.

à ton tour,
Que je prête au chef-d’œuvre et le cœur et la dextre ?
350
Oui, la fin des meurtriers sanglante aussi doit être,
Les perfides toujours payés de trahison
M’osent faire espérer d’en avoir la raison.

NOURRICE
Jadis le sentiment de la récente injure
Colorait de Justice un semblable murmure ;
355
La plaie, qui de sang encore ruisselait,
Sa douleur en soupirs licites exhalait.
Toute chose s’estime à son temps assortie,
Mais la nef du naufrage un siècle a garantie,N
X
Nota del editor

c’est-à-dire à garant, locution contemporaine signifiant « à l’abri » (A. Howe).

Ne réputerait-on son pilote insensé,
360
Du regret à gémir ces périls dispensé ?
Madame, je ne vois guères plus d’apparence
Que votre Majesté, remise en assurance,
Mieux que jamais venue, et vue d’un Époux,
Rallume contre lui ces flammes de courroux,
365
Relève des projets forcenés de vengeance,
Impossibles d’effet, et de nulle allégeance,
Au contraire suivis d’un mortel repentir,
Qui leur moindre étincelle au jour ferait sortir.
Songeant à l’importance, hélas ! je tremble toute,
370
Qu’ils soient ouïs de l’air à bon droit je redoute,
Vu les pièges tendus d’un Prince défiant,
Auquel va de tout point la fortune riant.

MARIAMNE
Tu crains qu’il les entende, et moi je le désire,
Lasse de plus languir ès liens du martyre,
375
Lasse de voir le dard encochéN
X
Nota del editor

encocher = appliquer une flèche à la corde de l’arc.

de la mort
Sans cesse me mirer,N
X
Nota del editor

viser.

et me poursuivre à tort.

NOURRICE
Présumez qu’il conçut ce désir sanguinaire
D’un amour excessif qui passe l’ordinaire,
Pressé de l’aiguillon d’une jalouse peur,
380
Qu’après lui vous fussiez le butin d’un pipeur,
Indigne succédant à l’heur de votre grâce,
Incapable chez vous de l’honneur de sa place,
Tourment qui n’eut là-bas concédé le repos,
Tant il vous idolâtre, à son ombre, à ses os.
385
J’accorde tel amour dégénérer en rage,
Que c’est pour l’avenir avoir par trop d’ombrage ;
Mais le Sceptre en sa main désormais assuré,
Seul des compétiteurs au trône demeuré,
Délivré d’ennemis, de crainte et de tutelle,
390
Heureuse près de lui, votre fortune est belle,
La même frénésie onc ne le reprendra,
Car jamais l’accident passé ne reviendra.

MARIAMNE
Non, tant qu’intimidé de la Parque présente
Elle donne un assaut à son âge pesante,
395
Que proche de céder à la loi du destin,
J’égorge après la mort de mon sang ce mâtin,
Que son dernier sanglot me conduise au supplice,
Et ne me retirer le pied du précipice.
Détourner si je puis le couteau du voleur,
400
Certes ce serait bien mériter son malheur,
Ce serait bien complaire à sa damnable envie,
Ce serait lui donner à bon marché sa vie.

NOURRICE
La distance des jours du depuis écoulés
Et la diversité des incidents roulés,
405
Auraient de ce désir effacé la mémoire,
L’objet enseveli de sa crainte notoire,
Antoine, qu’il craignait votre couche affecter,
Qu’il savait pour l’amour sa foi ne respecter,
Jà blesséN
X
Nota del editor

référence au motif de la blessure d’amour.

du renom de vos beautés empreintes,
410
Ne tirant plus de là d’ombrages ni de craintes.
Aussi n’avez-vous plus d’image de danger,
Rien ne vous doit l’amour conjugal étranger.

MARIAMNE
Ô simple ! ô simple femme ! ô vieillesse hébétée !
De cuider qu’un objet seul troublât ce Penthée,N
X
Nota del editor

cousin de Dionysos, Penthée s’opposa au culte que le dieu avait imposé à Thèbes, sa ville natal, et aux excès auxquels se livraient les femmes de la cité. Mais, alors que Penthée s’était rendu sur le Mont Cithéron pour tenter de calmer leurs ardeurs, elles s’en prirent violemment à lui, et en particulier Agavé, sa propre mère, qui le frappa mortellement, avant de ramener à Thèbes ce qu’elle croyait être la tête d’un lion (S. Berrégard). Penthée fut porté à la scène dans Les Bacchantes d’Euripide. Il était renommé pour son orgueil et son impiété.

415
Que tout n’apparaît double à sa noire fureur,
Qu’il ne persévérât en ce jaloux erreur,
Que plus qu’auparavant ce taon ne l’aiguillonne,
Hélas ! je le dois mieux connaître que personne,
Je vois dedans son front, dans son cœur, dans ses yeux
420
Briller de mon trépas l’éclair injurieux.

NOURRICE
Comme quoi ?N
X
Nota del editor

= comment ?

l’amitié de sa part refroidie ?

MARIAMNE
Mes faveurs de plus beauN
X
Nota del editor

de plus belle.

l’hypocrite mendie,
Donne à son feint amour ce qu’il peut de renfort.
Je coursN
X
Nota del editor

courir = encourir.

avecque lui pour l’heure pareil sort
425
Que le chien jeté vif au lion de curée,N
X
Nota del editor

comme curée.

Auparavant la faim de son ventre emparée,
Il s’en joue, assiégé des griffes, attendant
Qu’elle arrive, le meurtre à coup persuadant,
Que la crinière droite et changé de courage,
430
L’impiteuxN
X
Nota del editor

impitoyable (Nicot : Thresor de la langue française).

ait saoulé sa famélique rage.
Voilà ce que je puis de l’attente espérer,
Voilà l’occasion que j’ai de m’assurer.

NOURRICE
Il se pourrait meurtrir afin de vous complaire,
Qu’irréconciliable, et mortel adversaire,
435
Vous ne lui saurez gré, que trop de passion
Interprétera mal sa chère intention.

MARIAMNE
Jaçoit que le Renard cauteleux nous blandisse,N
X
Nota del editor

du moyen français blandice = 1. marque d’une bienveillante attention ou d’une préférence particuliere ; 2. Marques de préférence qu’une femme donne à un homme ; 3. bienveillance, des bonnes grâces d’un personnage puissant du public ; 4. crédit, du pouvoir qu’on a auprès d’un grand personnage, dont on est aimé, préféré.

On redoute toujours d’éprouver sa malice.

NOURRICE
Celui qui ne forfaitN
X
Nota del editor

= agir contrairement à ce qu’on a le devoir de faire.

que de sa volonté,
440
Récompensant d’ailleurs en douceur, en bonté,
Dirais-je en des devoirs d’humilité si basse
Que ce qu’ont vu mes yeux leur créance surpasse,
N’impétrer de pardon, ne vous point amollir ?
C’est outre la raison ce Monarque avilir,
445
De gaieté de cœur ébranler sa ruine,
Coupable du mépris vers la grandeur divine.

MARIAMNE
Ô faveur odieuse, et confite de fiel,
Ô faveur ! ainsi égout de la haine du Ciel,
Trouve mes ennemis à leur tour je te prie,
450
Me souffrant de tous maux en la tombe guarie.N
X
Nota del editor

guarir : acut. Est ores actif, Dieu m'a guari, Deus me sanauit. Ores neutre, Il guarit, Sanus fit. Ores reciproque son action, Il se guarit, Semetipse sanat, aut certe sanus fit. Le Picard dit et prononce Ouarir, comme s'il estoit escrit Warir. Laquelle prononciation est communément representée par gu, par ceux qui ne la prononcent au naïf, comme de Wilhelmus, Werpir, Guilhelmus, Guerpir, voyez Garite (Nicot : Thresor de la langue française). Guarir = protéger, sauver.

NOURRICE
De quel défaut se plaint votre félicité ?

MARIAMNE
Informe quel défaut a mon adversité. 

NOURRICE
Riche de biens de l’âme et de ceux de fortune,
Toute chose à vos vœux secondant opportune,
455
Belle d’esprit, de corps, en l’Avril d’un Printemps,
Deux beaux surgeons de Rois de votre lit sortants,
L’oracle de celui qui dévot ne respire
Que sous l’honneur du vôtre abaisser son Empire,
Que vous traitez un peu beaucoup àN
X
Nota del editor

avec.

la rigueur,
460
Ce sont de vos motifs de plainte et de langueur,
De ces extrémités de pressante misère,
Ou plutôt se former en l’air une chimère.

MARIAMNE
Posons que, tes discours vraisemblables, je sois
Maîtresse de son cœur sous les jugales lois,
465
Qu’il m’honore, me prise, et me préfère unique.
Du Sceptre sur les miens usurpateur inique,
Né d’ignobles parents, étranger inconnu,
Presque de la charrue au trône parvenu,
Volontiers qu’il se fait grand tort de tel hommage,
470
Que je n’ai mérité ce petit avantage,
De bon cœur j’y renonce et n’en veux plus au prix.

NOURRICE
Il est Roi toutefois malgré votre mépris.

MARIAMNE
Roi contre tous les droits des gens et de nature.

NOURRICE
Sa vertu de l’effet de ce titre l’assure.

MARIAMNE
475
Sa vertu consistant aux meurtres perpétrésN
X
Nota del editor

consister à = consiter, résider en.

Dessur des innocents, que le traître a frustrés.

NOURRICE
Les appas d’un Royaume autorisent le crime,
La foi, la pitié souvent pour moins s’opprime.

MARIAMNE
Rarement le Tyran paisible s’éjouitN
X
Nota del editor

réjouir, charmer (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

480
De son rapt exécrable, et longuement jouit ;
Rarement, exempté de sa peine fatale,
Par le cours naturel au sépulcre il dévale.

NOURRICE
Désormais la Judée embouche doucement
Un mors insupportable en son commencement,
485
Désormais l’habitude une loi devenue,
On ne s’informe plus de la race inconnue,
Pilote nécessaire à l’État éprouvé,
Chacun qui le blâmait l’a depuis approuvé.
Entreprendrez-vous donc dessur une commune,
490
De force accommodée à sa bonne fortune ?
Madame, croyez-moi que son règne assuré
Sans le vouloir exprès de là-haut n’eût duré.

MARIAMNE
Qu’il dure, moyennant que je meure surprise
En l’effet d’une juste et louable entreprise.

NOURRICE
495
Hé ! Dieux, bons Dieux ! au moins veuillez tenir en vous,
Modeste réservez le fiel de ce courroux.
Tant de flatteurs épars, tant d’espions à craindre,
L’œil et l’oreille au guet,N
X
Nota del editor

= aux aguets.

sont près de vous enceindre,
Prêts à vous imposer pour un mot de travers
500
Tout ce qu’inventerait leur courage pervers,
Que du ressouvenir je frissonne pâmée,
Que j’en ai mille fois la Parque réclamée.

MARIAMNE
Nourrice, je n’espère, et ne redoute rien,
Rien de ce qui respire au globe terrien,
505
M’accuse qui voudra, bien souvent à sa face
J’use vers le Tyran de plus âpre menace,
Provoque ses fureurs, faciles d’accoiser
Si je me veux le front de larmes arroser,
S’il me plaît d’amollir sa féroce nature
510
Avec je ne sais quoi d’amoureuse peinture. 

NOURRICE
Comme sans y penser à mon but vous venez,
Sa facilité grande, et ses feux condamnés,
Reproché de fléchir, traitable, débonnaire,
Quand vous ne le voulez traiter en adversaire,
515
Quand réduite au devoir... Mais un page là-bas
Jette l’œil dessus nous, et s’avance au grand pas.

PAGE
Sa Majesté vous prie (ô vertueuse Reine)
De le venir trouver vouloir prendre la peine.

MARIAMNE
Où ?

PAGE
Dans son cabinet.

MARIAMNE
Sais-tu l’occasion ?

PAGE
520
L’indice ne me donne autre suasion
ForsN
X
Nota del editor

= excepté, sauf.

que de sa Junon, de son âme d’envie,
L’absence le travaille.

MARIAMNE
Ô faveur ennemie !
Sévère mandement, las !N
X
Nota del editor

Contraction de Hélas !

que tu m’es amer,
Plus qu’au forçat contraint derechef de ramer,
525
Qu’au captif de rentrer en la prison faussée.N
X
Nota del editor

= franchir.

Mais allons lui donner une œillade forcée ;
Allons lui témoigner de courage et de port
Combien à un désir contraire il fait d’effort.

