Alexandre Hardy

La force du sang





Texto utilizado para esta edición digital:
Hardy, Alexandre. La force du sang. Édité et annoté par Ángeles García Calderón et Beatriz Martínez Ojeda pour la collection EMOTHE. Valencia: ARTELOPE Universitat de València, 2017.
Adaptación digital para EMOTHE:
  • López Martínez, José Enrique (Artelope)
  • Martínez Ojeda, Beatriz

ARGUMENT

Ce sujet représenté avec les mêmes paroles de Cervantès son premier auteur, ne contient autre chose sinon que Léocadie jeune demoiselle d’excellente beauté fut en certaine promenade hors la ville de Tolède, ravie sur le soir entre les bras de ses père et mère, par l’un des premiers et mieux apparentés gentils hommes de là, qui l’emporte chez lui toute évanouie, et en jouit au plus fort de sa pâmoison. Il lui bande puis après les yeux lors qu’elle s’est reconnue et l’expose de la sorte au milieu de la rue : elle retourne au logis paternel emportant pour remarque du lieu où on l’a violée une image d’Hercule, et accoucha en suite au bout des neuf mois d’un fils aussi beau que la mère, qui sert finalement en sa reconnaissance miraculeuse à lui réparer l’honneur par un heureux et légitime mariage.


LES ACTEURS

PIZARE
ESTÉFANIE
LÉOCADIE
ALPHONSE
FERNANDE
RODÉRIC
DOM INIGUE
LÉONORE
FRANCISQUE
LUDOVIC
LE CHIRURGIEN
UNE TROUPE DE PARENTS

ACTE I

SCÈNE I

Pizare, Estéfanie, Léocadie

PIZARE.
L'Homme s'affranchirait en sa course mortelle,
DesN
X
Nota del editor

En ce qui concerne le commencement des vers, la tradition veut que le premier mot d’un vers porte la majuscule, qu’il y ait ou non un signe de ponctuation à la fin du vers précédent. (En poésie moderne, toutefois, on trouve souvent la minuscule au premier mot du vers).

malheurs infinis que le destin révèle.
Si ce voile du corps qui couvre nos esprits.
Des songes n'empêchait les présages compris,
5
Si cet hôte importun en sa masse pesante
Leur vol ne rabattait quand quelqu'un se présente.
Mais accusons plutôt mille horribles péchés
Qui nous ont ces présents célestes retranchés,
Depuis que l'âge d'or à un pire fit place,
10
Car ores le cristal de la meilleure glace
Ne rapporte pas mieux les objets différents,
Qu'alors chacun lisait ses destins apparents.
De Morphée envoyés, chez qui - chose notoire -
La porte ne s'ouvrait qu'on appelle d'ivoire,
15
Porte fallacieuse ouverte aux songes vains
Qui perdent mal conçus, les crédules humains :
Las !N
X
Nota del editor

Las ! : Contraction de Hélas !

du mien désastreux l'augure prophétique
Se réclame un moment de ce bonheur antique,
Un moment qui voulut inspiré m'avertir
20
Comme on doit ce succès funèbre divertir.

ESTÉFANIE.
Vous m'avez mille fois et mille autres reprise
D'une folle créance à des frivoles prise,
D'une peur chimérique en ses illusions.
Qui troublent le sommeil avec leurs visions.

PIZARE.
25
La femme, un excrément imparfait de nature,
Songe ainsi qu'elle parle en l'air, à l'aventure.

ESTÉFANIE.
Pauvre femme toujours foulée, et sans raison,
Qui peut à l'homme en tout faire comparaison.

PIZARE.
Oui comparable autant que quelque étoile sombre
30
À l'astre de nos jours, ou qu'un corps à son ombre.

ESTÉFANIE.
Soit, mettons le plus bas, et me dites Monsieur
Quel spectre vous imprime une telle frayeur.

PIZARE.
Non frayeur autrement que la bonté suprême
Sur ce léger sujet ne dissipe de même,
35
L'heure était environ que l'horreur de la nuit
Commence à disparoirN
X
Nota del editor

Disparoir : Forme ancienne de disparaître.

sous l'Aurore qui suit,
Et que l'oiseau de Mars, espion peu fidèle,
Nous annonce du jour la première nouvelle.
Que la moite fraîcheur du matin coule aux yeux
40
Ces pavots que le somme à de plus gracieux :
Alors me fut avis qu'une tourtreN
X
Nota del editor

Tourtre : « Tourterelle ».

privée
Dans votre propre sein tendrement élevée.
Qui ne prenait sinon de nous deux le repas,
Qui nous suivait par tout docile pas à pas,
45
Rencontre de hasard la cruelle venue
D'un grand aigle impourvu qui tombe de la nue,
Qui ravissent malgré notre long effort vain,
L'emporte dans les airs disparaissant soudain.
D'épouvante transis, les yeux noyés de larmes
50
Chez qui le désespoir entretient ses alarmes,
En fin elle retourne ainsi que du tombeau
Et veuve de l'émail de son plumage beau,
Qui lamente honteuse une semblable perte,
Qui refuse d'abord notre caresse offerte.

ESTÉFANIE.
55
L'issue.

PIZARE.
Patience, écoutez le surplusN
X
Nota del editor

Surplus : « Reste » (Littré : Dictionnaire de la langue française).

Bien que propos en l'air qui passent superflus,
À peu de temps mon œil vit cette tourtre aimée
Plus gaie revêtir sa plume accoutumée.
Et merveille, un petit lui sort sous l'aile éclos
60
Ainsi qu'un Orient qui se lève des flots
Gentil, poli, mignard, qu'on chérit, que l'on baise,
De sorte qu'en sursaut je me réveille d'aise.

ESTÉFANIE.
Toujours est-ce à mon conte en tel cas revenir,
Qu'un mal nous doit heureux tourner à l'avenir,
65
Que le fer qui la fait guérira sa blessure
Autre explication ne me semble plus sûre.

PIZARE.
À la mienne conforme il faut importuner
Par prières, qui peut l'accident détourner,
Qui maître du destin, mais qui le destin même
70
Verse sur l'univers sa clémence suprême.
Qui dans l'air maintes fois fait bruire son courroux
Ne frappant que l'orgueil des rocs au lieu de nous.

ESTÉFANIE.
Ô que vous dites bien : l'humaine prévoyance
Qui s'ose prévaloir de sa propre science
75
Succombe, précipite, et perd l'audacieux
Qui ne la tient qu'en fief du monarque des Cieux,
Médecin pitoyableN
X
Nota del editor

Pitoyable : « Qui est naturellement enclin à la pitié » (Littré : Dictionnaire de la langue française).

envers ses créatures
Des présentes douleurs ainsi que des futures,
Lorsqu'une pleine foi réclame sa bonté
80
Et que nous ne mouvons que de sa volonté.

PIZARE.
Résolus à ce point, le long de la rivière
Achevons maintenant la promenade entière,
Exercice du corps salubre, joint qu'aussi
Tel plaisir me pourra dissiper ce souci.

SCÈNE II

Alphonse, Rodéric, Fernande

ALPHONSE.
85
Mis à même le choix des fortunes du monde
Ou des vœux que jadis le souverain de l'onde
Au brave fils d'Égée octroya, devinez
Duquel j'accepterai les doux fruits moissonnés,
Duquel se bornerait l'affection contente,
90
Quiconque soudraN
X
Nota del editor

Soudre : « Résoudre (Indicatif présent). Je vois bien la solution du premier doute : et que répons tu au second ? ―Aristote le soult pour moi » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

mieux l'énigme sans attente
S'assure d'obtenir une discrétion
Qui mérite trouver telle solution.

RODÉRIC.
Possible enviez-vous les lauriers d'Alexandre.

ALPHONSE.
Oncques une fureur ne me fit là descendre.

FERNANDE.
95
Amoureux de nature il y aurait danger
Que le sort désiré du Phrygien, berger
En la possession d'une beauté divine,
Où vise ce souhait à peu près je devine.

ALPHONSE.
Vous n'en allez pas loin, toutefois rechercher
100
Une étrange beauté qui me constat si cher
Nullement : la victoire a peu de peine acquise
Et à peu de péril j'estime plus exquise.

RODÉRIC.
Pourvu de ce rameau qui conduit aux enfers
Qui met la liberté des plus chastes aux fers,
105
Tolède ne connaît dame qui vous refuse,
Venaison qui s'échappe encore qu'elle ruse,
Qu'elle ne tombe pas prise de plein abord
Premier que détournerN
X
Nota del editor

Détourner : « En termes de Chasse, signifie, faire tout ce qu'il faut pour s'assurer qu'une bête, un cerf ou un sanglier, est dans un buisson autour duquel on fait les enceintes » (Furetière : Dictionnaire universel). Dans l’Almanach Prisma de la chasse de G.M. Villenave (Paris : Prisma, 1947) on trouve la définition suivante : « Détourner. Paire le tour d'une enceinte où est entré un animal, pour s'assurer qu'il n'en est pas sorti ».

on la tire du fort.

ALPHONSE.
Mes feux impatients ne souffrent de remise
110
N'aiment qu'une faveur dessus l'heure permise,
Assurés de l'espoir de jouir tout soudain
Ils ne vivent jamais jusques au lendemain.

FERNANDE.
Vous avez à choisir ces courtisanes belles
Où la feinte messiedN
X
Nota del editor

Messied : « De Messeoir : Littér. [Employé surtout à la forme négative et à la 3e pers. du prés., de l'imp., du fut. de l'ind. et du cond. prés.] Ne pas convenir ; n'être pas séant. Anton. seoir » (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales).

, qui ne font les rebelles,
115
Qu'au leurre de l'argent remué dans le poing
Frétillardes on voit accourir de plus loin
Que le meilleur oiseau, que ne voilent légères
À l'airain résonnant les mouches ménagères,
Sans attendre voilà rencontrer le fruit meurN
X
Nota del editor

Meur : L'édition de Tomotani est la seule des trois éditions modernes qui éclaire le maintien de meur, à la place de mûr, pour la rime.

.
120
Voilà traiter un homme au gré de son humeur.

ALPHONSE.
Humeur qui pourtant lasseN
X
Nota del editor

Lasse : « Se lasser » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

èsN
X
Nota del editor

Ès : « Mot fait par contraction de la préposition En, & de l'article pluriel Les, pour signifier Dans les. Il n'a plus d'usage que dans cette locution, Maîtres ès Ars, & en quelques autres qui font purement du style de Pratique » (Dictionnaire de l'Académie, 4ème édition).

viandes trop communes,
La mienne choisirait entre ces deux fortunes
Un plaisir dérobé, selon que le hasard
Adresse chez quelqu'une affrontée à l'écart,
125
Jupiter, ce dit-on, amoureux de la sorte
Dépouillé du pouvoir et du foudre qu'il porte
Se plût à décevoir nos mortelles beautés
À cueillir violent ainsi leurs chastetés
Toutefois ce dessein tranche du téméraire
130
Facile à concevoir, périlleux à parfaire.

RODÉRIC.
Périlleux hé ! comment ? ô la simplicité,
Périlleux à qui tient en bride sa cité ?
Sous l'appui paternel, appui du premier homme
Que Tolède en vertus et noblesse renommeN
X
Nota del editor

Renomme : Renommer : « Nommer avec éloge » (Dictionnaire de l'Académie, 1ère édition). « L'aspect social du problème est ici clairement indiqué." (Scherer).

,
135
L'heure propre aux larcins de la mère d'Amour
Faisons dehors la ville ensemblementN
X
Nota del editor

Ensemblement : « On disait autrefois ensemblement » (Furetière : Dictionnaire universel).

un tour
Promenade fréquente à nos plus belles Fées
Qui prennent là le frais à cottes dégrafées :
Reconnues de l'œil, un clinN
X
Nota del editor

Un clin : « Un clin d'œil » (Scherer).

suffît après
140
On forgera subtils quelque querelle exprès
Affin de vous ravir la beauté désirée
En lieu sûr et secret prestement resserrée
Qui lui soit inconnu, qui plein d'obscurité
Ne donne à discerner aucune vérité,
145
Qui jusques à la soif éteinte détenue
La puisse renvoyer ainsi qu'elle est venue,
Marchons le cœur me juge un succès amoureux
Capable de vous rendre et content et heureux.

FERNANDEN
X
Nota del editor

Scherer, de la même manière que Tomotani, suit les corrections d'Eugène Rigal (« Le Théâtre d' Alexandre Hardy : Corrections à la réimpression Stengel et au texte original », Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, XIII, 1891, pp. 204-228), et corrige le texte original, qui attribue par erreur cette réplique à Rodéric. Herbert, qui base son édition sur les corrections de Rigal, ne corrige pas l'original.

.
Ores que la plupart de la presse écoulée
150
Que l'obscure noirceur nocturne dévalée
Tire nos citoyens chacun dans sa maison
L'entreprise paraient à sa juste raison
On se pourra jeter dessurN
X
Nota del editor

Dessur : « Le mot a les sens suivants : A : sur, B : au-dessus de. C : en plus de » Dictionnaire du Moyen Âge (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales).

l'arrière-garde
De ceux qui les derniers feront mauvaise garde
155
À l'exemple du loup que tapi dans le bois
Une rage de faim a réduit aux abois
En faveur du brouillas ou de l'ombre nuiteuse
Il fond sur le troupeau que sa dent impiteuseN
X
Nota del editor

Impiteuse : « Impitoyable » (Scherer).

De nombre diminue, et malgré le berger
160
Emporte sa curée affranchi du danger,
Silence j'aperçois venir sans autre suite
Deux dames, un vieillard leur servant de conduiteN
X
Nota del editor

servant de conduite : « Action de diriger, au sens propre, de guider la marche d'une personne » (Gaston Cayrou : Dictionnaire du français classique. La langue du XVIIe siècle).

.
Fixe d'œil avisez maintenant de choisir
On vous en va donner - heurtées - le loisir.

SCÈNE III

Pizare, Estéfanie, Léocadie, Alphonse, Rodéric, Fernande

PIZARE.
165
IndiscretsN
X
Nota del editor

Indiscret : « Manquant de discernement, de raison. —Alors Juno et Pallas commencèrent à avoir peur de leur cause perdue, et craindre la solidité de leur juge indiscret. Le Maire de Belges, Illustr., I, 33. » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

, impudents, folle folle jeunesse.
Ce n'est à mes pareils qu'en la sorte on s'adresse
La rue volontiers peu large ne suffit
Sans coudoyer ainsi ce qu'onc homme ne fit,
Un seul n'entreprendrait qu'à son désavantage.
170
De plus mauvais que vous ont connu mon courage.

ESTÉFANIE.
Monsieur laissons-les là, que semblable courroux
Quelque pire accident n'éclate dessur nous.

PIZARE.
Les effrontés oser, intolérable audace,
Comme on fait aux putains vous regarder en face !

ESTÉFANIE.
175
Telle indiscrétion ne présuppose rien
Que fort peu d'assurance entre ces gens de bien.

PIZARE.
La justice à de quoi châtier l'insolence.

