Thomas Middleton, A Trick to Catch the Old One

Le moyen d'attraper un vieillard





Texto utilizado para esta edición digital:
Middleton, Thomas. Le moyen d'attraper un vieillard.. In: Les Contemporains de Shakespeare. Ben Jonson, Marlowe, Dekker, Middleton. Traduit par Georges Duval. Paris: E. Flammarion, 1920.
Adaptación digital para EMOTHE:
  • Tronch Pérez, Jesus

Note à cette édition numérique

Avec le soutien du projet de recherche GVAICO2016-092, financé par Generalitat Valenciana (2016-2017).

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PERSONNAGES

WITGOOD
LUCRE, son oncle
HOARD
ONÉSIPHORUS HOARD, son frère
LIMBER, }
KIX, }
LAMPREY, }
SPICHCOCK, } amis de Hoard
DAMPIT
GULF
MONEYLOVE
SIR LAUNCELOT
CRÉANCIERS
GENTILSHOMMES
GEORGE
LA COURTISANE
MISTRESS LUCRE
JOYCE, niece de Hoard
LADY FOXTONE
ANDREY, servant de Dampit

ACTE PREMIER

SCÈNE PREMIÈRE.

Une rue dans une ville de province.
Entre WITGOOD.

WITGOOD
C’est fini! Tu demeures un gentilhomme, mais un gentilhomme pauvre, c’est-à-dire rien. Quel ait rapportent maintenant tes prairies? Où sont tes riches coteaux et tes plaines? Tout a sombré dans la fosse de la luxure! Pourquoi faut-il qu’un galant ne paie que deux shillings pour sa table d’hôte et quarante pour fréquenter les mauvais mieux où il s’abrutit! Mais où est Longacre? Dans la conscience de mon oncle qui voyage depuis trois années, recommandant à cette conscience de ne plus retrouver le chemin de la maison. Il a dû s’enliser dans le sable mouvant des subtilités légales, où il crève sur un amas de præmunire. Et ces vieux oncles à cervelles de renard, à fronts de bœuf, trouvent encore le moyen de défendre leur avarice, de vanter leurs manières d’agir, et de provoquer ainsi nos folies!
ErrorMetrica
Il a passé sa jeunesse
Dans les mauvais lieux, à boire, à courir des dangers,
Et il laisse son parent le plus proche
Tricher devant un étranger.
Un oncle qui encourage l’usure! Je n’ose pas parcourir cette ville, de peur d’y rencontrer cette horrible peste: mes dettes, qui me coûtent l’amour d’une vierge, sa dot et ses vertus! Comment va vivre à cette heure un homme privé de tout? N’existe-t-il pas sur cette terre un million d’individus se reposant sur leurs cervelles et de leur esprit faisant leur unique ressource? Je ne compte que pour un dans ce million et je n’utiliserais pas le mien? Tout moyen, fût-il même illégal, me serait à cette heure d’une grande utilité!

(Entre une COURTISANE).

LA COURTISANE
Mon amour!

WITGOOD
L’objet de mon horreur! Toi le secret motif de ma ruine, tu voudrais maintenant troubler mon esprit, ma dernière ressource? Veux-tu donc me réduire à néant? Arrière, courtisane, araignée ramassée sur ses pattes, qui fanes les roses sur les joues de la jeunesse!

LA COURTISANE
Je satisfaisais loyalement vos caprices, et toutes vos richesses trois fois gaspillées n’égalaient pas le joyau que je vous ai offert: ma virginité. Vos terres hypothéquées peuvent vous revenir après avoir acquis de la valeur, tandis qu’une fois engagée, la vertu ne se rachète pas.

WITGOOD
Pardonne-moi. J’ai tort de t’accuser et de t’adresser des reproches.

LA COURTISANE
Maintenant que je vous fais horreur, adieu.

WITGOOD
Demeure, toi qui raisonnes si bien!

LA COURTISANE
J’ai été le « secret motif de votre ruine ». « Je troublerais votre esprit, votre dernière ressource ». Arrière!

WITGOOD
Je t’en supplie, ne me rends pas fou par ma propre faute. Reste. M’aimes-tu? La destinée m’a mis en si piteux état que c’est à toi que je dois avoir recours.

LA COURTISANE
A moi? En ce cas, rassure-toi. Je mets tout le pouvoir de ma beauté à ta disposition.

WITGOOD
Voilà qui s’appelle parler en honnête coquine! Cela prouve que la ruse, d’abord hésitante, peut se perfectionner.

LA COURTISANE
Allons, je te prêterai assistance. Pourquoi t’abandonnerais-je? Quoique tu demandes, je serai là, en toute occasion. Parle. De quoi s’agit-il? Je serai heureuse de t’aider.

WITGOOD
Soit. Tu vas prendre le nom et revêtir l’extérieur d’une riche veuve de province, possédant quatre cents livres de revenu, en bois, bétail, granges et grains, et nous irons à Londres trouver mon avaricieux d’oncle.

LA COURTISANE
Je commence à t’applaudir. Nos situations à tous deux étant désespérées, il faut prendre immédiatement un parti. Reste à savoir comment nous procurer des chevaux.

WITGOOD
Par la messe, tu as raison, la plaisanterie durera plus d’un jour. Voyons, je connais un espèce de fou qui ne te connait pas et auquel j’ai souvent payé à boire. Il suffira de lui conter quelque histoire pour le convaincre, et nous aurons le cheval à notre disposition, j’ose te le garantir.

LA COURTISANE
Alors vite à l’œuvre. Je ne compromettrai ton projet ni par mes paroles, ni par ma tenue. Je dissimulerai si bien mes besoins, je jouerai si bien mon rôle qu’on sera vite convaincu.

WITGOOD
En ce cas, tout va bien. Je vais me mettre à la recherche de mon vieux renard d’oncle. Bien qu’il s’intéresse peu à mes ennuis, je conserve quelque espoir, car il est impossible qu’il ne soulage quelques-uns des besoins qui m’attirent vers cette ville. En usant d’artifice, c’est bien le diable si le nom d’une riche veuve, quatre cents livres de rentes en bonne terre, ne réveillent pas en ma faveur son tempérament d’usurier, au point que non seulement ma présence lui soit agréable, mais que je le trouve disposé à me servir, voire même à m’encourager. Je connais l’affection des vieillards: quand un neveu est pauvre ils l’abandonnent à la grâce de Dieu; s’il est riche, ils s’empressent de lui porter secours.

LA COURTISANE
Ainsi va le monde! Au temps où nous vivons, l’amour d’un vieillard pour son parent est comme sa tendresse pour sa femme, tout est fini avant qu’il ne s’y résigne.

WITGOOD
Je te remercie de la plaisanterie. Allons, toute ma richesse est là. Va faire tes préparatifs. Je vais chez mon hôte en toute hâte, et avec toute l’adresse possible, en employant les moyens les plus profitables, je lui ferai entendre les avantages d’une occasion qui transformera la cire en miel. (La Courtisane sort). Eh quoi! voici les honorables vieillards de notre province.

(Entrent ONESIPHORUS HOARD, LIMBER et KIX).

O. HOARD
Qu’est cela?

LIMBER
Notre mauvais sujet. N’y faites pas attention.

WITGOOD
(à part) Ils feignent de ne pas me reconnaître; ce qui m’en console, c’est qu’avant peu c’est à peine s’ils se reconnaîtront eux-mêmes.

(Il sort).

O. HOARD
Je me demande comment il espère encore, quand cette courtisane lui a tout pris!

LIMBER
On en a beaucoup dit sur son compte.

O. HOARD
Et tout ce qu’on a dit est vrai. Son oncle et mon frère sont depuis trois ans de mortels ennemis; deux caractères difficiles qui se heurtent rarement sans se battre, ou se quereller s’ils demeurent relativement calmes. Je crois que leur irritabilité les conserve.

LIMBER
Et quel est l’objet de leur dispute?

O. HOARD
Une affaire dans laquelle un jeune héritier est en cause. Master Hoard, mon frère, a perdu beaucoup de temps à débattre le marché, jusqu’au jour où, écoutant sa conscience, car il connaissait le pauvre gentilhomme, il cessa de s’en mêler à son propre détriment.

LIMBER
Et c’est tout?

O. HOARD
C’est tout. Néanmoins je ne sais pas pourquoi de cette querelle devaient devenir responsables le fils de sa femme et ma nièce. De ce qu’une discussion s’est élevée entre deux vieillards, faut-il qu’elle atteigne deux jeunes gens? S’il est naturel que deux vieilles gens se disputent; il l’est également que deux jeunes s’aiment. Un jeune savant fait la cour à ma nièce, il est sage mais il est pauvre. Un autre la courtise qui est étourdi mais riche. Un fou possédant de la fortune ne vaut-il pas mieux qu’un pauvre philosophe?

LIMBER
Ce serait l’avis de tout le monde.

O. HOARD
Elle habite maintenant Londres avec mon frère, son second oncle, pour y apprendre les belles manières, la musique, à chanter entre les lignes, à tenir une viole entre les jambes. Elle sera bientôt un beau parti. Quand elle se mariera, nous serons heureux.

LIMBER
C’est ce qu’on appelle un match!

(Ils sortent).

SCÈNE II

Une autre rue dans la même ville.
Entre WITGOOD, qui recontre l’HOTELIER.

WITGOOD
Hôtelier!

L’HOTELIER
Maître Witgood!

WITGOOD
Je te cherche par toute la ville.

L’HOTELIER
Et quelles nouvelles, monsieur le matamore Hadland?

WITGOOD
As-tu des chevaux hongres dans ta maison? Réponds vite.

L’HOTELIER
Pourquoi cette question?

WITGOOD
Pèse bien mes paroles. Je vais te conter une telle histoire que tu auras confiance en moi en dépit de tes dents, que tu me donneras de l’argent bon gré mal gré, et que tu céderas contra voluntatem et professionem.

L’HOTELIER
Dites-moi le moyen que vous emploierez, et je vous considérerai comme plus malin qu’un conspirateur.

WITGOOD
Serais-tu content de me voir parvenir?

L’HOTELIER
Autant me demander si j’aime le vin de Xérès et le gingembre.

WITGOOD
T’intéresses-tu à ma prospérité?

L’HOTELIER
Comme un usurier aux confiscations, un officier à ses appointements, une prostituée à son entreteneur.

WITGOOD
Si je te parlais d’une veuve possédant quatre cents livres de revenu, serais-tu content? Chanterais-tu? Danserais-tu, pour revenir à ta place?

L’HOTELIER
Ordonne. Je deviens ton esprit; évoque-moi sous les traits qui te conviendront.

WITGOOD
Je l’ai enlevée à ses amis; fait faire un détour aux chevaux, en dépit de ses six domestiques, de rudes gars. Par ce jour qui m’éclaire, dépouillé du caractère humain, indifférent à sa situation, faisant fi des vaines cérémonies, je ne pensais qu’à mon amour. Il faut avoir la langue bien pendue pour gagner une veuve!

L’HOTELIER
Une langue avec une L majuscule!

WITGOOD
Maintenant, voici la situation, mon cher hôte. Si tu t’intéresses à mon bonheur, il faut m’assister.