SCÈNE II

SALOMÉ, ÉCHANSON

SALOMÉ
L’Abord à dire vrai du dessein que je trame
530
De scrupule pourrait faire pâlir une âme,
Agiter de tremeurN
X
Nota del editor

s. f. Frayeur, terreur. Latinisme, employé par Mme de Sévigné. « On attend des nouvelles d'Angleterre avec trémeur » — Le mot est imprimé en italique, apparemment par les soins de l'Éditeur (Féraud : Dictionnaire critique de la langue française).

ces courages peureux
Dans la fange élevés d’un peuple malheureux ;
Mais vous qui ne vivez animé que de gloire,
Vous de qui j’ai la foi vers le Prince notoire,
535
Qui d’un zèle pieux son salut préférez
Au propre jour duquel nous vivons éclairés,
Vous qu’un astre a voué prudent à son service,
Prudent discernerez l’utilité du vice,
Mesurerez au mal presque désespéré
540
Le remède pareil jusqu’ici différé.
Somme que le poison d’une amour féminine
Sur le Roi mon germain si puissante domine,
Lui cilleN
X
Nota del editor

ciller, verbe emprunté à la fauconnerie, où il signifie « coudre les paupières d’un oiseau de proie » (A. Howe).

tellement les yeux de la raison,
Que les moyens communs ne sont plus de saison ;
545
Que l’éminent péril de sa vie incertaine
Ne semble à l’aveuglé qu’une illusion vaine,
J’ai plus que mon pouvoir de ma part employé,
Afin de redresser ce cerveau dévoyé,
Afin de séparer de sa couche une peste
550
Qui de le suffoquer chaque moment s’appreste.
Stupide néanmoins, léthargique, assoupi,
Il se plaît en sa fange, où il a trop croupi,
N’aime, ne croit, ne tient en personne qui vive,
Hormis en Mariamne, objet qui le captive,
555
Présume que ce masque affronteur de beauté
Rarement ou jamais cache la cruauté,
Qu’au travers on lirait une fraude meurtrière ;
Cependant, prévenue, elle creuse sa bière,
Remue Ciel et Terre en cette intention
560
De hâter, le perdant, notre perdition,
Capitale ennemie à quiconque fidèle
Est au Roi domestique, ou joint de parentèle.
Or vous de qui le grade a chez nous le crédit
D’attenter un chef-d’œuvre à tout autre interdit,
565
De lui rendre suspects de sa mort conjurée,
Ceux dont la conjecture il a déjà tirée,
Pouvez à Mariamne imputer que souvent
Elle vous en a mis des propos en avant,
Par promesse voulu tirer à sa cordelle,
570
Afin d’empoisonner votre maître infidèle,
Mêler en son breuvage un philtre vénéneux,
Que ne croit là-dessus un homme soupçonneux ?
Même qu’à point nommé je me trouverai prête
De lui certifier l’outrage qui s’apprête,
575
L’induire d’envoyer cette horrible Alecton,N
X
Nota del editor

Les Furies ou, par antiphrase, les Euménides, c'est-à-dire en grec les Bienveillantes, sont appelées aussi les Érinnyes. Ce sont les divinités infernales chargées d'exécuter sur les coupables la sentence des juges. Alecton, la troisième furie, ne laisse aux criminels aucun repos ; elle les tourmente sans relâche. Odieuse à Pluton même, elle ne respire que la vengeance, et il n'est point de forme qu'elle n'emprunte pour trahir ou satisfaire sa rage. Elle est représentée armée de vipères, de torches et de fouets, avec la chevelure entortillée de serpents.

Du crime convaincue auxN
X
Nota del editor

dans les.

antres de PlutonN
X
Nota del editor

fils de Saturne et de Rhéa, il reçut en partage du monde, les enfers comme royaume. Les Latins lui donnèrent plusieurs noms: Pluto, Diopater, ou Diospater, Dis Pater, Jupiter infernal, Aédoneus, Orcus. On l'appelait aussi « summanus », c'est-à-dire « summus manium », le souverain des mânes ou des ombres. Toutefois on mettait sur le compte de Pluton, les tonnerres qui grondaient pendant la nuit Comme Pluton était dieu sombre et taciturne habitant un royaume qui ne respirait pas la joie, il ne trouva point de femme qui voulût le partager avec lui, il fut donc obligé d'user de surprise, et d'enlever de force Proserpine. Pluton a été identifié à Hadès des grecs et ne possède pas de légende qui lui soit propre (https://mythologica.fr/rome/pluton.htm ).

Bel acte qui d’un losN
X
Nota del editor

s. m. Vieux mot qui signifie, Louange, & qui n'est plus en usage que dans le burlesque (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

immortel vous guerdonne,N
X
Nota del editor

guerdonner, v. a. Récompenser. Terme vieilli (Dictionnaire de l'Académie française, 4ème édition).

Vous obligez le Roi, les siens, et sa couronne ;
Qu’en outre je promets un jour récompenser,
580
Mais il faut à l’effet diligemment passer.

ÉCHANSON
Madame, l’honneur sauf, je vous voudrais complaire,
Qui servez aux vertus d’une lampe plus claire,
Qui dans l’intérieur désirez me sonder
Ainsi qu’on fait un gouffre afin de s’en garder,
585
Car quiconque se lâche à une perfidie,
Pour cent autres n’aura que l’âme trop hardie :
Imposteur vers la Reine, et séduit de léger,
De pis, vers le Roi même il y aurait danger,
ImpolluN
X
Nota del editor

adj. Vieilli, littér. [En parlant d'une pers., de ses attributs] Pur, sans tache (CNRTL : Centre National de Ressources textuelles et Lexicales, version 2012. UMR ATILF) (CNRS-Nancy Université). Site internet : http : //www.cnrtl.fr/.).

jusqu’ici quant à la renommée,
590
Malaisément d’aucun peut-elle être entamée,
Athlète accoutumé de ne broncher jamais,
J’espère en ce devoir persister désormais.

SALOMÉ
Hé ! Dieu ! qu’à contre-sens vous prenez mes paroles,
Fermes de fondement plus que ne sont les Pôles ;
595
AinsN
X
Nota del editor

vx, très rare, uniquement dans la lang. Littér. et par imitation de l'anc. lang. Mais (CNRTL : Centre National de Ressources textuelles et Lexicales, version 2012. UMR ATILF) (CNRS-Nancy Université). Site internet : http : //www.cnrtl.fr/.).

qu’à tort vous feignez ne reconnaître pas
Que vraies elles n’ont rien d’un trompeur appas.
Tu le sais, gouverneur du haut et bas Empire, 
Au défaut ne m’épargne au foudre de ton ire ;
Unique remarqué des serviteurs du Roi,
600
Qui la palme emportez d’une immuable foi,
Qui, voyant le péril continu qui l’assiège,
Un crime perpétrez pire que sacrilège,
De ne l’en préserver ores que le pouvez,
Ores que mon conseil pour guide vous avez,
605
Qu’au labeur proposé je m’offre de seconde,
Pourquoi n’ôterons-nous cette peste du monde ?
Pourquoi vous tiendrez-vousN
X
Nota del editor

de la même manière que l’édition de Sandrine Berrégard, nous avons préféré la version de 1632 (« tiendrez ») à la version de 1625 (« tiendriez »), dans un contexte où le futur est majoritaire.

scrupuleux et rétif ?N
X
Nota del editor

= indécis.

Pourquoi serez-vous plus qu’une femme craintif ?

ÉCHANSON
De nos conditions la disparité grande
610
Dissout assez le nœud de semblable demande :
Vous, exempte du joug redoutable des lois,
Moi, prêt deN
X
Nota del editor

d'après l'usage dix-septièmiste, il était autrefois exact d'écrire la formule «prêt de» (au lieu de «près de» aujourd'hui).

succomber si je m’en prévalois.

SALOMÉ
Conjoints en ce dessein de gloire et de fortune,
Présumez du surplus toute chose commune.

ÉCHANSON
615
L’usage journalier apprend que les petits
Demeurent impuissants, du malheur engloutis,
Portent seuls, opprimés, la peine téméraire
Des projets suggérés qu’ils n’auront su parfaire ;
Et que qui les aura souvent précipités
620
Bouche soudain la vue à leurs adversités.

SALOMÉ
Ah ! dure, injurieuse, et vaine défiance !
Outrage insupportable à une conscience !
Nue de fiction,N
X
Nota del editor

déguisement, feinte, mensonge. Le pronom « elle » se rapporte à la « conscience », c’est-à-dire à celle de Salomé (S. Berrégard).

qu’elle abhorra toujours,
Derechef devant l’œil eternel de nos jours,
625
Devant le Ciel voûté, trône du Dieu qui tonne,
La foi (plus chère à moi que le jour) je te donne,
Au cas que, du dessein salutaire à l’État,
Ou dommage, ou danger quel qu’il soit résultat,
En mon nom le subir, pleige constituée.
630
Mais qui ne voit ici la chose effectuée,
Facile, glorieuse, exempte d’accident ?
Pourvu que vous n’alliez le courage perdant,
Pourvu que le désir vertueux y conspire,
Vous proposant un but de conserver l’Empire,
635
Capital ennemi des ennemis du Roi,
C’est comme il faut bannir le scrupule et l’effroi.

ÉCHANSON
Bien que persuadé de tenter l’entreprise,
Sa Majesté d’amour profondément éprise,
Et vassal de l’objet d’une rare beauté,
640
Ne la soupçonnerait onc de déloyauté ;
Loin de croire une fraude inepte controuvée,N
X
Nota del editor

inepte = impropre; controuver = inventer, imaginer.

Voire ne la pourrait, criminelle prouvée,
Séparer de ses yeux, s’en priver un moment,
Jamais, jamais l’amour parfait ne se dément,
645
L’obstacle interposé sert d’amorceN
X
Nota del editor

= séduction, attrait.

à son foudre,
Pour le réduire après plus aisément en poudre,
Pour affermir plus fort ses fondements d’airain,N
X
Nota del editor

n. m. On donne ce nom surtout dans le style poétique à un Alliage de différents métaux dont le cuivre est la base. Statue d'airain. Graver sur l'airain. Plaque d'airain. On dit aujourd'hui le bronze. En termes d'Antiquité, Airain de Corinthe, Alliage fort estimé des anciens; l'airain en faisait la base et il y entrait une certaine quantité d'or et d'argent. En termes de Mythologie, Le siècle d'airain, l'âge d'airain, Le temps qu'on suppose avoir existé entre le siècle d'argent et le siècle de fer. Fig., Un siècle d'airain, Un temps malheureux et dur. Fig., En termes d'Écriture sainte, Un ciel d'airain, Un temps sec et aride, pendant lequel il ne tombe ni pluie ni rosée. Fig., Un front d'airain, Une extrême impudence. Cet homme a un front d'airain. Il faut avoir un front d'airain pour oser soutenir une pareille fausseté. Fig., Avoir un cœur d'airain, Être dur et impitoyable. Loi d'airain, Loi impitoyable. Prov. et fig., Les injures s'écrivent sur l'airain et les bienfaits sur le sable, On se souvient longtemps des injures et on oublie vite les bienfaits (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales).

Ainsi, certes, ainsi nous peinerions en vain,
Sages de désister, attendu l’impossible,
650
Et n’entreprendre plus qu’il ne nous est loisible.

SALOMÉ
Ah ! que ces premiers feux se sont bien refroidis,
Le Roi d’affection tout autre que jadis,
Lassé de supporter les reproches, le blâme,
L’audace, le mépris d’une mauvaise femme,
655
Qui s’en désirerait dès un siècle défait,
Trouvant à son projet quelque apparent forfait.

ÉCHANSON
Semblable néanmoins vers elle de caresse,
Il pend de son vouloir comme d’une maitresse,
L’adore, ne la voit, ce lui semble, à demi ;
660
Embrasé, ne démontre aucun signe ennemi,
Aucune malveillance à vos propos conforme,
Ni que l’affection conjugale s’endorme.

SALOMÉ
L’ordinaire des grands est de cacher au cœur
Vers leurs moindres sujets l’aiguillon de rancœur,
665
Et ce qu’il lui confère, ou d’honneur, ou de grâce,
Ne doit s’attribuer qu’au lustre de sa race,
Afin de contenter un peuple médisant,
Dévot à sa famille, et tel acte prisant.

ÉCHANSON
Curieux espion, qui les suis de la vue
670
Dessous le sauf conduit de la charge reçue,
Je n’ai pu remarquer, de geste ni de voix,
Le Roi plus animé l’une que l’autre fois,
Mariamne lui plaît, en l’âme enracinée,
Autant qu’elle faisait au jour de l’Hyménée.

SALOMÉ
675
Sa bouche m’a pourtant des plaintes soupiré,
Qui témoignait assez d’un amour empiré,
M’a commis des secrets directement contraires.
Or ce fil de discours n’avance nos affaires :
Il n’y a que deux mots, d’accorder ou nier,
680
De céder à la crainte, ou cueillir un laurier.

ÉCHANSON
Divisé de pensers, tantôt l’un me retire,
Maintenant l’autre à soi plus violent m’attire,
J’abhorre de porter un témoignage faux,
Et ne vous croyant pas, m’est avis que je faux :N
X
Nota del editor

indicatif présent de faillir = commettre une faute.