ESTÉFANIE.
Misérable confortN
X
Nota del editor

Confort : « C'est proprement application de force, à une plus faible pour la renforcer » (Nicot : Trésor de la langue française). Confort. s. m. : « Secours, assistance. Donner aide & confort. Il est vieux » (Dictionnaire de l'Académie française, 4ème édition). Consolation (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

après leur violence.

LÉOCADIE.
He ! bon Dieu que j'ai peur.

PIZARE.
Ma fille ne crains pas.

ESTÉFANIE.
180
Mon ami pour le mieux, doublons un peu le pas.

PIZARE.
Au contraire montrant quelque indice de crainte
Ils nous pourraient donner juste cause de plainte.

LÉOCADIE.
Un souris remarqué m'apporte de l'effroi.

PIZARE.
Je mourrai paravantN
X
Nota del editor

Paravant : « Auparavant » (Nicot : Trésor de la langue française).

que l'on s'adresse à toi,
185
SusN
X
Nota del editor

Sus : « Interjection dont on se sert pour exhorter, pour exciter. Sus mes amis, sus donc, levez-vous. Or sus dites-nous. Il est du style fam. » (Dictionnaire de l'Académie, 4ème édition).

premières marchez avec même assurance
Que qui d'aucun péril ne verrait l'apparence.

ALPHONSE.
Ô le beau coup failli, indigne désormais
Pareille occasion je n'espère jamais.

RODÉRIC.
Avez-vous la miré quelque sujet capable ?

ALPHONSE.
190
Oui, de l'ire d'amour trop lâchement coupable.

FERNANDE.
Une à votre gré belle ?

ALPHONSE.
Une de qui les yeux
Montrent dedans la nuit deux Soleils gracieux,
Une divinité qui me dérobe l'âme
Une qui n'est qu'appas, que charmes, et que flamme :
195
Vous n'avez point de vue ou cette autre Cypris
Dût avoir l'approchant vos courages épris.

RODÉRIC.
Que sert plus de discours ? belle ou laide n'importe
Agréable suffit que d'assaut on l'emporte,
Que de se reconnaître elle n'aie loisir
200
Ains que de toutes deux on vous donne à choisir
Sus en besogne ! après...

ALPHONSE.
L'ordre de l'entreprise
Veut que l'on face peur à cette barbe grise
La pointe de l'épée au gosier lui portant,
L'autre n'a que la vieille a saisir s'ébattant :
205
À bras de corpsN
X
Nota del editor

À bras de corps : « À bras le corps » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

tandis je chargerai ma belle
D'une course au logis fugitif avec elle.
Chacun s'écarte adoncN
X
Nota del editor

Adonc : Terme archaïque signifiant alors.

, et ne me suive pas,
Même chemin tenu remarquerait nos pas.

FERNANDE.
Maxime indubitable, or sus à toute bride,
210
Fondons et sans délai sur ce troupeau timide
Qui tâche à son pouvoir de gagner le devant,
Et semble du dessein avoir senti le vent.

LÉOCADIE.
Mon père les voici revenir en furie.

ESTÉFANIE.
Sois notre protecteur, ô bon Dieu, je te prie.

RODÉRIC.
215
Tue, tue, demeure, arrête ou tu es mort.

PIZARE.
Hélas ! mes bons amis ne m'outrages à tort.

LÉOCADIE.
Au secours, à la force, hélas ! je suis perdue.

PIZARE.
Brigands outrepercezN
X
Nota del editor

Outrepercer : « Transpercer » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

ceste gorge tendue
Plutôt que me voiler en ma fille l'honneur.

LÉOCADIE.
220
A la force il me clôt la bouche, le voleur.

ESTÉFANIE.
Ma fille, ma chère âme ! ô barbare infidèle
Souffre que je la suive ou me tue avec elle
Ma fille, mon espoir, meurs constante premier
Que de ta chaste fleur un brigand premier.

PIZARE.
225
À l'aide, Citoyens, on me tue, on me vole,
Ma fille entre mes bras enlevée on viole !
Tu parles aux rochers appelant du secours
Les cieux et les humains à cette heure sont sourds,
Des cieux et des humains la présence ennemie
230
Ne peut que divulguer ores ton infamie
Tardive ne saurait le naufrage empêcher
Le naufrage fatal de ce qui m'est plus cher
Ô misérable ville où la force brigande
D'un amas infini de fainéants commande
235
Ô vieillard déplorable ! ô père malheureux,
Ô siècle perverti ! ô destins rigoureux
Mamie où êtes-vous ? las, par terre pâmée
Lui aurait point Clothon la paupière ferméeN
X
Nota del editor

... la paupière fermée ? : Scherer, en toute logique, corrige l'original et finit le vers par une interrogation. Tomotani fait de même.

?
Mamie revenez ! hé revenez à vous,
240
Compagne des regrets d'un misérable époux.

ESTÉFANIE.
Ah ! Monsieur que je suis et débile et confuse
Et que, vive, le Ciel d'une injustice m'use.

PIZARE.
L'extrême affliction, extrême tellement
Qu'elle ne peut passer au-delà nullement
245
Arrache ces propos jetés à la voléeN
X
Nota del editor

À la volée: «adv. Inconsidérément, étourdiment, sans réflexion. Il fait toutes choses à la volée. Il ne sait ce qu'il dit, il parle à la volée" (Furetière : Dictionnaire universel). À la volée : « adv. Inconsidérément. Il fait toutes choses à la volée. Il ne sait ce qu'il dit, il parle à la volée. Il est du style familier » (Dictionnaire de l'Académie française, 4ème édition).

Conçus du désespoir d'une âme désolée
Si faut-il se résoudre, il faut croire qu'un Dieu
Saura remédier au mal en temps et lieu,
Par moyens inconnus que tient sa providence
250
Qu'un miracle produit a coup en évidenceN
X
Nota del editor

Pizare anticipe la fin heureuse de la pièce tout en se servant d'une prolepse, figure de style par laquelle sont mentionnés des faits qui se produiront bien plus tard dans l'intrigue. 

:
Humiliés de cœur allons dans la maison
Sa pitié réclamer qui nous fera raison.


ACTE II

SCÈNE I

Alphonse, Léocadie

ALPHONSE.
L'Impatiente soif de ma fièvre apaisée,
Glorieux possesseur d'une victoire aisée
255
Plus que ne présumait ma flamme, butinant
Cette virginité capable du TonnantN
X
Nota del editor

Capable du Tonnant : Digne de la grandeur d'un Jupiter.

:
Cette virginité que de crainte pâmée
La belle à mon avis ne croit pas entamée,
Ou que, feinte agréable elle veut ignorer
260
Qu'à l'effort insensible elle veut référer :
Mon désir tant y a satisfait mettra peine
Que son séjour ici de scandale n'amène,
Seulette là-dedans recluse avec ses pleurs
Qui ne guérissent plus de pareilles douleurs,
265
Je sors pour consulter ma brigade fidèle
Sur ce que maintenant nous devons faire d'elle
Change d'opinion, réserve plus discret
Les faveurs à toi seul d'un amoureux secret,
Tu irrites le Ciel plus qu'à ta violence
270
De n'ensevelir point la chose sous silence,
De ne lui réparer, trop cruel ennemi,
La perte en te taisant de l'honneur à demi,
Ne dire informé d'eux qu'un dehors dessur l'heure
Que les cris innocents d'une vierge qui pleure
275
Te la firent lâcher entière, joint qu'aussi
La peur de l'avenir te tenait en souci :
Reste que sa sortie importante ne puisse
Discerner ne logis après par nul indice ;
Chose plus que facile, un bandeau sur ses yeux
280
Mille tours et détours refaits en divers lieux,
FuitifN
X
Nota del editor

Fuitif : La graphie originale, est gardé par les trois éditeurs modernes, tenant compte du nombre de syllabes.

je lui lairraiN
X
Nota del editor

Lairrai : Provenant en toute probabilité du linquere ou laxare, forme ancienne du verbe laisser.

chercher son aventure
Allons donc y pourvoir : et au cas qu'elle endure
Une dernière fois en son sein moissonner
Ce qui ne peut redit que me passionner.

LÉOCADIE.
285
Où suis-je ? quel enfer de honteuse misère
Aux ceps du désespoir m'attache prisonnière ?
Que ne me ravis-tu la vie après l'honneur
Infâme scélérat envieux de mon heur ?
Si ravir néanmoins tu réputes possible
290
Quelque contentement d'une souche insensible,
Parle, répond perfide exécrable, où es-tu ?
Mais ou le rouge éclat de ce foudre tortuN
X
Nota del editor

Tortu : « Tortu, ûe. adj. Qui n'est pas droite : Cet homme est tout tortu. Il a les pieds tortus, les jambes tortûes. Pièce de bois tortûe. Chemin tortu. = Fig. st. famil. Avoir l'esprit tortu ; faire des raisonnements tortus » (Féraud : Dictionnaire critique de la langue française).

Qui frappe des rochers les innocentes cimes
En connivantN
X
Nota del editor

Conniver : « v. n. Négliger de punir les fautes de ceux qui nous avons l'inspection, l'autorité, ou les souffrir & ne faire pas semblant de les voir » (Furetière : Dictionnaire universel).

pardonne à l'horreur de tels crimes
295
Cas étrange mes mains ne rencontrent que l'air.
Et bien que parmi l'ombre on entende plus clair
Aucun bruit ne parvient à l'oreille tendue
Comme dans un dédale égarée et perdue
Tâchons à remarquer la chambre ou retenir
300
Un signal au voleur funeste à l'avenir,
Le moyen ? tout fermé les rayons de la Lune
Ne trouvent d'ouverture à leur lumière brune,
Ce lit en broderie et ces riches tapis
Présagent que le sort ne me peut faire pis,
305
Qu'un superbe appuyé sur sa riche famille
Mon précieux trésor impunément me pille.
Courage ne sais quoi se rencontre à la main
Que gage malheureux je serrerai soudain
La porte ouverte craque.

ALPHONSE.
Or sus, or sus mauvaise
310
Veux tu pas derechef que ma flamme j'apaise ?

LÉOCADIE.
N'attente déloyal et ne t'ingère pas
D'exposer ma pudeur à un second trépas,
Le passé te suffise envers moi de la sorte,
Que ces songes menteurs que le jour nous emporte,
315
Puis que la volonté purifiant ce corps
N'a consenti barbare à tes sales efforts.
Que tu n'as que joui d'une roche glacée ;
Mais la vigueur chez moi maintenant replacée,
D'ongles, de poings, de dents je défigurerai
320
Ta monstrueuse face, et ne l'endurerai,
Fais mieux, aveugle moi d'un bandeau le visage,
Si la punition tu crains d'un tel outrage.
Quelque part ramenée en la ville où soudain
Tu me disparaitras comme un fantôme vain,
325
Où l'adresse trouvant du logis de mon père
L'aille lui découvrir ta pointureN
X
Nota del editor

Pointure : « Piqûre » (Dictionnaire du Moyen Français).

, ô vipère.

ALPHONSE.
Tu n'en seras dédite, or sus prête la main,
Que par l'obscurité je te mette au chemin.

SCÈNE II

Pizare, Estéfanie, Léocadie

PIZARE.
Veuf de l'unique appui de ma faible vieillesse,
330
accablé de malheurs, d'ennuis, et de tristesse.
Que tarde plus la parque à désourdirN
X
Nota del editor

Désourdir : « v. act. Défaire ce qui était ourdi. Il a peu d'usage. Acad. Peu usité » (Féraud : Dictionnaire critique de la langue française).

mes jours ?
Qu'un froid marbre poudreux ne m'enserre à toujours ?
Mourir sans se venger de l'injure soufferte.
Et sur qui ? ne sachant les auteurs de ta perte,
335
Qui coupe en trahison la gorge à ton honneur,
Qui ta fille ravie éclipse ainsi ton heur.
Mais une crainte hélas ! pire me désespère,
Que non content après de pareil vitupère,
Ce voleur impiteux massacre mon enfant
340
D'un licolN
X
Nota del editor

Licol : «Harnais de tête en cuir ou en corde que l'on munit d'une chaîne ou d'une longe pour attacher ou mener les chevaux, les bêtes de somme » (Centre National de Ressources textuelles et Lexicales, version 2012. UMR ATILF (CNRS-Nancy Université). Site internet: http://www.cnrtl.fr/.). "Se dit aussi de la corde qui sert à étrangler les pendus" (Furetière : Dictionnaire universel).

ou dans l'eau ne me l'aille étouffant.

ESTÉFANIE.
Ah ! que vous me tuez aux paroles tenues,
Si grandes cruautés rarement avenues
Ne la rencontreront : le Ciel son défenseur
Mollira le courroux du félon ravisseur,
345
Courroux ! à quel sujet ? cette beauté pucelle
Lancerait de pitié une vive étincelle
Dans l'âme des rochers, des tigres, des lions,
Les plus cruels vainqueurs lorsque nous supplions
Pardonnent maintes fois et n'ont pas le courage
350
D'opprimer le chétif que la fortune outrage.

PIZARE.
Pensez que la frayeur du supplice au pervers
A de mille innocents les Sépulcres ouverts.

ESTÉFANIE.
Il se peut faire aussi que l'heureux hyménée
Réparerait l'excès d'une ardeur forcenée...

PIZARE.
355
Que ma fille épousât un corsaire effronté ?
Jamais, jamais, au moins avec ma volonté...

ESTÉFANIE.
Las ! hélas incertains seulement de sa vie.
Vous disposez d'un gendre au gré de votre envie.

PIZARE.
Cela n'augmente pas ne décroît son malheur.

ESTÉFANIE.
360
Et qui aurait encor nouvelle du voleur ?

PIZARE.
Attendons-la du Ciel qui la garde certaine,
Toute recherche ailleurs est dommageable et vaine.

ESTÉFANIE.
Pourquoi ?

PIZARE.
Nous divulguer du rapt déshonorés
Est mettre le cautère à des maux déplorés,

ESTÉFANIE.
365
Oui certes.

PIZARE.
Au surplus l'enquête précipite
Contre elle du brigand arme la main dépite
De son salut victime et de son désespoir.

ESTÉFANIE.
Recommencez mes yeux maintenant à pleuvoir,
Non l'humeur du cerveau qui manque à vos fontaines,
370
Mais le sang épuisé qui coule dans mes veines
L'âme triste exhalée en ces bouillons fumeux,
En ces rouges bouillons de colère écumeux
Contre un destin cruel qui ne nous saurait dire
En telle occasion le sujet de son ire.

PIZARE.
375
Tout beau ! possible hélas qu'elle porte le faix
Déplorable en cela de nos propres forfaits.
Ou que du Tout-Puissant la haute prescience
S'en veut servir de preuve à notre patience,
Épreuve salutaire à tous les gens de bien
380
Qui sous sa main rangez ne murmurent de rien.

