Alexandre Hardy

Félismène





Texto utilizado para esta edición digital:
Hardy, Alexandre. Félismène. Édité et annoté par Ángeles García Calderón pour la collection EMOTHE. Valencia : ARTELOPE Universitat de València, 2017.
Adaptación digital para EMOTHE:
  • López Martínez, José Enrique (Artelope)

LES ACTEURS

DON ANTOINE
DON SANCHO
DON FÉLIX
FÉLISMÈNE
CÉLIE
NOURRICE
ADOLPH
LUPOLD
FERNANDE
PAGE
SIRÈNE
DUARDE
DANTE
DIANE
TROUP DE BERGERS

ARGUMENT

Don Félix jeune cavalier issu de l'une des plus nobles et riches familles de Tolède, contracte une amitié mutuelle et clandestine avec Félismène, autant accomplie en vertus, que rare en beauté : mais inégale à ce gentilhomme quant aux biens de fortune. Le père de Don Félix sourdement averti de leurs amours, envoie son fils à la Cour de l'Empereur, pour lui procurer pendant l'absence un parti plus avantageux et digne de lui ; Don Félix à ce départ console sa maîtresse en l'espoir d'un prompt retour qui consommerait leur mariage, mais arrivé à la Cour, Célie parente de l’Empereur, et belle en perfection, lui fait oublier sa première maîtresse, qui le va trouver déguisée en mâle, sur un légitime soupçon de son inconstance, s’introduit sans être connue, à son service, et s'emploie, quoi qu'à contrecœur, pour lui faciliter la jouissance de Célie, qui en devint amoureuse, et au refus de celle que la conformité du sexe rendait incapable de la contenter, entre en telle rage de désespoir, qu'elle meurt subitement. Là-dessus un Seigneur Allemand corrival* de Don Félix et son mortel ennemi lui impute la mort de cette jeune Princesse par quelque poison, le court comme celui que l'épouvante avait mis en fuite, et le ratteint** au propre lieu où Félismène, à l'heure hors son service, et devenue Bergère, lui prête secours contre ses ennemis, desquels à l'aide de cette Amazone il emporte la victoire ; ce qui occasionne leur reconnaissance et en suite un heureux mariage. Ce sujet tiré de la Diane de Montemayor sur le Théâtre Français, ne doit rien aux plus excellents.

* corrival : [corriva]le. s. Rival. Terme vieilli (Dictionnaire de l'Académie française, 1ère édition).
** ratteint : participe de atteindre, avec le préfixe r indiquant ici une approche. Ratteindre : (Désuet) Rattraper, rejoindre. Le prisonnier s’était échappé, on est parvenu à le ratteindre (Dictionnaire de l'Académie française, 6ème édition).


ACTE I

DON ANTOINE, DON SANCHO, DON FÉLIX ET FÉLISMÈNE

SCÈNE I

DON ANTOINE, DON SANCHO ET DON FÉLIX

DON ANTOINE
Sous le rond spacieux embrassé de Neptune,
Si mortel fut jamais content de sa fortune,
Si mortel a vécu - rare félicité -
Presque affranchi des lois de toute adversité,
5
L'Univers doit entier un portrait à ma vie,
Où vainqueur sous mes pieds on enchaîne l'envie,
Où je fasse mentir quiconque ne croit pas
L'heur de l'homme accompli paravant le trépas,
Soit qu'on veuille peser l'illustre parentage,
10
Où sa propre vertu, merveilleux avantage,
La santé, les amis, la prouesse, les biens,
Être honoré des Rois, et bienvoulu des siens,
Grâces au Tout-puissant ma vieillesse chenue
Sur les mieux fortunés à la palme obtenue ;
15
Même en ce dernier point, que du sépulcre enclos,
Un vif portrait laissé ressuscite mon los,
Un fils dont la prudence au courage s'égale,
De nature courtoise, accorte, libérale,
Mûr, discret, modéré, qui lionceau n'attend,
20
L'œil furieux au guet, le poumon haletant,
Que quelque digne objet, quelque sortable proie,
Où un premier essai de valeur se déploie :
Car stupide le voir, paresseux, casanier,
Entre les voluptés infâmes prisonnier,
25
J'aimerais beaucoup mieux que ma mémoire éteinte,
Du sang dégénereux ne reçût une atteinte,
On doit moins les enfants que la gloire estimer,
Tout amour envers eux idolâtre à blâmer,
Satisfait là-dessus mon esprit se repose,
30
Attendant de pied coi que le Ciel en dispose,
Immortel citoyen de son stable séjour :
Mais une affaire exprès me demande à la Cour,
Qui ce penser sursis ne souffre de remise,
Et crains même d'avoir passé l'heure promise,
35
Nous le saurons, il faut ma montre consulter,
Bon Dieu ! quelque importun vient encor m'arrêter,
Nullement, le meilleur de nos amis s'avance,
Et un devoir courtois veut que je le devance.

DON SANCHO
Certain cas m'amenait à l'extrême important,
40
Qui sur l'unique espoir d'un vieil père s'étend,
Espoir prêt à broncher, prêt à faire naufrage,
Qui d'heure ne voudra contre-lutter l'orage,
Qui d'heure ne voudra dessur l'avis reçu
Prévenir les aguets d'un serpent aperçu,
45
Prévenir le péril cause de sa piqûre,
Depuis que tant soit peu on néglige la cure.

DON ANTOINE
Arbitre des humains, rend l'augure trompeur,
Qui mon sang à ces mots caille de froide peur,
Dites, dites sans plus déguiser la matière,
50
Donnez à tel avis son ouverture entière.

DON SANCHO
Parfois la vérité Soleil trop radieux,
Qui se découvre à coup nous offense les yeux,
Lors principalement qu'une chose affectée,
Du vice qu'elle cache apparaît infectée ;
55
Or intimes amis ai-je à vous déclarer,
Que l'Amour ce Tyran commence à s'emparer
De la jeune raison de celui que nature
Vous subroge héritier après la sépulture,
Et là ne s'agit point d'un amour passager,
60
Qui n'a pas le loisir de s'asseoir pour changer,
La beauté qui le tient grandement inégale,
Aspire à l'attraper sous la torche jugale,
Possible des parents instruite, qui rusés
Comme Veneurs experts en embûche posés,
65
Désirent sur la proie acharné le surprendre,
Et légitime époux au lieu d'ami le rendre ;
Détournez averti ce fâcheux accident,
Qui de vos ans chenus hâterait l'occident.

DON ANTOINE
Oui certes le regret d'une bru mal choisie,
70
Sans mon consentement selon sa frénésie,
Regret plus douloureux que le pire trépas,
Quoique proche, au cercueil précipite mes pas ;
L'impie révolté de notre obéissance,
S'usurper téméraire une telle licence ?
75
Enfreindre le respect paternel effronté,
Et oser prendre loi que de ma volonté ?
Monstre pernicieux, parricide vipère,
Après tel attentat fléchible ne m'espère,
Tu mourras à l'instant étouffé de ces mains
80
Qui rendront ma justice exemplaire aux humains.

DON SANCHO
La Passion messied où la douceur prudente
Redresse quelque chose en ruine pendante,
Divertissant ailleurs ce désir ocieux,
Il n'y a pas de quoi s'affliger soucieux.

DON ANTOINE
85
Pourvu qu'un repentir succède à la folie,
Que la loi de l'hymen furtive ne le lie,
Ma clémence lui est ce qu'elle fut jadis ;
Mais qui de sa franchise a les liens ourdis ?
Une fille s'entend du vulgaire, et rusée,
90
Obtient sur l'indiscret cette victoire aisée.

DON SANCHO
Extrême de beauté, entière de renom,
Médiocre en moyens, Félismène elle a nom,
Sous l'aile des parents vertueux élevée,
Sa hantise à un seul Don Félix réservée,
95
Particularités que voisin curieux
Chaque jour je remarque avec ces propres yeux ;
Outre qu'à contempler leurs caresses mignardes,
Un feu d'amour naîtrait ès âmes plus couardes,
Mille humides baisers, mille folâtres jeux,
100
Couler une main libre autour d'un col neigeux,
Ne manquent d'ordinaire : et montrent l'apparence,
Qu'un Hymen conspiré les nourrit d'espérance,
Intolérable choix, vu que telle maison
À la vôtre ne peut faire comparaison.

DON ANTOINE
105
L'Aigle fuira de peur la colombe imbécile,
Le Nocher aimera les gouffres de Sicile,
L'Abeille les frelons, et les naissantes fleurs
De l'ardent Syrien les mortelles chaleurs,
Premier que mon suffrage approuve l'alliance,
110
Que ma gloire trahir de certaine science,
Ça serait le trahir souffrant que l'insensé
Effectuât l'erreur du dessein commencé,
Que semblable parti le prît à la pipée,
Ma puissance absolue alors anticipée :
115
Jamais, jamais ; or veux-je arracher peu à peu
De son âme l'objet qui attise ce feu,
Rompre l'oisiveté pestifère nourrice
D'un venin furieux qui dans l'âme se glisse,
Voici comment : la Cour de l'Empereur un temps
120
Lui plongera l'esprit en divers passe-temps,
Façonnera ses mœurs et polira sa grâce,
Outre le plus acquis d'une modeste audace,
Familière à quiconque au mépris des dangers,
Cour cupide d'honneur, les pays étrangers,
125
Distrait l'impression première divertie,
Et d'un rien provenue en un rien convertie,
Nous lui aurons pourvu de maîtresse au retour,
Qui d'aimables neveux le fasse Père un jour.

DON SANCHO
Résolution sage autant que salutaire ;
130
Ains organe plutôt de force volontaire,
Qui perdu le ramène au sentier de vertu
Difficile à tenir épineux et tortu ;
Ne plus ne moins peut on faire qu'avec adresse
Une branche courbée aisément se redresse,
135
Que rompt la violence : ainsi lui changez-vous
L'insupportable fiel de ce breuvage en dons ;
Toutefois comme ami derechef j'ose dire,
Que ce chancre au plus tôt le cautère désire,
Que tel feu plus épris désormais ne s'éteint,
140
Et le haut dévoré du bâtiment atteint.

DON ANTOINE
Mes yeux ne goûteront le somme favorable,
Avant que j'effectue ce conseil secourable
Sans remise quelconque, Ah ! le voici qui sort,
Vous me permettrez bien seul à seul son abord,
145
Adieu, mille mercis,

DON SANCHO
Surtout que la clémence
Semblable exécution paternelle commence.

DON ANTOINE
Prépare-toi l'oreille attentive à ma voix,
La fleur de ton printemps s'écoule, tu le vois,
150
Fainéante, inutile, ocieuse, inconnue,
Fleur qui passe plutôt qu'une légère nue,
Propre aux actes de gloire, et qui perdue après
Nous laisse dévorer à d'importuns regrets,
Reste irrécupérable, environnant de honte,
155
Qui la faire valoir à temps n'a tenu conte :
Évite cher espoir ce naufrage prévu,
Labeur facile à toi de mon conseil pourvue,
Conseil que chacun sait emporter son oracle,
De qui le prompt effet ne connaît point d'obstacle ;
160
Sans discours un voyage acquiert chez les Germains
Ce qu'Ulysse s'acquit du reste des humains,
Te dépaysera non parmi la commune,
De qui les sales mœurs imitent la fortune,
Mais telle que là-haut Jupiter tient sa Cour,
165
Où Mars n'empêche pas la présence d'Amour,
César t'éblouira dans la douce merveille
De la sienne sinon préférable, pareille,
Cour fameuse qui sert d'aimant à la valeur,
Et applique aux vertus la dernière couleur :
170
Fais donc ores état en décent équipage,
En magnifique train d'accomplir ce voyage,
Que trois ou quatre mois expirés borneront ;
Il semble dédaigneux, que tu rides le front,
Qu'un murmure secret refréné de la crainte,
175
S'étouffe et se remâche en la bouche contrainte,
Parle, n'use de feinte, ou de rétention,
Ouvre ce que tu as dedans l'intention.

