SCÈNE PREMIÈRE.
Une chambre dans la maison de Lucre.
LUCRE
Mon adversaire me blâme à propos de mon neveu. Pourquoi un oncle vertueux n’aurait-il
pas un neveu dissolu? Pourquoi, sous prétexte que c’est un coureur, un dépensier,
un ivrogne comme il y en a tant, en un mot un mendiant, ses défauts feraient-ils ma
honte? Quand nous ne partageons pas leurs folies, pourquoi partagerions-nous leurs
infamies? En ce qui concerne ma sévérité à propos de ses hypothèques, je ne la nie
pas. Je confesse que j’y ai un peu gagné, mais…
(Entre un DOMESTIQUE).
Qu’y a-t-il?
LE DOMESTIQUE
Un valet de province désire parler à Votre Seigneurie.
LUCRE
J’ai quelques moments de loisir, introduis-le.
(Sort le Domestique).
(Entre l’HOTELIER, déguisé en domestique de province).
L’HOTELIER
Dieu bénisse Votre Honorable Seigneurie.
LUCRE
Sois le bienvenu, mon bon ami.
L’HOTELIER
(à part.) Il m’appelle voleur à première vue, se douterait-il que je suis hôtelier?
L’HOTELIER
Ma maîtresse m’a prié d’aller trouver un homme dont la capacité soit reconnue, pour
le consulter sur un point douteux. Je m’adresse à vous à tout hasard, car je ne connais
personne ici, et ma maîtresse, aussi étrangère au pays que moi-même, est logée à la
même enseigne. J’ai le bonheur de trouver Votre Seigneurie chez elle, et si vous le
voulez nous expédierons les choses aussi vite que possible.
LUCRE
(à part.) Voilà un brave homme, et qui me plait.
(Haut). Qui est votre maîtresse?
L’HOTELIER
Une veuve de province. Hier nous avons pris pour la première fois notre volée, et
elle a décidé de s’arrêter ici pour terminer une affaire.
LUCRE
Son nom, je te prie?
L’HOTELIER
On peut le trouver sur les titres de possession: veuve Medler.
LUCRE
Medler? Par la messe, je n’ai jamais entendu parler de cette veuve.
L’HOTELIER
Vous devez vous tromper, monsieur. N’existe-t-il pas une veuve riche dans le Staffordshire?
LUCRE
En effet! Tu me la remets en mémoire. Il en existe une. Ah! si je redevenais garçon!
L’HOTELIER
Votre Seigneurie pourrait certainement l’épouser, mais elle est déjà engagée avec
un célibataire.
LUCRE
Et quel est-il, je te prie?
L’HOTELIER
Un gentilhomme de province que Votre Seigneurie ne connaît sûrement point, j’en jurerais.
Il a commis bien des folies dans sa jeunesse, mais l’idée du mariage, j’en puis jurer,
commence à l’apaiser. Ma maîtresse l’aime, et vous savez que l’amour excuse bien des
fautes. Il s’agit d’un monsieur Witgood, si jamais son nom est venu jusqu’à vous.
L’HOTELIER
Witgood. Ma maîtresse lui apportera un joli revenu: quatre cents livres par an.
LUCRE
De quelle province est ce jeune Witgood?
L’HOTELIER
Du Leicesterhire.
LUCRE
(à part.) Mon neveu! Par la messe, c’est bien mon neveu! J’en tirerai parti!
(Haut).
Et ce gentilhomme, dis-tu, va l’épouser?
L’HOTELIER
Il l’a emmenée de la ville, avec le meilleur atout en main: son cœur. Ma maîtresse
voudrait conclure ce mariage avant de repartir, n’étant pas, je le jure, de ces veuves
qui succombent d’abord et se marient après. Elle a horreur de cela.
LUCRE
Sur ma foi, elle a mis la main sur un brave gentilhomme et bien à sa convenance. Je
lui en ferai cadeau.
L’HOTELIER
Votre Seigneurie le connaîtrait-il?
LUCRE
Si je le connais! Tout le monde ne le connaît-il pas? Un homme aussi accompli ne se
trouve pas au boisseau.
L’HOTELIER
En ce cas, Votre Seigneurie peut m’éviter la fatigue de me renseigner sur son compte?