ESTÉFANIE.
Si elle avait payé le tribut à nature,
Du ventre maternel mise en la sépulture,
Éteinte d'une chute ou d'un embrasement ?
Sa perte passerait chez moi plus doucement ;
385
Mais, crève-cœur ! après que pudique élevée
Cette plante d'honneur on avait cultivée
Sur le point de fleurir, sur le point de germer
Maints beaux neveux, qu'eût fait la vertu renommer,
Un hiver la surprend, un hiver la dévore,
390
Un Pâris à nos yeux ravie la déflore.
Désastre incomparable ! excessive douleur !
Ah ! bon Dieu la voici, qui surcroît de malheur,
S'arrache les cheveux, se déchire la face,
Signe trop apparent d'une horrible disgrâce.

LÉOCADIE.
395
Pendante à vos genoux mon refuge dernier,
Le naufrage encouru ne se saurait nier,
On lit dessur ce front l'infortune passée
En ma pudicité naguère trépassée,
Fille indigne de vous, fille indigne du jour,
400
Veuillez donc expier mon crime a mon retour.
Ô expiation frivole, mal élue,
Offrir en sacrifice une hostie pollueN
X
Nota del editor

Pollue : « Participe passé de polluer. v. act. : Profaner un lieu saint » (Furetière : Dictionnaire universel).

Ne vous peut apaiser, et je ne croirai pas
L'offense réparer souffrant mille trépas.

PIZARE.
405
Lève-toi mon souci, chaste quant au courage,
Tu n'as de ce mâtinN
X
Nota del editor

Mâtin : « Figurément & proverbialement, en parlant d'un grand homme de belle apparence, mais de peu d'effet, on dit, que C'est un beau mâtin, s'il voulait mordre » (Dictionnaire de l'Académie, 4ème édition). Dans le même dictionnaire on trouve aussi le sens contraire auquel fait référence Pizare : « Mâtin est aussi un terme d'injure, qui se dit d'un homme mal-fait, mal-bâti. Voyez ce gros mâtin. C'est un laid mâtin, un vilain mâtin. Il est populaire ».

que redouter la rage,
Elle ne ternit point la blancheur de ton los,
Réprime ce torrent, réprime ces sanglots.
« Quiconque le péché n'approuve dedans l'âme,
410
Ne se charge non plus de peine que de blâme »,
Autrement il nous est le plus à reprocher
Qui présents et voyants n'avons pu l'empêcher.

LÉOCADIE.
Le sort de ce méchef tombé sur moi chétiveN
X
Nota del editor

Chétive : « Chétif, ive, adj. Qui est de peu de valeur, qui se dit des personnes, & des choses » (Furetière : Dictionnaire universel).

,
Monstre que désormais ne faut plus que je vive.

ESTÉFANIE.
415
Le sort de ce méchef afflige également.

LÉOCADIE.
Son douloureux effet m'afflige seulement.

PIZARE.
Malgré ce ravisseur tu demeures entière.

LÉOCADIE.
Qui plus que moi croyable en pareille matière ?

ESTÉFANIE.
Coupable tu n'avais besoin de revenir,
420
Voici le propre bras qui te voudrait punir.

LÉOCADIE.
Mon forfait déféréN
X
Nota del editor

Déféré : « Déférer. v. tr. Porter, traduire devant une juridiction, en parlant des personnes et des choses. Accuser secrètement, dénoncer » (Gaston Cayrou : Dictionnaire du français classique).

qui se touche palpable,
Vous ne pouvez m'absoudre et moins croire incoupableN
X
Nota del editor

Incoupable : « Non coupable, innocent » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

.

PIZARE.
Tu offenseras plus à t'obstiner ainsi
Qu'a l'effort enduré d'un brigand sans merci.

LÉOCADIE.
425
Hélas ! le désespoir m'extravague, insensée
Qui parle à l'aventure et outre la pensée.

ESTÉFANIE.
Quel bon hasard encor te sauve de leurs mains ?

LÉOCADIE.
Un seul qui m'emporta le pire des humains
En sa chambre la nuit prisonnière tenue,
430
De l'Aurore plutôt n'a senti la venue,
Que me bandant les yeux après plusieurs détours
À l'impourvuN
X
Nota del editor

À l'impourvu : « Locution adverbiale archaïque : à l'improviste, non prévu ; le prestigieux grammairien Vaugelas utilisait à l'improviste, à l'impourvu ».

laissée entre deux carrefours,
Libre adoncN
X
Nota del editor

Adonc : Terme archaïque : alors, puis.

ignorant la route de sa fuite,
Je me suis peu à peu jusqu'ici reconduite.

PIZARE.
435
Malheur ! malheur étrange ! horrible affliction !
Et où du Ciel paraît la malédiction,
N'avoir pu remarquer le logis, la personne,
N'avoir à qui se prendre ainsN
X
Nota del editor

Ains : « vx, très rare, uniquement dans la lang. littér. et par imitation de l'anc. lang. Mais » (CNRTL : Centre National de Ressources textuelles et Lexicales, version 2012. UMR ATILF) (CNRS-Nancy Université). Site internet : http ://www.cnrtl.fr/.).

qui même on soupçonne !

LÉOCADIE.
Ce repaire enrichi de meuble précieux,
440
Prouve que le voleur se fie audacieux
En sa fortune haute, opulente, assurée
De parents, de crédit, qui l'injure endurée
Peuvent sous la faveur la justice opprimer,
Or ce gage emporté le va mieux exprimer,
445
Qu'aveugle tâtonnant seule en sa chambre close,
D'aventure j'ai pris à faute d'autre chose.

PIZARE.
Chef-d'œuvre buriné du preux Alcide enfant,
Deux serpents au berceau de cesN
X
Nota del editor

Ces : Graphie originale ; Scherer et Tomotani suivent la correction de Rigal : ses.

mains étouffant,
Ô Héros Immortel qui nettoyas la terre
450
De monstres, de tyrans, sainte et louable guerre,
Si tu fuis quelques fois, hé de grâce reviens
T'acquérir un renom qui passe l'ancien,
Vengeur exterminant ces monstres qui renaissent
Et de l'honneur des bons dévoré se repaissent.

ESTÉFANIE.
455
Plus on l'entretiendra sur tel fâcheux discours,
Moins sa douleur prendra et d'issue et de cours.
Entrons dedans ma fille, entrons que je te couche,
Que de ce désespoir la pointe je reboucheN
X
Nota del editor

Rebouche : « Reboucher, ou émousser un tranchant ou pointe » (Nicot : Trésor de la langue française). « Reboucher. v. n. & n. p. S'émousser. L'épée reboucha contre sa cuirasse. La pointe n'en vaut rien, elle se rebouche » (Dictionnaire de l'Académie, 1ère édition).

,
Ma consolation prise en particulier
460
Servira d'antidote à ce mal singulier.

LÉOCADIE.
Madame confinez, confinez-moi chétive
En quelque antre effroyable où le Soleil n'arrive
Où l'horreur m'accompagne, où captive à jamais
Mon infamie au jour ne sorte désormais.

PIZARE.
465
Sache que tu ne perds chez nous ta renommée
Que tu ne seras moins qu'au précédent aimée,
Mais à condition de modérer ce deuil
Qui ton père soudain jette dans le cercueil.

SCÈNE III

DomN
X
Nota del editor

Depuis l'apparition en scène de Dom Inigue, Tomotani se sert de la graphie castillane Don.

Inigue, Alphonse

DOM INIGUE.
Tu pourrais posséder les richesses d'Attale,
470
Du vieil Roy de Phrygie, ou celles de Tantale,
Noble d'extraction plus que les Minyens,
On méprise aujourd'hui la noblesse et les biens,
Si l'homme ne s'illustre en son propre mérite
Si le vif aiguillon des vertus ne l'irrite,
475
Cueillant aventureux aux pays étrangers
Le rameau de la gloire au milieu des dangers :
Car oisif consommer en délices son âge
Dessous le Ciel natal vient d'un lâche courage.
C'est comme la tortue une coque habiter
480
Qui pesamment se traîne et qu'on n'ose quitter.
C'est demeurer banni des bonnes compagnies,
Si tu n'as vu ta place entre elles tu te nies,
Chacun te montre au doigtN
X
Nota del editor

Montrer au doigt : Forme archaïque de montrer du doigt, Désigner d'un signe de l'index de la main.

par forme de mépris,
D'un tardif repentir en la vieillesse pris,
485
Que tu n'employas mieux la saison printanière,
Mon vouloir au surplus est la raison dernière,
Qui t'impose une loi de courir quelque temps
L'ItalieN
X
Nota del editor

L'Italie : Dans l’original Itale, forme du Moyen Âge pour Italie.

visitée, où les esprits contents
Goûtent diverses mœurs en diverses provinces,
490
Que des communautés gouvernent, ou des Princes.
Tu n'en vaudras que mieux, et au proche retour
Moissonnes des plaisirs infinis à ton tour,
Bienvenu, bien reçu de ta ville informée
Que tu auras ailleurs porté sa renommée
495
Une femme à choisir, vu que ma qualité
Dans Tolède partout trouve l'égalité.
Bref ce voyage fait, Alphonse présuppose
Que ta fortune après heureuse se repose.

ALPHONSE.
Monsieur assez de fois un semblable désir
500
Me transporte et me vient le courage saisir,
À moi-même odieux de ma fainéantise
Et qui - je le dirai sans aucune vantiseN
X
Nota del editor

Vantise : « Vantardise », d’après le Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500) : A. Vantardise, fait de se vanter, défaut de celui qui se vante. B. Présomption, exagération.

-
N'appréhendai jamais fatigues, ni danger,
N'estimant rien heureux au prixN
X
Nota del editor

Prix : « n m. Au pris : En comparaison. Théophile n'est rien au prix de Malherbe » (R. 80) (Gaston Cayrou : Dictionnaire du français classique).

de voyager
505
D'apprendre çà et là ce qui se passe au monde,
Qu'elle plageN
X
Nota del editor

Plage : « s. f. Se dit aussi poétiquement, pour signifier, Contrée, climat. Il n'y a point de plage si lointaine où le bruit de ses victoires n'ait pénétré » (Dictionnaire de l'Académie, 1ère édition).

en esprits, qu'elle en armes féconde,
Afin de ne rester ignare à l'avenir,
Lorsque d'un bon discours on veut s'entretenir,
Que chacun ses erreurs diversement rapporte :
510
Donc puis que le vouloir à ce dessein vous porte,
En l'exécution plus prompte gît mon mieux,
Ne faisant que languir d'un séjour ocieuxN
X
Nota del editor

Ocieux : « Disposant à la paresse » (Scherer).

.

DOM INIGUE.
L'oiseau de Jupiter en son aire n'a garde
D'éclore généreux la colombe couarde,
515
La lionne jamais de biche ne conçoit,
Le moule que sa forme empreinte ne reçoit :
Ainsi n'empruntes tu cette louable envie
De préférer l'honneur immortel à la vie.
Ainsi demeures tu le portraitN
X
Nota del editor

Portrait : « Vaugelas signale encore que plusieurs disaient pourtrait mais que cette prononciation viellissait » (Scherer).

, le flambeau
520
Qui nous venge tirés de l'oubli du tombeau,
Persiste magnanime à fouler ces délices,
Que semé la richesse amorce de tous vices.
Au surplus je te veux d'équipage pourvoir,
Et d'un train qui de moi digne te face voir,
525
Qui servent à t'enfler le cœur, or je t'avise
Qu'outre Naples, Milan, Rome, Gênes, Venise,
- Florence aussi du nombre - on n'a que plus chercher
De rare en l'Italie, ou qui puisse allécher.

ALPHONSE.
Les principales fleurs de ce parterre vues,
530
Selon l'ordre prescrit l'une après l'autre élues,
Ma curiosité se satisfait assez.

DOM INIGUE.
Des Alpes au retour les hauts monts traversez
La Gaule se présente en peuples plus féconde
Que l'Espagne beaucoup : qui semble un autre monde,
535
Peuples civilisés, conversablesN
X
Nota del editor

Conversables : « Avec qui on peut converser facilement, agréablement » (Littré : Dictionnaire de la langue française). Conversable : « adj. Ce mot signifie, avec qui l'on peut converser. Voiture s'en est servi. Il me semble qu'il n'y a plus dans le monde de personnes conversables, que celles que j'ai vues au dernier voyage que j'ai eu l'honneur de faire avec vous » (Féraud : Dictionnaire critique de la langue française).

, courtois
Qui n'ont rien d'arrogant comme nos Ibérois
Qui aiment une humeur ouverte et familière,
Non la nôtre de soi cauteleuseN
X
Nota del editor

Cauteleux : « Ruse malicieuse » (Dictionnaire médiéval français).

et altièreN
X
Nota del editor

Altière : « Cet éloge de la France n'est guère vraisemblable chez un personnage espagnol, à qui l'auteur semble se substituer » (Scherer).

.
Vois de t'accommoder selon les nations,
540
Et de faire au besoin céder tes passions :
Ainsi jadis acquit Ulysse nom de sage,
À travers les périls se trouvant un passage.

ALPHONSE.
Vos bons enseignements en l'âme conservez
Et d'Ourse et de Zénith au voyage observez
545
Le feront prospérer sous la faveur céleste.

DOM INIGUE.
Sans elle il n'y a rien qu'encombreuxN
X
Nota del editor

Encombreux : « Encombre, ou encombrier. s. m. : Vieux mot et hors d'usage, opposé à décombre qui signifiait, obstacle, empêchement, embarras » (Furetière : Dictionnaire universel).

et moleste,
Sans elle nous n'avons ici bas qu'espérer,
Allons dessur ta suite ores délibérer.


ACTE III

SCÈNE I

Estéfanie, Léocadie

ESTÉFANIE.
Te veux tu distiller en larmes continues
550
Qui ne révoqueront les choses avenues ?
Qui me fendent le cœur d'une tendre pitié,
Je n'ay plus de pouvoir ou toi plus d'amitié,
Puisque raisons, conseil, remontrances, prière,
Ne répriment encor leur humide carrière :
555
Que tu te plais rebelle à soupirer toujours
Afin que tels soupirs précipitent mes jours,
Pardonne à ta douleur ma fille qui présente
De ces plaintes avait excuse suffisante.
Mais le temps médecin de nos calamités
560
Ne permet recourir à ces extrémités,
Nul pire traitement chez nous ne te moleste,
On dirait néanmoins que l'appareil funeste
Ainsi que condamnée au supplice t'attend,
Soupireuse toujours, l'œil sans fin dégouttant.

LÉOCADIE.
565
Ces soupirs et ces pleurs, pénitence légère,
N'égalent un reflux de nouvelle misère.

ESTÉFANIE.
Quel reflux ? et ou pris ? parlons avec raison,
N'ayant depuis ce coup sorti de la maison.

LÉOCADIE.
Le malheur a chez moi ses portes inconnues,
570
Ouvertes quand il veut à toute heure tenues.

ESTÉFANIE.
L'effort du scélérat possible.

LÉOCADIE.
Traître effort,
Qui donne à mon honneur une seconde mort.

ESTÉFANIE.
Soit que ce soitN
X
Nota del editor

Soit que ce soit : « Quoi qu'il en soit ».

, mon heur tu ne me le dois taire,
De tes infirmités fidèle secrétaire.

LÉOCADIE.
575
Ma turpitude énorme assez tôt paraîtra,
Et d'un objet honteux son remords accroîtra.