L’HOTELIER
Commande à tous les animaux de la maison.

WITGOOD
Ce n’est pas tout. Contiens ta joie et écoute-moi encore. Tu sais que j’ai dans la ville un oncle riche et que mes folies ont enrichi encore. La nouvelle de ma bonne fortune, habilement répandue, peut être un moyen de tirer quelque argent de ce coquin d’usurier; or j’ai entretenu ma veuve d’espérances représentées ni en terre ni en monnaie. Si elle s’en aperçoit c’en est fait de notre amour, le mariage est manqué et je suis à jamais ruiné.

L’HOTELIER
Veux-tu me confier la direction de l’affaire?

WITGOOD
A toi? Autant me demander si je veux voir réussir mon projet? Si je tiens à un revenu de quatre cents livres quand je connais la pauvreté? Si un homme désire épouser une veuve riche alors qu’il n’a pas d’abri pour reposer sa tête? Si je me confie à toi? Plutôt qu’à toute une couvée de conseillers.

L’HOTELIER
Je vous remercie de votre confiance, et si je ne vous suis pas utile, qu’un hôtelier devienne, hic et hæhostis, l’ennemi des dés, de la boisson et de la volupté. Où est votre veuve?

WITGOOD
A Park-end.

L’HOTELIER
Je me mets à son service.

WITGOOD
Partons ensemble. Agissons prudemment.

L’HOTELIER
Et nous reverrons de nouveaux beaux jours.

WITGOOD
Et de joyeuses nuits, comme on ne saurait en imaginer.

(Ils sortent).

SCÈNE III.

Une rue à Londres.
Entrent LUCRE et HOARD, se querellant. LAMPREY, SPICHCOCK, FREEDOM et MONEYLOVE cherchent a les calmer.

LAMPREY
Voyons, maître Lucre, et vous maître Hoard, la colère est un vent qui vous trouble en même temps.

HOARD
Un adversaire me défiera-t-il journellement, rouvrant la blessure de notre inimitié, blessure que trois étés n’ont pu cicatriser? blessure dans laquelle, à sa vue, je veux couler des gouttes de plomb fondu au lieu de baume.

LUCRE
Hoard! Hoard! Hoard! Ne peux-tu pas être tranquille chez moi? Répondez à cette question, devant témoins, et dites-m’en la raison. Je confie ma cause à ces gentlemen, des hommes honnêtes, d’esprit bien équilibré, ou j’en appelle aux impartialités de la loi pour décider de la matière. Ce butin est à moi, honnêtement. Cela peut arriver à tout le monde? Un homme sage doit-il agir comme un misérable parce qu’un autre homme lui a soufflé une affaire? Non. Je dis non, dans le cas présent.

LAMPREY
Et vous avez raison, master Lucre.

HOARD
Est-ce le rôle d’un ami? Non! Plutôt celui d’un Juif. Pesez bien mes paroles. Quand j’ai battu le buisson jusqu’au dernier oiseau, ou, si je peux m’exprimer ainsi, discuté le prix à une livre près, est-il honnête de venir, comme un usurier habile, le soir même de la conclusion du marché, glaner toutes mes espérances en une minute? D’entrer par une porte de derrière pour rompre le susdit marché? Car tu n’as jamais pris le droit chemin.

LUCRE
As-tu le cœur de me parler ainsi sans t’accuser toi-même?

HOARD
Quand tu as ruiné ton propre neveu, mis ses terres sous séquestre, poussé jusqu’à la dernière extrémité tes forfaitures familiales, sous prétexte que c’est un coureur, un dépensier, un habitué des mauvais lieux, que veux-tu qu’un étranger attende de toi, sauf des vulnera dilacerata, ou, comme dit le poète, des honteux procédés?

LUCRE
Vas-tu longtemps me rabattre les oreilles avec mon neveu? Suis-je cause de tout ce qui est arrivé? Responsable de ses folies? S’il se livre à tous les excès, il en sent le besoin. S’il se rassasie, il cède à ses goûts. S’il insiste, il obéit à son tempérament. En quoi cela est-il de ma faute?

HOARD
En quoi! En rien, rien, rien! Tel est le gouffre de tes appétits et le loup de ta conscience! Mais demeure bien assuré, vieux Pécunius Lucre, que si jamais la fortune me favorise, si se présente l’occasion de te vexer, j’en profiterai avec une haine si enflammée, un esprit si pervers, une fureur si vive, que je te ruinerai!

LUCRE
Ah! Ah! Ah!

LAMPREY
Master Hoard, vous êtes un homme raisonnable…

HOARD
Je te ferai la guerre…!

LUCRE
Et moi donc!

HOARD
Si impitoyablement…

LUCRE
Je te poursuivrai si monstrueusement…

HOARD
Oses-tu braver ma colère? Oh! que n’ai-je le pouvoir d’un usurier sur toi!

LUCRE
Tu aurais alors tout celui que sur toi exerce le diable!

HOARD
Crapaud!

LUCRE
Aspic!

HOARD
Serpent!

LUCRE
Vipère!

SPICHCOCK
Messieurs, nous emploierons la force pour vous séparer!

LAMPREY
Quand le feu devient trop chaud, le meilleur moyen consiste à enlever le bois!

(Sortent Lamprey et Spichcock, entraînant Lucre et Hoard, par des côtés différents).

FREEDOM
Un mot, cher monsieur.

MONEYLOVE
Quelles nouvelles?

FREEDOM
On me laisse entendre que vous seriez mon rival dans l’amour de mistress Joyce, la nièce de master Hoard? Dites-moi oui ou non.

MONEYLOVE
En effet, il en est ainsi.

FREEDOM
En ce cas veillez sur vous, vous ne vivrez pas longtemps. Je m’exerce tous les jours, et dans un mois je vous provoquerai.

MONEYLOVE
Donnez-moi la main. Je prends l’engagement de me rencontrer avec vous.

(Il le soufflette et sort).

FREEDOM
Pourquoi agir de la sorte?...Pourquoi me battre avant le mois convenu? Vous savez que je ne suis pas prêt et voilà le secret de votre audace! Me prenez-vous pour un couard capable de vous rendre ce soufflet? Mon oreille a la loi de son côté, bien qu’elle me brûle horriblement. Je t’apprendrai à souffleter un visage nu, le jour le plus long de sa vie! Il m’en coûtera quelque argent, mais voilà un soufflet que je traînerai en justice!

(Il sort).

SCÈNE IV

Une autre rue.
Entrent WITGOOD et l’HOTELIER.

L’HOTELIER
N’ayez pas peur, monsieur; je l’ai logée dans une maison honorable, je vous le garantis.

WITGOOD
As-tu les écrits?

L’HOTELIER
Soyez tranquille.

WITGOOD
Je t’en prie, arrête-toi, et regarde les deux coquins les plus prodigieux qui aient jamais emprunté une forme humaine: Dampit, un fripon, et le jeune Gulf, sa chenille.

L’HOTELIER
Dampit? Sûrement j’ai déjà entendu parler de ce Dampit.

WITGOOD
Entendu parler? Un homme sans oreilles saurait de ses nouvelles. Le plus fameux procédurier de ce temps! Souviens-toi de ce que je vais t’apprendre. Ce Dampit, avec sa barbe inégale et son vêtement de serge, représente le fripon le plus notoire, le plus intéressé, le plus blasphémateur, le plus athée, le plus putassier de ce temps. Il a commencé par voler un chien de ferme.

L’HOTELIER
Il semblait vouloir obéir aux préceptes de la loi quand il débuta dans ce vol.

WITGOOD
En effet. Dans la première ville où il vint, il mit les chiens aux prises.

L’HOTELIER
Preuve qu’il obéissait à la susdite loi.

WITGOOD
Tu l’as dit. Réduit à la misère, il commença par lâcher son chien sur un noble, et son chien eut la bonne fortune de l’attraper. Comment il en tira dix shillings, je l’ignore, mais il s’enorgueillit de n’être venu dans la ville qu’avec dix shillings et de représenter maintenant dix mille livres.

L’HOTELIER
Le diable dut s’en mêler.

(Entrent DAMPIT et GULF).

WITGOOD
(à part.) Comment ne s’en serait-il pas mêle? Si vous prenez le diable pour complice, la richesse arrive avec la vengeance: il a tourné la loi et le diable a souci de qui le sert. Le coquin m’a aperçu et m’a déjà joliment arrange. La peste soit de lui! Master Dampit! En chair et en os! (Haut.) Je vous demande pardon, master Gulf, vous avez le pas si léger que je ne vous apercevais pas.

GULF
Qui va lentement va sûrement, a dit le poète.

WITGOOD
Mon vieux Harry!

DAMPIT
Mon cher Theodorus?

WITGOOD
C’était un heureux temps celui où tu vins à la ville avec dix shillings dans ta bourse.

DAMPIT
Et j’ai maintenant dix mille livres, mon cher. Fais-le savoir. Harry Dampit, le procédurier, disait alors qu’il se réveillerait un matin dans ses habits de serge, mêlé à quelque cause et rôdant autour de Westminster-Hall; qu’il verrait les galions, les grandes armadas de la loi, et aussi les petits vaisseaux, les rameurs, les godilleurs et les crocheteurs de serrures du temps. Qu’il piétinerait comme une mule, dirait tantôt aux juges: « S’il plait à Vos Honorables Paternités », au conseiller: « S’il plait à Votre Honorable Patience », à l’un des clercs: « S’il plait à Votre Honorable Pouillerie », tandis qu’il dévorait sa morue, tantôt dans l’enfer, tantôt dans sa chambre.

WITGOOD
Et souvent à la cave!

DAMPIT
Si cela te fait Plaisir. Procéduriers du temps, marionnettes de Fleet-Street, visions de Holborn, autant de profits. Les clients affluent chez moi! Je m’humiliais, je trottais pour les causes des autres hommes. Tel était le pauvre Harry Dampit enrichi par la fainéantise des autres, de ces autres qui sans bottes me présentaient leurs bourses.

WITGOOD
Est-ce ainsi que tu agissais, Harry?

DAMPIT
Oui, et je les marinais dans les frais de la procédure. Je me faisais vingt livres par an avec mon bateau de louage, sans en posséder un pour mener ma vie.

WITGOOD
Procédurier du temps.

DAMPIT
Oui, procédurier du temps, coquin de l’époque, croquemitaine!

WITGOOD
Tu es un vieux fou, Harry! Mon cher monsieur Gulf, je suis heureux d’avoir renoué connaissance.

GULF
Je me félicite de l’occasion.

(Ils sortent).
FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.

Une chambre dans la maison de Lucre.

LUCRE
Mon adversaire me blâme à propos de mon neveu. Pourquoi un oncle vertueux n’aurait-il pas un neveu dissolu? Pourquoi, sous prétexte que c’est un coureur, un dépensier, un ivrogne comme il y en a tant, en un mot un mendiant, ses défauts feraient-ils ma honte? Quand nous ne partageons pas leurs folies, pourquoi partagerions-nous leurs infamies? En ce qui concerne ma sévérité à propos de ses hypothèques, je ne la nie pas. Je confesse que j’y ai un peu gagné, mais… (Entre un DOMESTIQUE). Qu’y a-t-il?