DON FÉLIX
Beaucoup changent de Ciel sans changer de nature,
Ne sèment qu'un travail ingrat à l'aventure,
180
Pour voir les nations qu'éclaire le Soleil,
Du matin jusqu'où las il se plonge au sommeil,
Mon faible esprit ne peut croire la Germanie
Féconde en raretés que l'Espagne nous nie,
Croire ses nourrissons plus civils, plus guerriers,
185
Ne qui plantent si loin leurs célèbres lauriers :
Celui blesse impieux le los de sa patrie,
Qui cueille telles fleurs en quelque autre prairie,
Qui cherche qu'en son champ la gloire à moissonner ;
Et me veuillez Monsieur encore pardonner,
190
Si je dis que venu sur le déclin de l'âge,
Un devoir filial veut que je vous soulage,
Inséparable aux pas, inséparable aux yeux
De qui m'a concédé la lumière des Cieux.

DON ANTOINE
Tu es trop raisonnable et plein d'obédience,
195
Permets moi que mon sort je prenne en patience,
D'autres à ton défaut me solliciteront,
Qui mes caduques jours ne précipiteront,
Le lien principal qui te garrotte l'âme,
Insensible rendue à la crainte du blâme,
200
Passe dessous silence et dissimule en vain :
Tiens plus fermes ces mots que quelque mur d'airain,
Sur peine d'encourir la haine paternelle
Armée à ta ruine, ennemie éternelle :
Il me plaît que résout au voyage prescrit,
205
Tu purges d'un ennui soupçonneux mon esprit,
Sans délai, subterfuge aucun, réplique, ou clause,
Et bref sans prendre plus connaissance de cause,
Tu m'entends à ce coup qui parle clairement,
Qui veux être obéi dessur l'heure, autrement...

DON FÉLIX
210
Me foudroie le Ciel d'un éclat de son ire,
Plutôt que d'oser onc rebelle vous dédire,
Quoique mon désir souffre un indicible effort,
Le vôtre préféré triomphera plus fort.

DON ANTOINE
Ainsi ne doute pas ton voyage prospère,
215
Ainsi tu trouveras à la fin, que bon père
J'aurai plus eu d'égard que toi-même à ton bien,
Médite là-dessus, et un jour t'en souviens.

SCÈNE II

FÉLISMÈNE, ET DON FÉLIX

FÉLISMÈNE
Le bouton dégouttant des larmes de l'Aurore,
Plus avide n'attend le Soleil à s'éclore,
220
Les petits Oisillons dans le nid affamés,
Un repas incertain de leurs parents aimés,
La tourtre sa moitié par le bois écartée,
Le Pilote un bon vent à sa nef arrêtée,
Que fiévreuse d’amour j'attends ce beau portrait,
225
Cet aimable voleur qui mon âme soustrait,
Étrange passion ! voire étrange de sorte,
Que ma honte quasi la reconnaît plus forte,
Pareille à ces torrents de colère écumeux,
Qui entraînent cailloux et arbres avec eux ;
230
Mon Félix ses Soleils n'éclipse, qu'à même heure
Angoisseuse d'ennui mille fois je ne meure,
Aux rayons approchés de leur double flambeau,
Mon corps reprend son âme et quitte le tombeau,
Que tardes-tu cruel ores qu'une promesse
235
De baisers confirmée accuse ta paresse ?
Obligé dès hersoir la main dedans la main,
N'attendre à me revoir naître le lendemain,
Qui se passe tantôt, Félismène trompée :
Voilà de ces moqueurs l'ordinaire pipée,
240
Sommes-nous une fois surprises à leur glus,
S'acquitter du devoir après il ne chaut plus ;
Toutefois jusqu'ici ta fidèle innocence,
Prouve que quelque obstacle amène telle absence,
Prolonge malgré toi ce long terme ennuyeux,
245
Ah ! bons Dieux le voici comme un Ciel pluvieux,
Le front morne, l'air gai disparu de sa face,
He ! mon heur à vous voir si triste je trépasse :

DON FÉLIX
Triste à la vérité plus que le criminel,
Au supplice tiré d'un arrêt solennel,
250
Plus qu'un poisson ravi de l'élément humide,
Qu'un voyageur surpris du brigand homicide,
Las! ma vie arme-toi de constance au besoin,
Nos deux corps séparez les cœurs ne seront loin.

FÉLISMÈNE
Qui les peut séparer ?

DON FÉLIX
Une maligne envie,

FÉLISMÈNE
255
Ô rigoureux destins ! c'est donc fait de ma vie.

DON FÉLIX
Conspirent l'Univers, les Astres et les Cieux,
Amour ne me sera que le tien précieux.

FÉLISMÈNE
Où vous exilerait mon malheur déplorable ?

DON FÉLIX
Où porte le vouloir d'un père inexorable.

FÉLISMÈNE
260
Quelque Argus malveillant nous aura déférés,

DON FÉLIX
Que puissent aux enfers ses mânes torturés
Souffrir plus qu'Ixion, que Tantale, et Phlégie,
L'outrage de sa langue expiant mal régie.

FÉLISMÈNE
Si tu venges Amour tes sujets innocents,
265
Comble d'une fureur maniaque ses sens,
Qui sans aucun repos lui ronge les entrailles,
L'épouvante de cris, d'horreurs, de funérailles,
Que sa fin soit honteuse, et ses coupables jours,
Languissent opprimés de misères toujours.

DON FÉLIX
270
Allège ta douleur sur la mienne compagne,
Aussi que peu de mois me rendent à l'Espagne,

FÉLISMÈNE
Mois qui me dureront plus ne siècles entiers,
Mais le lieu de l'exil, mon âme en quels quartiers ?

DON FÉLIX
La Cour de l'Empereur bornera mon voyage,

FÉLISMÈNE
275
Votre père y brassant quelque sourd mariage ?
Ne me le celez point.

DON FÉLIX
Ignare de cela
Je marche sans savoir l'intention qu'il a,
Trop bien fort assuré, que violence aucune,
Que menace opposée, ou crainte de rancune
280
N'ébranleront ma foi victorieux rocher,
Qui la rage des flots dissipe à l'approcher,
Mon cœur te le proteste, et consent que parjure
Tu l’arraches du sein pour venger telle injure :
Adieu mon espérance, adieu chaste moitié,
285
Sus que mille baisers, scellent notre amitié,
Et réprime ces pleurs qui me transissent l'âme,
Qui de peu courageux m'attacheront le blâme,
Ensemble réunis premier qu'il soit longtemps,
Nos désirs à jamais jouissent d'un printemps.

FÉLISMÈNE
290
Vagabond acceptez mon service, ma suite,
Invincible au travail dessous votre conduite,
Passons jusqu'où Phébus allume son flambeau,
Pèlerins découvrons quelque monde nouveau,
Vous ne pouvez choisir de plus solvable escorte,
295
Qui dans un faible corps cache une âme plus forte.

DON FÉLIX
Tu ne fais qu'irriter mon ulcère cuisant,
Adieu, tiens-moi toujours du courage présent,
Et que je presse encore cette lèvre de rose
Ah ! l'extrême douleur le silence m'impose,
300
Qui ne me permet plus de séjourner ici,
Où mille Argus nous ont à leur fière merci.

FÉLISMÈNE
Tu te dérobes donc à ta dame pâmée,
L'oreille à sa prière ocieuse fermée !
Tu ne veux inhumain la conjoindre à tes pas,
305
Tu l'abandonnes seule entre mille trépas,
Attends barbare attends, permets que ta captive
Honore ce triomphe amoureux et te suive ;
Un contraire dessein s'oppose à ton vouloir,
Qui sincère ne peut de rien se prévaloir,
310
Qui me laisse contrainte à la merci des larmes,
Des ennuis, des soupçons, eternels en alarmes,
Allons, puisque le sort nous le prescrit ainsi,
Un repaire trouver de ténèbres noirci,
Nous reclure au profond d'une grotte sauvage,
315
Qui paravant l’hymen célèbre mon veuvage,
Où ces yeux débondez ne cessent de pleurer,
Ma bouche de garnir, mon cœur de soupirer.


ACTE II

ADOLPHE, DON FÉLIX, CÉLIE, FÉLISMÈNE, PAGE

SCÈNE I

ADOLPHE
Seul
Que ce brave étranger à l'audace effrontée,
Engeance de la terre en fureur avortée,
320
Ou qu'Ixion plutôt de la nue a produit
Qu'anime l'impudence, et que l'orgueil se duit,
S'émancipe d'oser - sacrilège manie -
Prétendre sur l'honneur de notre Germanie ?
Briguant présomptueux la chaste privauté
325
Des célestes faveurs d'une telle beauté ;
Nous n'osons que muets révérer son idole,
Nous n'osons que d'oracle attendre sa parole ;
Lui, ce rogue Espagnol, a déjà le pouvoir,
Impudent comme il est, de parler et de voir,
330
A déjà plus hardi la place reconnue,
Place qui se pourrait perdre à la continue,
Se perdre entre les mains d'un perfide étranger.
Déplie ton courage obviant au danger,
Le sujet glorieux à ce devoir te lie,
335
Esclave des beautés divines de Célie ;
Mais à qui le respect modère le désir,
Meilleure occasion tu ne saurais choisir,
Ne qui l'oblige plus d'un gouffre préservé,
À reconnaître après ta franchise éprouvée,
340
Veille donc avisé ce rival tellement,
Qu'il ne puisse tes lacs échapper nullement.

SCÈNE II

DON FÉLIX, CÉLIE, ADOLPHE

DON FÉLIX
L'Ouvrier avait bien remarqué ta nature
Qui te feignit premier aveugle en sa peinture,
Du moins, puissant Amour, ès journaliers effets
345
Les tiens privés de vue un espace tu fais,
Témoin l'opinion que ma flamme naissante
Soulait jadis avoir de Félismène absente,
Seule je l'estimai capable mériter
Une place d'épouse au lit de Jupiter,
350
Que des perfections Phénix incomparable,
Autre à mes yeux jamais ne viendrait préférable ;
Voilà que néanmoins ce miracle étranger
Tel erreur démenti me contraint de changer,
Cypris n'habite plus en Paphe, ou en Cythère,
355
C'est ici que chacun pudique la révère,
C'est ici que Célie érige ses autels,
Et captive à bon droit les courages mortels,
Ravis de prime abord, que le regard contemple
Deux clairs astres charmeurs qui éclairent ce temple,
360
Puis la voûte d'un front d'albâtre bien poli,
Et ce tertre jumeau si mignard, si joli,
Qui se soutient après de colonnes d'ivoire,
Ô Cieux! m'en rafraîchir l'agréable mémoire,
Redouble des ardeurs qui ne s'expriment point,
365
Il est vrai qu'un remords aucunement me point,
De l'Œnone crédule en attente laissée,
Une ne pudique Hélène occupant ma pensée ;
Pourquoi ? Jupin se rit du parjure amoureux,
Qui refuse son heur ne mérite être heureux :
370
Joint que l'extraction ce parti m'apparie,
Et qu'à moindre sujet le plus ferme varie,
Donnons le faible au fort : mais rêveur vois-je pas
Cette Aurore d'Amour opposée à mes pas,
Qui sort de son Palais ? oui, compose ta face,
375
Te frayant peu à peu le chemin de sa grâce,
Avec l'humilité qui pénètre partout,
Et des difficultés plus grandes vient à bout.

CÉLIE
Volontiers qu'ébahi vous trouvez fort étrange
Du naturel climat l'incompatible échange
380
À ce pais grossier, qui d'aimable n'a rien,
Et où les beaux esprits ne trouvent d'entretien.

DON FÉLIX
Une merveille ici, merveille unique au monde,
Plus que les Élysées rend la plage féconde
En des contentements qui ravissent les Dieux,
385
Qui nous tirent charmez les âmes par les yeux,
Qui vrai Lothe depuis sa douceur engloutie
Me ferait revenir des déserts de Scythie,
Attaché désormais à ce divin séjour,
Où vos Astres bessons m'allument un beau jour.