LUCRE
Te renseigner? Suis mon conseil: ne va pas plus loin, ne te renseigne qu’auprès de
moi, je puis te satisfaire. Il a été jeune, mais il s’est assagi! Un mot. Votre maîtresse
n’a-t-elle jamais été un peu légère dans sa vie? S’il y a des hommes qui ne se sont
pas toujours montrés raisonnables, certaines femmes se conduisent parfois de façon
un peu légère!
L’HOTELIER
Sans aucun doute, monsieur.
LUCRE
L’homme corrigé de sa folie n’en rentre que plus sage au logis.
L’HOTELIER
La pure vérité.
LUCRE
Voilà ce que je puis vous dire de plus mauvais sur son compte. Jamais il n’exista
de plus brave et plus généreux gentilhomme, que Witgood, le trois fois noble Witgood.
L’HOTELIER
Puisque Votre Seigneurie le connaît si bien, voulez-vous condescendre à me raconteur
sa vie? Mon devoir consiste à prendre soin de la réputation de ma maîtresse, si bonne
pour moi! Plus que je ne saurais le dire! Elle a déjà éconduit bien des soupirants,
heureusement pour elle! Si l’homme sur lequel elle a fixé son choix n’en était pas
digne, elle pourrait encore reprendre sa parole. Il nous a affirmé posséder des terres
et de quoi vivre.
LUCRE
Qui? Le jeune Witgood? Vous pouvez l’en croire. Il possède une jolie fortune à…Comment
appelez-vous l’endroit?
L’HOTELIER
Je ne sais pas.
LUCRE
Comme une bête, j’ai oublié le nom! Il a de bons bois, de belles prairies…La peste
soit de moi de ne pas me souvenir de l’endroit!...Quoi! Il s’agit de Witgood, de Witgood
Hall et on ne le connaît pas davantage!
L’HOTELIER
Non, monsieur. Voyez comme on parle à la légère! Le bruit court que tous ses biens
sont hypothéqués au bénéfice d’un oncle habitant cette ville?
LUCRE
Un conte! Un conte!
L’HOTELIER
Je peux vous assurer, monsieur, que tel est le rapport que l’on a fait à ma maîtresse.
LUCRE
Vous imaginez-vous qu’il eût été assez naïf pour laisser un oncle prendre hypothèque
sur ses biens? que son on le eût été assez inhumain pour en venir à une pareille extrémité?
L’HOTELIER
C’est ce que j’ai dit!
LUCRE
Jamais il n’y a pensé!
L’HOTELIER
Les bruits sont pourtant courants.
LUCRE
Puisque vous insistez, sachez la vérité: je suis son oncle!
L’HOTELIER
Vous! Qu’ai-je fait!
LUCRE
Voyons! Voyons! Un homme ne se trouve pas mal!
L’HOTELIER
Votre Seigneurie est son oncle?
LUCRE
Y voyez-vous un inconvénient?
L’HOTELIER
Je vous supplie, monsieur, de me promettre de ne point parler de ma demarche. Pour
ne pas ébruiter leur projet et éviter la foule des prétendants, ils voudraient se
marier de suite et sans qu’on le sût.
LUCRE
Supposes-tu un homme de mon jugement capable d’une maladresse? Qui m’oblige à raconter
que j’apprends par toi ce mariage? Parais-je un fou de cinquante-quatre ans? Perdrais-je
si vite la raison à laquelle je dois ma fortune? Prends cette poignée d’angelots pour
toi. Où sont-ils descendus?
L’HOTELIER
Il ne m’arrivera rien de regrettable?
L’HOTELIER
Je peux de mon propre mouvement…?
LUCRE
Suis-je un homme sérieux?
L’HOTELIER
Je me confie à Votre Seigneurie. Vous ne me connaissez pas, et pour éviter les indiscrétions,
je ne veux avoir affaire qu’à vous.
LUCRE
(à part.) Ce garçon inspire la confiance.
(Haut) Allons, parle.
(L’hôtelier lui parle bas). Tu es un brave garçon. Oh! mon coquin de neveu!
L’HOTELIER
Maintenant que me voilà de mèche avec Votre Seigneurie, quand me donnerez-vous votre
avis sur ce point douteux? Il me faut maintenant agir avec circonspection.