LE DOMESTIQUE
Un valet de province désire parler à Votre Seigneurie.

LUCRE
J’ai quelques moments de loisir, introduis-le.

(Sort le Domestique).
(Entre l’HOTELIER, déguisé en domestique de province).

L’HOTELIER
Dieu bénisse Votre Honorable Seigneurie.

LUCRE
Sois le bienvenu, mon bon ami.

L’HOTELIER
(à part.) Il m’appelle voleur à première vue, se douterait-il que je suis hôtelier?

LUCRE
Que me veux-tu?

L’HOTELIER
Ma maîtresse m’a prié d’aller trouver un homme dont la capacité soit reconnue, pour le consulter sur un point douteux. Je m’adresse à vous à tout hasard, car je ne connais personne ici, et ma maîtresse, aussi étrangère au pays que moi-même, est logée à la même enseigne. J’ai le bonheur de trouver Votre Seigneurie chez elle, et si vous le voulez nous expédierons les choses aussi vite que possible.

LUCRE
(à part.) Voilà un brave homme, et qui me plait. (Haut). Qui est votre maîtresse?

L’HOTELIER
Une veuve de province. Hier nous avons pris pour la première fois notre volée, et elle a décidé de s’arrêter ici pour terminer une affaire.

LUCRE
Son nom, je te prie?

L’HOTELIER
On peut le trouver sur les titres de possession: veuve Medler.

LUCRE
Medler? Par la messe, je n’ai jamais entendu parler de cette veuve.

L’HOTELIER
Vous devez vous tromper, monsieur. N’existe-t-il pas une veuve riche dans le Staffordshire?

LUCRE
En effet! Tu me la remets en mémoire. Il en existe une. Ah! si je redevenais garçon!

L’HOTELIER
Votre Seigneurie pourrait certainement l’épouser, mais elle est déjà engagée avec un célibataire.

LUCRE
Et quel est-il, je te prie?

L’HOTELIER
Un gentilhomme de province que Votre Seigneurie ne connaît sûrement point, j’en jurerais. Il a commis bien des folies dans sa jeunesse, mais l’idée du mariage, j’en puis jurer, commence à l’apaiser. Ma maîtresse l’aime, et vous savez que l’amour excuse bien des fautes. Il s’agit d’un monsieur Witgood, si jamais son nom est venu jusqu’à vous.

LUCRE
Witgood, dis-tu?

L’HOTELIER
Witgood. Ma maîtresse lui apportera un joli revenu: quatre cents livres par an.

LUCRE
De quelle province est ce jeune Witgood?

L’HOTELIER
Du Leicesterhire.

LUCRE
(à part.) Mon neveu! Par la messe, c’est bien mon neveu! J’en tirerai parti! (Haut). Et ce gentilhomme, dis-tu, va l’épouser?

L’HOTELIER
Il l’a emmenée de la ville, avec le meilleur atout en main: son cœur. Ma maîtresse voudrait conclure ce mariage avant de repartir, n’étant pas, je le jure, de ces veuves qui succombent d’abord et se marient après. Elle a horreur de cela.

LUCRE
Sur ma foi, elle a mis la main sur un brave gentilhomme et bien à sa convenance. Je lui en ferai cadeau.

L’HOTELIER
Votre Seigneurie le connaîtrait-il?

LUCRE
Si je le connais! Tout le monde ne le connaît-il pas? Un homme aussi accompli ne se trouve pas au boisseau.

L’HOTELIER
En ce cas, Votre Seigneurie peut m’éviter la fatigue de me renseigner sur son compte?

LUCRE
Te renseigner? Suis mon conseil: ne va pas plus loin, ne te renseigne qu’auprès de moi, je puis te satisfaire. Il a été jeune, mais il s’est assagi! Un mot. Votre maîtresse n’a-t-elle jamais été un peu légère dans sa vie? S’il y a des hommes qui ne se sont pas toujours montrés raisonnables, certaines femmes se conduisent parfois de façon un peu légère!

L’HOTELIER
Sans aucun doute, monsieur.

LUCRE
L’homme corrigé de sa folie n’en rentre que plus sage au logis.

L’HOTELIER
La pure vérité.

LUCRE
Voilà ce que je puis vous dire de plus mauvais sur son compte. Jamais il n’exista de plus brave et plus généreux gentilhomme, que Witgood, le trois fois noble Witgood.

L’HOTELIER
Puisque Votre Seigneurie le connaît si bien, voulez-vous condescendre à me raconteur sa vie? Mon devoir consiste à prendre soin de la réputation de ma maîtresse, si bonne pour moi! Plus que je ne saurais le dire! Elle a déjà éconduit bien des soupirants, heureusement pour elle! Si l’homme sur lequel elle a fixé son choix n’en était pas digne, elle pourrait encore reprendre sa parole. Il nous a affirmé posséder des terres et de quoi vivre.

LUCRE
Qui? Le jeune Witgood? Vous pouvez l’en croire. Il possède une jolie fortune à…Comment appelez-vous l’endroit?

L’HOTELIER
Je ne sais pas.

LUCRE
Comme une bête, j’ai oublié le nom! Il a de bons bois, de belles prairies…La peste soit de moi de ne pas me souvenir de l’endroit!...Quoi! Il s’agit de Witgood, de Witgood Hall et on ne le connaît pas davantage!

L’HOTELIER
Non, monsieur. Voyez comme on parle à la légère! Le bruit court que tous ses biens sont hypothéqués au bénéfice d’un oncle habitant cette ville?

LUCRE
Un conte! Un conte!

L’HOTELIER
Je peux vous assurer, monsieur, que tel est le rapport que l’on a fait à ma maîtresse.

LUCRE
Vous imaginez-vous qu’il eût été assez naïf pour laisser un oncle prendre hypothèque sur ses biens? que son on le eût été assez inhumain pour en venir à une pareille extrémité?

L’HOTELIER
C’est ce que j’ai dit!

LUCRE
Jamais il n’y a pensé!

L’HOTELIER
Les bruits sont pourtant courants.

LUCRE
Puisque vous insistez, sachez la vérité: je suis son oncle!

L’HOTELIER
Vous! Qu’ai-je fait!

LUCRE
Voyons! Voyons! Un homme ne se trouve pas mal!

L’HOTELIER
Votre Seigneurie est son oncle?

LUCRE
Y voyez-vous un inconvénient?

L’HOTELIER
Je vous supplie, monsieur, de me promettre de ne point parler de ma demarche. Pour ne pas ébruiter leur projet et éviter la foule des prétendants, ils voudraient se marier de suite et sans qu’on le sût.

LUCRE
Supposes-tu un homme de mon jugement capable d’une maladresse? Qui m’oblige à raconter que j’apprends par toi ce mariage? Parais-je un fou de cinquante-quatre ans? Perdrais-je si vite la raison à laquelle je dois ma fortune? Prends cette poignée d’angelots pour toi. Où sont-ils descendus?

L’HOTELIER
Il ne m’arrivera rien de regrettable?

LUCRE
Absolument rien.

L’HOTELIER
Je peux de mon propre mouvement…?

LUCRE
Suis-je un homme sérieux?

L’HOTELIER
Je me confie à Votre Seigneurie. Vous ne me connaissez pas, et pour éviter les indiscrétions, je ne veux avoir affaire qu’à vous.

LUCRE
(à part.) Ce garçon inspire la confiance. (Haut) Allons, parle. (L’hôtelier lui parle bas). Tu es un brave garçon. Oh! mon coquin de neveu!

L’HOTELIER
Maintenant que me voilà de mèche avec Votre Seigneurie, quand me donnerez-vous votre avis sur ce point douteux? Il me faut maintenant agir avec circonspection.

LUCRE
Ne crains rien. Demain soir je me prononcerai sur le susdit point. Et porte-toi bien. (L’Hôtelier sort). Ce serviteur de province contient plus d’honnêteté que cent de nos compagnons. Je leur octroie le titre de compagnons, car avec leurs vestes bleues retournées, on ne distingue plus le valet du maître. George!

(Entre GEORGE).

GEORGE
Monsieur!

LUCRE
Ecoute. (Il lui parle bas). Ne dévoile pas l’endroit, salue mon neveu et dis-lui que je l’attends.

GEORGE
Bien, monsieur.

LUCRE
Et surtout soyez à son égard du plus grand respect.

GEORGE
(à part.) Voilà un étrange changement! Hier il fallait le traiter comme un mendiant, aujourd’hui on doit l’aborder comme un chevalier.

(Il sort)

LUCRE
Ah! le coquin…Une riche veuve! Quatre cents livres de revenus. Je regrette qu’il m’en veuille, à la veille de devenir si riche. Pourquoi ne suis-je plus qu’un étranger pour lui? Hum! J’espère qu’il n’est pas assez malin pour me soupçonner de l’avoir dupé! Cela me surprendrait beaucoup. Grand Dieu, qui aurait jamais pensé que les choses tourneraient ainsi! Mon devoir serait de lui rendre ce qui lui appartient. Mais l’idée ne m’en viendra pas. Je l’enrichirai de mots, si c’est nécessaire. Quant à de l’argent, jamais. (Rentre GEORGE). Eh bien?

GEORGE
Il prie Votre Seigneurie de l’excuser. Il a tant de choses à faire qu’il ne peut voir personne.

LUCRE
Ce sont ses propres paroles?

GEORGE
Ses propres paroles.

LUCRE
(à part.) Quand les hommes deviennent riches, ils deviennent également orgueilleux; je m’en suis souvent aperçu. Il ne m’aurait pas répondu de la sorte il y a un an. (Haut). Retourne auprès de lui, dis-lui que son oncle désire l’entretenir une heure, pas plus. Il s’agit de ses intérêts, répète-le lui- Donne-lui de la seigneurie. Va et fais ce que je te dis.

(George sort).

LUCRE
Maintenant il se montre discourtois envers son oncle! Me dira-t-il ce que je puis tenter pour lui? Je puis en une minute faire preuve d’une bienveillance qui eût demandé sept ans. Je connais mon caractère. Je ne me montre pas volontiers débonnaire. On ne m’émeut pas facilement. La seule raison qui me pousserait à lui faire quelque bien, serait l’étonnement qu’en ressentirait le vieux Hoard, mon adversaire. Combien sa méchanceté souffrira de la bonne fortune de mon neveu! Avec quel découragement il envisagera sa prospérité, lui qui, dernièrement, le proclamait un mutin, un besogneux, un coureur de mauvais lieux. Ah! ah! cela me causera plus de joie que mon dernier achat, me procurera plus de satisfaction que les revenus de toutes les veuves! (Rentre GEORGE, introduisant WITGOOD). Eh bien!

GEORGE
Après beaucoup de difficultés, il se décide à venir, monsieur.

(Il sort).

LUCRE
Neveu, laissez-moi vous souhaiter le bonjour! Vous êtes le bienvenu.

WITGOOD
Mon oncle, je vous remercie.

LUCRE
Je vous prends en défaut. Vous croyez-vous un étranger ici? Que le ciel vous tienne en joie!