685
Puis que la sureté du Roi flotte incertaine,
La femme d’ordinaire implacable en sa haine,
Ardente de vindicte, et plus à redouter
Que les rocs CapharésN
X
Nota del editor

Les rocs Capharés : les Roches Rondes du cap Capharée, au sud de l’Eubée, sur lesquelles périt presque toute la flotte grecque, au retour de Troie (A. Howe).
Robert Garnier cite l’endroit dans une œuvre en 1579 :

Que les rocs Capharés aux pointes fluctueuses,
Que et que Charybde, et les Syrtes sableuses
Retiennent vos vaisseaux, que les flots poissonneux
Vous poussent sur les bords des Cyclops caverneux.
Que la femme l’époux, le fils la mère tue,
Que l’un se plonge au cœur une lame pointue,
Et l’autre par les eaux vagabonde exilé
Cherchant nouveau séjour sous un ciel reculé :
Qu’il vienne quelque Roi, qui les peuples d’Asie
Fasse marcher un jour dans la Grèce saisie,
Fourmillant plus épais, pour revenger nos torts,
Que ne sont les épis aux Gargariques bords,
Les feuilles aux forêts, l’arène qui poudroie
Sur le bord Libyen où le Soleil blondoie.
(Robert Garnier : La Troade, Paris, Mamert Patisson, 1579, p. 373).

Dans Les Aventures de Télémaque (1699) de Fénelon, l’on peut lire :

Nauplius, Roi d’Eubée, irritée de ce que les Chefs de l’Armée des Grecs avoient injustement condamné à mort fon fils. Palamède par les artifices, d'Ulysse, mit des feux fur le mont Capharé (aujourd'hui cap de Figera) sur l’Île d'Eubée qui regarde l'Hellespont : pour y attirer la flotte des Grecs & la faire briser contre les rochers: mais il échoua dans son dessein, parce qu'Ulysse & Diomède prirent une autre route.
(Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse, Paris : Barthélemy & Fils, 1713, pp. 434-435).

ne sont au trajecter,N
X
Nota del editor

traverser.

Advienne que pourra, résolu je proteste
690
Suivre en ce mandement votre oracle céleste,
Autre Phare n’avoir en cette aveugle nuit,
Sûr que la piété prudente vous induit.
Ores spécifiez à quelle heure opportune
Nous irons ce dessein commettre à la fortune. 

SALOMÉ
695
Le plutôt vaut le mieux. Tenez-vous apprêté
Alors que j’irai voir demain sa Majesté,
Qu’entrée au cabinet, de certaine science
Je l’aurai fait tomber surN
X
Nota del editor

= être l’objet de.

telle défiance.
On purge beaucoup mieux les corps jà disposés,
700
Les remèdes chez eux agissent plus aisés.

ÉCHANSON
Assurez-vous de moi, difficile à résoudre,
Mais qui verrait, résous, la machine dissoudre
Avant que désister d’un ouvrage entrepris ?

SALOMÉ
C’est en quoi des prudents vous emportez le prix.


ACTE III

HÉRODE, SALOMÉ, PHÉRORE, SOÊME, MARIAMNE, EUNUQUE, ÉCHANSON, ET PRÉVÔT

HÉRODE
705
Serpent enflé d’orgueil, fereN
X
Nota del editor

une Fere, ou bête sauvage, Ronsard, Fera (Nicot : Thresor de la langue française).

ingrate sortie
Des antres CaspiensN
X
Nota del editor

relatif à la mer Caspienne, à ses environs et aux habitants qui les habitent.

ou des rocs de Scythie,N
X
Nota del editor

la Scythie est une région sauvage, située au bord de la Mer Noire.

Tigresse qui d’humain ne retiens que le front,
Crois-tu qu’impunément je porte cet affront ?
Cuides-tu, me brassant injure sur injure,
710
Qu’insensible d’honneur sans cesse je l’endure ?
Va, rebelle, arrogante, ôte-toi de mes yeux,
Ne m’espère jamais de regards captieuxN
X
Nota del editor

trompeur.

Amollir courroucé; non, désormais n’espère
Que ce refus ne soit ta ruine dernière.
715
Dédaigner mes faveurs, mes flammes mépriser ?
Le devoir d’une femme au mari refuser ?
Voir que d’humilité je te prie et reprie,N
X
Nota del editor

reprier = Prier à nouveau.

D’apaiser de mes feux l’amoureuse furie ?
Et pour se fier trop d’une frêle beauté,
720
Se roidirN
X
Nota del editor

ancienne forme de raidir.

d’autant plus vers moi de cruauté ?
Non, tu en maudiras mille et mille fois l’heure,
Ma fortune du bris de la tienne meilleure,
Qui ferai d’un terroir fertile élection,
Où se reposera ma chaste affection,
725
Duquel une moisson m’arrivera sans peine,
Et qui déprimera ton humeur si hautaine.

SALOMÉ
L’accident qui vous trouble arrive volontiers
De sa source ordinaire, et ne reçoit de tiers,
Car le discord épris entre l’homme et la femme
730
Puise l’eau du lieu même où il a pris sa flamme :N
X
Nota del editor

bel exemple de concetto, fondé sur l’association des contraires, l’eau pouvant aussi symboliser les larmes qui sont l’expression de la souffrance amoureuse (S. Berrégard).

Arbitre aucun, non pas des plus proches parents,
Ne se doit ingérerN
X
Nota del editor

se mêler de.

de pareils différents.

HÉRODE
Oui, lors que ce ne sont que légères querelles,
Qui servent à l’amour de flammèches nouvelles, 
735
Qui semblent sommeilleux lui donner l’éperon ;
Mais ce fléau conçu des rages d’Achéron,N
X
Nota del editor

fleuve des Enfers. Dans le vers, métonymie pour les Enfers.

Cette pernicieuse et farouche Lionne
Mérite qu’un courroux jamais ne lui pardonne,
Mérite pour l’outrage impudemment commis
740
Que je croie un conseil par tant de fois remis.

SALOMÉ
Merveille, qu’au devoir les bienfaits ne la rangent,
Que ses affections de jour en jour s’étrangent,N
X
Nota del editor

étranger, écarter, éloigner (Dubois, Lagane, Lerond : Dictionnaire du français classique, le XVIIe siècle).

Qu’on ne puisse adoucir ses féroces humeurs !
» De pitié repensant à votre sorte je meurs:N
X
Nota del editor

Il est vraisemblable que les premiers vers prononcés par Salomé soient dits en aparté, et dans ce cas l’apparition des guillemettes signale qu’elle s’adresse désormais à Hérode (S. Berrégard).

745
Accouplé sous un joug du tout intolérable,
Autant qu’ailleurs heureux, en l’Hymen misérable,
Exemple de remarque à la postérité
Comme nul n’est parfait en sa prospérité,
Qu’elle cloche toujours en l’une ou l’autre sorte ;
750
Mais faites qu’une part de la douleur je porte,
Sa faute reconnue.

HÉRODE
Aujourd’hui retiré
Seul dans mon cabinet, ardent j’ai désiré
ÉpointN
X
Nota del editor

participe passé du verbe époindre = piquer, exciter.

de ces beautés plus qu’oncques de ma vie,
Mariamne amortir mon amoureuse envie,
755
Là-dessus on la mande, elle vient à regret,
Ma prière éconduit, suppliée en secret ;
Voire après le refus de paroles piquantes,
À l’honneur de ma gloire et des miens importantes,
Ainsi que le Crapaud s’enflant du noir venin,
760
Plus je m’humiliais d’un courage bénin,
D’injures, de brocards,N
X
Nota del editor

s. m. Parole de moquerie, raillerie piquante (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

de reproches infâmes
Convertit en fureur mes innocentes flammes,
PrécipiteN
X
Nota del editor

précipiter = presser, hater.

ma dextre à la chasser de là ;
Même peu s’en fallut, non content de cela,
765
Qu’elle ne passât outre, et que d’ire échauffée
Je n’aie son audace en sa vie étouffée.
Hélas! c’est le sujet de ce courroux plaintif,
C’est ce qui me contraint de forcenerN
X
Nota del editor

de l’ancien français forcener = devenir forcené, perdre la raison.

chétif.

SALOMÉ
Voilà certes aussi par trop se méconnaitre,
770
Trop envers vous faveurs criminelle paraître.
Présumez qu’au surplus l’espoir dorénavant
De regagner son cœur vous irait décevant,
Qu’il se faudra tenir sage dessus ses gardes,
Evitant des appas, des caresses mignardes,N
X
Nota del editor

= gracieuses, délicates.

775
Que la haine gardée au besoin déploiera,
Et qu’éclairs d’un complot vengeur elle envoiera.

HÉRODE
J’aurai plus de fiance au Scythe et au NumideN
X
Nota del editor

peuples renommés comme guerriers redoutables, habitant respectivement la Russie méridionale et l’Afrique du Nord. Les deux peuples représentent la barbarie aux yeux d’Hérode.

Qu’aux pièges désormais tendus de la perfide ;
Ni prières, ni pleurs, repentir, ni serment,
780
» Armes dont elles vont cauteleuses s’armant,N
X
Nota del editor

Hérode parle des femmes en général (d’où l’utilisation du pluriel « elles ») sous la forme d’une sentence, logiquement introduite par des guillemets (S. Berrégard).

Ne la replaceront en mon âme irritée.
Le sort en est tombé, la pierre en est jetée :N
X
Nota del editor

le sort en est jeté (Huguet : Dictionnaire de la langue française du seizième siècle).

Toutes ces actions suspectes ci-après,
Et sa peine toujours la suivra de si près
785
Qu’au moindre indice pris, mille morts plutôt qu’une
Lui signerontN
X
Nota del editor

signer = marquer.

l’effet de ma juste rancune.
Ah ! je te punirai, rebelle, ton orgueil
T’échangera ma couche en un sanglant cercueil.

PHÉRORE
Bon Dieu ! qui de nouveau trouble votre bonasse ?
790
Qu’a plu le Ciel sur vous d’envieuse disgrâce,
Capable d’obscurcirN
X
Nota del editor

ternir, déprécier.

l’auguste Majesté
D’un Prince à la fortune invincible resté ?
Cieux ! la morne couleur de ce sacré visage,
D’un notable accident me donne son présage,
795
Aveugle m’intimide, et dévore inhumain.
Sire, ne le celez à moi, votre germain,
Que la fidélité comme le sang vous lie,
Chargez-moi d’une part du faix, je vous supplie.

HÉRODE
L’impétueux torrent de mon affliction
800
Ne se lâche non plus que celui d’Ixion,N
X
Nota del editor

roi légendaire des Lapithes en Thessalie, condamné à être envoyé aux Enfers lié à une roue enflammée qui tournait éternellement.

Ne demeure non plus à retitreN
X
Nota del editor

ce qui est detissu, Detexta retexere, voyez Tistre (Nicot : Trésor de la langue française). Tisser de nouveau.

ma peine
Que l’Euripe ses flots mène, agite et remène.N
X
Nota del editor

Le Canal de l’Euripe sépare l’île d’Eubée du continent grec, entre Chalcis et la côte béotienne.

Une fière Alecton domestique a toujours
De quoi renouveler le tourment de mes jours,
805
De quoi me bourreler l’esprit et la pensée,
Me survendre angoisseux la liesse passée.

PHÉRORE
Frappé de ce soupçon, je me l’étais prédit,
Vu que de tous les dards que fortune brandit
Autre ne blesserait un courage invincible,
810
Que souvent vous avez surmonté l’impossible,
Et même traversé d’obstacles, de hasards,
Parmi les tourbillons redoutables de Mars,
Nonpareil en prudence, en valeur, en adresse,
De qui le los au Ciel une sente se dresse,
815
De qui la renommée a comblé l’univers
Sans que le sort ait peu lui donner un revers,
Hormis de ce côté, hormis la félonie
D’une femme exerçant sur vous sa tyrannie,
Dangereux animal, qui faible de raison
820
Retient les vertueux d’ordinaire en prison,
Leur commande asservis, et offusque leur gloire
Pour ne savoir comment user de sa victoire,
Non plus qu’eux se tirer de ce gouffre béant
Où les a submergés un plaisir de néant.

HÉRODE
825
Vos consolations me rougissentN
X
Nota del editor

= me font rougir.

de honte,
Qu’indomptable autre fois une femme me dompte,
Que vainqueur demeuré de si grands ennemis,
Un mauvais astre m’ait à sa merci soumis.
Depuis le seuil franchi de la jeunesse blonde,N
X
Nota del editor

épithète appliqué à un Iduméen (A. Howe).