CÉLIE
390
La louange retourne à l'auteur qui la donne,
Prise sur un sujet que n'estime personne,
Qui le moindre n'attire à son élection,
La stupidité même et l'imperfection,
Où ce peu qu'il aurait de louable est de croire
395
Ne mériter d'aucun la vue et la mémoire,
Que quiconque m'aurait voué de l'amitié,
Mérite peu d'ennuie et beaucoup de pitié.

DON FÉLIX
Ô foudres que Python inutiles desserre
Sur ce pauvre captif prosterné contre terre,
400
Le comite impiteux ne renforce les fers
Qu'aux forçats, dont ils sont malaisément souffert ;
Pourquoi donc dégorger ce fleuve de bien dire,
Nouvel appas qui croît mon amoureux martyre ?
Bon Dieu ! la passion force la vérité,
405
Manifeste en ces mots pleins de témérité,
Divine les Dieux seuls vous doivent leur service,
L'entreprendre mortel mérite un grand supplice.

CÉLIE
Quant aux titres acquis par la commune voix,
L'Espagnol entre tout a celui de courtois,
410
Docte à dissimuler, qui porte non sans race
Sur la langue en un temps et la flamme et la glace,
Faveurs qu'à nous grossiers la Nature interdit,
Moi d'humeur qui ne crois pas tout ce qu'on me dit,
Qui discerne à peu près un trait de moquerie,
415
Et qui de mes défauts suis aise que l'on rie...

DON FÉLIX
Voilà trop outrager une innocence à tort,
Tel soupçon de moqueur me fait pis que la mort,
Mal croyable soupçon, car l'immortelle Essence
A mieux de nos pensers que nous la connaissance,
420
Et vouloir ignorer ma palpable langueur,
Montre une feinte à nu qu'enfante la rigueur.

CÉLIE
Pareille violence excessive ne dure,
Des feux si tôt épris touchent leur sépulture ;
Joint que ma liberté fuit le joug amoureux,
425
Et se veut maintenir en son état heureux.

DON FÉLIX
Hélas ! vous dites vrai, ma dame immodérée
Ne permet à mes jours une longue durée,
Sa naissance me tue, elle trouble mes sens
De le plus receler dedans l'âme impuissants ;
430
L'épreuve toutefois que votre défiance
Veut de ma loyauté, veut de ma patience,
Ne manquera pourvu que l'on me fasse voir
Luire quelque bluette apparente d’espoir,
Que l’Empire accepté sur mes désirs vous plaise,
435
Que de chastes faveurs entretiennent ma braise.

CÉLIE
Croyez qu'indifférente à tous pour ce regard,
Chacun sans demander tire une égale part,
Adieu Monsieur, voilà trop s'étendre en paroles
Sur choses de néant, ridicules frivoles.

DON FÉLIX
440
Dites que voilà trop envier ce peu d’heur,
Que l'équité concède à ma dévote ardeur,
Adieu mon beau soleil, adieu chère homicide,
Puisse le trait subtil de l'Archer Cythéride,
À la première vue ouvrir un cœur d'airain,
445
Chef-d'œuvre signalé qui mérite sa main.

CÉLIE
Fais le passionné, le piteux qui rend l'âme,
D'ingrate, de meurtrière applique moi le blâme,
Le Ciel sourd à tes cris invoque l'Achéron,
Tu n'avances rien plus que si le bûcheron
450
Cuidait au premier coup que son tranchant desserre,
Abattre un chêne haut menacé du tonnerre ;
Mille exemples divers m'apprennent chaque jour
Le naufrage encouru de ces ruses d'amour,
Naufrage irréparable et qui honteux dévore
455
Un joyau plus prisé que tous ceux de l'Aurore,
Prévu je ne le crains ; mais qui m'amène ici
Son importun second autre amoureux transi ?

ADOLPHE
Que vous avez souffert naguère ma Princesse
Contrainte d'écouter ce frelon qui ne cesse
460
De rebruire ennuyeux quelques propos perdus,
Ains pièges à l'honneur du bravache tendus,
Pièges qu'une Pallas ne redoute prudente,
Or telle Nation de nature impudente,
Imite ces serpents qui tapis sous les fleurs
465
Impriment au rustic de mortelles douleurs,
Une hypocrite face cache sa perfidie,
Qui se glisse partout effrontément hardie,
Et glissée une fois sous la peau de renard
Règne après tyrannique en lion sans égard,
470
Avis que recevrez d'agréable victime
Comme les Dieux qui font du seul courage estime.

CÉLIE
Mon honneur défiant et en garde toujours,
Aucuns piège ne craint que tendent les discours,
Averti du devoir n'a besoin qu'on l’avise,
475
Sait des mieux discerner le vrai de la feintise ;
J'approuve néanmoins pareille intention
Qui s'obtiendra chez moi lieu d'obligation.

ADOLPHE
M'extermine le Ciel auparavant que croire
Sa poursuite entamer votre pudique gloire ;
480
Mais madame, plusieurs de ces mouches de Cour,
Plusieurs aussi touchés d'un vertueux amour
Goûtent mal ses façons, trouvent sa procédure
Envers votre grandeur intolérable et dure :
L'Icare ose pousser son vol audacieux
485
Droit à ce beau soleil redouté de nos yeux,
Aborde familier à toute heure sa sainte
Que nous ne contemplons vénérable qu'en crainte,
Nous de même pays plus dignes mille fois
De vivre humbles vassaux sous l'honneur de ses lois,
490
Sensible crève-cœur à l’atteinte mortelle,
Qui bouillant de courroux me tue et me martèle,
Qui lui pourrait bientôt funeste devenir
S'il ne se monstre un peu plus sage à l'avenir.

CÉLIE
Nul ne doit s'offenser de ce qui ne m'offense,
495
Ma réputation sûre sous ma défense.

ADOLPHE
Ne faites que lâcher la parole, et soudain
Vous verrez abaissé l'orgueil de ce hautain,

CÉLIE
Étranger sur la foi publique, un privilège
Enfreindre en son endroit est pis que sacrilège,

ADOLPHE
500
L'appeler d'homme à homme où vont les gens d'honneur,
Traite trop dignement un lâche suborneur.

CÉLIE
Rien moins, votre querelle inique et mal fondée,
D'un semblable succès paraîtrait secondée.

ADOLPHE
Ma vie à ce sujet néglige le trépas,
505
Et d'autres à l'égal justes n'estiment pas.

CÉLIE
De mon consentement on ne peut l'entreprendre,

ADOLPHE
Tel oracle opposé lors serait se méprendre.

CÉLIE
La bonne volonté parue en l'offre fait
M'obligera Monsieur plus que le même effet.

ADOLPHE
510
Récompense qui vaut plus qu'un superbe Empire.

CÉLIE
Pour l'heure vous n'avez autre chose à me dire ?

ADOLPHE
Sinon que la douleur honteuse sans discours,
Plus que ces effrontés mérite de secours.

CÉLIE
On y avisera l'heure propre choisie,
515
Cependant ôtez-vous un ver de jalousie,
Qui germé sans propos et sans occasion
N'apporterait enfin qu'une confusion.

ADOLPHE
Ô sexe frauduleux de qui l'âme fardée
Affine les plus fins en sa poison gardée!
520
Inconstant animal que paît la nouveauté,
Crocodile pleureux que paît la cruauté,
Qui l'objet plus difforme affecte davantage,
À qui du Ciel échut la malice en partage,
Ruse, feins, dissimule, à ce métier appris,
525
L'insolent étranger emporte notre prix,
Le lustre t'éblouit de sa pompe ordinaire,
D’accueil farouche à nous, tu lui ris débonnaire,
Ton oreille reçoit son murmure enchanteur,
Prête à faire dans peu naufrage de l’honneur,
530
Marchez discrètement, car au défaut j'atteste
Le pouvoir infini du Monarque céleste,
Découverts vous laisser planté dessur le front,
À jamais diffamés un remarquable affront.

SCÈNE III

FÉLISMÈNE, PAGE, DON FÉLIX

FÉLISMÈNE
Ailé porte-Carquois qui ta flamme féconde
535
Fais régner en l'Olympe, en la Terre et en l'Onde,
Parmi l'infinité de tes lauriers acquis
Publie que le mien t'honore plus exquis,
Que ce n'est rien d'avoir Jupiter pu résoudre,
Dépouillé de l'Égide et des armes du foudre,
540
À devenir Taureau, prendre forme d'éclair,
Pleuvoir en gouttes d'or des nuages de l'air,
Dans le giron captif de la Vierge d'Acrise :
Ta force paraît mieux en ma figure prise,
Et sa métamorphose a plus de nouveauté,
545
Et mon inique sort a plus de cruauté,
Pauvre fille qui vient découvrir inconnue
Sous un mâle semblant, et d'assistance nue
L'énorme trahison du volage trompeur
À qui le juste Ciel parjuré ne fait peur,
550
Hier que j'arrivais pensive sur la brune
Le cœur en sa tristesse augurant l'infortune:
Après souper voici l'émeute d'un grand bruit,
Au nombre des flambeaux la rue entière luit,
Curieuse soudain de voir que ce peut être
555
Nous mettons l'hôte et moi la tête à la fenêtre,
Un doux Concert de Luths mariés à la voix,
Par deux heures ou plus repris à plusieurs fois
Me survendit hélas ! ce plaisir, informée
Que certain Espagnol à sa Charite aimée
560
Donnait pour sérénade un tel ébattement :
Lors mon œil sur la troupe élancé prestement,
Immobile confuse avise le barbare
Qui dans ses nouveaux feux mon sépulcre prépare,
Toutefois que sait-on ? possible tel amour
565
Éclos des vanités compagnes d'une Cour
N'a que la simple écorce et la vaine apparence,
T'appuyer là-dessus n'est pas grande assurance,
Rodant exprès j'attends sortir de sa maison
Quelqu'un qui me déclare au vrai la trahison,
570
Courage, de tel soin autant vaut délivrée,
Un jeune page vient qui porte sa livrée,
Nous sommes compagnon, de même nation,
Hasard qui me retourne à consolation,
Attendu qu'étranger qui busque la fortune,
575
Je n'ai retraite ici ni connaissance aucune,
Que l'argent qui pis est commence de manquer,
Et la nécessité cruelle à m'attaquer,
Vous me pouvez donner patriote une adresse
Qui me retirera de misère et d'oppresse.

PAGE
580
Oui, oui très volontiers voire facilement
Pourvu que rencontré capable seulement
De servir à la chambre, un parti chez mon maître
S'offre tout à propos le meilleur qui peut être.

FÉLISMÈNE
Vous m'avez obligé le reste de mes jours
585
Bien sûr au demeurant d'un bon ami toujours ;
Mais faites moi son nom savoir à la pareille.

PAGE
Don Félix de Gusman, l'exemple, la merveille
Des cavaliers du monde, en noblesse, en valeur,
Où nous sommes trop bien, trop bien, sans un malheur,
590
Que depuis peu de temps l'Amour qui le torture
Mille commissions à sa sainte procure.

FÉLISMÈNE
Ô fille infortunée !

PAGE
Envoyés qui hâter
Un habit somptueux, qui des lettres porter,
Celui-ci tenir prêt le festin magnifique,
595
L'autre qu'à point nommé se fasse la musique ;
Bref comme lui suggère un amoureux désir,
Qui nous dérobe à tous les heures du loisir.

FÉLISMÈNE
La vile servitude inséparable apporte
Ces incommodités à gens de notre sorte,
600
Faciles à porter au moins près d'un Seigneur
Chez qui peut le profit se conjoindre à l'honneur,

PAGE
Ma vie en ce regard pleigerait ma parole,
Au surplus il n'a rien de l'humeur Espagnole,
Splendide outre mesure, et qui reconnaît fort,
605
Silence, ne bougez, c'est lui-même qui sort,
Vu je ne feindrai pas d'offrir votre service.