LUCRE
Ne crains rien. Demain soir je me prononcerai sur le susdit point. Et porte-toi bien.
(L’Hôtelier sort).
Ce serviteur de province contient plus d’honnêteté que cent de nos compagnons. Je
leur octroie le titre de compagnons, car avec leurs vestes bleues retournées, on ne
distingue plus le valet du maître. George!
(Entre GEORGE).
LUCRE
Ecoute.
(Il lui parle bas). Ne dévoile pas l’endroit, salue mon neveu et dis-lui que je l’attends.
LUCRE
Et surtout soyez à son égard du plus grand respect.
GEORGE
(à part.) Voilà un étrange changement! Hier il fallait le traiter comme un mendiant, aujourd’hui
on doit l’aborder comme un chevalier.
(Il sort)
LUCRE
Ah! le coquin…Une riche veuve! Quatre cents livres de revenus. Je regrette qu’il m’en
veuille, à la veille de devenir si riche. Pourquoi ne suis-je plus qu’un étranger
pour lui? Hum! J’espère qu’il n’est pas assez malin pour me soupçonner de l’avoir
dupé! Cela me surprendrait beaucoup. Grand Dieu, qui aurait jamais pensé que les choses
tourneraient ainsi! Mon devoir serait de lui rendre ce qui lui appartient. Mais l’idée
ne m’en viendra pas. Je l’enrichirai de mots, si c’est nécessaire. Quant à de l’argent,
jamais.
(Rentre GEORGE).
Eh bien?
GEORGE
Il prie Votre Seigneurie de l’excuser. Il a tant de choses à faire qu’il ne peut voir
personne.
LUCRE
Ce sont ses propres paroles?
GEORGE
Ses propres paroles.
LUCRE
(à part.) Quand les hommes deviennent riches, ils deviennent également orgueilleux; je m’en
suis souvent aperçu. Il ne m’aurait pas répondu de la sorte il y a un an.
(Haut). Retourne auprès de lui, dis-lui que son oncle désire l’entretenir une heure, pas plus.
Il s’agit de ses intérêts, répète-le lui- Donne-lui de la seigneurie. Va et fais ce
que je te dis.
(George sort).
LUCRE
Maintenant il se montre discourtois envers son oncle! Me dira-t-il ce que je puis
tenter pour lui? Je puis en une minute faire preuve d’une bienveillance qui eût demandé
sept ans. Je connais mon caractère. Je ne me montre pas volontiers débonnaire. On
ne m’émeut pas facilement. La seule raison qui me pousserait à lui faire quelque bien,
serait l’étonnement qu’en ressentirait le vieux Hoard, mon adversaire. Combien sa
méchanceté souffrira de la bonne fortune de mon neveu! Avec quel découragement il
envisagera sa prospérité, lui qui, dernièrement, le proclamait un mutin, un besogneux,
un coureur de mauvais lieux. Ah! ah! cela me causera plus de joie que mon dernier
achat, me procurera plus de satisfaction que les revenus de toutes les veuves!
(Rentre GEORGE, introduisant WITGOOD).
Eh bien!
GEORGE
Après beaucoup de difficultés, il se décide à venir, monsieur.
(Il sort).
LUCRE
Neveu, laissez-moi vous souhaiter le bonjour! Vous êtes le bienvenu.
WITGOOD
Mon oncle, je vous remercie.
LUCRE
Je vous prends en défaut. Vous croyez-vous un étranger ici? Que le ciel vous tienne
en joie!
WITGOOD
Je ne comprends pas, monsieur.
LUCRE
Ne deviez-vous pas prendre le chemin de la maison de votre oncle, vous et votre veuve?
Je vous en veux, si je puis m’exprimer ainsi sans vous offenser.
WITGOOD
Qu’entendez-vous par là, monsieur?
LUCRE
Pardonne-moi. Tu me fuyais, je m’en aperçois maintenant.
WITGOOD
Je n’ai jamais cessé de vous aimer, mon oncle.
LUCRE
Quelle ingratitude, neveu! Fi!
WITGOOD
Je suis désolé de vous entendre interpréter ainsi les choses.