830
Mes travaux, dérivés d’une source féconde,
Ceux du brave Thébain, de force et de grandeur
Surpassent de beaucoup; mais plein de force et d’heur,
QueN
X
Nota del editor

= moi que.

la gloire animait, enfant digne d’un père
TraîtrementN
X
Nota del editor

traîtreusement (Dictionnaire du Moyen Français).

butiné de la Parque sévère,
835
Hardi, j’exécutai ses projets commencés,
Les Assamonéens de l’Empire chassés,
Installé peu à peu dedans leur trône même.
Après, que n’ai-je fait en ce péril extrême
Où Cléopâtre avait mes affaires réduit,
840
Elle qui gouvernait un Antonine séduit,
Prête de m’arracher le Royaume et la vie ?
Ma prudence pourtant étouffa son envie.
Qui ne sait qu’au milieu des Romains divisés,
De civiles fureurs contraires attisés,
845
Lorsque Brute et Cassie aux champsN
X
Nota del editor

= champs de bataille.

de Macédoine
Demeurèrent vaincus sous les armes d’Antoine,
Quoique leur Partisan je ne perdis le cœur,
À même heure obtenant ma grâce du vainqueur,
Et lui du grand César asservi déplorable,
850
Qui croira ce chef-d’œuvre aux âges mémorable ?
Comme, sans m’abaisser sous la calamité,
Soudain je le fléchis par magnanimité,
Comme de ses amis il me reçut au nombre,
Admirant mon courage en un semblable encombre ?
855
Ensuite répéter tous mes autres exploits,
Le jour me défaudraitN
X
Nota del editor

de défaillir. Manquer. Il signifie aussi Dépérir, s'affaiblir. « Les forces lui défaillent tous les jours, la vue commence à lui défaillir ». En ce sens on dit qu « 'Un homme se sent défaillir », pour dire, qu'Il se sent tomber en faiblesse. (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

si je l’entreprenois.

PHÉRORE
On conteraitN
X
Nota del editor

conter = compter, calculer. Le XVIIe siècle confond volontiers les deux formes conter et compter (S. Berrégard).

plutôt les arènes menues
Qu’abreuve l’Océan de ses vagues chenues,
Plutôt les fleurs d’Hymette,N
X
Nota del editor

montagne en Grèce réputée par son miel et son marbre. Autrement appelé Trelovouni (Montagne folle) était pour les anciens Athéniens un important lieu de culte avec de nombreux temples et des sources d'enrichissement avec des carrières de marbre.

et les MouchesN
X
Nota del editor

abeilles.

qui vont
860
Picorer au Printemps l’émail gai de leur front.
Infini de vertus, de gloire, et de louanges,
Miracle de notre âge et des peuples étranges,
Père de la Patrie, et auteur de la paix,
Monarque de votre heur n’approcherait jamais,
865
Si ce fléau commun, si ce mal nécessaire
De femme n’offusquait la lumière plus claire,
Vous pûtes tout hormis sa malice dompter ;
Mais qui fait celui-ci devers nous tant hâter ?
Sur votre Majesté son regard il arrête,
870
Présage qu’il lui veut quelque chose sécrète.

ÉCHANSON
L’importance du cas, que pressé du devoir
À votre Majesté je viens faire savoir,
Désire qu’à l’écart seul à seul je le die,
Et qu’aussitôt que su au mal on remédie.

HÉRODE
875
Suis-moi; vous, demeurez, attendant mon retour,
Afin de m’assister, ce secret mis au jour.

SALOMÉ
Variable d’avis, en l’esprit je rumine
Quel sujet precipitN
X
Nota del editor

déformation de préciput : particulier.

vers le Roi l’achemine,
L’occasion qui plus vraisemblable paroît.
880
Mais ou l’affection du désir me déçoit,
Ou le fiel envieilli de cette âme infidèle
Lui aura conseillé tirer à sa cordelle
Un qui peut entre tous ministre la venger,
Qui peut les jours du Roi son Époux abréger.

PHÉRORE
885
Selon que du présent je tire conjecture,
Atteinte de l’excès de tant énorme injure,
Le Roi, déjà d’ailleurs animé, ne faudroitN
X
Nota del editor

du verbe faillir.

User de châtiment capable en son endroit.
L’antique erreur purgé, et sa flamme or de glace,
890
Sans doute permettrait que la Justice eût place;
Sans doute qu’en ce cas la Justice aurait lieu,
Que celle qui se croit digne de quelque Dieu
L’irait chercher là-bas en la nuit éternelle.
Mais le voici, son œil de fureur étincelle,
895
Plus troublé, plus épris d’ire qu’auparavant,
Les deux bras vers les Cieux attestés élevant.

HÉRODE
Du prodige entendu le poil me hérissonne,
Une stupide horreur mes membres environne,
Ô Cieux ! ô Terre ! ô Mer ! Hé ! comment souffrez-vous
900
Des exécrations si grandes entre nous ?
Celle à qui je fiais ma vie et ma fortune,
Celle à qui je rendis toute chose commune,
Celle que j’aimais plus que moi-même cent fois,
Viole la nature et ses plus saintes lois,
905
Aboie à mon trépas, que ma mort ne respire,
Ne veut que me priver du jour et de l’Empire,
Sortable récompense aux biens qu’elle a reçus,
Amis, conseillez-moi de grâce là-dessus.

SALOMÉ
Ô détestable femme ! Ô trahison maudite !
910
Trahison que j’avais de longue mainN
X
Nota del editor

= depuis longtemps.

prédite !
Le Taureau de Pérille,N
X
Nota del editor

le taureau d'airain ou taureau de Phalaris est un instrument de torture inventé en Grèce antique : Phalaris, tyran d'Agrigente en Sicile, avait demandé à Perillos d'Athènes de lui concevoir un supplice pour les condamnés. Perillos d'Athènes fut le premier à l'expérimenter, d'où la phrase de Dante, qui cite le taureau d’airain au Chant XXVII de l'Enfer (vers 5 à 12), première partie de la Divine Comédie : « Come 'l bue cicilian che mugghiò prima col pianto di colui, e ciò fu dritto, che l'avera temperato con sua lima, mugghiava con la voce de l'afflitto, sì che, con tutto che fosse di rame, pur el pareva dal dolor trafitto »

au crime comparé,
Ne t’aurait pas assez de tourments préparé.

PHÉRORE
Éperdu plus que ceux qu’atteint un coup de foudre,
Je ne sais quant à moi que croire, que résoudre.
915
Vous plaît-il pas, avant que plus outre attenter,
Présente au délateur la faire confronter ?

HÉRODE
Ce sera pour le mieux. Vite, qu’on me la mande,
Que telles qu’elles sont ses raisons on entende.
Oui, je veux qu’en public soit jugé de l’excès,
920
Les formes observant requises au procès.

SALOMÉ
La déposition d’un témoin sans reproche
Suffit à condamner ce courage de roche,
Conforme de tout point aux menaces qu’elle a
Volontaire vomies dessur ce sujet-là.
925
Le danger est qu’un rais de sa sorcière vue
Ne fende les glaçons de la haine conçue,
Que des pleurs féminins, des adulations
N’emportent le grief des accusations.

HÉRODE
Nullement. Il n’y a si criminelle offense
930
Qui ne doive du moins impétrerN
X
Nota del editor

obtenir quelque grâce, faveur, don, ou privilège. Un vrai pénitent impètre les pardons de ses fautes (Furetière : Dictionnaire universel).

sa défense,
Qu’il ne lui soit permis de se justifier,
L’aller à mon courroux soudain sacrifier
De César, du public m’exciterait la haine ;
Ma sœur, il ne faut pas, la voici qu’on amène,
935
Superbe d’assurance, aussi grave de port
Que qui soupçonnerait son innocence à tort.
Déloyale assassine, ingrate, et plus qu’ingrate,
À ce coup ton orgueil en ruine s’éclate.
Un Dieu, qui Tout-puissant te déteste, a permis
940
Que l’on châtie en un tes outrages commis,
Que l’horrible attentat de ma mort projetée
Donne à tant de forfaits la peine méritée,
Ton effronté sourisN
X
Nota del editor

= sourire.

ne l’empêchera pas.
Réponds : n’est-il pas vrai que dès longtemps tu as
945
Sollicité celui que, présent, je t’oppose,
De mêler du poison (abominable chose !)
Dans le vin qu’il me sert à table ? Sus,N
X
Nota del editor

interjection dont on se sert pour exhorter, pour exciter. « Sus mes amis, sus donc, levez-vous. Or sus dites-nous ». Il est du style fam. (Dictionnaire de l'Académie, 4ème édition).

dis-nous
Tes complices, avant qu’aigrir plus mon courroux,
Avant que la douleur des tortures l’arrache :
950
Déclare qui t’incite à un acte si lâche.
Quel sujet, quelle excuse à l’infidélité,
Sinon, pauvre, le trop de ma facilité,
Sinon mon indulgence et faveur excessive ?
Sus, parle vitement. Qu’est-ce queN
X
Nota del editor

selon Rigal employé ici au sens de « pourquoi » : pourquoi est assez souvent remplacé par Qu’est-ce que : Qu’est-ce que l’on retive Mar. III ; II, 449).

l’on rétive ?

MARIAMNE
955
Surprise à l’impourvu, je m’épouvanterois,
Mais de jeunesse instruite en l’école des Rois,
» Jaçoit qu’ores du nom vénérable j’abuse, 
En votre haine assez coupable je m’accuse.
Quel besoin d’imposture ? Abrégez les ennuis
960
De celle qui ne voit au monde que des nuits,
Qui languit douloureuse aux liens de la vie,
De moment en moment la prévoyant ravie,
Ainsi que l’on va faire. Ô désirable jour !
Combien je te dois plus qu’à ce parfait amour,
965
Qu’à ces belles faveurs naguères reprochées,
Faveurs qui de mourir ne m’eussent empêchée,
Dés l’heure que, cité d’Antoine, leur auteur,
Incertain du retour, choisit l’exécuteur.

HÉRODE
Ô réponse arrogante, à l’extrême ambiguë,
970
Qui moi de cruauté, lui d’imposture arguë,
Explique, explique mieux ton dire irrésolu :
Quand me suis-je, en quel lieu de parjure pollu ?N
X
Nota del editor

participe passé de polluer. v. act. : Profaner un lieu saint » (Furetière : Dictionnaire universel).

Pourquoi t’imposerai-je une trame assassine,
À cause qu’impuissant le rancœur me domine,
975
Que je ne perdrais pas de pleine autorité
Quiconque me plairait ? Chante la vérité.

MARIAMNE
Vérité n’est de moi hormis une connue,
L’heure de ma ruine innocente venue,
Et feindre ne savoir qui devait m’immoler
980
À vos MânesN
X
Nota del editor

chez les Romains, les Mânes sont les esprits des morts. On les appelait ainsi par euphémisme (le mot signifie littéralement « dieux bons », car on craignait leur retour parmi les vivants (S. Berrégard).

absents, c’est trop dissimuler.

HÉRODE
Ô double trahison ! Le scélérat Soême
Mes secrets enchargésN
X
Nota del editor

encharger = v. a. Recommander, donner charge (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

a décelé lui-même,
Interprète malin de mes conceptions,
Tout abonde d’outrage et de déceptions,N
X
Nota del editor

= tromperie.

985
Tout abonde chez moi d’aguets, de perfidie.
Mais se plaindre ocieuxN
X
Nota del editor

oisif (Dictionnaire du Moyen Français).

aux maux ne remédie :
Allez, saisissez-vous de Soême, et de ceux
Qu’il a de familiers plus affidés reçus.
Un Eunuque surtout ses affaires manie,
990
Qui nous relèvera d’une peine infinie.
Amenez-le premier, car son maître n’a point
Violé de léger le mandement enjoint,
Communiqué sans plus des paroles de bouche :
Le traitre aura souillé les honneurs de ma couche,
995
Entrepris d’avantage. Ah! du ressouvenir
Je forcène, et me puis à peine contenir.

MARIAMNE
Peur d’enfants, ou plutôt sur l’enclume forgée,
Qui d’un crime tantôt de poison m’a chargée !
« L’honneur des devanciers au sang demeure écrit,
1000
Aucun terme des ans fuitifsN
X
Nota del editor

= fugitive.

ne leN
X
Nota del editor

Alan Howe corrige le texte original, remplaçant « la » par « le », car le pronom semble désigner l’«honneur, dont Mariamne se dit ensuite « inséparable »

prescrit ».
Inséparable j’ai vécu sous la franchise,
Afin que plus certain mon être j’autorise.

HÉRODE
L’honneur t’a commandé de meurtrir ton Époux,
Et de croire les tiens fort différents de nous,
1005
Orgueilleux d’un faux titre, et qui prise les Sceptres
Sans marque de vertu d’une suite d’ancêtres,
Qui ne te garderont de subir toutefois
L’équitable rigueur des politiques lois.

MARIAMNE
J’appréhenderai moins l’effet que la menace,
1010
Que je tiens des Tyrans une suprême grâce.