FÉLISMÈNE
Rémunère le Ciel ce courtois bénéfice,
Capable d'empêcher, qu'une nécessité
Chétif ne me réduise à la mendicité.

DON FÉLIX
610
Page.

PAGE
Monsieur.

DON FÉLIX
L'as tu entre ces mains rendue ?

PAGE
Non.

DON FÉLIX
Pourquoi ?

PAGE
Plus d'une heure et demie attendue,
Certaine demoiselle accomplit ce devoir,
Qui la réponse doit me donner sur le soir.

DON FÉLIX
Ta langue à mon avis un mensonge médite,
615
Sans dire le sujet de sa vue interdite.

PAGE
Si la Princesse a pris médecine aujourd'hui...

DON FÉLIX
Purge Amour la rigueur qui cause mon ennuie,
Échauffant les glaçons de cette âme cruelle,
On t'avait commandé ne la donner qu'à elle.

PAGE
620
Mais son commandement par un autre apporté
De semblable projet à l'espoir avorté.

DON FÉLIX
La Mer manquera d'eaux premier que toi d’excuses,
À qui est-ce qu'ici discourant tu t'amuses ?

PAGE
Ce jeune homme Espagnol quant à la nation,
625
Venu d'honnête lieu cherche condition :
Se promet de vous rendre à la chambre service
Tel que serez content, on en chose qu'il puisse.

DON FÉLIX
Attendez au logis ensemble mon retour,
Là nous verrons que c'est, je ne ferai qu'un tour
630
Vers la belle prison qui captive mon âme,
Vers le Soleil ingrat qui lui cache sa flamme,
Qui d’un simple rayon déplié gracieux,
Me contenterait plus que l'Empire des Cieux.

PAGE
La beauté qui me plaît, que j'adore chérie,
635
Nous l'allons visiter à la sommellerie,
Blanche et vermeille elle a de sa douce liqueur
Qui chasse les soucis et réjouit le cœur.

FÉLISMÈNE
Permettez-moi d'aller quelque autre part attendre
Un peu mal disposé.

PAGE
Point, ma présence engendre
640
Et la soif, et la faim, admirable pouvoir
Dont l'épreuve soudain je vous vais faire voir.


ACTE III

SCÈNE UNIQUE

FÉLISMÈNE, DON FÉLIX, ET CÉLIE

FÉLISMÈNE
Que demandes-tu plus ? le muable Protée,
Le parjure affronteur, l'exécrable, l'Athée,
Désormais a perdu la mémoire de toi,
645
En amour étranger forcené hors de soi,
L'infâme Scélérat ne te croit plus au monde,
N'a crainte que son chef de ton crime réponde,
Que tu puisses venger Médée en cruauté,
L'attentat reconnu de sa déloyauté :
650
Rien moins, tu ne saurais jusques là malheureuse
De persister encore idolâtre amoureuse,
De plaindre le tourment que souffre l'insensé ;
Constante poursuis donc un chef-d'œuvre avancé
Flatte sa passion, facilite employée
655
La moisson des faveurs de sa dame octroyée,
Conduis-le par la main à son contentement,
Et où tu le verras jouir parfaitement
Après te sacrifie aux pieds de l'infidèle,
Vaine ombre dévalée en la nuit éternelle,
660
Qui reviendras avec les Euménides Sœurs,
Horrible, du repos lui ravir ces douceurs,
À son âme attacher une ardente furie
Qui ne sera non pas dans l'Averne garie,
La résolution immuable me tient,
665
Tempère ce courroux, car le voici qui vient
Et de l'œil attentif recourt une missive
Où, chose indubitable, on te trahit chétive.

DON FÉLIX
D'un gentil naturel si accort et si meur,
Tu te trouves en tout conforme à mon humeur,
670
Admis dorénavant ès affaires secrètes,
Mercure député qui l'ambassade traites,
Et pourvu que discret; ma libéralité
Te rend heureux un jour outre la qualité ;
Or plus je t'envisage et plus certaine dame
675
Représente ébahi sa figure en mon âme,
Approche, ne feins point de dire ton avis
Sur ces lettres qui sont ordinaires devis,
Envoyés de ma part à la Reine des belles :
Tu me fâches au cas que leurs défauts tu cèles.
680
Qu'une servile crainte empêche que flatteur
Tu n'en sois maintenant fidèle correcteur.

FÉLISMÈNE
Vouloir présomptueux contrôler la prudence ?
Me préserve le Ciel de pareille impudence,
L'honneur n'appartient pas à ces profanes yeux
685
De courir seulement sur le secret des Dieux.

DON FÉLIX
Ma licence suffit, pousse, ne te soucie,
D'ordinaire la vue ès amants obscurcie
Fait des fautes que peut le moindre corriger,
Mon vouloir en un mot, écarte le danger :
690
Tu rétives honteux, entends donc la lecture,
Et ne m'épargne après à ta libre censure.

FÉLISMÈNE
La lettre lue
Ravi dans la douceur de termes si faconds,
Termes ès passions amoureuses féconds,
J'estime qu'elle porte ingrate en sa poitrine
695
Au lieu de cœur humain une roche marine
Où se doit amollir sous la tendre pitié
Que mérite de droit votre sainte amitié.

DON FÉLIX
Messager agréable au possible, ta grâce
À m'acquérir la sienne a beaucoup d'efficace,

FÉLISMÈNE
700
Du moins la volonté suppléera le pouvoir,
Et il ne tiendra pas d'en faire son devoir.

DON FÉLIX
L'accent le propre accent derechef me ramène,
Aux yeux du souvenir ma chère Félismène.

FÉLISMÈNE
Vous nommez Monseigneur, une que mainte fois
705
J'ouï belle vanter par la commune voix,
Belle et honnête aussi, plus noble qu'opulente.

DON FÉLIX
La terre ne soutient de dame plus galante,
Tu lui ressembles fort au visage, aux façons,
Quiconque vous a vus vous jugera bessons.

FÉLISMÈNE
710
Beaucoup se trouveront de ressemblance telle,
Non pour ce plutôt joints d'aucune parentèle.

DON FÉLIX
Son idée en la tienne excite là-dedans
Un chaos orageux d'extrêmes discordants,

FÉLISMÈNE
Les premières amours laissent empreint à l'âme
715
Ce souvenir toujours de leur plaisante flamme.

DON FÉLIX
Ajoute que la foi promise a ces remords,
Peines chez l’infracteur pires que mille morts.

FÉLISMÈNE
L'homme de bien la tient plus chère que la vie.

DON FÉLIX
Un contraire destin cette gloire m'envie
720
D'accomplir mes projets vers l'innocente, hélas !
Qui moi perdu n'a plus ne support ne soulas.

FÉLISMÈNE
L'Or s'éprouve affiné dans la rouge fournaise,
La foi dans les travaux, l'absence, et le malaise.

DON FÉLIX
L'équitable parti de la raison tu tiens,
725
Mais Amour n'en a point, cruel tyran des siens,
Qui me captive ailleurs, me garrote et me lie
Des divines beautés présentes de Célie.

FÉLISMÈNE
Et possible que plus relevée en grandeur
Elle augmente l'appas d'une amoureuse ardeur.

DON FÉLIX
730
Ah! que je voudrais bien pouvoir sans infamie
Celle-ci posséder épouse, et l'autre amie.

FÉLISMÈNE
Telles extrémités conviennent aussi peu
Que de faire brûler la glace dans le feu.

DON FÉLIX
Suivons donc résolus la dernière fortune
735
Sans qu'un soin du passé l'heur présent importune,
Félismène laissée en sa pudicité,
De suprême refuge a la nécessité ;
Et s'il faut que mon cœur demeure à une étrange,
Ces mérites divins sont pour gagner au change :
740
Va, ne demeure plus, ma Déesse trouver,
Vigilant n'omets rien qui la puisse éprouver,
Rien qui m'apprivoisât sa nature farouche,
Et qui lui porte en l'âme une amoureuse touche,
Tes paroles feront plus que lettre qui soit
745
Selon l'augure heureux que mon esprit conçoit,
Surtout vois de la prendre à heure qui te donne
Le loisir du discours, et hardi ne t'étonne.

FÉLISMÈNE
Une difficulté le plus à redouter
Ce me semble dépend à la faire écouter.

DON FÉLIX
750
Prise seule, je parle après l'expérience,
Plus que tu ne voudras tu obtiens d'audience.

FÉLISMÈNE
Adonc s'efforcera mon incapacité
D'amollir la rigueur de sa férocité.

DON FÉLIX
Prend garde aux mouvements de l'âme en son visage
755
Sur qui se doit fonder le plus certain présage.

FÉLISMÈNE
Certain non pas toujours, plusieurs assez souvent
Vont par l'extérieur notre âme décevant.

DON FÉLIX
Qui les sait recueillir, une parole, un geste
Des plus dissimulés le dessein manifeste.

FÉLISMÈNE
760
Tout mon possible mis,

DON FÉLIX
Tu me rendras content,
Il suffit là sans doute et plus outre s'étend.

FÉLISMÈNE
Fasse le Ciel bénin qu'une prospère issue
Ne demeure au retour l'opinion conçue.

DON FÉLIX
Courage, ton exploit heureux succédera,
765
Et mon cœur de salaire après possédera.

FÉLISMÈNE
On avancerait peu si l'humeur ne l'incline,
Si ce corps préparé n'aide sa médecine.

DON FÉLIX
Simple tu le peux croire, elle me veut du bien
Va donc entremetteur fidèle, et ne reviens
770
Que le vouloir enquis, le vouloir de ma belle,
Sur l'heure qui me doit introduire chez elle,
Dis que le différer me conduit au trépas,
Ains que depuis sa vue absent je ne vis pas.

FÉLISMÈNE
Encor que ce métier me connaisse novice,
775
L'effet n'omettra rien d'un désiré service.

DON FÉLIX
Sus achemine toi, et sur l'instruction
Accomplis tous les points de ta légation.

FÉLISMÈNE
Seule
Dure légation qui coûtera la vie
À son Ambassadeur d'un bon succès suivie,
780
Appelle-la plutôt inique trahison,
Qu'exécute un Amant perclus de sa raison.
Par toi, contre toi même, ains contre celle - ô blâme -
Qui fut jadis son cœur et l'âme de son âme :
Rebrousse sur tes pas misérable, où cours-tu
785
Maquerelle séduire une chaste vertu ?
Au gouffre qui te perd, plonger une innocente,
Premier que ton honneur souffre chose indécente
Contrainte fais venir la Parque à son secours,
Non laisse ce torrent jouir d'un libre cours
790
Vois jusques à la fin quel trait prendra l'affaire,
Affaire qui commis m'oblige à le parfaire :
Investir une place, et la prendre sont deux,
Quelle fille ne craint à ce jeu hasardeux ?
Princesse nommément de léger s'abandonne
795
Aux Chimériques feux d'une étrange personne ?
Patiente, le temps produit des changements
Qui trompent chaque jour nos louches jugements,
Économe choisi de leurs flammes couvertes,
À la fraude tu tiens mille trappes ouvertes,
800
Ne faut que supposer un refus, un dédain,
Qui ce fou précipite au désespoir soudain,
Qui les mette en divorce, et rompe l'entreprise,
Oui, mais telle action déloyale surprise
N'importe reconnue : Amour t'excuse assez,
805
Puis ses désirs pour toi ne sont du tout glacés :
Il te plaint outragée, et en sa conscience
À ton ressouvenir n'a point de patience,
Me découvrir aussi ne se peut sans danger,
De l’Espagne venue à ce bord étranger,
810
La honte dépouillée, et sous mâle apparence,
De ta pudicité donne peu d'assurance,
Oncques la Gnosienne, ou celle qui jadis
Couronna les travaux des Massyliens hardis,
Maniaques d'amour n'eurent pareille audace,
815
Et que jugerais-tu de quelque autre en ta place ?
Ô doutes épineux ! ô soupçons ! ô martels !
Qui me percent le sein troublé de coups mortels,
Pareille au marinier que maîtrise l'orage
Et qu'emporte contraint la fureur de sa rage,
820
Suis ton mauvais destin qui ne peut s'éviter :
Il faut proche du lieu ta promesse acquitter ;
Serait ce point là-bas sur le seuil ma rivale ?
Un présage mortel dans le cœur me dévale,
Ce superbe équipage, et ces signes exprès
825
Te la montrent hélas ! à ton dam de trop près,
Plus belle que ne veut une âme disposée
Au change à tous objets pour sa conquête aisée ;
Madame la valeur et la foi des humains
Un million de fois baisent vos belles mains,
830
Son âme en ce papier visible, qui réclame
La tardive pitié d'une cruelle dame.