WITGOOD
Voulez-vous me permettre de me défendre?
LUCRE
Oui, et sois le bienvenu.
WITGOOD
Vous savez le danger que je cours à la ville, l’importance de mes dettes, l’exigence
de mes créanciers, vous avez donc des raisons de préférer me savoir au loin.
LUCRE
Par la messe! voilà une belle excuse!
WITGOOD
Autrement, dans la maison de mon oncle, je pouvais plus sûrement me marier!
WITGOOD
Mon crédit? Non, ma surface. Et puis je connais votre humeur. Vous auriez laissé entendre
à ma veuve qu’il fût un jour où la maison entière m’appartenait.
LUCRE
Avec presque tout ce qu’elle renferme.
WITGOOD
Vous voyez bien! Laissez les autres raconter ce qu’ils veulent. Rien ne vaut la présence
d’une veuve dans la maison d’un oncle!
LUCRE
Quand des neveux sont ruinés, leur meilleur refuge devrait être, en effet, la maison
de cet oncle.
WITGOOD
Ils peuvent y tenir tête aux gens.
LUCRE
Ils y sont à l’abri du sergent et de l’huissier. La maison d’un oncle! Un véritable
Cold-Harbour! Coquin, je vais te servir de père maintenant! T’intéresses-tu suffisamment
à ta veuve pour l'envoyer chercher?
LUCRE
Je vais m’en assurer.
WITGOOD
Envoyez un de vos gens.
(Rentre GEORGE).
GEORGE
Me voici, monsieur.
LUCRE
Mets-toi à la disposition de mon neveu.
(Witgood lui parle bas et George sort.)
(A part) J’aime à bavarder avec une riche veuve! Je prends du plaisir à entendre nos langues
s’accorder! On promet beaucoup et l’on tient peu. Le jeu me plaît! Je me sens maintenant
d’humeur à essayer quelque chose pour mon neveu s’il sait me prendre.
(Haut). C’est fait ?
LUCRE
Vous êtes un ingrat neveu.
WITGOOD
Le ciel m’en défende!
LUCRE
Si, monsieur mon neveu. Je sais que vous avez beaucoup de dettes, que vous êtes poursuivi
par des créanciers. Votre devoir eût été de m’en avertir discrètement, sans que l’avenir
en subît le moindre préjudice.
WITGOOD
Je l’avoue, mon oncle. En cela je suis blâmable. Mon intention était de bâcler les
choses sans perdre de temps, à la satisfaction de mes amis et à l’étonnement des autres.
Malheureusement il me manque la bagatelle d’une quarantaine de livres avant que tout
soit conclu. Mais j’espère bien trouver quelque expédient.
LUCRE
Neveu, Je vous supplie de ne pas ajouter un mot.
WITGOOD
Que voulez-vous dire, mon oncle ?
LUCRE
Par l’amitié que je te porte, j’entends que tu ne t’adresses pas à d’autres qu’à moi!
WITGOOD
Vous n’avez aucune raison pour cela, mon oncle.
LUCRE
Autrement je me fâche à jamais.
WITGOOD
Voici ma main. Je vous obéirai.
LUCRE
A la bonne heure. Rapporte-t’en à moi. Paix! Voici ma femme avec Sam, le fils de son
premier mari.
(Entrent MISTRESS LUCRE et FREEDOM).
FREEDOM
Cher Witgood, je suis heureux de vous saluer. Soyez le bienvenu dans cette noble cité
gouvernée avec l’épée au fourreau.
WITGOOD
(à part) Et l’esprit dans son pommeau.
(Haut). Mon cher master Sam Freedom, je vous retourne le compliment.
LUCRE
Par la messe, elle vient, ma femme! Je veux voir comment tu la recevras.
MISTRESS LUCRE
Je suppose savoir comment on reçoit une veuve! Il n’y a pas si longtemps que je l’étais
encore.
(Entre LA COURTISANE).
WITGOOD
Mon oncle désirait votre voir, madame, et j’ai pris la liberté de vous faire venir.
LA COURTISANE
Vous n’avez pas à vous en excuser, master Witgood. Monsieur est votre oncle ?