HÉRODE
Méchante, qu’as tu vu de tyrannique en moi ?

MARIAMNE
Mon Géniteur Hyrcane occis sous votre foi,N
X
Nota del editor

= se fiant à votre promesse.

Son fils d’âge innocent, le jeune Aristobule,
Espoir de la patrie et son fatal Hercule,
1015
Traîtrement étouffé.

HÉRODE
Je te ferai cracher
Cette langue impudente, ou tels mots retrancher.

MARIAMNE
Libre je veux mourir ainsi que je fus née.

HÉRODE
Hé ! quelle liberté ne t’ai-je pas donnée,
Maîtresse de mon âme et de mes volontés,
1020
ParavantN
X
Nota del editor

auparavant (Nicot : Trésor de la langue française).

les desseins de ce meurtre tentés ?

MARIAMNE
L’Immortel scrutateur des œuvres projetées
Connaît ces charités de mensonge apostées,
Connaît qu’un naturel généreux et Royal
Ne saurait consentir à rien de déloyal.

HÉRODE
1025
Non, la vue en fait foi, le doigt touche palpable
La blanche pureté de ta vie incoupable,N
X
Nota del editor

innocent.

Autant que du voleur les chemins assiégeant,
De la Justice en fin surpris en égorgeant.
Il est vrai qu’on peut mieux éviter son outrage,
1030
Mais l’Eunuque amené, nous saurons davantage.
Écoute, ton salut dépend de confesser,
Rien de la vérité derrière ne laisser.
Quel argument fonda l’accointance ordinaire
De Mariamne avec Soême le faussaire ?
1035
Qu’as-tu de leurs devis familiers entendu ?
Dis-moi le principal où ils avaient tendu,
Lorsque je fus mandé de l’Empereur Antoine,
Et que je te laissai Gardien de la Reine.
Parle, que songes-tu ? Ici le tournoyer
1040
N’est que de son plein gré au cordeau s’envoyer.

EUNUQUE
Sire, la qualité ne m’a permis, infirme,
D’entrer en leurs secrets d’importance sublime ;
J’attesterai les Cieux et notre almeN
X
Nota del editor

nourricier, bienfaisant.

Soleil
N’avoir participé jamais d’aucun conseil
1045
Qui votre Majesté pernicieux regarde,
Ains que mêmes en fis une soigneuse garde.

HÉRODE
Ô l’énorme mensonge ! Ô la déloyauté !
Que tu n’as reconnu parmi leur privauté
Ce que contre l’État, ce que contre moi-même
1050
L’un et l’autre brassait ? Ô l’impudence extrême !
Des gênes, des bourreaux !

EUNUQUE
Hélas ! Sire, merci,
Je confesserai tout, sans me traiter ainsi.

HÉRODE
Sus donc, certainement, et en peu de paroles,
Que je discernerai certaines, ou frivoles.

EUNUQUE
1055
L’effroi retient ma voix au canal étoupé.

HÉRODE
N’espère que la mort horrible, entrecoupé,N
X
Nota del editor

entrecouper = couper, diviser à plusieurs reprises.

ConvaincuN
X
Nota del editor

= si tu es convaincu.

de mensonge…

EUNUQUE
Hélas ! je dis sans force,
Qu’en la couche Royale il sème le divorce,
Désunit vos moitiés, un secret révélé
1060
Duquel dépositaire on l’avait appelé.
Sire, vous savez tout en ce peu que j’abrège.

HÉRODE
L’auspice du discours aucunement m’allège ;
Poursuis, leur conférence a passé plus avant,
Quelque faveur d’amour mutuelle suivant,
1065
Soême, pour loyer de l’avoir avertie,
CaresséN
X
Nota del editor

= ayant été caressé.

comme Époux de ma femme abrutie.

MARIAMNE
Qui se pourrait du bien qu’on a fait repentir ?
Ce naufrage d’honneur je devais consentir.

HÉRODE
Voilà plus qu’à demi la chose confessée.
1070
Achevons: l’a-t’il pas maintes fois embrassée ?

EUNUQUE
Que votre Majesté telle erreur ne s’imprime :
Elle est trop vertueuse, elle est trop magnanime
Pour lui manquer jamais en ce chaste devoir,
Jamais autre désir qu’honnête concevoir.

HÉRODE
1075
Tu as reçu, mâtin, le charme d’un silence,
Mais si tu me croyais, n’attend la violence,
N’attend que les tourments tirent la vérité ;
Préfère la prudence à la témérité,
Déclarant le progrès de leurs amours furtives,
1080
Qui servis de Mercure !N
X
Nota del editor

messager de Jupiter, qu’il servait dans ses entreprises amoureuses.

EUNUQUE
En pointures plus vives
Que celles de cent morts àN
X
Nota del editor

= pour.

un cœur innocent.
Qu’un supplice nouveau les autres surpassant
S’exerce sur mon corps, le démembre, ou dévore,
Je ne confesserai, menteur, ce que j’ignore :
1085
Je ne déchirerai la gloire du renom,
D’une qui tient chez vous la place de Junon,N
X
Nota del editor

Déesse de Lumière, dont le synonyme poétique est l’épithète Lucine (en latin: Lucina). Elle est invoquée lors de l'accouchement.

MiroirN
X
Nota del editor

= modèle.

de chasteté, qui n’eut onc son égale
Quant à la continence, et la foi conjugale.

HÉRODE
Prévôt, que de ce pas on le livre aux bourreaux ;
1090
Qu’ils recherchent parmi le fer, le feu, les eaux,
De quoi le tourmenter, le presser, le contraindre
À nous notifierN
X
Nota del editor

= signifier.

ce qu’il a voulu feindre ;
Et que son traître maître, amené sur-le-champ,
J’examine d’un coup, l’affaire dépêchant.

PRÉVÔT
1095
Sire, il ne tiendra pas à un devoir fidèle
Que votre Majesté le crime ne décèle,
Nous y emploierons l’artifice et l’effort.

MARIAMNE
Ha ! chétif innocent, que je pleure ton sort.

HÉRODE
Pleure le tien plutôt, et folle ne présume
1100
Abuser de ma grâce ainsi que de coutume,
Qu’on te traite avec plus de respect, de faveur,
Tes yeux n’ont plus d’attraits, tes baisers de saveur :
L’exécration jointe à ce dol homicide,
D’amour et de pitié rend ma poitrineN
X
Nota del editor

métonymie pour « cœur».

vide,
1105
Déracine ce peu qui restait là-dedans,
Par l’assiduité des forfaits précédents.
Assure, assure-toi, qu’exemplaire punie
L’appareillé supplice attend ta félonie.

MARIAMNE
Quelle ?

HÉRODE
Ma mort brassée, et mon lit maculé.

MARIAMNE
1110
D’une adultère flamme oncques je n’ai brûlé,
Moins débile attentéN
X
Nota del editor

ellipse pour “mais si j’étais moins débile j’aurais tenté” (A. Howe).

de rompre le servage,
Qui me fit de l’Hymen un continu veuvage.

HÉRODE
Il te fallait un Dieu, présomptueuse, afin
Que ton ambition excessive prît fin,
1115
Afin de rencontrer un Époux de ta sorte ;
Mais au défaut voici, voici celui qui porte
Le nom de favori, ton ÉgistheN
X
Nota del editor

Égisthe devint l’amant de Clytemnestre, dont il assassina le mari Agamemnon, mais ensuite Orestes vengea la mort de son père en tuant le meurtrier (S. Beaurrégard).

vanté,N
X
Nota del editor

= proclamé.

Du remords de sa coulpe en l’âme épouvanté,
Pâle de conscience ainsi que de visage,
1120
Et qui de sa ruine a senti le présage.
Perfide mille fois, qui t’a mis au penser
De trahir mes secrets, la borne outrepasser
Que mes commandements t’exposèrent expresse ?
Cède à la vérité dont le Soleil te presse,
1125
Déclarant qui t’a mû, infracteur de ta foi,
Manifester un cas inconnu que de toi,N
X
Nota del editor

= sinon de toi.

Cas qui m’importait lors plus que je n’ose dire.
Comment te laissas-tu d’une femme séduire,
Jusqu’à communiquer le mandement reçu ?
1130
Réponds : me décevant, quel esprit t’a déçu ?

SOÊME
Hélas ! qui du futur aurait la prescience,
Qui d’un seul Tout-Puissant partiraitN
X
Nota del editor

partir =partager.

la science,
À peine, je le sais, d’imprudence eût été
Se jeter au péril où je me suis jeté.
1135
Mais le voile tendu devant l’humaine vue,
Pour juger à travers la chose mal prévue,
Suivre le sentier pire en une aveugle nuit,
Et se paître du faux d’un populaire bruit,
De là, Sire, ma faute a pris son origine,
1140
Que votre Majesté pardonnera Divine ;
Vu que sans varier, sans feindre, sans mentir
Je lui ai confessée avec un repentir.

HÉRODE
Tu tais le principal de ce que je demande ;
Hypocrite menteur, quelle audace si grande
1145
T’inspirait négliger un fidele devoir ?
Quel fruit présumais-tu du crime recevoir ?

SOÊME
Sur la fausse rumeur d’une dernière perte
Par votre Majesté chez le Romain soufferte,
L’État se conservant à son ÉpouseN
X
Nota del editor

Rigal corrige l’original « époux » par « épouse » : « Le Théâtre d' Alexandre Hardy : Corrections à la réimpression Stengel et au texte original », Zeitschrift für französicche Sprache und Literatur, XIII, 1891, p. 215.

entier,
1150
J’allai (frêle projet) sa faveur mendier.
J’allai comme font ceux qui surpris du naufrage
Tâchent à se sauver plus dispos à la nage,
Dessur quelque aisN
X
Nota del editor

longue pièce de bois, poutre, planche.

brisé, misérable, de peur
Que ma fortune fût convertie en vapeur,
1155
Que personne privée une hideuse hôtesseN
X
Nota del editor

c’est-à-dire la Misère (A. Howe).

De pauvreté me vint accabler en vieillesse.
Hélas ! par ces genoux, mon asile, embrassés,
Par ces pleurs moins de l’œil que de l’âme versés,
Merci je vous requiers. Hé ! faites, grand Monarque,
1160
Luire en moi de clémence une immortelle marque,
Me redonnant la vie.

HÉRODE
Ah ! rustre, il n’est plus temps :
Trop à l’extrémité ma grâce tu attends,
Sur l’arrière-saison ta repentance arrive.
Or du premier forfait un pire se dérive :
1165
La Reine, en ton endroit prodigue de guerdon,N
X
Nota del editor

subst. masc. Loyer, salaire, récompense. Terme vieilli, et n'a plus d'usage que dans le burlesque (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

Son bien plus précieux t’a mis à l’abandon,
Et selon le rapport d’un des tiens plus intime,
Examiné déjà dessur ce même crime,
Permis l’attouchement, permis ce que permet
1170
Celle qui son honneur publique en vente met.
Confessant, je promets te modérer ta peine;
Obstiné, tu l’aurais, n’accroissant que ma haine.
Dis-nous quand, et comment, le lieu, l’heure, et le jour
EsquelsN
X
Nota del editor

contraction de ès, « dans, à », et de « lesquels» = en lesquels, auxquels.

se commença votre adultère amour.

SOÊME
1175
Jamais il ne tomba dans sa chaste pensée,
Et jamais sa vertu ne m’a récompensé,
Sinon par vos bienfaits encore possédés,
Ou la Terre et les Cieux de fureur débordés
Puissent exterminé se venger du parjure.
1180
Sire, (pardonnez-moi) vous lui faites injure :
Au péril de cent morts je maintiendrai qu’à tort
Sur son chaste renom la médisance mort.

HÉRODE
Possible que tantôt les gênes apprêtées
T’induiront accepter mes offres rejetées.
1185
Chargé de fers, traînez-le au creux d’une prison,
Que faute d’en vouloir tirer autre raison,N
X
Nota del editor

= tirer vengeance.

Faites (car je le veux) que mourir il se sente.
Tandis je convaincrai d’une honte décente
Mon empoisonneresse,N
X
Nota del editor

empoisonneuse.

et ferai dans demain
1190
Imposer au chef-d’œuvre une dernière main.


ACTE IV

MARIAMNE, PRÉVÔT, HÉRODE, ÉCHANSON, PHÉRORE, SALOMÉ

SCÈNE I

MARIAMNE (en prison), PRÉVÔT

MARIAMNE
Souverain Gouverneur de l’Empire du monde,
Qui de rien as construit les Cieux, la Terre, et l’Onde,N
X
Nota del editor

construction semblable a celle de Félismène: « Ailé porte-Carquois qui ta flamme féconde / Fais régner en l'Olympe, en la Terre et en l'Onde » (vv. 533-534).