WITGOOD
Je ne comprends pas, monsieur.

LUCRE
Ne deviez-vous pas prendre le chemin de la maison de votre oncle, vous et votre veuve? Je vous en veux, si je puis m’exprimer ainsi sans vous offenser.

WITGOOD
Qu’entendez-vous par là, monsieur?

LUCRE
Pardonne-moi. Tu me fuyais, je m’en aperçois maintenant.

WITGOOD
Je n’ai jamais cessé de vous aimer, mon oncle.

LUCRE
Quelle ingratitude, neveu! Fi!

WITGOOD
Je suis désolé de vous entendre interpréter ainsi les choses.

LUCRE
Ne dissimule pas.

WITGOOD
Voulez-vous me permettre de me défendre?

LUCRE
Oui, et sois le bienvenu.

WITGOOD
Vous savez le danger que je cours à la ville, l’importance de mes dettes, l’exigence de mes créanciers, vous avez donc des raisons de préférer me savoir au loin.

LUCRE
Par la messe! voilà une belle excuse!

WITGOOD
Autrement, dans la maison de mon oncle, je pouvais plus sûrement me marier!

LUCRE
Et ton crédit!

WITGOOD
Mon crédit? Non, ma surface. Et puis je connais votre humeur. Vous auriez laissé entendre à ma veuve qu’il fût un jour où la maison entière m’appartenait.

LUCRE
Avec presque tout ce qu’elle renferme.

WITGOOD
Vous voyez bien! Laissez les autres raconter ce qu’ils veulent. Rien ne vaut la présence d’une veuve dans la maison d’un oncle!

LUCRE
Quand des neveux sont ruinés, leur meilleur refuge devrait être, en effet, la maison de cet oncle.

WITGOOD
Ils peuvent y tenir tête aux gens.

LUCRE
Ils y sont à l’abri du sergent et de l’huissier. La maison d’un oncle! Un véritable Cold-Harbour! Coquin, je vais te servir de père maintenant! T’intéresses-tu suffisamment à ta veuve pour l'envoyer chercher?

WITGOOD
Certes.

LUCRE
Je vais m’en assurer.

WITGOOD
Envoyez un de vos gens.

LUCRE
George !

(Rentre GEORGE).

GEORGE
Me voici, monsieur.

LUCRE
Mets-toi à la disposition de mon neveu. (Witgood lui parle bas et George sort.) (A part) J’aime à bavarder avec une riche veuve! Je prends du plaisir à entendre nos langues s’accorder! On promet beaucoup et l’on tient peu. Le jeu me plaît! Je me sens maintenant d’humeur à essayer quelque chose pour mon neveu s’il sait me prendre. (Haut). C’est fait ?

WITGOOD
Oui, mon oncle.

LUCRE
Vous êtes un ingrat neveu.

WITGOOD
Le ciel m’en défende!

LUCRE
Si, monsieur mon neveu. Je sais que vous avez beaucoup de dettes, que vous êtes poursuivi par des créanciers. Votre devoir eût été de m’en avertir discrètement, sans que l’avenir en subît le moindre préjudice.

WITGOOD
Je l’avoue, mon oncle. En cela je suis blâmable. Mon intention était de bâcler les choses sans perdre de temps, à la satisfaction de mes amis et à l’étonnement des autres. Malheureusement il me manque la bagatelle d’une quarantaine de livres avant que tout soit conclu. Mais j’espère bien trouver quelque expédient.

LUCRE
Neveu, Je vous supplie de ne pas ajouter un mot.

WITGOOD
Que voulez-vous dire, mon oncle ?

LUCRE
Par l’amitié que je te porte, j’entends que tu ne t’adresses pas à d’autres qu’à moi!

WITGOOD
Vous n’avez aucune raison pour cela, mon oncle.

LUCRE
Autrement je me fâche à jamais.

WITGOOD
Voici ma main. Je vous obéirai.

LUCRE
A la bonne heure. Rapporte-t’en à moi. Paix! Voici ma femme avec Sam, le fils de son premier mari.

(Entrent MISTRESS LUCRE et FREEDOM).

WITGOOD
Bonne tante.

FREEDOM
Cher Witgood, je suis heureux de vous saluer. Soyez le bienvenu dans cette noble cité gouvernée avec l’épée au fourreau.

WITGOOD
(à part) Et l’esprit dans son pommeau. (Haut). Mon cher master Sam Freedom, je vous retourne le compliment.

LUCRE
Par la messe, elle vient, ma femme! Je veux voir comment tu la recevras.

MISTRESS LUCRE
Je suppose savoir comment on reçoit une veuve! Il n’y a pas si longtemps que je l’étais encore.

(Entre LA COURTISANE).

WITGOOD
Oncle…

LUCRE
La voici!

WITGOOD
Mon oncle désirait votre voir, madame, et j’ai pris la liberté de vous faire venir.

LA COURTISANE
Vous n’avez pas à vous en excuser, master Witgood. Monsieur est votre oncle ?

LUCRE
Je suis son oncle et heureux de l’être, chère veuve. Son oncle, son bon oncle. Par ce baiser, soyez la bienvenue. Femme, souhaitez également la bienvenue à la veuve.

FREEDOM
Je suis maintenant un homme, grâce à mon père, et je ne vois pas pourquoi je n’embrasserais pas comme lui une veuve. Je ne suppose pas que la Charte s’y oppose puisqu’elle s’exprime en ces termes: « Le fils devenu un homme peut s’esbaudir, son père fût-il un barbouilleur ». Cela se trouve environ à la cinquantième page.

(Il va pour embrasser la courtisane qui le repousse).

LUCRE
Un mot, douce veuve.

FREEDOM
Je n’ai jamais été aussi humilié depuis le jour où ma mère m’a fouetté.

LUCRE
(à la Courtisane) Je n’ai pas d’autre enfant dont prendre soin. Je le considère comme mon héritier.

LA COURTISANE
Vraiment?

LUCRE
Il le sait et le coquin en tire vanité. On lui a déjà offert des veuves, jolies, riches, des femmes de gros marchands. Croyez-vous qu’il y ait fait attention? Pas les moins du monde. Vous êtes la première qui ait attiré ses regards. Si on le savait dans la ville on lui courrait après, et heureuses celles qui mettraient la main dessus.

LA COURTISANE
C’est mon avis.

LUCRE
Vous assisteriez à un véritable assaut. Il ne pourrait plus traverser une rue. Il entrerait dans quelque grande famille. Vous voyez cette maison? elle lui reviendra avec tout le reste: les appartements, meublés, plafonnés de gypse, tendus de tapisseries, etc., etc. Neveu!

WITGOOD
Mon oncle?

LUCRE
Montrez la maison à votre veuve. Faites-lui visiter toutes les chambres et traitez-la bien. (A part, à Witgood). Neveu, assure-toi d’elle si tu es un malin.

WITGOOD
Hélas! Je ne sais pas comment elle le prendra!

LUCRE
Très bien, je te le garantis. Serais-tu un âne? Je voudrais être à ta place. De l’aplomb ou tu me ferais honte. (Sortent Witgood et la Courtisane). Laissez-les agir à leur guise. Bien des mariages se sont faits ici de la façon. Rien comme la maison d’un oncle pour produire son effet. J’empêcherai ma femme de trop parler. Tonny, votre fils, fait la cour à une pauvre fille qui ne possède que mille livres de dot, et mon neveu, un garçon n’offrant aucune espérance, a mis la main sur une veuve à la tête de quatre mille livres de revenu!

MISTRESS LUCRE
On fait ce qu’on peut.

LUCRE
Je tiendrai mon argent prêt avant qu’il ne redescende. J’entends donner à la veuve des joyaux, de l’argenterie, pour l’encourager. Je sais une belle coupe à pied qui lui fera particulièrement plaisir.

(Il sort).

MISTRESS LUCRE
Il se moque de nous avec son neveu? Je conçois un plan, mon fils, qui démolira celui de votre beau-père.

FREEDOM
Un plan tragique ou comique, chère mère?

MISTRESS LUCRE
Un plan qui ne lui fera pas plaisir. Freedom, j’entends que, dès à présent, vous cessiez de courtier la nièce de master Hoard.

FREEDOM
Pourquoi, mère?

MISTRESS LUCRE
Je vous répète que j’ai mon plan. Prenez cette chaine d’or, ce superbe diamant. Suivez notre veuve jusqu’à son logis et, quand l’occasion se montrera favorable, donnez-les-lui. J’ai mon dessein. On vous tient pour ce que vous valez, mon fils, parmi la haute société.

FREEDOM
Je l’en remercie, ma mère.

MISTRESS LUCRE
Witgood n’est qu’un gueux auprès de toi. Dis à la veuve que tu possèdes deux cents livres de rente, outre ce qui doit te revenir. Si j’étais veuve, mon cœur ne voudrait pas d’autre parti que toi.

FREEDOM
Je vous remercie de tout ce que vous faites pour moi, mère. J’en aimerais mieux une autre, mais si je ne lui adresse pas une cour assidue et si elle ne m’est pas reconnaissante de ces dons, je ne veux plus être votre fils. J’entends en courir le risque.

SCÈNE II

Une Rue.
Entrent HOARD et MONEYLOVE.

MONEYLOVE
Sur ma foi, master Hoard, j’ai passé bien des mois à courtiser votre nièce, pour l’amour de ses vertus. Mais, depuis qu’elle m’a si durement repoussé, je suis décidé à aller chercher fortune ailleurs.

HOARD
Je vous ai toujours dit que ma nièce caressait un autre espoir.

MONEYLOVE
J’en conviens. Pour compenser ma perte de temps et le zèle avec lequel j’ai recherché votre nièce, je voudrais obtenir une faveur de Votre Grâce.

HOARD
Je n’ai rien à vous refuser.

MONEYLOVE
Je vous en sais gré. Il y a à peu près trois heures, on m’a informé de l’heureuse venue d’une riche veuve dans ce pays.

HOARD
Une riche veuve!

MONEYLOVE
Quatre cents livres de revenu en terres!

HOARD
Bah!

MONEYLOVE
Je connais son logis. Si Votre Seigneurie consentait à me protéger, à dire un mot pour moi, je ne doute pas de plaire à ladite veuve. Je ne me contenterais pas de vous remercier. Deux cents angelots…

HOARD
A-t-elle des prétendants?

MONEYLOVE
On dit, ou plutôt on murmure, ce dont j’ai lieu de me réjouir, que son seul prétendant serait ce jeune coureur de Witgood, le neveu de votre mortel adversaire.

HOARD
Tu en es sûr?

MONEYLOVE
Absolument. Et l’oncle se montrerait assez adroit pour charmer la veuve et enlever le mariage.

HOARD
Très bien.

MONEYLOVE
Vous savez que le jeune Witgood est un dépensier, un mauvais sujet?

HOARD
Un fripon!

MONEYLOVE
Un noceur!

HOARD
L’écume des mauvais lieux!

MONEYLOVE
Ces renseignements donnés par Votre Seigneurie, j’aurais double chance de le supplanter dans l’esprit de la veuve et de gagner son affection.

HOARD
Tiens-toi à ma disposition vers les cinq heures.