CÉLIE
Certes voilà choisir un joli messager,
À ce conte le temps ne le fait point changer
Plus obstiné toujours en ces vaines poursuites,
835
Plus importun toujours en frivoles écrites,
La vue toutefois ne nous coûtera rien
Comme qui ne saurait faire ni mal ni bien.

FÉLISMÈNE
À part
Heureux commencement, la voix ni le visage
N'arguent de beauté qui tourne à son usage,
840
Le déloyal n'est pas où il pense heurtant
Un pudique rocher aux vagues résistant.

CÉLIE
La lettre lue
Mon ami dites-lui qu'aux douleurs volontaires
Le malade a sur soi les drogues salutaires,
Qu'on plaint le prisonnier avec peu de raison,
845
Qui de plein gré se veut bâtir une prison ;
Au reste, qu'implorer mon secours ne s'appelle
Sinon tendre à l’honneur une embûche mortelle,
Embûche découverte et qui n'aura d'effet,
Ma hantise pourtant lui nier tout à fait,
850
Non, je ne l'entends pas, telle discourtoisie
Ne me vint, ne viendra jamais en fantaisie,
Seigneur très accompli j'admire ses discours
Pourvu qu'à l'avenir ils prennent autre cours,
Et n'exigent aussi d'heure particulière,
855
Qui veux également à chacun familière
Ne me donner en prise aux Argus Courtisans
Sur le moindre soupçon de médire artisans.

FÉLISMÈNE
Puis-je croire bons Dieux ! qu'une bouche si belle
Prononce contre Amour sa sentence rebelle ?
860
Veuille ingrate meurtrir le Phénix des amants ?
Ingrate à la Nature, à ses contentements,
Qu'aveugle à discerner le vrai de l'artifice,
Aveugle à conférer le sacré bénéfice
De vos chastes faveurs, tel dépôt précieux,
865
Un plus digne que lui cherche dessous les Cieux ?
Point, si la cruauté jusques là vous transporte,
Devant votre beauté appelant je me porte,
Désores assuré de gagner mon procès
Sitôt que la clémence y aura de l'accès.

CÉLIE
870
Qui pourrait résister, hé ! quoi deux à combattre,
Prenons d'heure plutôt la fuite que nous battre,
Ton maître n'a vraiment quelque part que tu sois,
Besoin d'autre Avocat qui dispute ses droits,
D'Avocat plus capable en matière de feindre,
875
Et d'allumer un feu qu'il ne saurait éteindre.

FÉLISMÈNE
Qu'il ne saurait éteindre ? un Héros généreux,
Un Mars de la beauté des beautés amoureux ?

CÉLIE
Tu prends mal mon propos, la douce Cythérée,
Et la mère des Dieux cette puissante Rhée,
880
Un Atys, un Adon voulurent préférer
À ceux chez qui la peur ne pouvait demeurer.

FÉLISMÈNE
Fléchible vous allez manier son courage,
Comme qui l'aurait pris faisant le labourage ?

CÉLIE
Depuis quand le sers-tu ?

FÉLISMÈNE
Un troisième Soleil
885
Me poursuit ce bonheur à nul autre pareil.

CÉLIE
Bonheur suprême à lui, service que j'envie,
De la subtilité de ton esprit ravie.

FÉLISMÈNE
Sujet vil néanmoins, qui ne vaut le parler.

CÉLIE
Tu ne voudrais avec un autre maître aller ?

FÉLISMÈNE
890
Sienne au cas que l'Amour vos deux moitiés assemble,
Je puis servir en un l'âme et le corps ensemble.

CÉLIE
Ta fortune serait plus heureuse chez moi,
Particulier s'entend, qu'à la suite d'un Roy.

FÉLISMÈNE
L'honneur ne m'appartient, et après lui mon âme
895
Entière se consacre à une telle dame.

CÉLIE
Avise, tu auras même option toujours,
Même parti dans huit, voire dans quinze jours,
Et afin que le cas plus facile je rende,
À ton maître plutôt en ferai la demande.

FÉLISMÈNE
900
Parlons du principal, de relâcher les fers
Par ce pauvre captif un long siècle soufferts,
Siècle, qui pèsera la grandeur du martyre
Extrême, incomparable et qui ne se peut dire.

CÉLIE
Le moyen de te croire, ains ne me défier,
905
De qui ne tâche rien qu'à le gratifier ?
Tu feras mieux suspect de souffrir que l'on t'aime,
Songeant que charité commence par soi-même.

FÉLISMÈNE
L'honneur sauf une dame accorte trouve bien
Qui paye ses pareils et ne débourse rien.

CÉLIE
910
Ton importunité gentille impètre chose
À quoi certes tout autre aurait la porte close,
Va je lui récrirai te voulant obliger,
Et l'obligation vaut ne la négliger,
Attends, deux traits de plume en font soudain l'office,
915
Ton maître à toi sans plus tenu du bénéfice.

FÉLISMÈNE
Seule
Me préférer qu'indigne oncques elle n'a vu,
Des foudres de l'Amour sent le coup impourvu,
Ces yeux parlent assez que la langue accompagne,
Voir déjà peu s'en faut prières en campagne,
920
Ah ! l'indiscrète a bu ce dangereux poison,
Qui forcenés de sens nous ôte la raison,
Ma jeunesse lui plaît frauduleuse et coupable
D'un défaut qui me rend de sa grâce incapable,
Grâce voluptueuse, et qui n'arrive point
925
À celles que l'Amour véritablement point :
Ainsi rencontres-tu déloyal ta pareille,
Ainsi de me changer un malheur te conseille,
Que ne tente jamais un volage désir,
Qui te voudrais sur tous les Monarques choisir :
930
Barbare donne-toi d'exemple ma constance,
Une Alceste en ton lit sera ta pénitence,
Il ne me souviendra de l'infidèle tour,
Feignons penser ailleurs, la voici de retour.

CÉLIE
Ce passeport contient que sur la nuit sereine
935
Sibylle autre que toi en ce lieu ne l'amène,
Seul qui n'ait suite aucune, et ne présume pas
Inconsidérément se payer de ses pas,
Sous l'ombre du discours davantage entreprendre,
Vers celles de mon grade il ne fait bon méprendre ;
940
Outre que ne savoir mes pactions tenir,
S'appelle désormais à n'y plus revenir.

FÉLISMÈNE
Madame vous verrez la discrétion même
Paraître comme aux yeux de son Juge suprême,
Vous verrez tant souffrir à si sainte amitié…

CÉLIE
945
Oui, oui, n'achève point, que ce sera pitié.

FÉLISMÈNE
Je le retrouve donc tiré d'impatience.

CÉLIE
Que de dissimuler tu sais bien la science!
Va, mais sage surtout pense à ce qu'on t'a dit,
Et que tu as chez nous beaucoup plus de crédit.

FÉLISMÈNE
950
Le Ciel telle faveur libéral reguerdonne,
Le Ciel vos bons désirs guide à une fin bonne.

CÉLIE
Crois pour certain qu'alors tu t'en porteras mieux,
Ah! qu'un grand mal au sein me dévale des yeux.


ACTE IV

DON FÉLIX, FÉLISMÈNE, CÉLIE, NOURRICE, PAGE

SCÈNE I

DON FÉLIX, FÉLISMÈNE

DON FÉLIX
Tu m'as ressuscité, Atlantide qui portes
955
Ta charmeuse faconde aux Avernales portes,
Dioscure qui viens ma tempête calmer,
Qu'Ange divin plutôt qu'homme je dois nommer :
La Princesse m'a vu d'un œil qui se desserre
Ainsi que le Soleil amoureux de la terre,
960
Alors que le Printemps dissipe les glaçons,
Et prépare l'espoir des naissantes moissons,
Sa face à plein loisir, Temple où l’Amour habite,
Favorisant mes vœux par-dessus le mérite,
Se laisse contempler, elle ne m'a point dit
965
Changeons d'autre discours, celui-ci m'étourdit,
Discours continué, que l’Aurore vermeille
Dans la couche quittait son Vieillard qui sommeille,
Mes lèvres ont osé baiser ses belles mains,
Privilège envié des Dieux sur les humains,
970
Baiser avant-coureur qui sans plus escarmouche
Attendant un combat général sur la bouche,
Sur le tertre jumeau de ce sein rondelet,
Qui soupire captif sous un fâcheux collet,
Tairai-je ? qu'à l'adieu, félicité suprême,
975
Un oracle infaillible et sorti d'elle-même
M'oblige du retour : me promet de la voir,
Pourvu que l'heure exprès tu ailles recevoir,
Agréable Courrier qu'honorent ses louanges,
Qui de ta gaie humeur tous ses ennuis étranges :
980
Ce sont les propres mots remarquables afin
Qu'un bon commencement prenne meilleure fin,
Qu'a l’ombre du bouclier de sa grâce assurée
Tu ailles hardiment revoir ma Cythérée
- Modeste néanmoins toujours plus qu'effronté -
985
Presser l'occasion, presser sa volonté,
Sur l'heure qui me doit rendre ma belle aurore :
Et faudra que l'esprit y contribue encore,
Qu'équitable censeur tu repasses soudain
Sans crainte d'offenser, la vue après ma main,
990
Les défauts suppléés de ma lettre amoureuse,
Peine qui te bâtit une fortune heureuse,
Qui te profitera, tu t'en peux assurer,
Plus que ta qualité n'oserait espérer.

FÉLISMÈNE
Lourd, inepte, grossier, tel honneur me surpasse,
995
Honneur incompatible à personne si basse,
Votre esprit ne peut rien que de rare enfanter,
Qui de si bonne part la sut mécontenter.

DON FÉLIX
Mon vouloir te suffit, n'informe davantage,
Et ne crois que chacun eût le même avantage.

FÉLISMÈNE
1000
Félismène mourra tels larcins publiés,
Se voyant mise au rang des péchés oubliés.

DON FÉLIX
Quel intérêt as-tu qui t'induise à la plaindre ?

FÉLISMÈNE
Nul, je le dis par jeu, l'accident qu'on doit craindre
Mais sur peu d'apparence, est pêcheur hasardeux
1005
Que ce poisson manqué en fasse perdre deux.

DON FÉLIX
Le premier trop acquis n'a plus rien qui s'oppose,
Penser pourvoir à tout n'avance aucune chose.

FÉLISMÈNE
Permettez Monseigneur, que ma témérité
Dise ce qu'elle sent avec la vérité.

DON FÉLIX
1010
Pousse, ne te feins point.

FÉLISMÈNE
La Princesse obstinée
À peine fléchira sans espoir d'hyménée.

DON FÉLIX
Tant d'espoir qu'on voudra, son amorce souvent
Aux projets amoureux sert de prospère vent,
Plus outre curieux du futur ne t'empêche,
1015
Et dans mon cabinet viens quérir ta dépêche.

FÉLISMÈNE
À part
Allons payer ma foi d'une infidélité,
Ô tardif repentir, folle crédulité !