LUCRE
Je suis son oncle et heureux de l’être, chère veuve. Son oncle, son bon oncle. Par
ce baiser, soyez la bienvenue. Femme, souhaitez également la bienvenue à la veuve.
FREEDOM
Je suis maintenant un homme, grâce à mon père, et je ne vois pas pourquoi je n’embrasserais
pas comme lui une veuve. Je ne suppose pas que la Charte s’y oppose puisqu’elle s’exprime
en ces termes: « Le fils devenu un homme peut s’esbaudir, son père fût-il un barbouilleur
». Cela se trouve environ à la cinquantième page.
(Il va pour embrasser la courtisane qui le repousse).
LUCRE
Un mot, douce veuve.
FREEDOM
Je n’ai jamais été aussi humilié depuis le jour où ma mère m’a fouetté.
LUCRE
(à la Courtisane) Je n’ai pas d’autre enfant dont prendre soin. Je le considère comme mon héritier.
LUCRE
Il le sait et le coquin en tire vanité. On lui a déjà offert des veuves, jolies, riches,
des femmes de gros marchands. Croyez-vous qu’il y ait fait attention? Pas les moins
du monde. Vous êtes la première qui ait attiré ses regards. Si on le savait dans la
ville on lui courrait après, et heureuses celles qui mettraient la main dessus.
LA COURTISANE
C’est mon avis.
LUCRE
Vous assisteriez à un véritable assaut. Il ne pourrait plus traverser une rue. Il
entrerait dans quelque grande famille. Vous voyez cette maison? elle lui reviendra
avec tout le reste: les appartements, meublés, plafonnés de gypse, tendus de tapisseries,
etc., etc. Neveu!
LUCRE
Montrez la maison à votre veuve. Faites-lui visiter toutes les chambres et traitez-la
bien. (A part, à Witgood). Neveu, assure-toi d’elle si tu es un malin.
WITGOOD
Hélas! Je ne sais pas comment elle le prendra!
LUCRE
Très bien, je te le garantis. Serais-tu un âne? Je voudrais être à ta place. De l’aplomb
ou tu me ferais honte.
(Sortent Witgood et la Courtisane).
Laissez-les agir à leur guise. Bien des mariages se sont faits ici de la façon. Rien
comme la maison d’un oncle pour produire son effet. J’empêcherai ma femme de trop
parler. Tonny, votre fils, fait la cour à une pauvre fille qui ne possède que mille
livres de dot, et mon neveu, un garçon n’offrant aucune espérance, a mis la main sur
une veuve à la tête de quatre mille livres de revenu!
MISTRESS LUCRE
On fait ce qu’on peut.
LUCRE
Je tiendrai mon argent prêt avant qu’il ne redescende. J’entends donner à la veuve
des joyaux, de l’argenterie, pour l’encourager. Je sais une belle coupe à pied qui
lui fera particulièrement plaisir.
(Il sort).
MISTRESS LUCRE
Il se moque de nous avec son neveu? Je conçois un plan, mon fils, qui démolira celui
de votre beau-père.
FREEDOM
Un plan tragique ou comique, chère mère?
MISTRESS LUCRE
Un plan qui ne lui fera pas plaisir. Freedom, j’entends que, dès à présent, vous cessiez
de courtier la nièce de master Hoard.
MISTRESS LUCRE
Je vous répète que j’ai mon plan. Prenez cette chaine d’or, ce superbe diamant. Suivez
notre veuve jusqu’à son logis et, quand l’occasion se montrera favorable, donnez-les-lui.
J’ai mon dessein. On vous tient pour ce que vous valez, mon fils, parmi la haute société.
FREEDOM
Je l’en remercie, ma mère.
MISTRESS LUCRE
Witgood n’est qu’un gueux auprès de toi. Dis à la veuve que tu possèdes deux cents
livres de rente, outre ce qui doit te revenir. Si j’étais veuve, mon cœur ne voudrait
pas d’autre parti que toi.
FREEDOM
Je vous remercie de tout ce que vous faites pour moi, mère. J’en aimerais mieux une
autre, mais si je ne lui adresse pas une cour assidue et si elle ne m’est pas reconnaissante
de ces dons, je ne veux plus être votre fils. J’entends en courir le risque.
SCÈNE II
Une Rue.