MONEYLOVE
Je n’y manquerai pas.

(Il sort).

HOARD
Fou! Tu confies ton trésor à un voleur, en contant à un veuf une histoire d’amour! Je tiens ma revanche! Je vais non seulement pouvoir contrecarrer mon adversaire, tromper les dernières espérances de son neveu, mais grossir ma fortune, augmenter mes revenus, multiplier mes bénéfices! Ah! ah ! je répondrai enfin à vos insultes, je vous retournerai vos compliments, je confondrai vos projets, détruirai vos plans, bouleverserai comme une peste inattendue et hâtive votre sécurité!

(Entrent TROIS CRÉANCIERS de WITGOOD).

PREMIER CRÉANCIER
Je suis heureux de la nouvelle.

DEUXIÈME CRÉANCIER
Nous les sommes également.

TROISIÈME CRÉANCIER
Le jeune Vitgood va redevenir une bonne affaire.

HOARD
(à part). Chut! Ecoutons!

PREMIER CRÉANCIER
Je vous promets, master Cockpit, que la veuve possède un sac!

DEUXIÈME CRÉANCIER
En avez-vous entendu parler?

PREMIER CRÉANCIER
De la veuve Medler? On ne parle que d’elle!

TROISIÈME CRÉANCIER
Quatre cents livres de revenu, dit-on, en bonnes terres!

PREMIER CRÉANCIER
Si vous croyez cela, vous demeurez au-dessous de la vérité.

DEUXIÈME CRÉANCIER
Et voyez comme il garde l’affaire secrète!

PREMIER CRÉANCIER
Il s’agit maintenant de ne pas attendre qu’elle choississe un meilleur parti.

TROISIÈME CRÉANCIER
Il me doit mille livres, dont je n’ai jamais touché un penny!

PREMIER CRÉANCIER
Il ne se doute pas de notre présence, et serait bien étonné s’il savait que nous le suivons!

(Sortent les Créanciers).

HOARD
Les créanciers! Bon, je vais les suivre. Cela est fait pour moi. Tous connaissent la fortune de la veuve et l’on sait que peux l’établir richement ; ce que je ferai. Deux chances me font entrevoir un destin doublement heureux: je me venge d’un ennemi et j’améliore ma situation!

FIN DU SECOND ACTE.

ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE.

Le logis de Witgood.
Entrent WITGOOD et les TROIS CRÉANCIERS.

WITGOOD
Messieurs mes créanciers ne pourriez-vous pas choisir un autre moment pour me poursuivre ? En cela votre méchanceté dépasse les droits que vous donne ma dette.

PREMIER CRÉANCIER
Maître Witgood, voilà longtemps que j’attends mon argent.

WITGOOD
Parlez bas, je vous en prie. Que voulez-vous ?

DEUXIÈME CRÉANCIER
Nous apprenons que vous êtes sur le point d’épouser une riche veuve.

WITGOOD
Il n’y a pas de projet si bien caché que des créanciers que puissent le surprendre; de situation plus malheureuse que de songer que vos pires ennemis sont au courant de vos bonnes fortunes. Vous vous y prenez mal, messieurs. Si vous voulez obtenir quittance, pourquoi contrecarrer les projets que j’entretiens dans ce but ? Cela n’est de votre part ni adroit, ni pitoyable. La chance me revient. Je vais me relever, briller à nouveau, et vous serez les premiers à en profiter.

PREMIER CRÉANCIER
Il a raison.

WITGOOD
Demeurez sourds et je suis perdu à jamais !

DEUXIÈME CRÉANCIER
Cher monsieur…

WITGOOD
Comment voulez-vous qu’un homme prospère si vous le privez de soleil!

TROISIÈME CRÉANCIER
En effet !

WITGOOD
Prenez patience, il y aura de quoi vous satisfaire tous.

PREMIER CRÉANCIER
Si nous agissions autrement la honte serait pour nous!

WITGOOD
Ecoutez. Je suis tout nouvellement engagé avec la veuve et me discréditer serait me perdre. Avant trois jours je vous donnerai des terres en garantie.

PREMIER CRÉANCIER
Mon cher master Witgood! Nous avons confiance en vous.

WITGOOD
Je sais que vous avez été très bons. Il suffirait pourtant d’un méchant bruit, d’une calomnie, pour que l’on perdit confiance. Dans la situation où je me trouve un homme s’est bientôt fait des ennemis. Aussitôt que la chance lui vient la jalousie s’en mêle. Vous avez entendu dire, j’en suis sûr, que j’y mettais de la mauvaise volonté ?

DEUXIÈME CRÉANCIER
Nous avons entendu dire que vous avez déniché une riche veuve, et que vous voulez l’épouser sur le champ.

WITGOOD
Voilà la vérité. Maintenant que vous connaissez mes intentions à votre égard, faites-moi la faveur, je vous en supplie tous…

TOUS
C’est inutile !

WITGOOD
D’enterrer mes dettes dans le silence, jusqu’à ce que je sois en possession de ma veuve ; car en vérité, je puis vous parler comme à des amis?...

TOUS
Oui! Oui!

WITGOOD
Je suis à la recherche de quelque argent pour m’installer, obtenir quelque crédit dont vous profiterez. Si mes premières dettes étaient divulguées, tous mes efforts deviendraient inutiles.

PREMIER CRÉANCIER
(bas) Je veux mériter votre pratique. Acceptez mon argent avant d’avoir recours à celui d’un étranger. Voici quarante livres que je viens de toucher. Si cela peut vous être utile pour votre installation, usez-en. (Witgood fait mine de refuser). Non, je vous en prie. L’argent est à votre service.

WITGOOD
Vous me confondez tellement par votre amabilité que je me vois obligé d’accepter.

PREMIER CRÉANCIER
(à part.) N’en parlez pas aux autres, je vous en prie.

WITGOOD
Ne craignez rien.

PREMIER CRÉANCIER
(idem.) J’espère être le premier auquel vous penserez après votre mariage?

WITGOOD
Ayez-en la conviction.

PREMIER CRÉANCIER
Où allez-vous, messieurs ?

DEUXIEME CRÉANCIER
(bas à Witgood.) Soyez sans inquiétude, je vais chercher de l’argent. Avant une heure vous recevrez ce dont vous avez besoin. (Haut). Allons, master Cockpit, nous vous attendons.

TROISIÈME CRÉANCIER
J’ai laissé tomber ma bague. Je vous suis à l’instant. (Sortent le premier et le deuxième créancier). Vous la trouverez, monsieur. Je sais que votre jeunesse et vos prodigalités vous ont dépouillé de tous vos bijoux. Voici un rubis de vingt livres. Donnez-le à votre veuve. (Il offre la bague que Witgood refuse tout d’abord). Quel homme ! Elle ne vous en aimera que davantage. Si je pouvais travailler pour vous, je ne voudrais pas vous voir la proie de ces sangsues pour tout l’or du monde.

WITGOOD
J’en suis sûr.

TROISIÈME CRÉANCIER
Ce sont de véritables coupe-gorge.

WITGOOD
Je les connais.

TROISIÈME CRÉANCIER
Envoyez-moi la note de tout ce dont vous avez besoin, je vous satisferai sur l’heure.

WITGOOD
Vraiment? En ce cas voici ma main. Je ne veux plus avoir affaire qu’à toi.

TROISIÈME CRÉANCIER
Puis-je ne jamais donner la mienne à ces deux autres, alors?

WITGOOD
Je te le souhaite.

TROISIÈME CRÉANCIER
Je vous remercie.

WITGOOD
Adieu. Cher master Cockpit. (Sort le troisième créancier). Ah! ah! ah! Décidément rien de plus inventif que la nécessité et de plus abrutissant que la richesse et le libertinage, bien qu’ils aient encore quelque avantage. Oh! si je tenais l’hypothèque de mon oncle comme je tiens ces vétilles, je renoncerais aux mauvais lieux à midi, et à minuit au muscatel et aux œufs!

LA COURTISANE
(à la cantonade.) Master Witgood, où êtes-vous?

WITGOOD
Holà!

Entre LA COURTISANE

LA COURTISANE
Riches nouvelles?

Witgood
Que ne sont-elles toutes monnayées?

LA COURTISANE
Voici des chaînes et des bijoux. Je suis tellement sollicitée par des prétendants, master Witgood, que je ne sais plus lequel mettre le premier à la porte. Dans ce nombre, un certain master Hoard, un vieux gentilhomme.

WITGOOD
Sur ma vie, le rival de mon oncle!

LA COURTISANE
Cela ne m’étonne pas, car s’il dit du mal de vous, il parle honteusement de lui. Je l’ai tout d’abord évincé, mais si adroitement qu’il emporte des espérances plutôt que la conviction d’un congé définitif.

WITGOOD
Parfait !

LA COURTISANE
Je l’attends accompagné de gentlemen avec lesquels il s’efforce de me démontrer que vous êtes un intempérant, dans une situation définitivement compromise. Votre oncle…

WITGOOD
Coquine, voici le moment de faire fortune. Profitez-en. Il est riche d’argent, de propriétés et de terres. Epouse-le. C’est un vieux fou passionné ; et j’en serai enchanté. Epouse-le. Ma conscience prendrait du plaisir à te voir bien accueillie, car je m’intéresse à toi.

LA COURTISANE
Mille remerciements, mon cher Witgood.

WITGOOD
Je caresse encore un autre espoir. S’il se réalise, tu ne t’en plaindras pas, outre qu’il peut en résulter beaucoup de bien pour moi. Poursuis ton œuvre. Soyons gens d’esprit, nous ne trouverons jamais une meilleure occasion.

LA COURTISANE
Plus un mot, je crois les entendre.

(Ils sortent).
(Entrent HOARD, accompagné de GENTLEMEN, et l’HOTELIER déguisé en domestique).

HOARD
Sers-tu chez la veuve ? Elle aurait alors de fameux serviteurs.

L’HOTELIER
Je suis le moins bon des six, monsieur, bien que digne de porter livrée.

HOARD
Écoute, tu m’as dis que tu étais dans ses petits papiers?

L’HOTELIER
Non pas.

HOARD
Tu es trop modeste. Voici une poignée de pièces d’or. Procure-moi l’occasion de lui parler.

L’HOTELIER
Je ferai mon possible, monsieur, sans me compromettre.

HOARD
Va, obéis-moi, et attends-toi à mieux encore de ma part.

L’HOTELIER
Cela ne vaut-il pas mieux qu’une place de treize shillings, quatre pence par an? Un serviteur avec trois clients de cette espèce vivrait à l’aise. Aussi bien j’ai toujours été trop distingué pour refuser de l’argent de quiconque. Que de duperies à accomplir sur cette terre! Maintenant je connais le caractère de ma veuve. Seul mon jeune maître est dans ses griffes!

(Il sort).

HOARD
Maintenant, mes chers messieurs, prêtez-moi votre aide. Vous connaissez ses folies et ce que je veux?

PREMIER GENTLEMAN
En effet, monsieur.

DEUXIÈME GENTLEMAN
Master Hoard, êtes-vous sûr qu’il ne se trouve pas dans la maison à cette heure?