SCÈNE II

CÉLIE, FÉLISMÈNE, NOURRICE

CÉLIE
Déplorable Célie où te vois-tu réduite,
Ta honte virginale autant vaut mise en fuite ?
1020
Esclave d'un esclave, Amour victorieux
Attache tellement son idée à tes yeux,
Elle seule te plaît, elle seule t'anime
Non sans cause valable et plus que légitime,
Sa beauté qu'accompagne une fleur de printemps,
1025
Ces gestes qu'on dirait d'un Monarque sortant,
Ces devis qui ne sont que miel et que prudence,
Qui mettent vrai tableau l'esprit en évidence
Hé ! que penses-tu faire à ce remémorer
Furieuse tu vas de nouveau t'enferrer ?
1030
Tâche, tâche plutôt, que sa mémoire meure,
Tu ne saurais, la plaie incurable demeure,
Ce garrot décoché dans le cœur trop avant,
D'issue que la mort n'a plus dorénavant,
Pourquoi t'affliges-tu ? relève ton courage,
1035
Tu n'aimes pas un roc endurci de l'orage,
Un hôte Caspien, un Arabe félon,
Un Scythe né parmi les horreurs d'Aquilon,
Le céleste portrait qu'idolâtre ton âme,
Susceptible aisément de l'amoureuse flamme,
1040
Et qui lairra soudain tout le respect à part
Si ta bouche une fois ses faveurs lui départ,
Si tu romps une fois le voile de ta honte,
Voile fallacieux qui nos plaisirs affronte,
Dérobe l'usufruit de la verte saison,
1045
Moins heureux en cela qu'animaux sans raison :
Ô pensers imprudents ! ô lascive entreprise !
Qui veux-tu misérable honorer de ta prise ?
Un serviteur abject sous la crainte captif ?
Un enfant qui possible Hippolyte rétif
1050
Méprisera son heur, et stupide novice
Des Dames volontiers ignore le service ?
Vaine appréhension, mûr de corps et de sens,
Le monde ne tient plus des siècles innocents,
Tu vois à demi-mot, las hélas ! téméraire
1055
Crains-tu que de nature il ne puisse mal faire ?
Mal ou bien, le chaos retourne derechef,
Que le Ciel ruineux éclate sur ce chef
Après le réfrigère obtenu de ma flamme,
Un véritable Amour ne redoute le blâme,
1060
Et le blâme n'advient où la perfection
Fait le choix d’un amant de sa condition,
Fait le choix d’un amant, que le respect domine,
Ô Cieux! comme à propos Amour me l'achemine,
Tu viens sur deux sujets que tu ne croirais pas,
1065
Un myrte t'acquérir, et perdre aussi tes pas.

FÉLISMÈNE
Quelque Œdipe, non moi, d'intelligence aiguë
Comprendrait de ces mots l'importance ambiguë.

CÉLIE
On te l'éclaircira, hé bien que dit le cœur ?
Que prétend plus de nous ton maître ce moqueur.

FÉLISMÈNE
1070
Je sais que vous l'avez Madame, en autre estime,
Et j'apporte de quoi justifier le crime.

CÉLIE
Folles impressions, inutiles écrits,
Il pourrait fondre en pleurs et s'éclater en cris,
Qu'aveugle, qu'essourdée, avec semblable peine
1075
Le bon homme cultive une stérile arène.

FÉLISMÈNE
He ! Dieux depuis quel temps le traitez vous ainsi,
Pitoyable l'ayant pris naguère à merci ?

CÉLIE
Ton sujet lui valut l'entrevue accordée
Sous une intention dedans l'âme gardée.

FÉLISMÈNE
1080
Vous ne pouvez garder ne vindicte ne fiel,
La gloire de la terre, et extraite du Ciel.

CÉLIE
En chose où tu ne peux profiter à ton maître
Pense qu'il ne soit plus, mais toi commence d'être.

FÉLISMÈNE
Ce brave cavalier aimé comme amoureux,
1085
Mon sort n'aspire point à d'autre plus heureux.

CÉLIE
Qui te concéderait sa place réservée ?

FÉLISMÈNE
Une image de mort sur ma teste levée
Étouffe ce penser, joint l'inégalité
Qui mes désirs mesure avec ma qualité.

CÉLIE
1090
La suite des aïeuls plus vieille que le monde,
Plus que le Cheval Grec en braves chefs féconde,
Des Dardes posséder les lingots épuisés,
Sous le grade tenir ses faits autorisés,
Ne font à la vertu, ne valent qu'on estime
1095
Quiconque successeur paraît illégitime,
Maxime tu me plais plus mille et mille fois,
Que ton maître, qu'issu des Labdacides Rois,
Tes moindres actions m'apparaissent miracles,
Chaque mots proférés me sont autant d'oracles,
1100
Bref, tu m'as dérobé le courage charmeur,
Agréable de face, agréable d'humeur,
Et n'en rougis honteux, plutôt ma chère vie
Jouissons des plaisirs à quoi l'âge convie,
Ne refuse prié mon service plus doux,
1105
Nos secrets amoureux ne passeront qu'à nous.

FÉLISMÈNE
Quel indice donné d'un désir sacrilège
Peut servir de sujet à me tendre ce piège ?
Cessez de m'éprouver madame, qui peu caut
Ne tomberai pourtant d'un si périlleux saut.

CÉLIE
1110
Tu crains, on le voit bien, de fait que l'apparence
À de plus relevés ôterait l'assurance,
Mais jure seulement un réciproque Amour,
Proteste mes faveurs oncques ne mettre au jour,
Et l'épreuve soudain te servira d'otage,
1115
Mille baisers acquis voudrais-tu davantage ?

FÉLISMÈNE
L'offre m'oblige heureux plus que le propre effet
Applicable à celui qui le brigue parfait,
Qui mérite ce bien si aucun le mérite,
Qui mourrait innocent frustré de sa Charite,
1120
Moi criminel, ingrat, perfide ravisseur
Soumis à sa justice, ou du Ciel punisseur.

CÉLIE
Scrupule de néant à prouver ton enfance,
Si je n'ay rien promis rien tenir ne l'offense,
Et le crois plus parfait que la perfection,
1125
Tu ne peux disposer de mon affection,
Toute sur ton objet qui la traîne captive,
Force donc résolu, ta nature craintive,
Et laisse clairvoyante à mon souci pourvoir
Que de te nuire il n'ait volonté, ni pouvoir.

FÉLISMÈNE
1130
Sur sa perte ériger mon heur ne se doit faire,
Qui d'ailleurs ne verrait aveugle en cette affaire,
Tel songe passager suivi d'un repentir ?
L'Amour ne peut durer qui ne sait s'assortir.

CÉLIE
Cruel n'abuse plus de ta bonne fortune,
1135
L'occasion deux fois ne retourne opportune,
Où demeure caché ton serein jugement ?
De l'honneur embarquée irai-je au changement ?
Tout repentir après tardif et ridicule,
N'empêchant le passé t'est d'importance nulle,
1140
Mien tu nourris l'espoir qui flatte sa langueur,
Autre tu me contrains à l'extrême rigueur,
Bref ta félicité sa guérison pallie,
M'en parler autrement vaine et pure folie.

FÉLISMÈNE
Madame par l'honneur que vous eûtes si cher,
1145
À ce feu dissolu ne le laissez tacher,
Que sa garde commise à un amant capable
D'énorme lâcheté me préserve incapable,
Accident impossible en diverses façons,
Plutôt le Syrien produirait les glaçons,
1150
où prodigue vers lui de faveurs légitimes,
Non vers un roturier, l'infime des infimes,
Me voilà trop content, voilà plus m'obliger,
Qu'à mon sujet ce bien précieux négliger.

CÉLIE
Ah ! pervers impudent, bête plus que farouche,
1155
Ma sensible douleur ta cruauté ne touche,
Ta sordide prière un second préférant,
La chose manifeste et palpable me rend,
Combien, mais des premiers que renomme l'Empire,
Si ma grâce daignait parmi leur nombre élire,
1160
Heureux de la venir à genoux posséder,
Aimeraient mieux mourir qu'à d'autres la céder ?
Avise derechef, fais l'option soudaine
Des deux extrémités, ou d'Amour, ou de haine,
Ma patience échappe, il ne faut plus penser
1165
Irresout çà et là de doutes balancer.

FÉLISMÈNE
Madame, vous pouvez disposer de ma vie,
La fidélité sauve à un maître asservie.

CÉLIE
Ô sentence mortelle ! ô superbe mépris !
Rustre tu maudiras l'heure que tu mépris,
1170
Fuis, ne m'approche plus contagieuse peste,
Monstre horrible avorté d'une Alecton funeste,
N'attends que ma fureur déplie ces efforts,
Hé ! Nourrice, quelqu'un poussez-le moi dehors,
Ce petit impudent que le maître peu sage
1175
Envoie exécuteur d'un amoureux message.

FÉLISMÈNE
Hé ! Madame.

NOURRICE
Effronté vide sans murmurer,
Ou ces ongles sanglants te vont défigurer.

CÉLIE
Ô Dieu bon Dieu ! mon sang de colère s'allume,
Pour une fois encor, mais en faire coutume
1180
M'amie le dépit, le juste crève-cœur
Me feraient volontiers mordre à même son cœur.

NOURRICE
Que vous ne me teniez paravant avertie,
On eût à ce galant dressé telle partie,
Que rien ne lui restait entier dessus la peau,
1185
Et semblables secrets me taire n'est pas beau.

CÉLIE
La crainte d'émouvoir une bourbe si sale,
D'un rien mal à propos m'attirer du scandale,
Ne le présumant pas devoir persévérer,
M'ont fait jusques ici l'injure tolérer,
1190
Injure qui me va mettre dedans la tombe
Hélas! je n'en puis plus, soutenez je succombe.

NOURRICE
Au secours elle passe, une morne pâleur
De son visage éteint la vermeille couleur,
L'albâtre de ce front dégoutte une eau glacée,
1195
Madame, mon souci, mon espoir, ma pensée,
Courage revenez, c'est moi qui veux venger
L'Empereur averti, le tort de l'étranger,
Ô malheur ! ô malheur ! sa pâmoison renforce,
Comment ne l'assister qu'à une extrême force ?
1200
Venez filles m'aider, que l'on la mette au lit
Ô cieux ! de ses beaux jours le terme s'accomplit.

SCÈNE III

DON FÉLIX, FÉLISMÈNE, PAGE

DON FÉLIX
Inquiété d'esprit, mon amour s'accompare
Au Marchand qui expose à l'Océan barbare
Sa fortune incertaine, et attend chaque jour
1205
La nef qui l'appauvrit, ou fait riche au retour :
Un facteur député trafique de ma vie,
Demeure outre le terme et outre mon envie,
Ne sais quelle tristesse élevée en vapeur
Me suit inséparable et m'alarme de peur :
1210
Les filles aujourd'hui pour première louange
Veulent des serviteurs en nombre et à rechange,
N'aiment que l'inconstance et le dissimuler,
Que papillons nous faire à leur flamme brûler,
Joug pesant, joug fatal imposé de nature :
1215
Las ! mon homme tout morne accroît ma conjecture,
Qu'avons-nous obtenu de réponse ? dis tôt,
Et purge le soupçon que ma poitrine enclot.

FÉLISMÈNE
Sa belle humeur pareille à la Lune Éclipsée,
Secret particulier, la reprendra laissée.

DON FÉLIX
1220
Ma missive interdite au Soleil de ses yeux ?

FÉLISMÈNE
Reçue, mais non pas d'accueil tant gracieux.

DON FÉLIX
La raison ?

FÉLISMÈNE
La raison d'elle-même ignorée.

DON FÉLIX
Tu as peu voir sa face, ou gaie, ou colérée.

FÉLISMÈNE
Oui, colère d'enfant qui termine soudain,
1225
Qui passe sans sujet à moins d'un tournemain.

DON FÉLIX
Tu me caches mon mal, ce que je ne désire,
Trop bien d'heure y pourvoir de crainte qu'il n'empire.

FÉLISMÈNE
Un peu plus patient faites la guerre à l'œil,
Ne vous humiliez qu'à point, sous son orgueil.

DON FÉLIX
1230
Serve plutôt mon chef de placable victime,
Que nourrir sa rancœur juste, ou illégitime,
L'apparence de vivre un jour et ne la voir ?
Encor me feras tu ses paroles savoir.