ESTÉFANIE.
Pourquoi ? si ce ne sont qu'effets de la nature
Comme lors qu'on se sent élargir la ceinture.

LÉOCADIE.
Oh Terre ! Oh Terre, mère, entrouvre ton giron
580
Et me plonge au plus creux des gouffres d'Achéron.

ESTÉFANIE.
Te préserve le Ciel de pire maladie.

LÉOCADIE.
Pire ?

ESTÉFANIE.
Oui, le silence à cela remédie.

LÉOCADIE.
Le silence éternel mon remède certain
Porte sa guérison, mais je l'implore en vain.

ESTÉFANIE.
585
Eh bien c'est un enfant que le hasard nous donne.

LÉOCADIE.
Mais un cruel fléau qui d'horreur m'environne.

ESTÉFANIE.
Fais la désespérée autant que tu voudras
Je le désire nu tenir entre mes bras.

LÉOCADIE.
Je désire aussi voir la race de vipère,
590
Sous mes pieds écrasée, en vengeance du père !

ESTÉFANIE.
Tu ne me saurais pas d'avantage fâcher
Que semblables propos indiscrète lâcher.

LÉOCADIE.
Vous voulez que j'approuve, et que je fasse compte
Du triste monument qui s'érige à ma honte.

ESTÉFANIE.
595
La nature t'oblige en sa première loi,
D'aimer un fruit vivant qui sortira de toi.

LÉOCADIE.
Fruit dont l'arbre mérite une flamme allumée.

ESTÉFANIE.
Mais tel fruit de ton sang créature formée.
Aimable en l'innocence, ignorant qui l'a fait,
600
Bref sa cause produit mauvaise un bon effet.

LÉOCADIE.
Un bon qui de ma fleur virginale me prive ?

ESTÉFANIE.
Oui bon puis que des cieux le chef-d'œuvre en dérive.

LÉOCADIE.
On aurait beauN
X
Nota del editor

On aurait beau : La locution concessive avoir beau est traduite en espagnol par les tours por más que, por muy, por mucho : J'ai beau dire et beau faire, on ne me croit plus = Por más que diga o que haga, ya no me creen.

flatter ma poignante douleur
Beau donner à mon crime une sombre couleur,
605
Le Soleil qu'odieux ne me saurait plus luire,
L'air polluN
X
Nota del editor

Pollu : « Pollué » (Tomotani).

de ce rapt mon désastre soupire,
La terre qu'à regret ne supporte mes pas,
Ma vie est une suite horrible de trépas,
Un enfer de langueurs, une prison cruelle
610
Qui ne me tiendra plus guère de temps chez elle.

ESTÉFANIE.
Apaise mon souci tes regrets violents,
Nous ne sommes pas moins du désastre dolents
Toutefois avenu sa nécessité dure
Veut que sans rafraîchir tel ulcère, on l'endure,
615
Tu crains que ta grossesse apporte un mauvais bruit,
Épouvantable éclair que ce tonnerre suit ;
Mais ma fille on saura prévenir ce diffame
Je ne veux employer que moi de sage femme,
Que moi qui te délivre outre l'affection
620
Instruite à ce métier jusqu'en perfection.
Cela vaut faitN
X
Nota del editor

Cela vaut fait : « Pour dire, qu'une chose est presque achevée » (Furetière : Dictionnaire universel).

, après la maternelle cure
Une nourrice aux champs discrète te procure,
Qui sous nom supposé ta race élèvera
Et le los précèdent chaste conservera :
625
Mais octroie remise une trêve à ces plaintes,
À ces profonds sanglots, à ces larmes épreintesN
X
Nota del editor

Épreintes : « Répandre » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

,
Et ne meN
X
Nota del editor

Me : Datif éthique ou d'intérêt : pronoms explétifs apportant à l'interlocuteur. L'emploi explétif des pronoms de la 1re et de la 2e personne est utilisé dans le but de donner à la phrase une allure plus vivante ou plus familière.

pense plus furieuse meN
X
Nota del editor

Me : Datif éthique ou d'intérêt : pronoms explétifs apportant à l'interlocuteur. L'emploi explétif des pronoms de la 1re et de la 2e personne est utilisé dans le but de donner à la phrase une allure plus vivante ou plus familière.

urtrir,
Plus les fleurs de ce teint en la sorte flétrir,
À peine d'éprouverN
X
Nota del editor

À peine d'éprouver : « Sur peine de, À peine de, châtiment, souci, inquiétude embarras, difficulté » (Gaston Cayrou : Dictionnaire du français classique. La langue du XVIIe siècle).

ma haine méritée,
630
De ne voir désormais ta mère qu'irritée,
Ains de précipiter parricide, en ce deuil
Qui n'est plus de saison, sa vieillesse au cercueil.

LÉOCADIE.
Madame pardonnez ce qu'une âme confuse
Profère en désespoir deN
X
Nota del editor

Profère en désespoir de : Dans l'édition originale : ... en désespoir que ; tous les autres éditeurs (Stengel, Herbert, Scherer, Tomotani) préfèrent de.

la raison percluse,
635
Pardonnez aux regrets que ma pudicité
Immole sur sa tombe en telle adversité,
Quiconque les pourra modérer dessur l'heure
De l'outrage enduré consentante demeure,
Insensible à l'honneur que vous m'avez toujours
640
Enseigné préférable a la suite des jours,
Or plutôt que commettre une impieuseN
X
Nota del editor

Impieuse : « Impie » (Scherer).

offense,
Que ne les reprouver selon votre défense.
Ma force entreprendra sur elle, et mes ennuis
Au jour ne seront plus remarquables produits,
645
Je les dévorerai : leur aigreur adoucie
Avec votre bonté qui de moi se soucie.

ESTÉFANIE.
Courage cher espoir, les maux plus déplorés
Obtiennent maintes fois sous les cieux implorés
Une agréable issue, une fin plus heureuse,
650
Que n'en fut l'origine horrible et funéreuseN
X
Nota del editor

Funéreuse : « Funeste, fatal » (Scherer).

,
Combien estimes-tu devoir encor aller ?

LÉOCADIE.
Hélas je sens un faix douloureux dévaler
Qui presse sa sortie et d'épreintesN
X
Nota del editor

Épreintes : « Pressions » (Scherer). « Pression, serrement » (Tomotani).

cruelles
Me travaille le corps jusques dans les moelles,
655
Et neuf lunes tantôts s'accomplissent depuis
Qu'en ce piteux état langoureuse je suis.

ESTÉFANIE.
Patience mon heur, espère après la pluie
Un sereinN
X
Nota del editor

Serein : « Visage, front, serein, qui annonce une grande tranquillité d'esprit. —On dit aussi, figurément, esprit serein » (Féraud : Dictionnaire critique de la langue française).

gracieux qui tes larmes essuie,
À ce mal violent succédera le bien
660
Sur ma parole crois que ce ne sera rien.

SCÈNE II

Dom Inigue, Francisque

DOM INIGUE.
Le coursier généreux quoique qu'abattu de l'âge,
Quand la trompette bruit relève son courage :
Le Prince naturel des hôtes bocagers,
Jusques dans le tombeau néglige les dangers,
665
Sitôt que l'aiguillon de la faim le tourmente,
Que l'importun veneur son désespoir augmente,
Et qu'il entend beugler par les prés au printemps
Des taureaux orgueilleux pour l'amour combattants :
Ainsi le cours sur moi révolu des années,
670
Au nombre glorieux des palmes moissonnées,
N'empêche que le cœur dedans ce sein vieillard
Au bruit comme jadis ne tressaute gaillard,
De ces jeux martiaux fréquents à la noblesse.
Jeux qui font à l'envi paraître son adresse,
675
D'une bague courue avec dextérité
Le prix de la carrière au combat mérité,
Athlète indiffèrent, duitN
X
Nota del editor

Duit : « Participe passé de duire : empl. trans. "Instruire, éduquer qqn. ». (Dictionnaire du Moyen Français 1330-1500).

à tels exercices,
Ils ne me tiennent lieu que de chères délices.
Plus vigoureux d'effort, l'épreuve en fera foi,
680
Qu'un tas d'efféminés enfants au pris de moi :
S'offre s'offre qui veut à la masseN
X
Nota del editor

Masse : « Massue. s. f. Baston plus gros par un bout & fort pesant, propre à assommer. La massue d'Hercule. Il le tua d'un coup de massue » (Dictionnaire de l'Académie française, 1ère édition).

, à la lance,
Ce bras réprimera sa brusque violence
Tenant ou assaillant : mais on vient m'avertir
Le tournoi préparé qu'il est temps de partir.

FRANCISQUE.
685
Monseigneur la barrière ouverte vous demande,
Où d'un monde guerrier la foule se débandeN
X
Nota del editor

Débande : « Débander : On le dit d'une troupe de gens de guerre qui se sépare du gros de l'Armée confusément & sans ordre. Les soldats se débandèrent pour aller piller » (Dictionnaire de Trévoux).

,
Par scadronsN
X
Nota del editor

Scadrons : escadron. « On disait au siècle passé squadron pour escadron » (Furetière : Dictionnaire universel).

arrangés, superbes d'appareil
Que le bruit des clairons anime, tout pareil,
À celui de deux camps opposez en bataille,
690
La fleur des citoyens qui borde la muraille
Au spectacle accourus et plus qu'onc ébahis
Désirent voir en vous l'ornement du pays,
Tant qu'ils l'ont envoyé prier en diligence
Venir à celle fin que l'ébat se commence.

DOM INIGUE.
695
Ma lance, mon cheval, et mon épée aussi,
Vite holà dedans, hé suis-je encor ici ?
Rentrons, toi va tirer mon barbe de l'étable
Au regard de la bague avantage notable,
Après, que l'on m'amène en bride le coursier,
700
Plus qu'oncques Bucéphale et adroit et guerrier :
Sans doute qu'avec eux une double couronne
Avant que retourner tout le front m'environne

SCÈNE IIIN
X
Nota del editor

SCÈNE III : « Cette scène en Italie est entièrement inventée par Hardy » (Tomotani).

Alphonse, Fernande, Rodéric

ALPHONSE.
Ô que la volupté sorcière de nos sens,
Circé qui les transforme en lions rugissants
705
Produit de peu de joie une longue tristesse,
Combien il fait mauvais la recevoir hôtesse,
Ceux qui l'auront logée assurés au partir
D'un salaire fatal et honteux repentir,
Assurés de nourrir dans l'âme becquetée
710
L'aigle perpétuel du hardi Prométhée,
Depuis que sa fureur brutale en cruauté
Au rapt m'émancipaN
X
Nota del editor

S'émanciper : « v. act. signifie aussi prendre un peu trop de liberté en quelque chose que ce soit » (Furetière : Dictionnaire universel).

d'une chaste beauté,
Ne saitN
X
Nota del editor

Ne sait : Hardy se sert avec fréquence de l'ellipse du pronom sujet.

quel aiguillon maniaque me reste
Peu s'en faut compagnon du parricide Oreste,
715
Qui pense chaque jour ceste vierge revoir
Les cieux à ma ruine et l'enfer émouvoir,
Horrible en cris piteux plomberN
X
Nota del editor

Plomber : « Frapper, meurtrir. ―[Les Troyens] Ayant la mort dans le sein... » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle). Edmond Huguet cite en tant qu'exemple le suivant poème de Ronsard, dans lequel il se moque d'un certain type de poètes, 'mâche-lauriers' (Amours. Chanson, 1.227d) :
D’un gosier mâche-laurier
     J’ois crier
Dans Lycophron ma Cassandre,
Qui prophétise aux Troyens
     Les moyens
Qui les réduiront en cendre.
 
Mais ces pauvres obstinez
     Destinés
Pour ne croire à leur Sibylle,
Virent, bien que tard, après
     Les feux Grecs
Forcener parmi leur ville.
 
Ayant la mort dans le sein,
     De la main
Plombaient leur poitrine nue,
Et tordant leurs cheveux gris,
     De longs cris
Pleuraient qu’ils ne l’avaient crue.
 
Mais leurs cris n’eurent pouvoir
     D’émouvoir
Les Grecs si chargez de proie,
Qu’ils ne laissèrent sinon
     Que le nom
De ce qui fut jadis Troie.
 
Ainsi pour ne croire pas,
     Quand tu m’as
Prédit ma peine future,
Et que je n’aurais en don,
     Pour guerdon
De t’aimer, que la mort dure,
 
Un grand brasier sans repos,
     Et mes os,
Et mes nerfs, et mon cœur brûle :
Et pour t’amour j’ai reçue
     Plus de feu,
Que ne fit Troie incrédule.

son sein d'ivoire
S'arracher les cheveux, sacrilège notoire,
Oh damnable surprise ! ô pauvre fille hélas !
720
Qu'un inique destin te jeta dans nos lacs,
Qu'un inique destin forclôtN
X
Nota del editor

Forclôt : « Forclore, verb. act. Exclure. Il n'est en usage qu'au Palais, où il signifie, Exclure de faire quelque acte, quelque production en Justice, parce que le temps préfix en est passé. Il s'est laissé forclore. Il a été forclos. Il n'est guère d'usage qu'à l'infinitif et au participe » (Dictionnaire de l'Académie, 5ème édition).

mon maléfice
De te pouvoir offrir la vie en sacrifice,
Te pouvoir amender l'abominable excès
Qui me donna chez toiN
X
Nota del editor

Chez toi : « Chez toi ne fait pas référence à ta maison, mais à ton corps » (Tomotani).

cet illicite accès :
725
Ah ! quel trouble importun m'assaut la conscience,
Et demi furieux l'emplit d'impatience,
Sitôt que le penser passe en ce souvenir,
Mais aperçois-je pas mes complices venir,
Complices de l'erreur amoureuse commise,
730
Ains image à mes yeux de l'offense remise.

FERNANDE.
Sur quoi ruminez-vous solitaire à l'écart ?

ALPHONSE.
Sur chose qui jamais de là-dedans ne part.

FERNANDE.
Je confesse avoir tort, l'indiscrète demande
Méritant ce refus de légitime amende.

ALPHONSE.
735
Rien moins : une amitié stable par tout ailleurs,
Vous voudrait obliger en des sujets meilleurs,

RODÉRIC.
Parlons parlons plutôt d'un Ciel qui ne me semble
Étrange nullement, ayant à vivre ensemble.

ALPHONSE.
Patriotes, voisins, frères d'affection,
740
Et qui de même sort fîmes élection,
Un siècle passerait, non pas en l'Italie
Mais chez l'Alarbe fier, chez ceux de Gétulie,
Que je m'estimerai dans l’Espagne toujours
Tant que pareille erreur entretiendra son cours.