HOARD
J’ai choisi l’instant propice, croyez-m’en. Le prodigue est sorti. Assistez-moi. La voici qui vient. (Entre LA COURTISANE). Eh bien, ma charmante veuve ?

LA COURTISANE
Soyez le bienvenu, master Hoard.

HOARD
Attention, messieurs, attention! Je viens, chère veuve, vous fournir la preuve que mes paroles ne sont dictées ni par l’envie ni par la calomnie. Qu’elles résument plutôt les mérites et les actions de Witgood et de son oncle. Ces gentlemen, bien connus, d’une réputation sans tache, peuvent l’attester.

LA COURTISANE
Je ne saurais vous dire dans quel sens mes affections disposent de moi. Mais sûrement, si ces messieurs estiment Witgood si peu digne d’intérêt, ils ont raison de le fuir. Messieurs, comme vous jouissez d’une réputation parfaite et que vous avez pour vous les apparences, je vous supplie de me dire la vérité! Je suis veuve, conséquemment facile à tromper, notre faiblesse est si grande! Montrez-vous impartiaux; parlez sans parti pris.

HOARD
Et vous serez fixée.

LA COURTISANE
Silence, master Hoard. Vous êtes juge et partie.

HOARD
Je ne souffle plus un mot.

PREMIER GENTLEMAN
Le meilleur moyen de vous convaincre sera de n’employer ni la flatterie, ni la malice, mais de juger impartialement.

LA COURTISANE
Voilà.

PREMIER GENTLEMAN
Ce Witgood incarne le mauvais sujet, l’homme taré, sans situation, sans considération, couvert de dettes, menacé d’une prise de corps que nous maintiendrons de tout notre crédit et de toutes nos forces.

LA COURTISANE
Il n’a, dites-vous, ni terre, ni revenus? Faites bien attention à ne pas le calomnier.

PREMIER GENTLEMAN
Ce que nous disons nous pouvons le prouver.

LA COURTISANE
Hélas ! Comme nos pauvres âmes sont facilement abusées.

DEUXIÈME GENTLEMAN
Quant à son oncle…

HOARD
Cela me regarde, son oncle! Un méchant concussionnaire; un tyran capable de toutes les forfaitures; se réjouissant de la misère des autres: une créature qui ruinerait son frère, noierait son père au besoin, sans que sa conscience le lui reprochât.

PREMIER GENTLEMAN
Croyez-moi, veuve, non seulement vous passeriez contrat avec la misère, mais encore avec une famille diabolique, sans entrailles.

HOARD
(bas au gentleman) Soyez sans pitié, sans pitié aucune!

LA COURTISANE
Me suis-je à ce point trompée en l’aimant! Devant vous tous, je renonce à l’épouser! (S’agenouillant). A genoux, je fais le serment de ne devenir jamais sa femme!

WITGOOD
(à part) Le ciel sait si jamais j’ai eu l’intention de devenir son époux!

HOARD
(bas au gentleman) Arrivez au but.

PREMIER GENTLEMAN
Maintenant regardez ce gentleman avec une nouvelle et pure affection. Il est sérieux, bon, riche, digne de vous. En l’estimant vous assurez votre sort.

HOARD
(bas au gentleman.) Je lui constituerai un domaine.

PREMIER GENTLEMAN
Il possède de nombreuses terres et peut satisfaire tous vos désirs.

DEUXIÈME GENTLEMAN
Allons, veuve, allons!

LA COURTISANE
Le monde est si trompeur!

PREMIER GENTLEMAN
Il est trompeur quand la flatterie, l’intérêt, la méchanceté sont en jeu. Rien de tout cela chez lui.

LA COURTISANE
Je vous prie…

PREMIER GENTLEMAN
Vous autres veuves semblez d’autant plus difficiles à convaincre qu’il s’agit de votre bonheur; mais s’il faut vous associer à un coquin jamais vous n’y mettez assez d’empressement. Allons, donnez-lui votre main.

HOARD
De tout mon cœur. (Hoard et la Courtisane se donnent la main.) Merci, messieurs, je récompenserai votre entremise. (à la Courtisane), et ton amour!

LA COURTISANE
Hélas, vous n’aimez les veuves que pour les biens qu’elles apportent! Je vous préviens, je ne possède rien.

HOARD
Bien dit! excellemment dit! Je jure devant ces messieurs ne rechercher que ton amour.

LA COURTISANE
Alors je suis heureuse.

HOARD
Ma joie est telle que je manque de mots pour la traduire!

LA COURTISANE
Master Hoard, je dois ajouter une chose devant ces messieur, vos amis. Comment repousser soudainement la cour répugnante de ce parjure de Witgood et les avances de son oncle aussi ennuyeux que dissimulé? De cet oncle qui aujourd’hui même me réserve une entrevue pour le motif qui nous occupe et qui, malgré vous, m’a complètement roulée!

HOARD
Que pensez-vous de cela, messieurs ?

PREMIER GENTLEMAN
Elle a raison de poser la question.

HOARD
Ecoute, veuve: Attire tout simplement le jeune Witgood dans un endroit quelconque, et dis-lui de se hâter. Au lieu désigné, ces messieurs et moi guetteront le moment favorable. Tandis que tu le repousseras, nous viendrons par surprise, t’enlèverons, te mènerons en bateau à Cole-Harbour, où un prête bâclera notre mariage. Qu’en penses-tu?

LA COURTISANE
Puisque le moyen vous plait, il me va.

HOARD
(l’embrassant.) Je t’embrasse pour ces mots. Vous, messieurs, j’aurai encore recours à vos bontés, et à votre aide.

PREMIER GENTLEMAN
Vous avez notre parole et notre intérêt est de mener les choses à bien.

HOARD
Et l’honneur vous y engage. Je vous en récompenserai, ma fortune égalant ma joie. Plus un mot, chère veuve, on plutôt chère femme, et à bientôt.

LA COURTISANE
A bientôt, monsieur.

(Rentre WITGOOD. Hoard et les Gentlemen sortent).

WITGOOD
J’en rirai toute ma vie! Soyez heureuse, mistress Hoard, votre fortune est faite! Quant à ces jeunes gentilshommes, ils parferont le reste! Maintenant ne perdons pas l’esprit. Ne commets pas d’impair, et tous deux…

(Rentre l’HOTELIER).

L’HOTELIER
Master Witgood, votre oncle.

WITGOOD
Eloigne-toi, je vais m’en server.

(Sortent la Courtisane et l’Hôtelier).
(Entre LUCRE).

LUCRE
Neveu, bonjour.

WITGOOD
Bonjour à vous également, mon bon oncle.

LUCRE
Comment se porte la veuve? Le mariage dure toujours?

WITGOOD
Cela n’est plus en question.

LUCRE
Je veux frapper un grand coup et vite.

WITGOOD
Le plutôt sera le mieux, mon oncle. On la courtise de tous les côtés.

LUCRE
Déjà!

WITGOOD
De tous les côtés. Tantôt un vieux gentleman propose de lui constituer un domaine de trois cents livres; tantôt un riche propriétaire lui met en avant son fils auquel il assure une rente viagère, ce qui la trouble ; tantôt le fils d’un marchand lui offre trois seigneuries d’un coup.

LUCRE
Paix, neveu, je ne veux pas entendre davantage parler de tous ces gens-là. Tu arriveras avant eux. Ne signale pas ma venue à la veuve. Voyons, il est maintenant près de neuf heures. Avant midi le marché va être conclu, je t’en donne ma parole.

WITGOOD
Oh! le plus précieux des oncles!

SCÈNE II.

Une chambre dans la maison de Joyce.
Entrent HOARD et JOYCE.

HOARD
Ma chère Joyce, je t’en prie, prends soin de ma maison. Je te la confie entièrement. Maintenant écoute une confidence qui te fera songer: je t’ai trouvé un mari. Tu peux t’en rapporter à moi. J’ai toujours eu la main heureuse quand il s’agit de choisir une femme ou un époux. C’est un don que je possède.

(Il sort)

JOYCE
Comment me réjouirais-je de son choix, quand le neveu de son pire ennemi est celui que j’aime? Hélas! Pourquoi me flatter d’un pareil amour, quand je sais qu’il néglige la plus pure des affection pour le lit d’une veuve. Est-ce possible ou le bruit qui court serait-il faux? (Entre GEORGE). Eh bien, monsieur?

GEORGE
Une lettre particulièrement recommandée.

JOYCE
Je vous remercie. (Sort George). Je connais cette écriture. (Lisant) : « O vous qui m’êtes plus chère que la vie, n’accordez aucune créance aux nouvelles que l’on répand sur mon compte ; je les démentirai bientôt. Gardez-moi votre constance. Je suis toujours celui qui vous aime et j’espère que vous me payez de retour Théodorus Witgood ». Je le crois! Ni la crainte ni le doute ne viendront désormais troubler mon amour!

SCÈNE III.

Une taverne.
Entrent HOARD, le GENTLEMAN et un GARÇON de CABARET.

LE GARÇON
Soyez les bienvenus, messieurs. Dick, montrez à ces messieurs où se trouve le Grenadier.

HOARD
Chut!

LE GARÇON
Au haut des escaliers, messieurs.

HOARD
Chut! garçón?

LE GARÇON
Voilà, monsieur.

HOARD
Demande au bar si on n’a pas vu une dame de qualité?

LE GARÇON
William, avez-vous vu une dame de qualité au bar? Répondez oui ou non.

WILLIAM
(à la cantonade.) Nous n’avons pas vu d’autre dame de qualité que mistress Florence?

LE GARÇON
Il dit n’avoir pas vu d’autre dame de qualité que mistress Florence.

HOARD
Quelle est cette Florence? Une veuve?

LE GARÇON
Allemande.

HOARD
Hein?

LE GARÇON
Une coquine anglaise. J’ai l’honneur de vous saluer.

(Il sort).

HOARD
Un joyeux drôle, par ma foi! Je me souviendrai de la veuve allemande toute ma vie!

PREMIER GENTLEMAN
C’est mon adresse qui a persuadé la veuve!

DEUXIÈME GENTLEMAN
Excusez-moi, maître Hoard sait ce que j’ai fait pour lui.

HOARD
Qu’est-ce à dire, messieurs?

DEUXIÈME GENTLEMAN
Il prétend que seul son artifice a gagné la cause.

HOARD
Vous vous y êtes employés tous les deux et je vous en remercie.

PREMIER GENTLEMAN
Le premier j’ai su la convaincre.

HOARD
En effet.

DEUXIÈME GENTLEMAN
Grâce à mon entremise…

HOARD
Il a raison.

TROISIÈME GENTLEMAN
Je me vante d’avoir uni leurs mains.

HOARD
Par la messe, je n’y puis contredire. Considérez-moi tous comme votre débiteur. Messieurs, et cessez toutes ces contestations!

PREMIER GENTLEMAN
Venez et choisissez la meilleure chambre.

HOARD
Près de cette porte.

(Ils sortent).
(Entrent WITGOOD, LA COURTISANE, l’HOTELIER et le GARÇON de CABARET).

LE GARÇON
Vous êtes les bienvenus. Veuillez avoir l’obligeance de monter l’escalier.