FÉLISMÈNE
Elle accuse un excès d'importune poursuite,
1235
Comme n'ayant de vous que lettres à sa suite,
Qui dussiez plus discret ses faveurs ménager,
La réputation désormais en danger.

DON FÉLIX
Faute d'avoir connu la pureté de l'âme
D'où mon los principal me résulte le blâme,
1240
Un saint Amour qu'anime et guide la vertu
Ne cherche aucuns détours, prend le chemin battu,
Paraît aux yeux de tous sans crainte, sans ombrage
Quelque jaloux induit d'une envieuse rage
Tâche à me supplanter, traître qui que tu sois
1245
Tu conspires ta mort découvert une fois,
Voici, voici la Parque à quiconque s'ingère
D'opposer à mon heur sa langue mensongère,
De semer entre nous la pomme du discord,
Mais ne s'en être enquis plus à plein tu as tort.

FÉLISMÈNE
1250
Sa rigueur n'a voulu de répliques entendre.

DON FÉLIX
Ne peux-tu le sujet imaginé comprendre ?

FÉLISMÈNE
Non pas le plus subtil, ces caprices souvent
Ampoules d'eau que crève une haleine de vent.

DON FÉLIX
Tu viens à la raison principale et commune,
1255
Au regard de ce sexe influé de la Lune,
Malheureux qui le croit, qui le sert, qui le suit.

PAGE
Ô mort épouvantable ! ô pauvre amant détruit !

FÉLISMÈNE
Le Page accourt vers vous éperdu hors d'haleine.

DON FÉLIX
Que voudrait plus le Ciel ajouter à ma peine ?
1260
De quoi peut plus le Ciel accroître ma douleur ?
Quel pire désespoir arrive à mon malheur ?

PAGE
Las ! fuyez Monseigneur, votre maîtresse morte
Du péril de la vie éminent vous importe.

DON FÉLIX
Ma maîtresse, menteur ? il vient de la quitter.

PAGE
1265
Elle va pour jamais une tombe habiter.

DON FÉLIX
Ô sinistre corbeau! désastreuse nouvelle !
À ce compte on verrait la Déité mortelle,
De qui tiens-tu causeur ton frivole rapport ?

PAGE
Toute la Cour en deuil lamente sur sa mort,
1270
Et vu, chacun disait l'Espagnole malice
A fait de l'innocence à Pluton sacrifice,
L'infidèle étranger a de nécessité
Par un venin subtil ses jours précipité,
Venin que renfermait la missive trouvée,
1275
Nulle autre occasion du jour ne l'a privée,
L’homicide impuissant de ravir son honneur
Vindicatif emploie un dol empoisonneur,
Allons ensemble pris le rendre à la justice
Le faire à la torture appliquer sur l'indice.
1280
Effrayé de tels mots qui valent d'y penser,
Mon devoir ne peut moins que le vous annoncer.

DON FÉLIX
Ô iniques destins ! ô terre conjurée !
Ô Astres que l'on dit de la Voûte azurée
Influer nos malheurs, Astres pernicieux !
1285
Ô mort qui nous ravis la merveille des Cieux,
Désormais, désormais votre maudite envie
N'a de quoi m'affliger que me laissant la vie,
Non vie, un douloureux, un continu trépas
Qui malgré vous dans peu retracera ses pas,
1290
Sitôt que j'aurai pris une vengeance due
À mon honneur perdu en Madame perdue :
Sus donc l'épée au poing vois qui dessur les lieux
T'osera soupçonner d'acte tant odieux,
Après mille ennemis immolés à ta dame
1295
Verse dans le palais auprès d'elle ton âme,
Monstre à ces Allemands l'Espagnole vertu,
Quel plus digne sépulcre oncques choisiras-tu ?

FÉLISMÈNE
Opposez Monseigneur, à l'infortune extrême
Tel désespoir ôté la constance de même,
1300
L’Empereur vous connaît qui ne permettra pas.

DON FÉLIX
Où irai-je trouver le plus proche trépas ?
Où me perdre chétif ? où assouvir la rage
Qui le jour odieux maîtrise mon courage ?
Où ce bras la terreur du monde avant mourir
1305
À ma mémoire puisse un autel acquérir ?
N'importe, ma fureur conduite à l'aventure
Va du premier péril faire sa sépulture,
La Parque défiée, horrible seulement
À ceux de qui les jours se passent mollement.

FÉLISMÈNE
1310
Souffrez que mon service achève sa carrière,
Que je perde avec vous la vitale lumière.

DON FÉLIX
Non, non demeure ami, cherche fortune ailleurs,
Dessous un autre Ciel prends les destins meilleurs,
Ma suite la Cohorte infernale désire ;
1315
Seulement séparé souvienne-toi de dire,
Que tu vois à la mort courir un amoureux
De qui le change fut justement malheureux.

FÉLISMÈNE
Parle découvre-toi, sa faute confessée
Le prouve hors des ceps d'une ombre trépassée,
1320
Tu lui divertiras ce damnable dessein,
Tu lui arracheras le poignard hors du sein,
Vive substituée à sa défunte dame
Tu rallumes l'ardeur d'une première flamme,
L'objet meut la puissance, ô téméraire ! après
1325
Ces myrtes à tes yeux convertis en cyprès
Vouloir faire au désir pareille violence
Le trait ne se pourrait excuser d'insolence,
Presque morte en tes bras, juge qu'avec raison
Il te réputera ministre d'un poison,
1330
Et que la jalousie insupportable hôtesse
Aura précipité les jours de la Princesse,
Las ! tu devais plutôt le tenir averti,
Qui tel désastre à temps possible eût diverti,
Eût de cette Phyllis la trame prolongée,
1335
De cette furieuse en son vice plongée,
Rien moins, nous ne pouvons aveugles prévenir
Les malheurs journaliers qui doivent advenir,
Toujours, toujours le temps n'est conseiller fidèle
Ne médecin des maux que la prudence cèle,
1340
Chétive maintenant à quoi résoudras-tu
L'esprit frêle vaisseau de doutes combattu ?
Que dessein t'est meilleur, ou quelle route prise,
De maux désespérés et enceinte et surprise ?
Sans ton amant chez toi forclose du retour,
1345
Quitte les vanités et renonce à l'Amour,
Ne remémore plus ce que tu soulais être,
Quelque part confinée en un désert champêtre,
Où l'innocence habite, où ferme en ton propos
Le reste de tes jours trouve un stable repos.


ACTE V

ADOLPHE, LUPOLDE, FERNANDE, FÉLISMÈNE, DIANE, DANTE, DUARDE, SIRÈNE, DON FÉLIX, TROUPE DE BERGERS

SCÈNE I

ADOLPHE, LUPOLDE, ET FERNANDE

ADOLPHE
1350
L'Honneur, la chasteté, la vertu, les mérites,
La gloire, la beauté, l'amour, et les Charites
Qui viennent d’expirer, qui dedans le cercueil
Mettent les Cieux, la terre, et l'univers en deuil
Nous convient amis leur querelle épousée,
1355
L'âme d'une vengeance équitable embrasée,
Ne laisser impuni ce corsaire étranger
Qui veut le commun los des Germains outrager,
Ce tigre déguisé dessous l'humaine forme,
Qui m'a Célie éteinte - ô sacrilège énorme ! -
1360
Ravi l'âme, l'espoir, et le désir aussi
De plus traîner mes jours misérables ici ;
Ô pauvre ! ô pauvre dame, entre les myrtes sombres
Où tu erres l'honneur des vertueuses ombres,
Tu te ressouviendras que ma prophète voix
1365
Le désastre annonça qu'éviter tu pouvois,
Tu ne le pouvais pas, puisque ta destinée,
À ton proche malheur te rendait obstinée,
Mais du moins laisses-tu, triste et faible confort,
Qui fera ce meurtrier compagnon de ton sort.

LUPOLDE
1370
Certaine antipathie à sa première vue
M'aiguillonna le sein d'une colère émue,
L'occasion depuis cherchée maintes fois
Qui me fit rencontrer Alcide un Achelois,
Haine à sa nation, chez les autres fréquente,
1375
Superbe nation, guêpe en l'honneur piquante,
Qui la terre ne croit digne de la porter
Mais que plutôt ne dût la terre supporter,
Non pas même pourrir sa charogne engloutie
Sa charogne aux Corbeaux et aux loups départie.

FERNANDE
1380
De la ville esquivé qui gagne le devant,
Nos menaces ne sont à la fin que du vent,
Si lévriers animeux attachés à sa suite
Sur ce lièvre on ne presse une ardente poursuite,
Vieil, rusé, qui saura trouver mille détours,
1385
Et que la peur d’haleine entretiendra toujours.

ADOLPHE
Le vœu particulier fait aux Mânes de celle
Que morte mon Amour ne peut croire mortelle,
Proteste derechef sans relâche courir
Depuis où naît Phébus jusqu'où il va mourir,
1390
Et qu'onc un bon sommeil ne clora ma paupière
Premier que l'avoir vu sanglant sur la poussière
Vomir l'âme butin des rages de l'enfer,
Qui ne veux que mon bras, qui ne veux que ce fer ;
Spectateurs donnez-vous le plaisir de sa quête,
1395
L'assistance pourtant à l'extrémité prête.

LUPOLDE
Nous ne l'attendrons pas, un lâche suborneur
Du droit des cavaliers ne mérite l'honneur,
Ne mérite être pris seul et de galant homme,
Mais qu'avec avantage on le prenne, on l'assomme,
1400
Joint que le cerf peureux, lors qu’il est aux abois
Ne laisse de coucher en défense son bois,
Meurtrit chiens et Veneurs, qui ne se donnent garde,
Qui n'attendent rien moins d'une bête couarde,
Si qu'ensemble d'abord éperdu le charger
1405
Sera faire avisés justice sans danger.

ADOLPHE
La chose en mon endroit demeure indifférente,
Allons donc éclaircis sur sa fuite apparente,
Prendre langue assurée, et à la piste après
Lui chasser poursuivi les éperons de près.

SCÈNE II

FÉLISMÈNE, DIANE, DANTE, DUARDE, SIRÈNE, DON FÉLIX, ADOLPHE, LUPOLDE, FERNANDE, TROUPE DE BERGERS

FÉLISMÈNE
1410
En bergère
Vous avez su bergers la tragique aventure
D'un Amour incroyable à la race future,
Amour funeste Amour, plein de fiel et de pleurs,
Amour qui m'a produit des épines sans fleurs,
L'issue néanmoins me contente prospère,
1415
Puisqu'ici loin d'ennuis, de soin, de vitupère,
Mon exil a trouvé l'âge d'or qui revit,
Puisqu'ici mon désir libre ne s'asservit,
Puisqu'ici les présents de la féconde Astrée
Semblent à qui mieux, mieux honorer la contrée,
1420
Flore toujours nouvelle y tapisse les prés,
Vos champs ne sont que lys, que thym, qu'œillets pourprés,
L'herbe grande toujours abonde en vos pacages,
La verdure toujours fait ombre à vos bocages,
Où ses plaintes toujours Philomèle redit,
1425
Où de venir jamais l'hiver ne s'enhardit,
Où les chênes de miel, et sans labeur d'avettes
Dégoûtent nourriciers sur le sein des fleurettes,
Terrestre Paradis où l'innocent Amour
Véritable Élysée établit son séjour,
1430
Ah ! que je te bénis avec ta sainte bande
Qui me daigne tirer d'adversité si grande.

DIANE
Elle tient belle Nymphe à suprême bonheur,
Que d'habiter ici tu lui fasses l'honneur ;
Ta présence éjouit ces bois et ces campagnes
1435
Qui te dussent choisir les Dryades compagnes,
Qui nous fais souvenir du temps qu'un Dieu Berger
Exilé conversa le peuple bocager,
Sa vue produisait les herbes salutaires
Aux troupeaux affranchis de bêtes sanguinaires,
1440
Affranchis du venin qui nuit contagieux,
Et qu'un Sorcier malin décoche par les yeux,
Telle tu nous parois, voire plus favorable,
Dont sans fin le beau les fleurira mémorable.