Targe des Innocents, leur assuré rempart,
Je t’invoque réduite au suprême hasard ;
1195
Équitable Censeur des actions humaines,
Qui nombresN
X
Nota del editor

nombrer = dénombrer, compter.

et prescris nos heures incertaines,
J’atteste ta Justice au désastre où je suis,
D’ennemis opprimée, en ce gouffre d’ennuis,
La proie du mensonge et de la calomnie,
1200
Esclave d’une horrible et dure tyrannie.
Père, je ne requiers autre faveur de toi
Sinon que de sortir de l’Enfer où j’étois,
Sinon que de là-haut ma constance inspirée,
Triomphe de la mort qu’on m’aura préparée,
1205
Sinon que de moquer les iniques efforts
De l’odieux bourreau de mes ancêtres morts,
Du barbare qui tient ma liberté sujette
Depuis le nœud fourré d’une alliance abjecte.
Depuis, hélas ! depuis qu’à contrecœur je sers
1210
D’égout aux voluptés du pire des pervers,
Qu’en un lit, soupireuse, à part moi je déplore
La tardive langueur du secours que j’implore,
Secours qui pend du dard funéreuxN
X
Nota del editor

funèbre, funeste, fatal.

de Cloton,N
X
Nota del editor

comme l’a bien remarqué Howe, Hardy confond le rôle de Plothon, celle des Parques qui prédidait à la naissance, avec celui d’Atropos.

Secours qui me confine aux antres de Pluton,
1215
Secours qui convertit ma tempête en bonace,
Qui le repos des miens tant désiré me trace.
Indocile à la peur, je sais qu’il faut mourir,
Je sais qu’à meilleur port l’homme ne peut courir,
Lors principalement qu’entier de conscience
1220
D’une seconde vie il conçoit la fiance,
Stable en tranquillité, durable de repos.
On ouvre la prison. Que tu viens à propos,
Quiconque apportera ma sentence mortelle,
Je voudrais couronner ton chef pour la nouvelle.

PRÉVÔT
1225
Sa Majesté vous mande; allons, Madame.

MARIAMNE
Hélas !
J’espérais du message un extrême soulas,
Que tu me conduirais au destiné supplice.

PRÉVÔT
Non, que telle frayeur ores ne vous saisisse ;
Ce n’est pour autre fin que pour vous confronter
1230
Celui qui l’attentat a osé raconter :
Soyez à ce besoin de réponse pourvue,
Car on se tire mieux d’une affaire prévue.

MARIAMNE
Ma première réponse est la dernière aussi,
Où s’étend désormais le moins de mon souci.

SCÈNE II

HÉRODE, MARIAMNE, ÉCHANSON, PHÉRORE, SALOMÉ

HÉRODE
1235
Bourrelé dans l’esprit de passions contraires,
Je ressemble un captif entre deux adversaires,
Un Agneau que deux Loups terrassent acharnés,
D’une rage de faim cruelle forcenés :
Maintenant celui-ci, tantôt l’autre l’emporte,
1240
Selon qu’il a donné sa secousse plus forte.
Je sens ne plusN
X
Nota del editor

expression refusée par le grammairien Pierre Ménage (1613-1692), dans le chapitre CCXXIV de ses Observations sur la langue française (1672).

ne moins se paître tour à tour
De mon cœur divisé la vengeance et l’amour :
Le crime m’apparaît d’une femme homicide,
Et d’ailleurs sa beauté divine m’intimide,
1245
M’épouvante, certain que me la séparant,
À regret je verrai le Soleil m’éclairant,
Qu’après elle je n’ai chose qui me contente.
Hé ! Cieux, qui la saurait sans feinte, repentante,
Désister de sa haine, éteinte à l’avenir,
1250
Je voudrais du passé ne me plus souvenir :
Sa grâce lui serait bientôt entérinée.N
X
Nota del editor

=accorder.

Mais d’une humeur perverse, et au vice obstinée,
L’affront qu’elle aura cru maintenant recevoir
Plus que tous mes bienfaits obtiendra de pouvoir :
1255
Il ne s’écoulera de sa mémoire ingrate.
Bref, que deN
X
Nota del editor

= pour.

son salut ma ruine s’éclate,
Sa perte me conserve, et sa perte me perd,
Que résoudrai-je donc en un tel doute offert ?
L’absence de ses yeux m’absenteN
X
Nota del editor

absenter = éloigner, séparer de.

de mon âme,
1260
Qui ne vit que des rais de leur jumelle flamme;
Vive, l’impunité son audace accroîtra,
Sans fin la trahison en elle renaîtra.
Observons le milieu requis en ces extrêmes,
Qu’où elle ne voudrait retourner en soi-même,
1265
Reconnaître sa coulpe, ains y persévérer,
La peine capitale on lui face endurer ;
Mais réduite au devoir de l’amitié jugale,
Mais de l’âme abjurant son erreur déloyale,
Qu’à bras ouverts reçue on révoque l’arrêt,
1270
Arrêt où la nature a le plus d’intérêt,
Car défaite il n’y a plus de miracle au monde,
La voici que dévore une crainte profonde.
Voici ceux qu’au conseil aussi je demandois,
Suivis du Délateur qu’opposer je lui dois.
1275
Vague de contenance, une pitié soudaine
M’influeN
X
Nota del editor

influer = communiquer insensiblement ses qualités bonnes ou mauvaises à un autre sujet C'est ainsi qu'on dit que les astres influent sur les corps sublunaires, en leur communiquant leur chaleur, leur froideur, ou autres vertus favorables ou malignes, l'exemple, les bonnes meurs, les sages discours d’un précepteur influent la vertu en l'âme de leurs écoliers Ce mot vient de in & fluere (Furetière : Dictionnaire universel).

(étrange cas) la moitié de sa peine ;
Si faut-il se roidir contre l’affection,
Et couvrir du discours telle imperfection.
Assemblés devant l’œil du Grand Juge Céleste,
1280
Neutre en cette action me porter je proteste,
Quoiqu’elle me regarde, et que seul offensé
Je me pusse venger sans le droit balancé.
DoncquesN
X
Nota del editor

conj. Donc. « Et d'où doncques viendrait cette prompte sortie ? »  (Mol., L'Étourdi, v. 1608). N.B. : Cette conjonction n'est plus en usage" sous cette forme, selon Ménage (Observ. s. l. Lang. fr. 1726) ; elle ne se présente plus que sous les formes donc et doncque, également usitées, l'une d'ailleurs étant plus de la prose, l'autre de la poésie » (Gaston Cayrou : Dictionnaire du français classique).

vous, Délateur, présentement j’adjure
De ne rien avancer que la vérité pure,
1285
De ne rien référer que ce que vous savez,
Que de sa propre bouche entendu vous avez.
A-t-elle pas tâché plusieurs fois de vous faire
Mêler dedans ma Coupe un poison mortifère,
Tâché de suborner votre fidélité ?
1290
Dites, n’ayans égard aucun de qualité :
Le crime exorbitant du titre la dépose,
Répondez véritable à ce que je propose.

ÉCHANSON
Sire, à ma volonté que, reconnu menteur,
Du divorce Royal je ne fusse l’auteur,
1295
Que mon sang expiât l’imposture maudite.
Dispensez-moi d’user, s’il vous plaît, de redite :
L’histoire racontée à votre Majesté
Ne fait pas moins qu’ici présente elle eût été,
Contient de point en point le progrès de l’affaire,
1300
Et le plus répéter je ne tiens nécessaire.

HÉRODE
L’usage coutumier de Justice le veut,
Condamner autrement les crimes on ne peut.
Dépêchons : fûtes-vous pratiqué de la Reine,
Encontre moi choisi ministre de sa haine,
1305
Par promesse tenté d’elle à m’empoisonner ?

ÉCHANSON
Oui, Sire, mais veuillez au courroux pardonner,
Qui la transportait lors.

MARIAMNE
Ô déloyale bouche !
Volontiers la pitié du désastre te touche,
Où tu cuides plonger une qui ne le craint ;
1310
Je t’excuse pourtant, comme d’ailleurs contraint.

HÉRODE
Regardez l’impudence et l’énorme malice,
Que d’un crime aposté elle me fait complice.
Or n’est-il question de plus dissimuler,
Ni à la vérité présente reculer,N
X
Nota del editor

reculer à quelque chose = s’y refuser.

1315
Mais aux objections de l’attentat répondre,
Coupable s’avouer, ou menteur le confondre.
Sus, que prétendez-vous valable répliquer
Qui puisse du forfait la peine révoquer ?

MARIAMNE
Destinée à mourir nonobstant ma défense,
1320
J’aime autant confesser que dénier l’offense,
Il m’est indifférent. Sur charges inventés
D’autres assassinats et pires attentés :
Je m’attribuerai tout, le poison, l’adultère,
La conspiration du meurtre de ma mère,
1325
Tant le jour me déplaît, tant un désir m’époint
De sortir de vos mains, et de ne languir point.

HÉRODE
Au désespoir conçu le criminel s’accuse.

MARIAMNE
Quiconque est juge ensemble et partie on récuse.

HÉRODE
La récusation mal fondée ne sert
1330
Que de preuve du crime au coupable inexpert.

MARIAMNE
Pourquoi m’informez-vous, criminelle avérée ?

HÉRODE
Une confession nous manque référée.

MARIAMNE
Je confesserai plus que vous ne demandez,
Et une prompte mort exorable accordez.

HÉRODE
1335
Amis, retirez-vous; j’estime face à face
Que mes suasions auront plus d’efficace :
SouventesfoisN
X
Nota del editor

= fréquemment.

la honte interdit le parler
Au grand cœur qui ne peut à la force céder.

PHÉRORE
Ah ! qu’il y a danger que le vainqueur succombe,
1340
Qu’en ce premier erreur d’amour il ne retombe.

SALOMÉ
Prévoyant, vous frappez au but appréhendé,
Je le revois des yeux de la raison bandé.

HÉRODE
Quoiqu’un mauvais Démon te résolve à ta perte,
Que ton impiété ne soit que trop aperte,
1345
Que le vouloir damnable on tienne pour l’effet,
Et que supplice aucun n’approche ce forfait,
L’amitié de jadis, qui encore étincelle,
Te garde de son tout quelque faible parcelle,
T’offre, me confessant, un répit du trépas,
1350
Et de peur que semer je semble de l’appas,
M’aider pour te punir par après de ce piège,
D’un Monarque la foi je te donne de pleige :
J’atteste l’Eternel, et son nom précieux,
Qu’au crime du passé je fermerai les yeux,
1355
Exorable, clément, pitoyable,N
X
Nota del editor

accesible à la pitié, compatissant (A. Howe).

fléchibleN
X
Nota del editor

qui peut être fléchi, flexible, souple (Dictionnaire du Moyen Français).

Par-dessus ton espoir.

MARIAMNE
Proposer l’impossible
Et cela m’est tout un, d’avouer un horreur
Dont le titre me jette, innocente, en fureur,
Dont jamais le penser ne me tomba dans l’âme,
1360
Bien qu’à regret Cloton me prolonge ma trame,
Bien que je tende toute à un heur souverain
De trépasser plutôt aujourd’hui que demain.

HÉRODE
La raison de vouloir mourir désespérée ?

MARIAMNE
J’en ai plus que n’eut onc l’Épouse de Thérée.N
X
Nota del editor

Il s’agit de Procné, la sœur de Philomèle. Après avoir violé cette dernière, Térée lui coupa la langue et la fit prisonnière, afin qu’elle ne pût pas le dénoncer. Mais Philomèle parvint à communiquer avec sa sœur à l’aide d’une tapisserie, qui exposait ses malheurs. Procné alors la délivra et, pour punir son mari, elle tua leur fils et lui fit manger sa chair. Au moment où Térée s’apprêtait à poignarder les deux sœurs, il fut métamorphosé en huppe, Philomèle en hirondelle et Procné en rossignol (S. Berrégard).

HÉRODE
1365
Où me suis-je pollu adultère pareil ?

MARIAMNE
Les meurtres perpétrés m’apportent plus de deuil.

HÉRODE
De quoi te souvient-il, méchante, depuis l’heure ?

MARIAMNE
Mon père et mon germain remémorés je pleure.

HÉRODE
Tu ferais plus pour toi, perverse, de songer
1370
À sortir du bourbier d’un crime et t’en purger.

MARIAMNE
La fin de mes douleurs en doit être l’issue.

HÉRODE
Oui, oui, quant à ce point, tu ne t’es pas déçue :
Ton opiniâtreté, tes reproches malins,
Châtiés de la tête, en feront d’orphelins.

MARIAMNE
1375
Ceux du tigeN
X
Nota del editor

= famille, race.

Royal, après moi je ne doute
Qu’ils ne soient destinés à ta vengeance gloute,N
X
Nota del editor

soûlarde, ivrognesse (Dictionnaire du Moyen Français).