FERNANDE.
745
Les choses de ce monde ont certaine mesure
Qu'un journalier usage apprend de la nature :
Ainsi parfois le cerf éloignera son fort,
Et parfois le poisson s'égaye sur le bord.
CurieuxN
X
Nota del editor

Curieux : « Curieux, euse, adj. Qui est désireux de voir et de savoir. Je suis curieux de voir la fin de cette affaire » (Littré : Dictionnaire de la langue française).

néanmoins de regagner leur gîte
750
Au premier accident d'une course plus vite.
Nous guidés du flambeau divin de la raison,
Ce voyage accompli en sa propre saison,
Rassasiés de voir, de courreN
X
Nota del editor

Courre : « Forme ancienne du verbe courir » (Tomotani).

la fortune
Sur le sein de Cybèle, et du moite Neptune,
755
Notre Ithaque natale aux labeurs entrepris,
Posons également et de borne et de prix.

ALPHONSE.
N'imaginez aussi ma frénétique envie
Du Numide choisir la vagabonde vie,
Ou du Scythe qui n'a ses lares arrêtés
760
Que ces pâtisN
X
Nota del editor

Pâtis : « Le lieu où l'on met paître des bestiaux. Mettre des moutons, des vaches dans le pâtis, dans un pâtis. Le pâturage diffère du Pâtis, en ce que pâturage indique quelque chose de meilleur que Pâtis » (Dictionnaire de l'Académie, 4ème édition).

qu'encore le bétail n'a broutés,
Qui traîne dans un char sa famille chétive,
Et de l'heur des mortels plus aimable se prive,
Du repos dont jouit l'homme sur ses vieux ans
Vénérable au milieu d’une troupe d'enfants,
765
Qui rend à son pays la lumière prêtée,
Sa mémoire immortelle entre tous regrettée :
Félicité qui doit acquise ne tenir
Place entre nos discours, non même au souvenir.

RODÉRIC.
Telle sollicitudeN
X
Nota del editor

Sollicitude : « s. f. Souci, soin inquiet ou affectueux. Ce mot est très-bon, et se dit avec grâce, dit l'Auteur des Réflexions : Les Fidèles doivent vivre sans sollicitude pour les choses de la terre. Les sollicitudes du siècle. La sollicitude pastorale ; la sollicitude des Églises. C'est presque tout l'emploi de ce mot » (Féraud : Dictionnaire critique de la langue française).

à l'âge réservée,
770
Je crois que hors des flots en sa coque élevée,
Venus première vit le rivage latin,
Où Amour du depuis règne par un destin,
Où le nombre infini de tant de belles dames,
Nous éblouit les yeux, et captive les âmes.
775
Tout autres d'entretien, de caresses, d'appas,
Qu'au séjour naturel nous ne les auronsN
X
Nota del editor

Avons : Scherer donne aurons, d'après Tomotani sémantiquement plus satisfaisant ; nonobstant, celui-ci conserve l'orthographe de l'original.

pas.

ALPHONSE.
Chacun suit son génie, et la mortelle race
Diffère de pensers quasi comme de face,
L'artifice excessif de celles qu'estimez
780
Amortit à l'abord mes feux plus enflammés :
Une simplicité naïvement rustique,
À tel jeu mille fois d'avantage me pique :
Des discours recherchés qui n'expriment le cœur,
Des louanges que donne un langage moqueur,
785
Des baisers sublimés qui ampoulentN
X
Nota del editor

Ampoulent : « Ampouler = Gonfler » (Dictionnaire Huguet).

les lèvres
Des gestes contrefaits, des impudences mièvres
Quelques luths mal d'accord et dignes de la voix
Me figurent ici les filles d'Achélois,
Belles à l'œil charmé, que leur cauteN
X
Nota del editor

Caute: Scherer : « Caut: rusé. Il procède du latin cautus (avec précaution, prudemment) » (Félix Gaffiot : Dictionnaire latin français).

malice
790
Ne dompte la fuyant à l'exemple d'Ulysse.

FERNANDE.
RéformationN
X
Nota del editor

Réformation : « Réformation, s. f. Rétablissement dans l'ancienne forme, ou dans une meilleure forme. La réformation des mœurs. La réformation de la discipline. La réformation de la Justice. La réformation des Finances. La réformation de la Coutume. La réformation du Calendrier. Réformation générale dans tous les Ordres d'un État. La réformation d'un Ordre Religieux. La réformation d'un Monastère » (Dictionnaire de l'Académie française, 4ème édition).

grande et crue en peu de temps.

ALPHONSE.
Divers âge produit, divers nos passetemps,
L'oisiveté jadis, maquerelle subtile
Entre les voluptés tint esclave un Achille,
795
Lui faisant manier l'aiguille et le fuseau,
Et pour plaire à sa dame ouvragerN
X
Nota del editor

Ouvrager : « Quand les damoiselles font leur ouvrage sur toile, Acupingere, Ronsard » (Jean Nicot : Trésor de la langue française, 1606).

du réseauN
X
Nota del editor

Réseau : « s. m. Petit rets. Tendre un réseau. Mettre des réseaux à l'entrée du terrier, pour prendre des lapins » (Dictionnaire de l'Académie française, 4ème édition).

,
Que néanmoins après un tourbillon de gloire,
Emporta d'Ilion moissonner la victoire.
L'amour - vrai naturel du crocodile - fuit
800
Qui sans crainte l'affronte, et les fuyants poursuit.

RODÉRIC.
L'amour moque vainqueur nos menaces frivoles
Sachant combien l'effet diffère des paroles,

ALPHONSE.
Le négliger du tout surpasserait l'humain,
Mais hôte, il ne le faut garder au lendemain :
805
Le plus ferme lutteur quelque peu se renverse,
Ainsi ne dis-je pas qu'encor à la traverseN
X
Nota del editor

À la traverse : « Loc. adv. D'une façon inopinée et gênante » (Petit Littré. Dictionnaire de la langue française, abrégé du Dictionnaire de Littré, 1959).

...

FERNANDE.
Tel que quand cette Europe assez proche du bord
À sa fleur virginale eut un fatal effort.

ALPHONSE.
Ne me remémorez un acte tyrannique,
810
Un acte dessur tous, abominable, inique,
Plein de honte, de blâme, et qui remis aux yeux,
M'allume épouvanté des flambeaux furieux :
Mais quoi ne point faillir, passe notre puissance,
Seule perfection de la divine essence ?
815
Or l'heure du manège approche à mon avis,
Qui ne nous permet plus prolonger ce devis,
Allons de compagnie.

RODÉRIC.
Allons, tel exercice
Tient l'avantage ici de sa terre nourrice,
Et semble que l'on dût l'Italie premierN
X
Nota del editor

Premier : « Honorer. — Macrobe a dit Pitagore premier de ce inventeur, Pline en veux premier par prééminence, Amphion, roy de Thebes » Jean Bouchet, Ep. mor. 13. (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

820
Du losN
X
Nota del editor

Los : « s. m. Vieux mot qui signifie, Louange, & qui n'est plus en usage que dans le burlesque » (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

qu'acquit la gent des centaures premier.

SCÈNE IV

Ludovic, Dom Inigue

LUDOVIC.
Au secours mes amis, hé ! n'y a-t-il personne
Qui tout froissé la dextre à ce besoin me donne ?

DOM INIGUE.
Pauvre petit enfant accoleN
X
Nota del editor

Accole : « v. a. Jeter les bras au cou de quelqu'un en signe d'affection. Il me vint accoler. Ils s'accolèrent avec grande amitié » (Dictionnaire de l'Académie française, 4ème édition).

, embrasse moi,
Ta gentillesse veut qu'on ait pitié de toi,
825
À qui appartiens-tu mon mignard ?

LUDOVIC.
À ma mère.

DOM INIGUE.
Tu as raison, toujours la certitude entière
Provient de ce côté, quand à l'extraction,
La femelle peut plus en pareille action,
Tu es donc orphelin ?

LUDOVIC.
Je le suis de naissance.

DOM INIGUE.
830
Repartie qui sent une pure innocence,
Et le nom de ta mère ?

LUDOVIC.
Elle ne me l'a dit
Hélas ! hélas bon Dieu la chute m'étourdit
Monsieur envoyez la quérir soudain de grâce.

DOM INIGUE.
Ce portrait animé représente ma race,
835
Voilà les yeux, le front, et la bouche et le nez,
Qu'aucun peintre n'aurait mieux proportionnés :
Voilà le propre accent de mon fils à tel âge,
Le cœur ému conçoit un horrible présage,
Un instinct familier à la force du sang
840
Ne souffre que d'étrange il me tienne le rang :
Enseignerais-tu bien où demeure ta mère ?

LUDOVIC.
Au bout de cette rue, en la maison dernière,
Ne faut que le seigneur Pizare demander.

DOM INIGUE.
C'est l'esprit du commun des enfants excéder.
845
Or sus mon petit cœur ne te chailleN
X
Nota del editor

Ne te chaille : Tournure impersonnelle au mode subjonctif de l'ancien verbe défectif chaloir.

, courage
Dieu qui veut que ma main te sauve de l'orage
Un père te suscite, un père au lieu du tien,
Chez qui tant que guéri tu ne manques de rien,
Seras-tu pas mon fils ?

LUDOVIC.
Oui, pourvu qu'on amène
850
Ma mère qu'ores absent je pourrais mettre en peine.

DOM INIGUE.
Admirable prudence : oui oui, tu la vas voir,
Et meilleur traitement que d'elle recevoir.


ACTE IV

SCÈNE I

Léocadie, Francisque

LÉOCADIE.
Ô piteuse nouvelle, ô funèbre journée,
Ô déplorable enfant, ô mère infortunée,
855
Ô cruauté cent fois barbare de pouvoir
Sous les pieds des chevaux une innocence voir,
Et le fouler ainsi qu'on ferait quelque fange !
Simple ne trouve pas telle aventure étrange,
Les cieux et les humains enflammés de courroux,
860
N'ont et n'eurent jamais de justice pour nous,
Comme éternel égout de leur maligne envie,
Ils veulent cher espoir en la tienne ma vie,
Soit, mourons, de ma part je ne diffère pas
D'accompagner heureuse en la tombe tes pas.

FRANCISQUE.
865
Sa blessure n'a point, et me croyez Madame,
De capable sujet qui ce deuil vous entame,
Légère, sans péril quelconque à redouter,
Qui de sa guérison puisse faire douter,
Guérison que l'aspect maternel n'effectue.

LÉOCADIE.
870
Telle facilité au contraire me tue,
OmbrageN
X
Nota del editor

Ombrage déceptif : «Ombrage: Chose vaine, apparence sans réalité ; déceptif : Trompeur » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

déceptif qui cache l'accident
De ce jeune Soleil penché vers l'Occident.

FERNANDE.
La vue fera foi de ma parole vraie.

LÉOCADIE.
En quelle part du corps a-t-il reçu la plaie ?

FRANCISQUE.
875
Un peu meurtri sans plus au visage du coup,
De sa chute.

LÉOCADIE.
Ce peu chétiveN
X
Nota del editor

Chétive : Tomotani défend que Chétive se rattache à me, c'est-à-dire Léocadie elle-même.

m'est beaucoup,
Que faut-il pour jeter dedans la sépulture
Une si délicate et faible créature ?
Hélas ! pourquoi d'ailleurs blessé légèrement,
880
Ne l'eût-on peu chez nous conduire entièrement ?
L'apparence dédit ce rapport qui pallie,
Possible prête à voir ma race ensevelie.

FRANCISQUE.
Permettez que trois mots déduisentN
X
Nota del editor

Déduisent : « Déduire, v. a : Raconter quelque fait particulier ou histoire par le menu » (Furetière : Dictionnaire universel).

la raison,
Qui retient ce blessé dedans notre maison,
885
Une extrême beauté que Monseigneur admire,
La crainte que son mal du lieu changé n'empire,
Outre qu'il ne saurait dans la ville trouver
D'amis, ou un secours de la sorte éprouver,
D'amis qui quelque jour et a heure opportune
890
Puissent mieux faire naître un bon vent de fortune,

LÉOCADIE.
L'auteur des bons desseins veuille reguerdonnerN
X
Nota del editor

Reguerdonner : « Guerdonner. v. a. Récompenser. Il est vieux » (Dictionnaire de l'Académie française, 4ème édition).

,
Sa pitié charitable et mes ennuis borner,
Et faire que l'appui d'une veuve éplorée,
Ne sente que le mal de sa chute endurée.

FRANCISQUE.
895
Fiez vous sur ma foi le parjure ignorant,
Fiez vous sur ce chef qui le pleigeN
X
Nota del editor

Qui le pleige : « Garantir, servir de garant » (Scherer).

garant,
D'une santé parfaite, et dans peu recouverte,
Or sus Madame entrez, voici la porte ouverte.

LÉOCADIE.
Un frisson me saisit, oh moteur souverain
900
Rend fléchible à ma voix ce noir présage vain.

SCÈNE II

Dom Inigue, Léocadie, Ludovic, Léonore, le chirurgien

DOM INIGUE.
Qui voudra discerner Cupidon de sa mère,
Deux goûtes comparer de l'onde marinière,
Admire l'un et l'autre aussi beaux qu'en la nuit,
D'Astres clairs et bessons la face qui reluit,
905
Trêve de pleurs Madame, une alarme impourvue,
Occupe trop chez vous l'esprit avec la vue,
Ce petit rejeton d'un tige valeureux,
Aimable me rencontre en son malheur heureux,
Qui vous le restitue au péril de la vie,
910
Aussi sain que pouvezN
X
Nota del editor

Aussi sain que pouvez : Dans le texte original le pronom sujet est omis.

en concevoir l'ennuie,
Et bien la connais-tu ?

LUDOVIC.
Ma mère.

LÉOCADIE.
Hé mon enfant.

DOM INIGUE.
Tel abord de pitié le cœur triste me fend.

LUDOVIC.
Ne vous affligez point. Dieu me fera la grâce
D'être bien tôt guéri.

LÉOCADIE.
Quel implacable Thrace,
915
Quel Busire altéré de carnage et de sang,
Ains quel monstre infernal ne t'a pu rendre franc
Des fureurs de sa rage ?

DOM INIGUE.
Une tourbe indiscrète,
Au sortir du tournoi et dessur la retraite,
Vint à le terrasser : tout aussitôt j'accours,
920
Et pris entre mes bras, son opportun recours,
Plus transi de frayeur, plus éperdu, plus blême.
Que ce pauvre petit l'apporte ici moi-même.
Où depuis certain charme attache dans ses yeux,
Les miens à l'admirer actifs et curieux.
925
Vif portrait reconnu d'un mien fils au visage.
Fils qui demeure unique appui de mon vieil âge.

LÉOCADIE.
Lui et moi ne pouvons nous revancherN
X
Nota del editor

Revancher : S'acquitter.

jamais,
De telle courtoisie : obligés désormais,
À dire qu'après Un qui le monde tempère,
930
Nous vous devons la vie ainsi que second père,
Ainsi que protecteur, que commun gardien,
Car hélas ! cher neveu ton trépas est le mien.

DOM INIGUE.
Se dire tante et mère impossible me semble,
Attendu que les deux ne s'accordent ensemble.

LÉOCADIE.
935
Issu de ma germaine à qui ce fruit naissant,
Précipita les jours dans l'Orque pâlissant,
Chérie dès le berceau, élevé sous mon aile,
Des noms indifférents d'amitié je l'appelle.