Entrent HOARD et MONEYLOVE.
MONEYLOVE
Sur ma foi, master Hoard, j’ai passé bien des mois à courtiser votre nièce, pour l’amour
de ses vertus. Mais, depuis qu’elle m’a si durement repoussé, je suis décidé à aller
chercher fortune ailleurs.
HOARD
Je vous ai toujours dit que ma nièce caressait un autre espoir.
MONEYLOVE
J’en conviens. Pour compenser ma perte de temps et le zèle avec lequel j’ai recherché
votre nièce, je voudrais obtenir une faveur de Votre Grâce.
HOARD
Je n’ai rien à vous refuser.
MONEYLOVE
Je vous en sais gré. Il y a à peu près trois heures, on m’a informé de l’heureuse
venue d’une riche veuve dans ce pays.
MONEYLOVE
Quatre cents livres de revenu en terres!
MONEYLOVE
Je connais son logis. Si Votre Seigneurie consentait à me protéger, à dire un mot
pour moi, je ne doute pas de plaire à ladite veuve. Je ne me contenterais pas de vous
remercier. Deux cents angelots…
HOARD
A-t-elle des prétendants?
MONEYLOVE
On dit, ou plutôt on murmure, ce dont j’ai lieu de me réjouir, que son seul prétendant
serait ce jeune coureur de Witgood, le neveu de votre mortel adversaire.
MONEYLOVE
Absolument. Et l’oncle se montrerait assez adroit pour charmer la veuve et enlever
le mariage.
MONEYLOVE
Vous savez que le jeune Witgood est un dépensier, un mauvais sujet?
HOARD
L’écume des mauvais lieux!
MONEYLOVE
Ces renseignements donnés par Votre Seigneurie, j’aurais double chance de le supplanter
dans l’esprit de la veuve et de gagner son affection.
HOARD
Tiens-toi à ma disposition vers les cinq heures.
MONEYLOVE
Je n’y manquerai pas.
(Il sort).
HOARD
Fou! Tu confies ton trésor à un voleur, en contant à un veuf une histoire d’amour!
Je tiens ma revanche! Je vais non seulement pouvoir contrecarrer mon adversaire, tromper
les dernières espérances de son neveu, mais grossir ma fortune, augmenter mes revenus,
multiplier mes bénéfices! Ah! ah ! je répondrai enfin à vos insultes, je vous retournerai
vos compliments, je confondrai vos projets, détruirai vos plans, bouleverserai comme
une peste inattendue et hâtive votre sécurité!
(Entrent TROIS CRÉANCIERS de WITGOOD).
PREMIER CRÉANCIER
Je suis heureux de la nouvelle.
DEUXIÈME CRÉANCIER
Nous les sommes également.
TROISIÈME CRÉANCIER
Le jeune Vitgood va redevenir une bonne affaire.
HOARD
(à part). Chut! Ecoutons!
PREMIER CRÉANCIER
Je vous promets, master Cockpit, que la veuve possède un sac!
DEUXIÈME CRÉANCIER
En avez-vous entendu parler?
PREMIER CRÉANCIER
De la veuve Medler? On ne parle que d’elle!
TROISIÈME CRÉANCIER
Quatre cents livres de revenu, dit-on, en bonnes terres!
PREMIER CRÉANCIER
Si vous croyez cela, vous demeurez au-dessous de la vérité.
DEUXIÈME CRÉANCIER
Et voyez comme il garde l’affaire secrète!
PREMIER CRÉANCIER
Il s’agit maintenant de ne pas attendre qu’elle choississe un meilleur parti.
TROISIÈME CRÉANCIER
Il me doit mille livres, dont je n’ai jamais touché un penny!
PREMIER CRÉANCIER
Il ne se doute pas de notre présence, et serait bien étonné s’il savait que nous le
suivons!
(Sortent les Créanciers).
HOARD
Les créanciers! Bon, je vais les suivre. Cela est fait pour moi. Tous connaissent
la fortune de la veuve et l’on sait que peux l’établir richement ; ce que je ferai.
Deux chances me font entrevoir un destin doublement heureux: je me venge d’un ennemi
et j’améliore ma situation!
FIN DU SECOND ACTE.