L’insatiable soif d’un père indigne d’eux,N
X
Nota del editor

L’insatiable soif d’un père indigne d’eux : de son mariage avec Hérode, Mariamne eut cinq enfants, dont deux filles et un fils qui mourut tout jeune. Les deux autres fils, Alexandre et Aristobule, furent étranglés en 7 av. J.-C. sur les ordres d’Hérode, qui les soupçonnait de conspirer contre lui – sujet qui a inspiré plusieurs pièces de théâtre, dot La Mort des enfants d’Hérodes (Paris, 1639) de La Calprenède. (A. Howe).

Qu’avorta l’Arabie en ses déserts hideux.N
X
Nota del editor

Qu’avorta l’Arabie en ses déserts hideux : Soumis par Antoine, le roi arabe Malchos tardait à payer la somme qu’il devait verser à Hérode, allié des Romains. Sur l’ordre d’Antoine, manipulé par Cléopâtre qui espérait ainsi se débarrasser des deux rois, Hérode engagea une guerre contre Malchos. Mais après avoir été victorieux, les Juifs furent vaincus para les Arabes à cause de la trahison du stratège Athénion, qui commandait le territoire au nom de Cléopâtre (S. Berrégard).

HÉRODE
Ô comble de forfaits ! ô étrange manie !

MARIAMNE
1380
¡Ô généreux mépris d’une ordeN
X
Nota del editor

ord = répugnant, sale (A. Howe). Orde = qui suscite le dégoût (S. Berrégard).

tyrannie !

HÉRODE
Louve, cuiderais-tu porter impunément
Ces blasphèmes vomis en ton forcènement ?N
X
Nota del editor

= folie, démence.

Cuiderais-tu payer tes lubriques outrages,
Tes conspirations, tes injures, tes rages,
1385
D’un fardéN
X
Nota del editor

= trompeur.

repentir, d’un remords, d’un dédit ?N
X
Nota del editor

= révocation d’une parole donnée.

Non, certes, le chemin de ma grâce, interdit,
Ne se rouvrira plus par prières ni larmes :
Tu ne me retiens plus en tes perfides charmes ;
L’amitié conjugale a rendu ses abois,N
X
Nota del editor

rendre les abois = mourir.

1390
Que plutôt, que plutôt une fèreN
X
Nota del editor

=bête sauvage.

des bois
Succède à tes faveurs, compagne de ma couche,
Mes bienfaits la tiendront par le temps moins farouche ;
Je la réduirai mieux au joug de la raison
Que toi, serpent ingrat, malheur de ma maison.

MARIAMNE
1395
Lors que je changerai de parole ou de face,
Barbare, en volonté deN
X
Nota del editor

= avec la volonté de.

mendier ta grâce,
Lors que je m’oublierai tant que de recourir
Au bourreau de mon sang, de crainte de mourir,
ThétisN
X
Nota del editor

divinité marine, fille du dieu de l’Océan.

adoncN
X
Nota del editor

terme archaïque : alors, puis.

perdra l’ordinaire amertume,
1400
PhébusN
X
Nota del editor

Phébus ou Phœbus (du grec ancien Φοῖβος / Phoíbos) est le nom d'Apollon en latin « le brillant » est considéré comme le Solei. Ce terme est utilisé comme épithète d'Apollon, qu'on peut d'ailleurs nommer « Phébus ». Fils de Léto et Zeus, il est le frère jumeau d'Artémis.

ira s’éteindre où sa lampe s’allume,
Zéphire,N
X
Nota del editor

littér. Vent d'ouest; p. ext., vent doux et agréable. Doux, frais, léger, tiède zéphyr; au moindre zéphyr; parfum, souffle du zéphyr (CNRTL : Centre National de Ressources textuelles et Lexicales, version 2012. UMR ATILF) (CNRS-Nancy Université). Site internet : http : //www.cnrtl.fr/.).

accoutumé de suivre le Printemps,
Soufflera quand l’Hiver nous hérisse les champs,
Les Corbeaux vêtiront du Cygne le plumage,
Philomèle avec eux échangeant son ramage.
1405
Ne le présume pas, sanguinaire, félon,
Avant je supplierais un Scythe ou un Gélon.N
X
Nota del editor

peuples barbares habitant la Russie méridionale.

Corsaire Iduméen,N
X
Nota del editor

l'Idumée est le nom d'une région limitrophe de la Judée pendant la période du Second temple. Elle s'étend du sud des monts de Judée au nord du Néguev.

race ignoble, n’estime
Que Mariamne meure autre que magnanime,
Que pouvant de soi-même elle n’eût enterré
1410
Tes lâches cruautés dans ton flanc enferré,
Qu’elle n’eût accompli ce que tu lui supposes.
Sus donc, fais-moi mourir, il semble que tu n’oses.

HÉRODE
Ô peste abominable ! ô Mégère d’Enfer !
De vrai je tarde trop à te faire étouffer,
1415
Ma clémence à bon droit tu blâmes excessive.
Amis, ramenez-la; qu’au surplus on poursuive
Tellement ce procès, sans intermission,
Que dans demain, parfait sur sa confession,
Une Justice égale au forfait on me rende,
1420
Faveur que celle-là votre Roi ne demande.

PHÉRORE
Sire, vous surmontez l’honneur de vos combats
En ce Monstre impudent à cette heure mis bas.
L’utilité, conjointe à si belle victoire
Deviendra par les ans plus belle et plus notoire.
1425
Quels vœux n’avons-nous faits, de crainte retenus
Que Mars ne s’endormît au sein d’une Venus ?
Que les allèchements de sa beauté sorcière
Regagnassent sur vous leur puissanceN
X
Nota del editor

de même qu’Howe et Berrégar, nous adopton ici la leçon de 1632, qui remplace « puissance » par « naissance ».

première,
Coup qui n’importerait, pardonnant l’attentat,
1430
Que de votre ruine, et celle de l’État.


ACTE V

MESSAGER, HÉRODE, PHÉRORE, SALOMÉ

MESSAGER
Ô Constance admirable ! ô Reine infortunée !
Hélas ! tu méritais meilleure destinée ;
Tes vertus, tes beautés, tes grâces, tes appas
Ne devaient s’asservir à la loi du trépas ?
1435
Ou du moins qu’une mort te ravît plus sortable ?
Ô spectacle piteux ! ô perte regrettable !
Perte qui la patrie a privé d’un Soleil,
Perte qui conduira son auteur au cercueil,
Car le Roi séparé de l’âme de son âme
1440
Ne peut moins recevoir de douleur que de blâme :
Il ne peut d’une ardeur de vindicte remis,
Qu’expirer de regret pour tel acte permis.

HÉRODE
Ô malheur ! c’en est fait, c’en est fait, elle est morte ;
Du supplice enduré la nouvelle il m’apporte,
1445
Qu’auront les malveillants traîtres précipité
Sous ombre de complaire à un Prince irrité.
Approche, et promptement raconte qui t’amène.

MESSAGER
Autre chose sinonN
X
Nota del editor

= rien d’autre que.

le décès de la Reine,
Chargé de vous en faire un fidèle discours.

HÉRODE
1450
Qu’à ton chef-d’œuvre, ô Ciel, n’as-tu prêté secours ?
Que n’as tu retardé l’effet de ma colère ?
Ainsi donc Mariamne a perdu la lumière ?
Mariamne, ce nom, ce beau nom révéré,
Vive ne lui sera plus de moi référé.
1455
Mariamne a subi les rigueursN
X
Nota del editor

= cruauté.

de la Parque !
L’impiteux NautonierN
X
Nota del editor

personne qui conduit un navire, une barque.

l’a passée en sa barque !
Donc, ce flambeau d’amour illumine les morts !
Ah ! je pâme, je meurs, bourrelé de remords,
La pitié de douleur me transit importune ;
1460
Récite néanmoins ce fatal infortune.

MESSAGER
L’Arrêt en la prison de la mort prononcé,
Comme qui lui aurait le contraire annoncé,
Comme libre, en l’honneur de naguères remise,
Grave de contenance, et de face rassise,
1465
Elle tend vers le Ciel d’allégresse les mains,
Des grâces sacrifie au Père des humains,
Qui la tire des ceps d’un continu martyre,
Bourgeoise désormais de l’Éternel Empire,
D’une ÉgypteN
X
Nota del editor

licence poétique pour la Palestine.

sortie, où la fleur de ses ans
1470
Stérile fut pareille à des Chardons poignants,
Où sous le nom d’Hymen son horrible servage
Ne lui aurait filé qu’un moleste veuvage.
Ajoute n’emporter de ce monde pervers
Regret aucun, sinon par les malheurs ouverts
1475
À sa race orpheline, en deux fils qu’elle laisse.
Lors un fleuve de pleurs, conforme à sa tristesse,
Augmenta les beautés du visage obscurci.
Vous voyez qu’il advient dedans le Ciel ainsi
Quand IrisN
X
Nota del editor

personnage mythologique qui symbolisait l’arc-en-ciel.

de couleurs a bigarré les nues,
1480
Et distille une pluie àN
X
Nota del editor

= par.

secousses menues :
Le front du Firmament ne paraît que plus beau,
Ni le Soleil après rallumant son flambeau.
Chacun des assistants, attendri de courage,
Participe muet à ce mal qui l’outrage,
1485
Déplore l’accident qui dissout funéreux
Votre lien Nocier,N
X
Nota del editor

de noce avec le suffixe –ier. Désuet, relatif aux noces.

autrefois tant heureux.
Même que j’entreouïsN
X
Nota del editor

v.a. Ouir imparfaitement quelque chose « J'ai entr'ouï sa voix. Il me semble que j'ai entr'ouï quelque chose de semblable » (Dictionnaire de L'Académie française, 4ème édition).

soulever un murmure,
Rejetant sur l’envie une telle aventure,
Et que beaucoup, soufflants un feu continuel
1490
De discord, vous rendaient vers elle plus cruel.
Là-dessus, volontaire, on la mène au supplice,
Un monde à ce spectacle à laN
X
Nota del editor

= dans.

foule se glisse,
Par ondes agité, comme le font les flots,
BoréeN
X
Nota del editor

Borée (en grec ancien Βορέας / Boréas, littéralement « le vent du nord »), dans la mythologie grecque, est le fils d'Éos (l'Aurore) et d'Astréos.

et l’AquilonN
X
Nota del editor

dans la mythologie romaine, Aquilon (Aquilo en latin) est le dieu des vents septentrionaux (Nord), froids et violents. Il est souvent confondu avec son homologue grec Borée.

de leurs prisons déclos.
1495
Sa mère, qui passer d’un Portique l’avise,
Imitant la fureur dans les BacchantesN
X
Nota del editor

prêtresses de Bacchus (Dionysos), dieu de la vigne et du vin.

prise,
L’attaque injurieuse en ces mots à peu près :
Te voilà malheureuse, ingrate que tu es,
Ingrate à un Époux qui t’avait plus chérie,
1500
Plus que ne méritait, CarnassièreN
X
Nota del editor

Grosse dent latérale propre aux mammifères carnivores, caractérisée par sa double aptitude à trancher et à broyer et située entre les molaires tranchantes et les molaires broyeuses éventuelles, aux deux mâchoires (https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/carnassière/13344).

furie !
Ni ton extraction, ni ta rogue beauté ;
Te voilà convaincue en ta déloyauté ;
Te voilà trébuchée en honteuse ruine,
De lèse Majesté et humaine et divine
1505
Criminelle approuvée. Ha ! que n’ai-je avorté
D’un si Monstrueux fruit ? Pourquoi l’ai-je porté ?
Qu’au sortir de ces flancs tu ne fus étouffée !
Un bourreau maintenant ne t’aurait deN
X
Nota del editor

=en guise de.

trophée.
Mais va, peste, querir de ta témérité
1510
Et des tes trahisons le loyer mérité.
Que dis-je mérité ? Mille morts plus cruelles
Capables n’expieraient des forfaitures telles.
Ces répréhensions ne l’émurent non plus
Qu’un grand roc rivager est émeu du reflux :
1515
Constante elle poursuit ce funeste voyage,
Et feint n’avoir ouï l’hypocrite langage
Que suggérait la crainte à sa mère, de peur
D’encourir même sort, compagne du malheur.

HÉRODE
Ô grande cruauté ! que le Ciel et la terre
1520
Ensemble t’on livré une cruelle guerre !
Pauvrette, tu n’as eu qu’à ton aide recours,
Que ton courage seul te donnant du secours.
Ô barbare ! ô barbare, une aveugle colère
Te comble de remords, de deuil, de vitupère.
1525
Mais poursuis le narré,N
X
Nota del editor

= le récit.

ce qui ne peut sans pleurs
Me rafraîchir l’objet de si vives douleurs.