LÉONORE.
Chose ordinaire, donc sans autre émotion,
940
Pensez que ce logis à sa dévotion,
Ne le lairra manquer de moyens, d'assistance,
Mais quel nouveau sujet trouble votre constance ?
Les yeux deçà delà contournant effrayés,
Qui d'un fleuve de pleurs se débondent noyés.

LÉOCADIE.
945
Oh douloureux objet ! Oh honte récidiveN
X
Nota del editor

Récidif : « Qui revient » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

!
Labyrinthe fatal me retiens-tu captive ?

LÉONORE.
Ma fille, elle se pâme, elle change couleur,
Ce beau visage éteint d'une morne pâleur,
Dites au moins la belle où ce mal prend racine,
950
Afin que de bonne heure on vous le médecine.

LÉOCADIE.
Las ! irrémédiable aucun pouvoir humain
Non quand Apollon même y prêterait la main,
Ne donne d'allégeance à son âpre torture
Dans l'âme refaisant une telle ouverture,
955
Que font ces minéraux dessous terre couvés,
Et parmi l'air à coup en flammes élevés ?
Madame toutefois seule je vous puis dire,
Le sujet de mon deuil :

DOM INIGUE.
Que chacun se retire,
Dites, absent je fais place très volontiers,
960
Aux secrets féminins qui n'admettent de tiers,
Qui veulent que le sexe imploré se soulage,
Des remèdes instruits par la longueur de l'âge.

LÉONORE.
Libres il vous faut rompre un silence honteux,
Tout malade qui tient son médecin douteux,
965
N'a garde de guérir : et puis ma grand amie,
La plus fière poisonN
X
Nota del editor

Poison : « Au dix-septième siècle le mot poison était au féminin, de même que son étymologie, comme l'on peut voir dans Oscar Bloch et Walther Von Wartburg : Poison. Fém. comme lat. pŏtiŏ, jusqu'au début du XVIIe siècle... » (Oscar Bloch et Walther Von Wartburg : Dictionnaire étymologique de la langue française).

se dissipe vomie,
Comme font les ennuis que l’on révèle exprès,
À ceux qu'on croit pouvoir les alléger après,
Or chez vous acceptée et du nombre tenue,
970
à qui l'âme paraît en la parole nue,
À qui l'expérience apprit avec les ans,
Maints charmes naturels d'efficace puissants,
Contre la cruauté de l'aveugle fortune,
Pourquoi se rendre plus défiante importune ?
975
Ouverte déclarez quel amer souvenir,
Vous fait une douleur absente revenir.

LÉOCADIE.
Ce vergogneuxN
X
Nota del editor

Vergogneux : Dans le texte original, Stengel et Herbert Davis défendent la graphie vergongneux, graphie qui n'est pas reconnue par les lexicographes français, qui préfèrent vergogneux, euse : Terme vieilli. Qui a de la vergogne.

récit me coupe la parole
Me replonge aux fureurs d'une Thyade folle,
Osera bien ma langue un discours entamer,
980
Du naufrage encouru non point en autre mer,
Que dans le propre enclos de cette chambre sombre,
De ce repaire affreux ou m'arriva l'encombreN
X
Nota del editor

Encombre : « Malheur, chagrin » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

.

LÉONORE.
Vous vous imaginez choses qui ne sont pas,
Un lieu qu'avant ce jour n'imprimèrent vos pas
985
Coupable ne saurait me mettre en la pensée,
Qu'oncques puissiez chez lui vous prouver offensée.

LÉOCADIE.
Madame hélas je puis trop à ma volonté,
Le convaincre d'un rapt déceleur effronté,

LÉONORE.
Si est-ce que toujours au scandale fermée,
990
Notre maison se tient vierge de renommée.

LÉOCADIE.
Un outrage ignoré ne se peut empêcher,
Et ne peut que l'Auteur d'infamie tacher.

LÉONORE.
Ne me retenez plus sur la gêneN
X
Nota del editor

Gêne : « Question, torture » (Furetière : Dictionnaire universel).

étendue,
Une origine au vrai de la plainte entendue.

LÉOCADIE.
995
Las résous-toi craintive, et premier que le cours
T'engage commencé dans ce honteux discours,
Vois que la porte close aucun Argus ne puisse
Prévenir ton secret de certaine malice.

LÉONORE.
Nous y avons pourvu, ne craignez nullement,
1000
Qu'on ose du logis le penser seulement.

LÉOCADIE.
Réduite à ce destin, sachez que sept années
Depuis l'heure se sont dans leur cercle tournées,
Qu'avec mes père et mère un soir après souper,
Ainsi qu'on va les soins journaliers dissiper,
1005
Prendre son passetemps au bord de la rivière :
Surpris doncquesN
X
Nota del editor

Doncques: « conj. Donc. Et d'où doncques viendrait cette prompte sortie ? (Mol., L'Étourdi, v. 1608). N.B. : Cette conjonction n'est plus en usage sous cette forme, selon Ménage (Observ. s. l. Lang. fr. 1726) ; elle ne se présente plus que sous les formes donc et doncque, également usitées, l'une d'ailleurs étant plus de la prose, l'autre de la poésie » (Gaston Cayrou : Dictionnaire du français classique).

voici qu'une troupe meurtrière,
Environ le retour nous attaque éperdus,
Se moque de nos cris parmi l'ombre épandus,
Saisit mon géniteurN
X
Nota del editor

Géniteur : « Père » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du seizième siècle).

qui n'a plus que l'écorce,
1010
Et des bras maternels m'arrache à vive force,
Un s'entend, un des trois qui pâmée en son sein,
M'apporte jusqu'ici de l'honneur assassin,
Jouit loup ravissant affamé de luxure,
D'une souche muette insensible à l'injure.

LÉONORE.
1015
Oh prodige effroyable !

LÉOCADIE.
Écoutez ce qui suit,
La terreur du forfait le barbare poursuit,
Qui seule m'abandonne après sa violence,
Seule qu’accompagnait l'opprobre et le silence.
Désespérée, aveugle, un peu remise en moi,
1020
De cris contre le traître et d'ongles je m'armai,
Ces bras deçà delà jetés à l'aventure
Qui ne trouvant l'aspic mortel en sa pointure,
Qui hasardant mes pas où s'asseoir incertains,
Porte de tous côtés en la chambre mes mains,
1025
Non sans intention de me trouver dépiteN
X
Nota del editor

Dépite : « Dépit, ite : Affligé » (Huguet : Dictionnaire de la langue française du seizième siècle).

,
D'une fenêtre en bas quelque fin précipite.

LÉONORE.
Ô Dieu ! bon Dieu pourrai-je avoir produit au jour,
Le monstre scélérat qui vous joua ce tour ?

LÉOCADIE.
Lasse de tournoyer et ma peine frustrée,
1030
Une image d'Hercule à tâtons rencontrée
Me demeure en dépôt, chez qui la vérité,
De son Soleil éteint pareille obscurité :
Me demeure témoin qui prouve irréprochable,
Tant le lieu que l'auteur de l'acte abominable,
1035
Inconnu jusqu'ici, car hélas le moyen,
Qu'abreuvant de ma honte un peuple citoyen ?

LÉONORE.
Cessez de m'avérer un crime que j'avoue,
Indigne du cordeau, des flammes, de la roue,
Un crime qui surpasse en sa punition
1040
Ce que les plus cruels eurent d'invention,
Ce qu'aux esprits damnés décrète Rhadamante :
L'image désormais n'a rien qui la démente,
Le temps qu'on la perdit me justifie assez,
Que ce ne sont propos d'imposture avancésN
X
Nota del editor

Avancer : « Se dit figurément, en choses morales, pour dire, proposer quelque chose, la mettre en avant » (Furetière : Dictionnaire universel).

,
1045
Ô mille fois méchant, Ô lâche de courage,
N'avais-tu bouc infect, où ta brutaleN
X
Nota del editor

Brutale : Tomotani écrit, par erreur, cruelle.

rage,
Se déchargeât ailleurs à la nécessité
Que sur la tendre fleur d'une pudicité ?
Bien t'a pris qu'absenté pour l'heure ma vengeance,
1050
Ne peut exterminer telle monstrueuse engeance.

LÉOCADIE.
L'excès commis voudrait un remède plus doux,
À me guérir l'honneur que ce bouillant courroux,
Ores qu'issu de lui me reste infortunée,
Un gage précieux que donne l'hyménée,
1055
Que je ne puis haïr mon mortel ennemi,
En ce fruit qui mes maux me soulage à demi.

LÉONORE.
Tel heur qu'espéreraisN
X
Nota del editor

Qu'espérerais : Suivant la correction proposée par Rigal, Scherer et Tomotani corrigent le texte original, qu'espere ; tous les trois défendent qu'il s'agit d'un « vers faux », c'est-à-dire d'un vers qui ne s'adapte pas aux règles de la prosodie. Herbert, de son coté, transcrit le conditionnel, mais avec la forme ancienne : espereroy.

me fermerait la bouche,
Si ce petit amour sorti de votre couche,
Si ce jeune alcyon dans la tourmente éclos,
1060
Ma fille, tout sujet de plainte vous eût clos.

LÉOCADIE.
Monseigneur votre époux l'a, certain témoignage,
Connu de prime abord extrait de son lignage.

LÉONORE.
Oui plus mon œil fiché rapporte leur portraits,
Voilà le front, le nez, et beaucoup d'autres traits
1065
Qui m'allument le sang d'une amitié nouvelle,
Un seul scrupule reste et me tient en cervelleN
X
Nota del editor

Tenir en cervelle : On dit proverbialement, qu'on a mis quelqu'un en cervelle, pour dire que l'on a mis en peine, en inquiétude, quand on lui a fait espérer quelque chose dont il attend impatiemment le succès.

,
Sur ce que l'avez dit issu de votre sœur.

LÉOCADIE.
J'ai pris l'ombrageN
X
Nota del editor

L'ombrage : « Ombre, au figuré : 1°. Protection. L'ombre d'un Maître si puissant le met à couvert. Cet homme, quoique hors d'état d'agir, est une bonne ombre dans sa maison : il en impose par sa présence. Il se dit surtout adverbialement, à l'ombre d'une protection si puissante. 2°. Avec la prép. sous, Prétexte. Sous ombre d'amitié, de lui vouloir du bien. Sous ombre qu'il avait des affaires pressantes. 3°. Apparence : La Reine n'avait joui que d'une ombre de crédit. La République Romaine n'était plus que l'ombre de ce qu'elle avait été. Prendre l'ombre pour le corps, l'apparence pour la réalité. Pas l'ombre, point du tout. Il a de la vivacité, de la gentillesse dans l'esprit, mais pas l'ombre du sens commun » (Féraud : Dictionnaire critique de la langue française).

exprès qui me semblait plus sûrN
X
Nota del editor

Sûr : Stengel, Herbert Davis, Scherer et Tomotani gardent la graphie seur, les deux derniers pour la rime.

,
Afin de prévenir la recherche importune
1070
Coutumière en ce cas :

LÉONORE.
Et quant à la fortune,
De quelle extraction ?

LÉOCADIE.
Après mille témoins
Je dirai que du nom des Pizares au moins,
Ma famille ne cède à nulle autre en noblesse,
Bien qu'une pauvreté médiocre la blesse,
1075
Que plus riche d'honneurs que de biens mal acquis,
On sache la vertu son trésor plus exquis.

LÉONORE.
Réponse magnanime, oracle mémorable
Qui te rend deN
X
Nota del editor

Qui te rend de : Tomotani indique la valeur du vocable De, signifiant : quant à, pour ce qui est.

mérite aux reines préférable,
Qui montre que le Ciel a fait élection
1080
Pour s'allier chez nous, de la perfection,
Assure, assure toi que la force endurée
Te prépare et aux tiensN
X
Nota del editor

Tiens : « Tiens au pluriel, se dit substantivement pour Tes proches, tes alliés, ceux qui t'appartiennent en quelque façon, et qui te sont attachés. Tu devrais considérer les tiens, faire du bien aux tiens plutôt qu'à des étrangers » (Dictionnaire de l'Académie, 6ème édition).

un repos de durée,
Un bonheur accompli qui surpasse l'espoir,
Et possible autrement ne pouvait pas échoir,
1085
Notre unique conjoint par mariage à celle
Qu'il osa dépouiller de sa rose pucelle,
Et qu'il éprouvera plus douce désormais,
Faveur que d'obtenir de vous je me promets.

LÉOCADIE.
Trop d'inégalité, outre un mépris qu'apporte,
1090
La victoire que basse on acquit de la sorte,
Désespèrent mes vœux qui ne respirent rien,
Rien plus que parvenir à ce souverain bien.

LÉONORE.
Ma promesse tiendra sur deux bases fondée,
Que telle intention du père secondée,
1095
Du père et de l'aïeul qui - merveille des cieux -
Aime plus ce petit inconnu que ses yeux,
Qui la vérité sue et ma prière jointe,
De l'instinct naturel aiguisera la pointe,
Si bien qu'Alphonse après toujours obéissant,
1100
En piété selon l'âge se mûrissant,
N'oserait refuser parti qu'on lui propose,
Ains la fatalité que tel vouloir impose,
Suffît que je tiendrai l'œil dessur l'avenir :
Changeons propos, voici à bonne heure venir,
1105
Qui nous dira l'état du blessé.

LÉOCADIE.
Je frissonne,
De crainte d'en ouïr chose qui ne soit bonne,

LE CHIRURGIEN.
Que fait notre malade ?

LÉONORE.
Un somme doucereuxN
X
Nota del editor

Doucereux : « Doucereux, euse. adj., qui est doux sans être agréable. Vin doucereux. Liqueur doucereuse. Fruits doucereux » (Dictionnaire de l'Académie, 4ème édition).

,
Peu à peu la surpris.

LE CHIRURGIEN.
Signe des plus heureux,
Moyennant que cela ne tourne en léthargie,
1110
Nature des ressorts ordinaires régie,

LÉONORE.
Hélas que dites vous ?

LÉOCADIE.
Ô mon fils tu es mort !

LE CHIRURGIEN.
Voilà se lamenter et s'effrayer à tort.

LÉONORE.
Un péril supposé du sommeil qui le charme,
Ne peut que nous livrer telle sensible alarme,

LE CHIRURGIEN.
1115
Non, qui l'affirmerait, acte trop imprudent,
Premier que le savoir tombé dans l'accidentN
X
Nota del editor

Accident : « Malheur : Il [Sénèque condamné à mort] se détourne à sa femme, et l'embrassant étroitement, comme par la pesanteur de la douleur elle défaillit de cœur et de forces, la pria de porter un peu plus patiemment cet accident. Montaigne, II, 35 (III, 183) » Huguet : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle).

,
Quasi presque incroyable, et qui même n'excède
L'efficace reçu du précèdent remède.

LÉONORE.
Tant mieux, faites étatN
X
Nota del editor

Faire état que : « Présumer, penser, être assuré » (Petit Littré. Dictionnaire de la langue française, abrégé du Dictionnaire de Littré, p. 808).