LA COURTISANE
Monter l’escalier? Je me sens trop fatiguée!

WITGOOD
Asseyez-vous et que l’on nous serve une coupe de muscat.

LE GARÇON
Une coupe de muscat? Je vais vous en tirer et du meilleur.

WITGOOD
N’entends-tu pas, maroufle?

LE GARÇON
Vous avez appelé, monsieur?

WITGOOD
Qu’y a-t-il à diner?

LE GARÇON
Je ne saurais le dire exactement. Mais si vous voulez bien aller à la cousine, vous vous en rendrez compte par vous-même. Beaucoup de gentilshommes en usent ainsi, je vous assure.

(Il sort).

L’HOTELIER
Un drôle de valet et un fieffé coquin qui sait son rôle par cœur.

WITGOOD
Si vous buvez à ma santé, je vous ferai raison.

LA COURTISANE
Je m’en rapporte à vous et vous remercie. (Sort Witgood). Hélas! Quel oubli!

L’HOTELIER.
De quoi s’agit-il, maîtresse?

LA COURTISANE
J’ai quitté ma bague pour me laver les mains et l’ai laissée chez moi. Courez vite la chercher, je meurs d’inquiétude. (Sort l’Hôtelier). Il est parti! Garçon!

(Entre un AUTRE GARÇON).

LE DEUXIÈME GARÇON
Voilà!

LA COURTISANE
Va t’informer bien doucement si un certain master Hoard, un vieux gentleman, rôde autour de la maison.

LE DEUXIÈME GARÇON
J’ai entendu parler d’un homme de ce nom.

LA COURTISANE
Salue-le de ma part.

(Rentrent HOARD et les GENTLEMEN).

HOARD
(au deuxième garçon) J’accepte tes compliments.

LA COURTISANE
Vous arrivez à temps! Dirigeons-nous du côté du bateau.

HOARD
Voilà comment se venge un homme habile! A deux contre un!

(Ils sortent).
(Rentrent WITGOOD et LE CABARETIER).

WITGOOD
Je vous prie, monsieur, d’employer tout votre zèle. Mon oncle va venir avec des gentlemen, ses amis, à propos d’un mariage.

LE CABARETIER
Je ferai toutes les recommandations nécessaires. Ne pourrais-je pas la voir?

WITGOOD
Qui? La veuve? Volontiers, je vous présenterai à elle.

LE CABARETIER
Si elle est du Staffordshire, il y a des chances pour que je la connaisse.

WITGOOD
Garçon!

(rentre LE DEUXIÈME GARÇON).

LE DEUXIÈME GARÇON
Vous avez appelé?

WITGOOD
La jeune dame est montée?

LE DEUXIÈME GARÇON
Elle est partie.

WITGOOD
Partie?

LE DEUXIÈME GARÇON
Partie. Un certain master Hoard, accompagné de gentlemen, l’a entraînée dehors il y a quelques instants.

WITGOOD
Hoard? Mort et ténèbres! Hoard?

(Rentre l’HOTELIER).

L’HOTELIER
J’ai retrouvé la bague.

WITGOOD
Qu’y a-t-il? Où est la veuve?

L’HOTELIER
Ma maîtresse? Elle n’est pas ici?

WITGOOD
Je deviens fou!

L’HOTELIER
Elle m’a envoyé chercher cette bague.

WITGOOD
Un complot! Elle est partie?

L’HOTELIER
Hein?

(Entrent LUCRE et des GENTLEMEN).

WITGOOD
Va et informe-toi de ce Hoard, l’adversaire de mon oncle!

(Sort l’Hôtelier).

LUCRE
Neveu, que se passe-t-il?

WITGOOD
Triple misérable coquin!

LUCRE
Qu’as-tu?

LE DEUXIÈME GARÇON
La veuve s’est enfuie!

LUCRE
Misère de moi! Une vilaine entrée, messieurs ?

PREMIER GARÇON
La veuve est enlevée?

LUCRE
Qui a osé accomplir un tel forfait?

WITGOOD
Le vieux Hoard, votre rival!

LUCRE
Lui!

WITGOOD
Avec ses complices!

LUCRE
Hoard! Mon ennemi mortel! Messieurs, prêtez-moi votre aide. Je ne supporterai pas cela! Sa haine pour moi l’a fait agir. Le drôle a voulu ma honte! Que dis-je! Il avait soif de mon sang! Je dépenserai toute ma fortune pour déjouer un complot aussi abominable contre moi et mon neveu.

WITGOOD
Et si méchamment conduit!

(Rentre l’HOTELIER).

LUCRE
Traître!

L’HOTELIER
Je ne m’appelle pas ainsi, monsieur!

WITGOOD
Le pauvre diable ne savait rien!

LUCRE
Tant pis!

L’HOTELIER
J’ai retrouvé leurs traces.

LUCRE
Bien!

L’HOTELIER
Et j’ai entendu dire qu’ils avaient pris le chemin de Cole-Harbour.

LUCRE
Le sanctuaire du diable! Ils n’y demeureront pas longtemps et je l’arracherai de ses bras! Mes chers amis, si jamais vous m’avez porté de l’intérêt…

PREMIER GENTLEMAN
Pas un mot de plus. L’insulte à vous faite, devient nôtre. Pour une cause aussi juste, nous donnerons nos vies s’il le faut.

LUCRE
Braves amis! Ne perdons pas de temps! Neveu, rassuretoi. Une juste cause l’emporte toujours.

WITGOOD
C’est la seule chose capable de me consoler, mon oncle. (Tous sortent, sauf Witgood). Ah! ah! ah! Tout va bien! La lutte, comme dit la sagesse, perfectionne les gens!

(Il sort).

SCÈNE IV.

Une chambre dans la maison de Dampit.
Entre DAMPIT, gris.

DAMPIT
Quand ai-je dit mes prières? En l’année 88, au moment de l’arrivée de la grande Armada; en 89 aussi, l’année où l’on a entendu tonner si fort, où il éclairait tant que j’ai prié dévotement pour que la foudre tombât sur les nouvelles bâtisses de Poovie. Je me suis mis à genoux devant mon coffre de fer. Je m’en souviens!

(Entre ANDREY).

ANDREY
Master Dampit on vous entend avant de vous voir. Vous ne vous ennuyez pas, master Dampit? Déjà trois heures que nous devrions tous être couchés!

DAMPIT
Andrey?

ANDREY
Vous êtes un fameux gentleman!

DAMPIT
En effet! un fameux savant aussi! As-tu donc l’habitude de te coucher si tôt, Andrey?

ANDREY
Vous appelez ça si tôt, master Dampit?

DAMPIT
Une heure du matin! Une heure du matin est une heure matinale. Va me chercher un verre de bière fraîche.

ANDREY
J’ai fait chauffer votre bonnet de nuit.

DAMPIT
Remporte-le. Je ne sens très faible. Depuis ces trois derniers jours je n’ai mangé que la valeur d’un œuf.

ANDREY
Vous buviez le supplément.

DAMPIT
Qu’est-ce à dire? Ne parle pas tant. Tu parles trop pour ne rien dire. Apporte-moi un verre de bière!

ANDREY
Devrais-je vous demander comment vous allez?

DAMPIT
Comment je vais? Mal!

ANDREY
Comme toujours!

DAMPIT
Depuis deux ans je ne mange pas pour deux sous de pain! Donne-moi un verre de bière fraîchement tirée. Je ne suis pas malade, mais je ne suis pas bien.

ANDREY
Mettez cette serviette chaude autour de votre cou tandis que je vous déshabillerai.

DAMPIT
Quoi! bavarde! méditerais-tu de mauvais desseins? Que dis-tu?

ANDREY
Je dis que vous paraissez très fatigué.

DAMPIT
Tu représentes la femme la plus hypocrite de Londres.

ANDREY
Je ne vous ai jamais trompé!

DAMPIT
Parce que je ne me suis jamais confié à toi.

ANDREY
Je me soucie peu de ce que vous me dites, master Dampit!

DAMPIT
Tais-toi! Tu es une mendiante, une gourgandine, une drôlesse. Que répondras-tu à cela?

ANDREY
Vous, un gentleman! parler ainsi!

DAMPIT
Vile esclave de l’infortune, misérable souillon de cuisine, espionne, coquine, coureuse! Je ne donnerais pas la vie d’un pou pour ton bonheur!

ANDREY
Vous! Je sais pourtant un gentleman qui me courtise, et dont la seule crainte est que vous me détachiez de lui!

DAMPIT
Moi! Si jamais on m’offrait deux mille francs pour coucher avec toi, j’aimerais mieux me voir damné! Que répondras-tu à cela?

ANDREY
Allez-vous coucher, monsieur.

DAMPIT
Me coucher! Comment se porte mistress Proserpine?

ANDREY
Pouah!

DAMPIT
Donne-moi un verre de bière et j’irai me coucher.

ANDREY
Vous trouverez de la bière au-dessus.

DAMPIT
Je crois que l’on brûle des cornes dans l’auberge de Barnard. Si jamais j’ai flairé une telle puanteur, je consens à ne plus faire d’usure!

(Il sort).

ANDREY
Les ongles de ses pieds empestent, et il s’imagine que l’on brûle de la corne.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

ACTE IV

SCÈNE PREMIÈRE

Un appartement à Cole-Harbour.
Entrent HOARD, LA COURTISANE, LAMPREY, SPICHCOCK, et des GENTLEMEN.

PREMIER GENTLEMAN
Cœurs réunis, mains réunies, dans les liens du mariage nulle séparation jusqu’à la mort. a (A Hoard). Il vous faudra renoncer aux autres femmes.

HOARD
(embrassant la Courtisanes) Je m’y engage, mistress Hoard! (On frappe). Qui frappe?

LUCRE
(à la cantonade) Hoard!

HOARD
Sur ma vie, c’est mon adversaire!

LUCRE
(à la cantonade) Hoard, ouvrez la porte, ou je l’enfonce! Rendez-nous la veuve!

HOARD
Messieurs, mettez-les dehors!

LAMPREY
Entrer, serait aller au-devant de la mort!

LUCRE
(à la cantonade) Mes amis, prêtez-moi secours!

HOARD
Il a des assistants, messieurs.

LAMPREY
Nous ne les craignons pas fort.

LUCRE
(à la cantonade) Puis-je, sans menace, dire un mot à la veuve?

LA COURTISANE
Cher époux, messieurs, permettez-moi de dire un mot.

LAMPREY
Parlez, chère madame!

LA COURTISANE
Laissez-le en paix, rien à craindre de lui.

HOARD
Elle a raison.

LA COURTISANE
Restez tous près de moi, ne redoutez rien de sa faiblesse; je lui parlerai.

HOARD
Soit, le spectacle nous divertira! Qu’en pensez-vous, messieurs?

LAMPREY
Ce sera une bonne plaisanterie!

HOARD
Du calme, et qu’il entre.

LUCRE
(à la cantonade) Etre rempli de haine et de méchanceté!

LAMPREY
Ecoutez-moi, maître Lucre. Si vous consentez à un entretien pacifique vous et vos amis, si vous promettez de vous adresser sans colère à la veuve, nous vous ouvrirons!