DANTE
Non pareille beauté qui surpasses l’humain,
1445
Que la perfection fabriqua de sa main,
Règne sur nous Pallas, et Palès tout ensemble,
Les discords composés ainsi que bon te semble,
Discords que Cupidon par manière d'ébats
Nous suscite n'ayant qui l'occupe ça-bas,
1450
Duarde que tu vois aussi fière que belle,
Après m'avoir aimé s'émancipe rebelle,
Méprise mon service offert candidement,
Et n'a de ce mépris qu'un léger fondement.

DUARDE
Arbitre écoute donc, ô céleste étrangère,
1455
Et apprends ce qu'il nomme une cause légère :
Le superbe jadis mon âme captivait,
Mais quoi ? la sienne alors chez une autre vivait,
Les complaintes, les pleurs, les prières perdues,
Les preuves d'amitié inutiles rendues,
1460
Jusques à négliger pour les siens mes troupeaux,
Les siens que je menais aux plus herbus coupeaux,
Mes brebis cependant ça et là dispersées
À la merci des loups, sans pâture laissées,
Divers d'affections en telle sorte advint
1465
Qu'au grade conjugal ma rivale parvint,
Courte joie, d'autant qu'après fort peu d'espace
Mon homme laissé veuf la voila qui trépasse,
L'impossible depuis mes flammes amortit,
Même que du passé le cœur se repentit,
1470
Telle erreur dans l'oubli du tout ensevelie,
Au lieu que l'indiscret réveille sa folie,
Veut ce qu'il ne peut plus, et ne pourra jamais,
Or vois de prononcer là-dessus désormais.

SIRÈNE
Diane qui d'un train,

DIANE
Désiste téméraire,

SIRÈNE
1475
Combien la vérité m'est difficile à taire,

DIANE
Tu n'auras plus ingrat de quoi te prévaloir.

SIRÈNE
Mais tu commences tard à te faire valoir.

DANTE
Je sais qu'en ma faveur penchera la sentence,
Car quel si grand péché n'éteint la repentance ?
1480
Ne purge qui s'abaisse à réparer un tort,
Dût-on lui imposer les peines de la mort.

FÉLISMÈNE
L'expérience amis, maîtresse nous enseigne
Nous qui soldats d'Amour marchons sous son enseigne,
Qu'autres n'appointent mieux tels mécontentements,
1485
Non pas même si bien que le couple d'amants,
Mille difficultés secrètes impliquées
Qui veulent en public n'être communiquées,
Tels jurent une haine immortelle souvent
Qui seront au partir plus épris que devant,
1490
De la guerre la paix, et de la paix la guerre
À ceux qui sont frappés de l'amoureux tonnerre,
Et qui leurs gestes croit compassés de raison
Croira Phébus couché reluire en l'Horizon.

DUARDE
La raison me manquait, chose trop assurée,
1495
Lors que je t'adorai me sachant abhorrée,
Comme à lui de penser ces feux d’amour glacés
Me prendre derechef en des liens cassés,

DANTE
Quelque étincelle encor se couve sous la cendre
D'une première flamme, et la fera reprendre.

DUARDE
1500
Puisse plutôt la terre ouverte m'engloutir,
Plutôt l'ire céleste en roc me convertir.

DANTE
En roc ? tu l'es déjà implacable homicide ;
Or Déesse chez qui la clémence préside,
Toi qui sais mieux la peine au forfait mesurer,
1505
Souffrirais-tu la haine animeuse durer ?
Si le faussaire ingrat qui posséda ton âme
Pénitent prosterné aux genoux de sa dame,
Sur les excès commis te requérait merci,
Que le courage pût de rigueur endurci,
1510
Sa prière éconduire et refuser sa grâce ?
Je ne l'estime pas, on la lit en ta face.

FÉLISMÈNE
Lors comme alors, hélas ! à peine toutefois,
Une horrible clameur s'épand parmi le bois,
Écoutons, quelques-uns se battent d'assurance.

DON FÉLIX
1515
Ô traîtres assassins ! le Ciel mon espérance
Pareille lâcheté funeste vous rendra,
Et la protection de l'innocent prendra.

ADOLPHE
Maudit empoisonneur, une Princesse morte
Que tu es innocent le témoignage porte,
1520
Sus qu'on me laisse amis selon ma volonté
Le meurtre châtier du voleur effronté.

LUPOLDE
Bien moins, chacun à coup le charge, l'environne,
Cent coups après sa mort, et cent autres lui donne.

FÉLISMÈNE
Ô spectacle effroyable ! un seul dedans le bois
1525
Bravement résolu fait ferme contre trois,
Secourons le chétif :

TROUPE DE BERGERS
Ains fuyons de bonne heure,
Que quelqu'un sous leurs coups offensé ne demeure.

FÉLISMÈNE
Seule donc opposée à ce lâche assassin,
Mon trait de ces félons transpercera le sein,
1530
Demeurez cavaliers, hé ! bon Dieu quelle honte !
Tant contre un ce n'est pas de l'honneur faire compte.

ADOLPHE
Folle retire-toi sur peine d'encourir...

FÉLISMÈNE
Tu sauras que je veux, et puis le secourir.

ADOLPHE
Blessé à mort
Ô rage ! ô désespoir ! ô énorme infamie !
1535
Amis vengez ma mort, une louve ennemie
M'a de ce coup de flèche outre-percé le cœur,
Qu'au moins n'expires-tu sous un digne vainqueur.

FÉLISMÈNE
Courage cavalier valeureux continue,
De tes lâches haineux le nombre diminué,
1540
Et nous mourrons ensemble, ou un triple Laurier
Nos chefs couronne après ce chef-d'œuvre guerrier.

DON FÉLIX
Ô Cieux ! quel grand secours, une Nymphe rustique
Trébuche le second au gouffre Plutonique,
Retrace donc les pas de sa mâle vertu,
1545
Pour si peu de labeur te démentirais-tu ?
Non, le brigand mourra sans tarder davantage
Que la perte des siens relâche de courage.

FERNANDE
Ô iniques destins ! hé faut il que dernier
J'acquitte le tribut au fatal Nautonier,
1550
Impuissant de vengeance ? ah ! je perds la parole
Et dans les flots du sang ma triste âme s'envole.

FÉLISMÈNE
Invincible héros, tes ennemis domptés
Respire sous le faix des travaux supportés,
Repose ta vertu de ma dextre assistée,
1555
Ainsi jadis Hercule du bord Achérontée
Cerbère n'attraîna que le Cécropien
N'allât contribuant quelque chose du sien,
Ainsi prêt autrefois de succomber au nombre
Son père qui voyait les forces ne répondre,
1560
Fit pleuvoir un orage horrible de cailloux
Dessur ces ennemis qui les écrasa tous,
Sourde comparaison, seulement pour te dire
Que peu de chose peut ou profiter, ou nuire,
Qu'un féminin courage ose prendre au besoin
1565
Du bon droit secouru, de l'innocence soin.

DON FÉLIX
Sois Amazone, ou bien la chaste Forestière
Qui prêt à l'Univers sa nocturne lumière,
Après un je te dois ce trophée et le jour,
Mais des illusions ordinaires d'Amour
1570
Reviennent à mes yeux, travaillent ma pensée,
Derechef m'apparaît Félismène laissée,
Félismène a le front, le corsage, le port,
Quel ver de repentance importune me mord !

FÉLISMÈNE
Las ! pareil accident confuse me fait croire
1575
Voir certain Don Félix gravé dans ma mémoire,
Gentilhomme accompli que j'aimerai toujours
Quand Clothon de Nestor me filerait les jours.

DON FÉLIX
Tu la vois Don Félix.

FÉLISMÈNE
Et lui sa Félismène.

DON FÉLIX
Un charme en mon esprit occupé se promène.

FÉLISMÈNE
1580
Charme qui néanmoins contient la vérité.

DON FÉLIX
Tu aurais sans l'habit qu'on te crût mérité ?

FÉLISMÈNE
Ne vous abuse plus l'indécent équipage,
Félismène est bergère, et naguère fut page.

DON FÉLIX
Ô miracle ! ô prodige ! ô hasard bienheureux !

FÉLISMÈNE
1585
Bergers, il n'y a plus qui vous chasse peureux,
Accourez, venez voir le geôlier de mon âme,
Le principe et la fin de ma pudique flamme.

DON FÉLIX
Ô ma vie

FÉLISMÈNE
Ô mon mieux !

DON FÉLIX
Ô ma Reine !

FÉLISMÈNE
Ô mon tout !

DON FÉLIX
Que de tant de travaux tu es venue à bout ?
1590
Que tu as peu souffrir patiente l'injure
Faite à ta loyauté d'un volage parjure ?
À te trahir toi-même et ne te plaindre pas,
Réduite à des tourments pires que le trépas ?
Tu ne peux et ne dois m'aimer plus si coupable,
1595
Désormais, désormais de ta grâce incapable.

FÉLISMÈNE
Ne faisons plus mon heur le passé revenir,
Qu'ainsi qu'on a des maux plaisant le souvenir,
Le glorieux sujet mérita bien ce change,
Or vous autres pasteurs ne trouvez pas étrange
1600
La privauté soudaine avec un cavalier
Que me daigne la foi conjugale lier,
Celui dont les vertus me tiennent asservie,
Qui balance vainqueur ma fortune et ma vie,
Qui la nef de mes vœux fait surgir à bon port,
1605
Ou la va repousser naufrageuse du bord.

DON FÉLIX
Troupe que l'équité heureuse recommande
Juge si l'équité s'accorde à sa demande,
Un ingrat, un perfide, un roseau décevant
Qui plie de plein gré dessous le premier vent,
1610
La fit à petit feu remourir déplorable,
À ses yeux une moindre estima préférable,
Un que vive enterrée elle ôte du tombeau,
Qui voit sous sa faveur le céleste flambeau,
Qui ne peut plus lutter contre la destinée,
1615
Ne doit-il accepter sa grâce entérinée ?
Ne doit-il recevoir content à bras ouverts
La plus rare beauté qui soit en l'Univers ?
Aucun que la raison Soleil divin éclaire
Ne voudrait opiner ce crois-je, le contraire,
1620
Et ma promesse ici derechef devant vous
Lui jure le devoir d'un vertueux époux.

TROUPE DE BERGERS
Beau pair que réunit l'occulte providence
Du suprême destin venue en évidence,
Beau pair, l'honneur du monde et la gloire d’Amour
1625
Moissonne désormais le bonheur à son tour,
Répare en tes plaisirs l'injurieuse perte
Qu'une sainte amitié séparée a soufferte,
Venge-toi des travaux et des ennuis passés,
En ta béatitude à jamais effacés,
1630
Tes pensers, tes désirs fassent une harmonie
Qui durable ne soit qu'en la tombe finie,
Que Lucine féconde honore après neuf mois
Ta couche de rameaux d'où surgeonnent des Rois
Chez qui puisse trouver notre dernière race
1635
En mémoire de vous un asile de grâce.

DON FÉLIX
Notre félicité veut plus que le discours,
Il faut que les désirs prennent un libre cours,
Il faut que les effets précèdent le langage,
Madame ne peut plus se fier sur ce gage
1640
Qui l'affronta jadis, ni mon Amour ardent
Languir près du fruit mûr à son arbre pendant :
Allons donc au prochain hameau brigade chère,
Du sacré Mariage accomplir le mystère,
Puis sur le gazon vert au beau milieu des fleurs
1645
Où quelque ombrage épais empêche les chaleurs,
Célébrer un festin qui ramène en usage
Ce bonheur innocent qui fut au premier âge,
Qui les mets superflus d'ailleurs n'emprunte point ;
Obligez-nous amis après du dernier point,
1650
Qu'un superbe tableau représente l'histoire
De nos chastes amours conservant leur mémoire,
Vénérable en ce lieu tant que l'Astre du jour
Dans le Pôle fera son ordinaire tour.


BIBLIOGRAPHIE

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