, que si oncques debout
1120
Votre art de ce chef d'œuvre entrepris vient à bout,
Un salaire l'attend qui ce plaisir égale,
Et qui ressentira sa largesse Royale.

LE CHIRURGIEN.
Mon chef le garantit affranchi du danger,
Qui nos âmes contraint de demeure changer,
1125
Prescrire à point nommé sa guérison parfaite,
Ainsi que quelque taxe en la police faite,
Jamais, jamais, le temps ne m'importe, pourvu
Qu'un patient guéri, menteur je ne sois vu :
Son pouls ores tâté apprendra davantage,
1130
Sans nulle émotionN
X
Nota del editor

Émotion : « s. f. Altération, mouvement excité dans les humeurs, dans les esprits, dans l'âme. J'ai peur d'avoir la fièvre, j'ai senti quelque émotion. Il n'a plus la fièvre, mais je lui trouve encore quelque émotion, de l'émotion. Il a trop marché, cela lui a donné, lui a causé de l'émotion. Ce discours le fâcha, on vit de l'émotion sur son visage. Il n'en eut pas la moindre émotion. Il attendit le coup sans émotion. Il a de l'émotion dans le pouls » (Dictionnaire de l'Académie, 4ème édition).

! Oh le grand avantage !
Puis la conclusion résouteN
X
Nota del editor

Résoute : « Participe passé du verbe résoudre » (Scherer).

peu s'en faut,
Ce dormir nécessaire un remède lui vaut :
Laissons le reposer, cette bénigne crise
Ramène sa santé avec la peine prise,

LÉOCADIE.
1135
Maître ne flattez point de grâce mon malheur.

LE CHIRURGIEN.
Point, je laisse a juger où règne la douleur,
Si le corps peut avoir ses fonctions à l'aise,
D'une fièvre plutôt ne renflammant la braise,
Tout va bien, l'huisN
X
Nota del editor

Huis : « s. m. monosyllabe. C'est une porte de chambre, salle, ou autre membre au dedans d'un château ou maison, car celle qui est à l'entrée du château ou de la maison ou de la court, s'appelle porte, dont vient que celui qui est commis aux clefs de la porte du château du Roy d'une ville close, ou d'une forteresse, est appelé Portier, et ceux qui sont députez aux portes de la salle et chambre, Huissiers » (Nicot : Trésor de la langue française).

fermé laissons le reposer.
1140
Mon office vous doit ce silence imposer,
Je le reviendrai voir dans une petite heure.

LÉONORE.
Croyez que n'eûtes onc de pratique meilleure ;
Nous ma fille tandis ne perdons point un temps
Qui va rendre les tiens et heureux et contents.


ACTE V

SCÈNE I

Dom Inigue, une troupe de parents, Léocadie, Estéfanie, Léonore, Pizare, Alphonse, Fernande, Rodéric, Ludovic

DOM INIGUE.
1145
Avertis du dessein qui m'amène équitable,
Qui d'exemple aux neveux se propose imitable,
Recourir le passé ne profiterait rien,
Suffit que d'un grand mal résulte plus de bien :
Que du sage destin l'ordonnance suprême
1150
Nous donne désormais une fortune même,
Nous conjoint alliez en ce beau couple égal,
Autant qu'onc étreignît le lien conjugal.
Excusez la candeur de ma libre franchise,
Qui la matière en mots courtisans ne déguise,
1155
Qui me ferait sembler vouloir impérieux,
Forcer, plutôt que faire un offre sérieux,
Offre où chacun partit l'autorité pareille,
Ma saine intention prie ensemble et conseille :
Le criminel qui n'a qu'une porte à briser,
1160
Montre cherchant ailleurs, son salut mépriser ;
Ainsi le rapt commis n'a qui vous satisfasse,
Et du crime avéré le souvenir efface,
Que l'union de deux dont le bien nous est cher,
Et qui n'auront unis que s'entre-reprocher,
1165
Mon fils riche de biens ne pouvait dans l'Espagne
Choisir qui me plût mieux d'une moitié compagne,
Belle, qu'en ses vertus renomme la cité,
Qu'on sait depuis le deuil de sa pudicité
Vivre vestale austère en la maison recluse,
1170
De la coulpe d'autrui pénitente et confuse,
Illustre quant au tige, autre principal point
Qui fera que l'honneur ne se démente point :
Vanter le sien messied, toutefois j'ose dire,
Alphonse entre tous ceux de son âge reluire
1175
Tel que l'un des Jumeaux qui flambent tour à tour
Dans le ciel étoilé, signe de leur amour,
Bref gendre, que le sort vous offre par ma bouche,
Au refus l'attentat perpétré ne me touche :
J'atteste qui de rien fit ce grand Univers,
1180
Auquel sont et seront nos courages ouverts,
Demeurer innocent de la faute commise,
Sa réparation à votre chois remise.

PIZARE.
Phénix des vertueux, que ne mérite pas
Un dur siècle où le vice a semé tant d'appas,
1185
Où la richesse inique, et brave d'insolence
Exerce impunément sa lâche violence
Sur le pauvre opprimé, s'amusant à chérir
Un renom qui le fait déplorable mourir :
Brutal, stupide, ingrat, j'aurai dans la poitrine
1190
Au lieu de cœur humain une roche marine,
N'embrassant le parti que vous daignez m'offrir,
Qui refuse un secours mérite de souffrir,
Ma fille se tiendra plus que récompensée,
Et sa pudique fleur à propos dépensée,
1195
Esclave de celui que l'inégalité
Ne prouve qu'adorable à sa fidélité
Qui je doute pouvoir sans espèce de crime,
Au grade colloquer d'épouse légitime.

DOM INIGUE.
La faveur mutuelle oblige également ;
1200
Or chez lui mon vouloir préside tellement,
Qu'un regard de travers le ferait dessur l'heure
Descendre obéissant où la Parque demeure :
L'apparence d'ailleurs, le sujet, la raison
Qu'une fille bien née, et d'illustre maison,
1205
De qui le rustre a pris les pudiques prémices,
Endurât sou rebut, nous demeurant complices ?
Usant alors du droit qu'eurent ces vieux Romains,
Je voudrais l'étrangler avec mes propres mains,
Impatient de voir une audace rebelle,
1210
Ce double sacrilège exercer dessur elle ;
Mais il n'en viendra là, je m'escarmouche à tort,
Qui de le manier docile me fais tort.

ESTÉFANIE.
Rendez grâce ma fille, à genoux prosternée,
D'un courage dévot humblement inclinée,
1215
À ce Seigneur bénin que suscite le Ciel
Pour convertir l'amer de nos ennuis en miel,
Qui tire du cercueil après un siècle éteinte,
Après qu'on la tenait du coup mortel atteinte,
Notre première gloire, un si rare bien fait
1220
Mérite des autels dressez à qui le fait.

LÉOCADIE.
Je ne saurais jamais en langues convertie,
La faconde du fils de Maïe départie,
Assez remercier une telle bonté ;
Je ne prends plus de loi que de sa volonté.
1225
Et la votre Madame, à qui médiatrice,
À qui mon honneur doit favorable tutrice,
Sa chute relevée : au moins, hélas ! au moins
Si un tiers accomplit ce bonheur de tous points.

LÉONOREN
X
Nota del editor

Léonore : Le texte original donne le nom d'Estéfanie, non corrigé par Rigal et conservé para Scherer. Tomotani corrige et attribue le discours à Léonore : c'est à Léonor à qui s'adressait Léocadie dans la réplique précédente ; Léonor loue les qualités et vertus de sa future belle-fille.

.
Miroir de modestie, autre âme de mon âme,
1230
Crois que Clothon bientôt abrégera ma trame,
Ou que tu te verras stable au sein d'un époux,
Sa moitié reconnue en présence de tous,
Ses délices, son heur, sa chaste colombelle,
Pourrait-il n'adorer une image si belle ?
1235
Et ne tressaillir d'aise à l'aspect d'un enfant,
Qui de plus redouter le tombeau nous défend ?
Seule j'embrasserai cette agréable peine
Qu'un air de gai printemps ton visage sereine,
Dispose au lieu de pleurs tés désirs à l'amour,
1240
Ores que d'heure à autre on attend son retour.
Que tu es sur le seuil du futur hyménée ;
Mais quelque bruit là bas de joie inopinée,
Et Francisque accourant me l'assurent venir.
Le suprême en commun de nos vœux obtenir,
1245
Voyez qu'une rougeur l'environne soudaine,
Ainsi qu'entre la crainte et l'espoir incertaine.

FRANCISQUE.
Monseigneur, votre fils arrivé Dieu merci
Sain et sauf, n'en soyez davantage en souci.

DOM INIGUE.
Comment accompagné ?

FRANCISQUE.
Deux cavaliers d'escorte
1250
Choisis à son voyage entrent dedans la porte.

DOM INIGUE.
Qu'ils attendent là bas dans la salle, et ne dis
Qu'aucun soit avec nous parlant à l'étourdi.

LÉONORE.
Monsieur permettez moi de gérer l'ambassade,
Que certain stratagème aisé me persuade,
1255
Tandis s'il vous plaisait ordonner du festin.

DOM INIGUE.
Oui, cela m'appartient ce semble par destin,
La disposition des banquets comparée
À celle d'une flotte au combat préparée ;
Leur différence gît d'être en l'un aux amis
1260
Aimable autant, qu'en l'autre horrible aux ennemis ;
Joint qu'une mère a plus de paroles miellées
De raisons peu à peu dedans l'âme instillées,
Que nous prompts à la main où leur témérité
Par un refus s'attaque à notre autorité :
1265
Chacun s'acquitte donc de la charge entreprise.

LÉONORE.
Paravant l'œuvre fait je ne lâcherai prise,
Vous prêtez-moi l'oreille un moment à l'écart
Sans avoir curieux à l'apparence égard,
et que cela de suite à point nommé se fasse.

PIZARE.
1270
Ne craignez que l'oracle enfreint on outrepasse.

LÉONORE.
Ma fille derechef pratiquant ma leçon,
Qu'objet quelconque ici ne vous mette en soupçon,

LÉOCADIE.
Promesse difficile à tenir, balancée.
D'extrêmes opposez en la vague pensée ;
1275
Madame, nonobstant je gagnerai sur moi,
De mettre à vos propos une solide foi.

SCÈNE II

Alphonse, Fernande, Rodéric, Léonore

ALPHONSE.
Telle réception de silence mêlée,
MaN
X
Nota del editor

Ma famille : Toutes les éditions, sauf Tomotani qui corrige le possessif, écrivent Sa famille, là où l'on doit dire ma.

famille me sent naguères désolée
D'une perte notable : et si d'autre côté
1280
Tout lugubre sujet de crainte m'est ôté
À la joie ordinaire entre les domestiques ;
IrrésoutN
X
Nota del editor

Irrésout : Irrésolu.

, assiégé de pensers chimériques,
Combien me tarde voir le Soleil respiréN
X
Nota del editor

Respirer : « Souhaiter quelque chose ardemment » (Petit Littré : Dictionnaire de la langue française).

,
Des yeux de mes parents hors de doute tiré.
1285
Qu'en dites vous amis ?

FERNANDE.
Que quelque mariage
Se brasse sourdement au retour du voyage.

ALPHONSE.
La lettre paternelle en eût fait mention
Afin de disposer au moins l'intention.

FERNANDE.
Un coursier éprouvé de nature guerrière,
1290
Sans aide d'éperons court en toute carrière ;
Mais Madame à ce port joyeux témoigne assez,
Que vous êtes fort loin de ce que vous pensez.

LÉONORE.
Les mieux que bienvenus après beaucoup d'attente,
Mon âme désormais reposera contente,
1295
Mon âme désormais s'égaye sans souci,
Vous voyant de retour en santé Dieu merci :
Or messieurs permettez, que mon fils me demeure
Seul pour certain affaire une minute d'heure,
Je vous viens retrouver.

RODÉRIC.
Madame commandez,
1300
Et à notre sujet ne vous incommodez.

SCÈNE III

Léonore, Alphonse

LÉONORE.
Alphonse à peu de mots apprends, que jà sur l'âge
Un père et moi voulons pourvoir au mariage
De l'unique héritier qui nous succédera,
Qui les biens et le nom riche possédera :
1305
Qui n'a plus qu'à jouir en sa fortune heureuse,
D'une qu'on lui choisit pour compagne amoureuse,
Honnête, de bon lieu, bref qui ne te doit rien,
En voici le crayonN
X
Nota del editor

Crayon : « Il signifie encore, Le portrait d'une personne fait avec le crayon. Il a fait le crayon d'un tel » (Dictionnaire de l'Académie, 1ère édition).

que précieux je tiens :
On dirait mal content que tu rides la face,
1310
elle n'a de beauté tant que de bonne grâce,
Joint que ses facultésN
X
Nota del editor

Facultés : « Au pluriel, se dit encore au Palais des biens d'une personne » (Furetière : Dictionnaire universel).

suppléent au défaut,
Que sert de hésiter en un faire le faut ?
Le parti nous plaisant utile te doit plaire,
Tu n'as point de raison qui prévailleN
X
Nota del editor

Prévaille : De prévaloir, mot archaïque, première personne du singulier du présent du subjonctif.

contraire.

ALPHONSE.
1315
Mon équitable plainte à la difformitéN
X
Nota del editor

Difformité : Dans l'original Déformité, vieilli au XVIIe siècle.

Qui dedans ce portrait penche à l'extrémité,
Dieu le moyen d'aimer une chose si laide ?
Une qui servirait à l'amour de remède,
L'œil cavé, le nez court, la bouche de travers,
1320
Et la couleur d'un corps que dévorent les vers.
Grâces au Tout-Puissant et à vous, ne m'importe
Qu'une femme rien plus que sa beauté m'apporte
Beauté qui présuppose en sa perfection
Celle des mœurs tirant à soi l’affection,
1325
Beauté ferme lien des courages ensemble,
Avec qui la discorde affreuse ne s'assemble,
Madame ne veuillez contraindre mon désir
À ce qui vous retourne après en déplaisir.

LÉONORE.
Va tu m'éprouveras telle que de coutume,
1330
Qui t’ôterai du cœur tout sujet d'amertume,
Nous trouverons ailleurs de quoi te contenter
Et selon ton humeur en cela te traiter,
J'aimerais mieux mourir que ce joug d'hyménée
Plongeât dans un enfer ta vie infortunée,
1335
Pareil accord passé sous ton consentement
Révocable se peut rompre tacitement :
Pense à te réjouir, et à reprendre haleine
Après ce long voyage, incomparable peine,
Tandis je vais quérir tes compagnons, et veux
1340
De trois mots importants conférer avec eux.

ALPHONSE.
Seul
D'un dédale sorti l'autre me retient pire ;
Que peut ma mère avoir de secret à leur dire ?
La curiosité féminine souvent
S'arrête sur un rien, lutte contre le vent :
1345
Pourvu que le choix libre et promis me demeure,
Qu'en indigne sujet ma liberté ne meure,
Amène du surplus ce que voudra le sort,
J'ai pour le surmonter le courage assez fort.