MESSAGER
Venue à l’échafaud, de qui la morne face
Semble à regret souffrir que sur lui se défasse
Un miracle du Ciel, de nature, et d’Amour,
1530
Le peuple larmoyeux en silence à l’entour,
De son mouvement propre à genoux prosternée,
Et moins qu’au précédent encores étonnée,
Ses prières de zèle adresse au Tout-puissant;
L’atteste derechef surN
X
Nota del editor

= de.

son los innocent
1535
Que pour d’autres péchés de mémoire infinie,
Ce dernier supposé, elle se sait punie ;
Prie des assistants quelqu’un vous assurer
Qu’au cas que sciemment n’ayez feint l’ignorer,
qu’onc poison de sa part n’a tenté fraudulenteN
X
Nota del editor

Fraudulent fraudulenta, adj. vieilli Fraudulento, esp. Port. Fraudulent, cat. Fraudolente ital., enclin à la fraude, fait avec fraude. Ety. du lat. fraudulosus (Dictionnaire Provençal-Français).

1540
Contre vous, prévenu d’une ire violente,
Prévenu des aguets de ceux qui l’ont toujours
Ennemis du repos et de l’heur de vos jours,
Voulu rendre suspecte, et poussez de rancune,
Envié la splendeur chez vous de la fortune ;
1545
Dit que la Vérité, vierge fille du temps,
Deviendra manifeste un jour aux écoutants,
Produira des effets tardifs de repentance
À vous, qu’elle conjure avoir soin d’une enfance,
Prendre de ses deux fils le souci paternel,
1550
Commandés d’oublier l’opprobre maternel,
Commandés d’enfermer dedans la sépulture
Le souvenir du tort inique qu’elle endure.
Ces propos achevés, un col d’ivoire blanc
Au glaive se présente, et de courage franc
1555
L’exécuteur inviteN
X
Nota del editor

= elle invite l’exécuteur, ellipse du pronom sujet.

à frapper sans remise.
Un coup le chef du corps à l’instant lui divise :
Ils trébuchent ensemble avec un petit bruit ;
Dans les bouillons de sang l’âme prompte s’enfuit.

HÉRODE
Hélas ! tu n’as que trop mes cruautés dépeintes,
1560
Que trop ouvert la bonde à mes pleurs, à mes plaintes,
Trop en mon âme mis de Vautours et bourreaux.
Ô terre ! engloutis-moi dans tes cavesN
X
Nota del editor

= creux.

boyaux,
Ouvre le plus profond de tes gouffreuxN
X
Nota del editor

= de la nature d’un gouffre (S. Berrégard).

abîmes,
Et y plonge ce corps chargé de tant de crimes.
1565
Mariamne défaite ! Ô Astres incléments !
Ô Ciel ! injuste Ciel, perfides Éléments,
Et ne pouviez-vous pas résister à ma haine ?
Et ne deviez-vous pas me répandre sa peine ?
Mariamne défaite ! Ah ! je ne le crois pas :
1570
L’Univers tout en deuil pleurerait son trépas ;
Phébus, à qui ses yeux fournissaient de lumière,
Dormirait pour jamais sous l’onde marinière.
Mariamne défaite ! Hélas ! le sais-tu bien ?
Tu t’abuses, Cloton sur elle ne peut rien.

MESSAGER
1575
Sire, tous les regrets du demeurant du monde
Ne la retireraient hors de la nuit profonde :
Son corps n’est plus qu’un tronc privé de mouvement,
Qui désire de vous l’honneur du monument,
Qui vous reprocherait irrésoutN
X
Nota del editor

Irrésolu.

d’inconstance,
1580
Puis qu’elle ne mourut que par votre sentence.

HÉRODE
Ô barbare sentence ! Ô Arrêt déloyal,
Acte de Lestrygon, beaucoup plus que Royal !
Vengez, peuples, vengez sur les Auteurs du crime
Celle qui vous restait de Reine légitime,
1585
Héritière d’Hyrcane au Sceptre Palestin,
Faites-nous compagnons de son sanglant destin,
Egorgez, égorgez ces meurtriers sur sa tombe,
Et que moi le premier plus coupable je tombe,
Réduit au désespoir, furieux que je suis :
1590
Vous me délivrerez d’un déluge d’ennuis,
Le Ciel vous saura gré d’une telle justice.
Qu’au moins encore un coup, chère Âme, je te visse !
Qu’au moins encore un coup je te pusse parler,
Ains, qu’hélas, ne me puis je en ta place immoler !
1595
Que ne me puis-je perdre en te sauvant la vie ?
La vie ? Hé ! Cieux, comment ? qui te l’aurait ravie
Divine de l’esprit et divine du corps,
Quel accident aurait rompu leurs saints accords ?
QuelleN
X
Nota del editor

= laquelle.

de ces trois sœurs filandières de l’âge
1600
Eût entrepris de faire à tes beautés outrage ?
Nulle certainement : la mort n’a point de traits
Que n’eussent émoussés leurs amoureux attraits.
Hélas ! je ne repais mes douleurs que d’un songe ;
Je me console en vain d’un frauduleux mensonge,
1605
Mariamne n’est plus ; Mariamne a passé
Ce fleuve de l’Enfer neuf fois entrelacé ;N
X
Nota del editor

il s’agit du fleuve Styx, qui selon Virgile entourait les Enfers de ses neuf spires. Le vers est semblable au vers 1490 de La Belle Égyptienne : « Ne crains plus de passer le fleuve aux nef replis » : citation virgilienne : Énéide VI, 439 Alligat et noviens Styx interfusa coercet. (« Vains regrets ! Par le Styx neuf fois environnés », trad. Jacques Delille).

Mariamne n’est plus qu’une insensible souche,
PythonN
X
Nota del editor

le Python était un serpent légendaire, né de la Terre et chargé de persécuter Léto, la mère d’Apollon. Mais celle-ci fut vengée par son fils, qui tua le serpent au pied du Parnasse et qui ensuite fonda en son honneur les Jeux Pythiques, avant de prendre à son tour le nom de pythien. On peut penser que, par métonymie, Hardy désigne ici la parole d’Apollon, dieu de la poésie, même si Python prononçait aussi des oracles (S. Berrégard).

ne coulera plus de miel de sa bouche,
Plus de dards dans ses yeux l’Amour ne trempera,
1610
Qu’un long somme d’airain toujours occupera.
Las ! hélas ! je n’attends de revoir que son ombre
Cruelle, épouvantable, en la demeure sombre,
Armée de flambeaux, de tortures, de fers.
Que dis-je ? JaN
X
Nota del editor

adv. de temps. Dés cette heure. « Il était ja grand. Il est vieux ». Il sert quelquefois de négative absolue « Je ne le ferai ja. je n'irai ja. ja n'advienne. ja à Dieu ne plaise ». Il est bas & vieux (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

déjà hors du seuil des Enfers,
1615
Suivie d’une bande affreuse, elle s’élance.
Pardonne à mon outrage et à ma violence,
Pardonne-moi, ma vie, à grands coups redoublés
Je m’en vais satisfaire à tes Mânes troublés,
PlomberN
X
Nota del editor

= meurtrir.

ce sein caduc, me déchirer la face,
1620
Arracher ces cheveux, me meurtrir sur la place.
Ha, cruel ! ha, bourreau ! quelle punition
Ferait de ton forfait digne expiation ?

PHÉRORE
D’où sortent ces clameurs qui le Palais étonnent ?
Quels soupirs féminins en la bouche résonnent
1625
D’un Monarque invincible ? Ô secousses du sort !
Dois-je croire mes yeux, ou son courage mort ?
Sire, je vous supplie, écoutez ma prière :
Que votre Majesté pour un peu se tempère,
Réprime sa fureur, impétueux torrent,
1630
Impétueux, qui cause un extase apparent.
Immobile sinon des paupières ouvertes,
Qu’il contourne d’horreur et de flammes couvertes,
Sourd, étrangéN
X
Nota del editor

transmué, métamorphosé.

de soi, stupide, forcené,
D’une brutalité maniaque mené,
1635
Sa poitrine de coups l’homicide guerroie.
Ô Cieux ! qui l’abandonne au désespoir en proie.

MESSAGER
Informé du trépas de la Reine par moi,
Soudain le tourbillon de ce lugubre émoi
L’a saisi, l’a surpris, réduisant ses complaintes
1640
Jusqu’aux communes lois de la nature enfreintes,
Jusqu’à se mutiler l’estomac de sa main.
Mon conseil, mes efforts lui résistent en vain.

SALOMÉ
Ô d’un parfait amour exemple déplorable !
Qui fut à son objet de sorte inséparable,
1645
Qu’il ne peut au cercueil dévalé oublier,
Qui ne peut le Ciment de sa foi délier,
Jaçoit que, criminelle, une mort appliquée
Soit moindre que l’offense horrible remarquée,
Que l’arrogante seule ait voulu son malheur.
1650
Or, Sire, si faut-il prendre un avis meilleur,
Passer dorénavant l’éponge sur sa perte,
Qui de peu vous sera facile recouverte,
Mille heureuses d’avoir le grade qu’elle obtient,
Posséder un honneur qui ne lui appartient,
1655
Humbles, sages, de qui toujours l’obéissance
Se gardera de choir en sa méconnaissance.N
X
Nota del editor

= ingratitude.

HÉRODE
Perfides envieux, qui me la tollissez,N
X
Nota del editor

remplacé par ravir dans l’édition de 1632, le verbe tollir était considéré archaïque au XVII e siècle (A. Howe).

Qui l’astre de mon mieux à jamais éclipsez,
Organes de sa mort, qui me saignez dans l’âme,
1660
Qui déçu me chargez de remords et de blâme,
Fuyez vite d’ici, à peine de sentir
Du Conseil frauduleux le proche repentir,
À peine d’alléger ma torture immortelle,
Sans égard, sans respect, de sang, de parentèle :
1665
Bourreaux, ne paraissez plus jamais à mes yeux,
Qui ne vous peuvent voir sans être furieux.

PHÉRORE
Retirons-nous, ma sœur, que ce tançonN
X
Nota del editor

A. « Querelle, dispute ». B. « Bataille, mêlée guerrière ; tumulte (Dictionnaire du Moyen Français).

de rage
N’épande sur nos chefs une part de l’orage ;
Et faut que la raison, recampéeN
X
Nota del editor

= revenir, rétablir.

en son sort
1670
Efface le péril d’un frénétique effort.

SALOMÉ
Aussi queN
X
Nota del editor

= de même que.

s’obstiner présents à contredire
Serait verser de l’huile ès flammes de son ire,
En aigrir un levain d’aveugle passion,
Qui du temps Médecin veut l’opération.
1675
Toi, mon ami, regarde au mal qui le tenaille :
Qu’un secours domestique ores ne lui défaille.

MESSAGER
L’honneur incomparable en ce pieux devoir
M’oblige d’y vaquer par-dessus mon pouvoir.
Assiste, Tout-puissant, assiste de ta grâce
1680
Celui chez qui l’amour toute prudence efface ;
Compose sa tourmente. Hélas ! je l’aperçois
Aux plaintes recourir, tout transporté de soi.

HÉRODE
Que cesses-tu, meurtrier ? Donnes-tu déjà trêve
Aux assauts redoublés de l’ennui qui te grève ?N
X
Nota del editor

= qui t’accable.

1685
Suffit-il d’honorer deN
X
Nota del editor

= par des.

soupireux sanglots
De ton autre moitié la mémoire et le los ?
Suffit-il que toi seul dans ton cœur la révères ?
Non, non, malgré l’effort des trois Vierges sévères
Mariamne revit en la Terre et aux Cieux :
1690
Chacun ainsi que moi l’aura devant les yeux.
Fidèles serviteurs, vous quiconqueN
X
Nota del editor

= qui que vous soyez.

l’aimâtes,
Quiconque à mon vouloir dévots vous conformâtes,
Venez tous, accourez, je vous commande exprès,
Les larmes sur les yeux, le front ceint de Cyprès,N
X
Nota del editor

arbre traditionnellement associe dans la mythologie à l’idée de la mort.

1695
De réclamer partout Mariamne Déesse.
Je vous commande exprès qu’un autel on lui dresse
Ici dans le Palais, où les vœux, et l’encens
Apaisent chaque jour ses Mânes innocents,
Où je vous donne un lieu d’inviolable asile,
1700
Où je veux que ma vie en larmes se distille,
Où ce précieux corps inhumé quelquefois
Révoquera l’esprit aux accents de ma voix,
Consolant mes ennuis d’uneN
X
Nota del editor

= par une.

douce parole,
Permettant à mes bras d’étreindre son idole,
1705
À ma bouche obtenir sa piteuse merci,
Premier que je descende au Royaume noirci,
Premier que le trépas criminel me prévienne,
Premier qu’ombre là-bas à elle je parvienne.
Car certain du pardon, et que purifié,
1710
J’aurai ce bel esprit du tout propicié,
Un moment superflu ne traînera ma vie,
De plus de mille morts, elle absente, suivie :
Dessur l’heure, content, je la vais retrouver,
Heure qui ne saurait assez tôt arriver.

FIN