SCÈNE IV

Léonore, Fernande, Rodéric

LÉONORE.
Ma prière, ou plutôt certain petit scrupule,
1350
Qui ne vaut le parler, et d'importance nulle,
Comme amis vous oblige à ne me refuser,
Et sur le fait enquis ne me rien déguiser :
Promettez donc témoins oculaires de dire
La pure vérité que savoir je désire.

FERNANDE.
1355
Moyennant que cela n'excède le pouvoir,
Aucun de nous ne veut manquer à son devoir.
Ma foi s'obligera plus chère que la vie,
À contenter Madame, et soudain telle envie.

LÉONORE.
Inséparable joints à mon fils d'amitié,
1360
Car si l'un fait un pas l'autre en est de moitié ;
Mais il faut m'écouter avecques patience,
Et mettre après la main dessur sa conscience :
Vous vous ressouviendrez, qu'alors encore enfants
Un soir après souper depuis quelque sept ans,
1365
De l'acte trop hardi commis à la volée,
Certaine fille ès bras de ses parents voilée,
Faire les étonnez n'accroît que mon soupçon,
Sachant que ce sont tours coutumiers de garçon.

RODÉRIC.
Remémorant confus nos jeunesses passées,
1370
Jeunesses aussitôt de l'objet effacées,
Leur nombre offusquerait le plus judicieux,
Et celle-ci ne peut me revenir aux yeux.

LÉONORE.
Le pouvoir du vouloir dérivant je vous jure,
Qu'un bonheur se prépare à réparer l'injure.

FERNANDE.
1375
Après ce terme long un oubli survenu
N'empêche que le coup ne soit pas avenu.

LÉONORE.
Confession qui vaut une preuve demie,
Savez vous d'où lui vint ceste douce ennemie ?

RODÉRIC.
Le moyen de savoir dans l'obscur de la nuit,
1380
Qui tenait votre fils d'un aveugle conduit ?

LÉONORE.
J'entends, j'entends, ce peu suffit à l'ouverture
Que requérait de vous ma vive conjecture,
Ce crime violent semble aux fruits, qu'en hiver
Et plus meurs et plus beaux nous voyons arriver :
1385
Semble à l'unique Oiseau renaissant de sa cendre,
Qui d'un ver contemptibleN
X
Nota del editor

Contemptible : « Vieux mot qui signifiait méprisable » (Furetière : Dictionnaire universel) ; « adj. v. Vil & mesprisable. Il s'est rendu contemptible, c'est un homme vil & contemptible. Il vieillit » (Dictionnaire de l'Académie, 1ère édition).

et difforme s'engendre ;
Sus, allègres venez célébrer de ce pas
Un heur éclos de là que ne présumez pas.

SCÈNE V

Dom Inigue, une troupe de parents, Léonore, Alphonse, Fernande, Rodéric, Pizare, Francisque, Estéfanie, Léocadie, Ludovic

DOM INIGUE.
À table mes amis, que chacun prenne place,
1390
Et cérémonieux plus prier ne se fasse,
Mon exemple suffit, qui le premier assis
Entends dessous les pieds mettre tous mes soucis,
D'exemple proposé à qui me veut complaire,
Alphonse de retour, hé ! pourrait-on moins faire ?
1395
Alphonse unique appui de ses parents chenus ;
Sans plus de compliments et de propos tenus
Chacun vienne s'asseoir : tandis, je vais ma coupe
Épuiser d'une haleine aux grâces de la troupe :
Qu'on se résolve après chacun selon son rang
1400
À me faire raison d'un courage aussi franc.

UNE TROUPE DE PARENTS.
Premier j'acquitterai la charge commandée,
Premier je conduirai la pointe demandée,
Sacrifiant du cœur ce nectar gracieux
À un second Nestor qui mérite les Cieux,
1405
À la bonne santé de sa chère compagne,
Et à l'heureux retour de leur fils en Espagne ;
Qui me suivra de même, éprouve désormais
Les astres envers lui bénins à tout jamais.

DOM INIGUE.
Voilà qui représente un siècle d'innocence,
1410
Qui me remet au temps de mon adolescence,
Vous autres voyageurs pourtant ne laissezN
X
Nota del editor

Laissez : Toutes les éditions écrivent lairrez, sans qu'aucune n’indique qu'il s'agit du verbe laisser.

pas
De dire quelque chose à travers le repas,
Dignes d'attention dessur la différence
Des peuples, des pays, ou sur leur préférence.

ALPHONSE.
1415
Nous autres ne pouvons qu'apprendre de nouveau
À qui premier a vu que l'Itale a de beau,
À qui me crayonna ses raretés, de sorte
Que rien que leur portrait reconnu je n'apporte,
Qu'instruit j'avais tout vu paravant que de voir,
1420
Et qu'en parler après contrevient au devoir.

LÉONORE.
Tant y a que pendant la course d'Italie
Vous avez engendré peu de mélancolie,
Trois conformes d'humeur et bien appariez ;
Mais comment mettre au rang des péchés oubliésN
X
Nota del editor

Mettre au rang des péchés oubliés : Hardy utilise la phrase proverbiale : Mettre quelqu'un au rang des péchés oubliés : « Ne se plus soucier de lui, ne le plus considérer » (Dictionnaire de l'Académie, 1ère édition). Mettre quelqu'un au rang des péchés oubliés : « Signifie, ne se plus soucier de lui, ne le plus considérer » (Philibert-Joseph Le Roux : Dictionnaire Comique, Burlesque, Libre, Satirique, Critique et Proverbial).

1425
Une si agréable et si gentille hôtesse,
Que seule on la laissa confuse de tristesse ?
Vite, vite, quelqu'un l'amène de ma part,
Dites lui sans avoir craintive trop d'égard
À son honnêteté, qu'elle vienne mandée
1430
Nous repaître les yeux d'une céleste idéeN
X
Nota del editor

Idée : « Souvenir, image » (Petit Littré. Dictionnaire de la langue française).

.

DOM INIGUE.
Mon fils prépare-lui son siège près de toiN
X
Nota del editor

J'étois : Pour la rime on laisse la terminaison –ois.

,
En l'âge où il y a cinquante ans que i'étois,
Tel honneur me passait le prix d'un diadème,
Aimant mille fois plus les dames que moi-même :
1435
Je meure son aspect me réjouit le cœur,
Aspect qui de lupin triompherait vainqueur.

ALPHONSE.
Ô divine beauté ! si ta moindre partie
À celle qu'on me veut épouser départie,
Suppléait ses défauts, trop heureux, hé combien
1440
Tu m'aurais favorable obligé Paphien !

LÉONORE.
La médecine opère, une pâleur subite
Suit l'abord impourvu de sa chère Carite,
Qui pas moins étonnée, à regards dérobés
Monstre que ses désirs l'emportent succombés.

LÉOCADIE.
1445
Accompli de la sorte, hélas ! hélas ! chétive
Crois tu que tel bonheur d'alliance t'arrive ?
Non ne l'espère plus, et meurs dorénavant,
Et ne traîne tes jours désastreux plus avant.

LÉONORE.
Bon Dieu ! je l'aperçois qui pâme, qui chancelle,
1450
Soutenez-la mon fils, et prenez garde à elle.

ALPHONSE.
Son accident me tue, épris d'affection,
Adorable portrait de la perfection
Madame que veut dire ? Ô pitoyable chose !
La mort semble camper sur ses lèvres de rose,
1455
Sans pouls, sans mouvement, hélas ! je n'en puis plus,
Et de force, et de voix à la plaindre perclus.

DOM INIGUE.
J'estime que tous deux ne prennent qu'une route,
Transportés de ce Dieu léger qui ne voit goûte,
Que vous semble m'amie ?

LÉONORE.
Oh étrange malheur !
1460
Ô plaisir détrempéN
X
Nota del editor

Détremper : « s. a. Délayer dans quelque liqueur. Détremper de la farine avec des œufs, avec du lait. Détremper quelque chose dans du vin blanc. Détremper de la chaux. Détremper des couleurs » (Dictionnaire de l'Académie, 4ème édition).

d'une amère douleur !
Hé revient mon enfant, belle Léocadie
Dites-nous où vous tient au moins la maladie ?
Leurs insensibles corps souffrent également,
Qui n'ont d'aucune vie indice nullement,
1465
Du vinaigre, de l'eau, vite, vite, personne
En telle extrémité de secours ne leur donne.

PIZARE.
Un mot à la pareille, à moi, quel accident
Trouble ainsi le festin, ces clameurs épandant ?
Ne me le celez pas.

FRANCISQUE.
La jeune damoiselleN
X
Nota del editor

Damoiselle : « C'est proprement et selon l'usage ancien du mot, une gentil- femme, n'ayant titre de dame, et est le féminin de damoisel qui signifiait gentil-homme n'étant chevalier. Mais à présent par Damoiselle est entendue toute femme qui porte coquille, atours et chaperon pendant de velours, n'étant femme de chevalier, comte, marquis ou de plus éminent titre » (Nicot : Trésor de la langue française). Damoiselle : « s. f. Titre qu'on donne aux filles nobles dans les Actes publics. Damoiselle telle fille mineure, fille usante & jouissante de ses droits. Ladite Damoiselle. Hors de cet usage, on dit toujours Demoiselle » (Dictionnaire de l'Académie, 4ème édition).

1470
Tombée en pâmoison tire hélas ! après elle
Le fils de Monseigneur : ce beau couple étendu
Peu dissemblable à ceux qui l'esprit ont rendu.

ESTÉFANIE.
Courons-leur au secours, la défense n'importe.

LUDOVIC.
Hé ma mère parlez.

TROUPE DE PARENTS.
Preuve excellente et forte
1475
D'un pieux naturel en ce pauvre petit,
Qui plus de la douleur maternelle pâtit.

LÉONORE.
Apaise mon mignard, apaise-toi ma vie,
Elle te va baiser comme tu as envie,
Prête de s'éveiller : ma fille, mon souci,
1480
Alphonse cher espoir que veut dire ceci ?
Tout se portera bien, voire le mieux du monde,
L'un et l'autre quittant sa syncope profonde
Commence à respirer : mon fils presque honteux
D'avoir donné d'amour ce présage douteux.

ALPHONSE.
1485
Ô quel étrange charme a surpris ma constance !
Plus elle s'efforçait vaine de résistance,
À quoi s'imputera l'effet de ce venin ?
Sinon qu'un mâle front cache un cœur féminin :
Que le courage cède aux premières approches
1490
D'un objet, qui sans doute animerait les roches ;
Reprend ton assurance, hélas ! à son discours
Elle et moi respirons un mutuel secours.

LÉONORE.
Ne te repens mon fils d'une chose bien faite,
Ta victoire en ce point dépend de ta défaite,
1495
Tu ne pouvais montrer assez d'affection
À ta moitié tombée en telle affliction :
Cesse de te ravir de si douce merveille,
La beauté que tu vois n'avoir point sa pareille,
Fut jadis le butin de ton brutal effort,
1500
Et sa pudique fleur te demeura plus fort :
Fleur qui noua ce fruit, fleur qui te donne père
À pouvoir moissonner le losN
X
Nota del editor

Los : « Vieux mot qui signifie, Louange » (Dictionnaire de L'Académie française, 1ère édition).

du vitupère,
À jouir désormais en juste possesseur
D'une que tu connus infâme ravisseur,
1505
Ne cherche subterfuge, ou réplique au contraire,
Ton père et moi voulons ton épouse la faire.

DOM INIGUE.
Oui pense d'obéir à ce décret fatal,
Sur peine de m'avoir ennemi capital.

ALPHONSE.
Qu'elle âme si méchante et au vice endurcie
1510
Éprouvant à son mieux sa coulpe réussie,
Ne voudrait accepter l'offre que l'on me fait,
L'offre d'un parangon des vertus tout parfait ?
Plutôt que ne subir une humble obéissance,
De ce rare trésor prenant la jouissance,
1515
Qu’un foudre décoché soit ma punition,
L'épouser bornera ma seule ambition ;
L'épouser des amours me transporte l'Empire,
Ma volonté la sienne idolâtre respire,
Pourvu que l'épousant j'étouffe à l'avenir
1520
De l'outrage attenté le vengeur souvenir.

LÉOCADIE.
L'outrage me tient lieu de félicité grande,
Et jour ne passera que le cœur ne lui rende
Mille humbles vœux d'hommage, et de soumission,
Tel crime désirable en sa rémission,
1525
Tel crime désirable où la faveur céleste
En myrtes amoureux change un cyprès funeste,
Tel crime le parfait de mon contentement,
Qui l'honneur abîmé place plus hautement.

PIZARE.
Ma fille tu dis vrai selon ma prophétie,
1530
Que contre notre espoir la chose réussie,
Ce naufrage honteux te pouvait réparer,
Pouvait d'une tourmente un calme préparer,
Le secours attendu à son heure opportune
De qui tient le timon de l'heureuse fortune :
1535
Mais monsieur pardonnez à la témérité,
Qui sur un bruit épars contre la vérité
Plutôt que de raison l'embuscade a rompue,
L'affection du sang trop facile repue
D'une sombre apparence,

DOM INIGUE.
Ôtez dorénavant
1540
Ces excuses vers nous plus légères que vent,
Tel chef-d'œuvre accompli ne reçoit de contrôle ;
Et puis que ce bonheur précède la parole,
Puis que le Ciel ami le veut précipiter,
On ne saurait ses fruits qu'indignes rejeter :
1545
Tant plus le laboureur moissonne de bonne heure
De ses travaux défunts satisfait il demeure :
Donc le mystère saint requis à les lier
Célébré paravant que de le publier,
Je veux qu'après on dresse une pompe royale
1550
Une pompe publique à notre joie égale,
Et à notre grandeur, qui porte ces amants
Au trône désiré de leurs contentements.


BIBLIOGRAPHIE

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― :Dictionnaire de l'Académie française, 4ème édition, 1762.
― :Dictionnaire de l'Académie française, 5ème édition, 1798.
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Gaffiot, Félix : Dictionnaire latin français. Paris : Hachette, 1934.
Huguet, Edmond : Dictionnaire de la langue française du 16e siècle, Paris : Edouard Champion, puis aux éditions Didier, 1925-1967, 7 volumes.
Le Roux, Philibert-Joseph : Dictionnaire Comique, Burlesque, Libre, Satirique, Critique et Proverbial. Nouvelle Édition Revue & Corrigée, Tome II, Lyon : Héritiers de Béringos, 1752.
Littré, Émile : Dictionnaire de la langue française, Paris : Hachette, 1863-1872 ; 2e édition revue et augmentée 1873-1877.
― : Petit Littré. Dictionnaire de la langue française, abrégé du Dictionnaire de Littré, par A. Beaujean, Paris: Gallimard/Hachette, 1959.
Rigal, Eugène : Alexandre Hardy et le théâtre français à la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe siècle. Thèse présentée à la Faculté des Lettres de Paris. Paris : Librairie Hachette et Cie, 1889. (Genève : Slatkine Reprints, 1969).
― : « Le Théâtre d' Alexandre Hardy : Corrections à la réimpression Stengel et au texte original », Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, XIII, 1891, pp. 204-228.