LUCRE
Je m’y engage!

LAMPREY
Alors entrez, et parlez en toute liberté, elle est ici!

(Entrent LUCRE, des GENTLEMEN et l’HOTELIER)

LUCRE
O master Hoard, votre haine a guetté l’heure, vous savez vous venger, master Hoard!

HOARD
Ah! ah! ah!

LUCRE
Je suis le fou dont vous vous moquez! Votre malice, monsieur, sait profiter des circonstances. Approchez, madame. (Il la prend à l’écart). Pourquoi agir de la sorte? Vous m’avez profondément blessé, et vous en paierez largement les frais. Consentir à ce que mon ennemi vous dérobe si honteusement à mon neveu! J’aurais mieux aimé voir la moitié de mes bien compromis au profit d’un meurt de faim!

LA COURTISANE
Que voulez-vous, monsieur! Je ne puis pourtant pas sacrifier ma situation à l’amour! Il existe trop de précédents pour cela! Les exemples de mille veuves riches peuvent donner de l’expérience à l’une d’entre elles. J’aimais votre neveu, je l’avoue, je l’aimais en dépit des conseils de beaucoup de ses amis. Confiante en ses promesses, je comptais mener avec lui une existence flatteuse, m’enorgueillir de ses biens. Au moment d’entrer en possession de ces derniers, les choses se gàfent. Je m’aperçois qu’il n’est plus l’homme dont on me parlait. Il est rempli de défauts méprisables; presque besogneux. En paroles, il possède de superbes immeubles, en fait, ils se réduisent à une baraque. Quelle femme aimerait ce qui n’existe pas?

LUCRE
Voilà la raison de la rupture?

LA COURTISANE
En savez-vous une meilleure? Chargez quelqu’un de s’enquérir de la situation. La plus grande part de ce qui lui revient est, depuis deux ans, hypothéquée au profit de son oncle.

LUCRE
Il fallait vous renseigner sur mes dispositions; je l’eusse remis bientôt à flot.

LA COURTISANE
En ce cas, je lui conserverais mon affection, et satisferais mes premiers désirs. Croyez-moi en vérité, si je m’étais douté avoir affaire à un chêne aussi dépouillé, croyez-vous que je me serais engagée?

LUCRE
Tout n’est pas perdu! Plutôt que de voir un ennemi ruiner mes espérances, j’aimerais mieux…

LA COURTISANE
Vor paroles ont toujours été d’or. Si les mots se monnayaient, votre neveu serait riche!

LUCRE
Veuve, croyez-moi. Je jure sur mon salut et devant ces messieurs, qu’avant de dormir ou de manger, j’aurai réintégré mon neveu dans ses biens.

PREMIER GENTLEMAN
(ami de Lucre) Nous nous portons garants, veuve, qu’il tiendra ses engagements.

LUCRE
Je veux faire plus encore pour mériter ses bénédictions. Je le constituerai mon héritier, puisque je n’ai pas d’enfant, je rédigerai mon testament dans ce sens.

LA COURTISANE
Faites-le, et je me rendrai vite à la raison.

LUCRE
Consentez-vous à jurer devant ces messieurs à demeurer telle que vous êtes à cette heure?

LA COURTISANE
Je jure devant ces gentlemen de demeurer telle que je suis.

LUCRE
Je vous crois, j’emmène votre brave serviteur.

LA COURTISANE
J’y consens de tout mon cœur.

LUCRE
Il a vu tout ce qui s’est passé et me servira de témoin.

LA COURTISANE
Je ne demande pas autre chose.

HOARD
En avez-vous fini, maître Lucre? ah! ah! ah!

LUCRE
Riez, Hoard! moquez-vous de moi; le vent peut tourner et votre tour venir! Ah! ah! ah!

(Sortent Lucre, le Gentleman et l’Hôtelier).

HOARD
Ah! ah! ah! si tous les hommes pouvaient se venger comme moi, ils sacrifieraient l’amitié à la haine, Que vous a-t-il dit, ma chère femme, je vous prie?

LA COURTISANE
Il s’est soulagé.

HOARD
Oh! oh! oh!

LA COURTISANE
Vous ne pouvez soupçonner ses intentions.

HOARD
En vérité!

LA COURTISANE
Il entasserait des montagnes, maintenant.

HOARD
Oui! oui!

LAMPREY
Vous en avez fait un homme mort, master Hoard!

SPICHCOCK
Et de son neveu, un désespéré!

HOARD
Je le crois. Jamais homme terrassa son ennemi de la sorte!

(Ils sortent).

SCÈNE II.

Une chambre dans la maison de Lucre
Entrent LUCRE, des GENTLEMEN, l’HOTELIER, et FREEDOM.

LUCRE
Mon beau-fils, Sam Freedom, où est mon neveu?

FREEDOM
Il se lamente, mon père!

LUCRE
Comment?

FREEDOM
Il se frappe la poitrine comme un joueur qui, son pourpoint perdu aux dés, ne garderait que sa chemise!

LUCRE
Hélas, pauvre garçon!

FREEDOM
Par une nuit tranquille, on entendrait ses soupirs de notre maison de Highgate!

LUCRE
Je t’en prie, envoie-le chercher?

FREEDOM
Vous me commanderiez chose plus difficile, je n’hésiterais pas à l’accomplir, en reconnaissance de ce que vous avez épousé ma mère.

(Il sort).

LUCRE
Mes chers amis, distrayez-le, je vais chercher ce qui lui appartient et reviens de suite!

PREMIER GENTLEMAN
Nous ferons pour le mieux.

(Entre WITGOOD).
(Sort Lucre).

DEUXIÈME GENTLEMAN
Eh bien! master Witgood! Fi! Vous êtes un savant, un homme intelligent, et vous vous abandonnez au désespoir ?

PREMIER GENTLEMAN
Allons, du cœur!

WITGOOD
Ah! Messieurs! ...

DEUXIÈME GENTLEMAN
Vous me chagrinez à soupirer ainsi. Neuf veuves de la sorte ne mériteraient pas de tels regrets.

WITGOOD
Être traité de la façon par ce débauché de Hoard!

PREMIER GENTLEMAN
Il voulait se venger de votre oncle! Maintenant reprenez courage.

WITGOOD
Je vous supplie, messieurs…

DEUXIÈME GENTLEMAN
Consolez-vous, tout n’est pas perdu!

WITGOOD
Ce serait trop beau pour que j’ose l’espérer!

(Rentre LUCRE).

LUCRE
Allons garçon! Comme te voilà changé! reprends tes couleurs. Elle vient.

WITGOOD
Ce qui m’attriste le plus, c’est de penser qu’en agissant ainsi lui, votre ennemi, il a surtout obéi à la haine qu’il vous porte!

LUCRE
J’en deviens également fou! Je dépenserai toute ma fortune avant qu’il ne possède la veuve, uniquement pour cette raison. (Lui remettant un papier). Neveu, devant nos cher amis, je vous restitue vos biens, suivant ma promesse à la veuve. Tout est en ordre. Montrez-vous raisonnable. Vous voilà une fois de plus en possession de votre fortune. La veuve se rendra compte, maintenant, si vous êtes aussi misérable qu’on le suppose. Vous rapporterez huit cents livres par an.

PREMIER GENTLEMAN
Par Notre-Dame, un joli apport.

LUCRE
Un mot encore, neveu.

PREMIER GENTLEMAN
(à l’Hôtelier) Maintenant, vous pouvez avertir votre maîtresse.

LUCRE
Comme vous le voyez, tout va bien. Mon neveu, très heureux de vous satisfaire!

WITGOOD
Je le crois, monsieur.

LUCRE
Mais votre conscience doit convenir que j’agissais par amitié pour vous.

WITGOOD
Sans aucun doute.

LUCRE
J’ai dépensé beaucoup d’argent, sans compter les voyages, pour vos affaires. Je suppose que vous vous en doutez?

WITGOOD
Je serais un sot de n’en point convenir.

LUCRE
Quoique j’agisse ainsi pour éblouir la veuve et le monde, vous devez avoir une conscience…

WITGOOD
Le Ciel défende qu’il en soit autrement.

LUCRE
Vous voilà rentré en possession du tout, c’est chose faite.

WITGOOD
Et vite.

LUCRE
En effet! Vous savez qu’il ne s’agit que d’un dépôt?

WITGOOD
Laissez-moi mieux comprendre. Un dépôt?

LUCRE
Voilà.

WITGOOD
C’est une preuve de confiance que vous me donnez?

LUCRE
Juste!

WITGOOD
(à part) Si jamais je replace ma confiance en toi, le diable m’emporte!

LUCRE
Vous êtes tous témoins, messieurs? Toi aussi?

L’HOTELIER
Sur ma vie, monsieur, je connais les intentions de ma maîtresse à l’égard de votre neveu. Laissez faire les choses et tout finira très bien.

(Il sort.)

LUCRE
Un brave garçon! Femme! Jenny!

(Entre MISTRESS LUCRE)

MISTRESS LUCRE
Quelles nouvelles, monsieur?

LUCRE
Le jour des noces approche! Chère femme, montre-toi bonne ménagère. Je te sais habile cuisinière. Ton premier mari t’a épousée dans la cuisine d’un alderman et t’a élevée jusqu’à lui pour que tu fisses lever les pâtes. Quoi ? Nous sommes entre amis, et cela ne sortira pas d’ici. Messieurs, je vous invite au mariage de mon neveu mardi prochain.

PREMIER GENTLEMAN
Nous acceptons de grand cœur, heureux du tour joué à votre ennemi.

LUCRE
Il se moquait de moi, messieurs, ah! ah! ah!

(Ils sortent tous, excepté Witgood.)

WITGOOD
Celui qui se moquerait d’eux manquerait de conscience, puisqu’il s’en chargent eux-mêmes. En pareil cas, je ne suis pas le plus cruel. J’éprouve à présent plus de pitié que d’envie, car mon bonheur me rend compatissant. (Regardant le douaire). Quant à toi, l’âme de la situation, je t’embrasse. Tu représentes le confort de ma vie, et tu ne me quitteras plus jusqu’à ma mort.

SCÈNE III.

Une rue.
Entrent les CRÉANCIERS.

PREMIER CRÉANCIER
J’attendrai sept heures, s’il le faut, mais je mettrai la main sur lui.

DEUXIÈME CRÉANCIER
Moi aussi.

TROISIÈME CRÉANCIER
A la potence le prodigue! il n’épouse plus la veuve.

PREMIER CRÉANCIER
Et comme elle a raison. Elle a mieux choisi. Je demeure stupéfait en songeant de quelle matière est pétri le cœur d’une veuve. Préférer un garçon déplumé à des gentlemen cossus.

(Entre un DOMESTIQUE).

LE DOMESTIQUE
Des nouvelles! des nouvelles!

PREMIER CRÉANCIER
Que se passe-t-il?

LE DOMESTIQUE
Le matin est attrapé.

PREMIER CRÉANCIER
Je me sens chaud au cœur! J’aime à voir les chiens aux jambes des hommes. Le voici qui vient !

(Entrent des SERGENTS conduisant WITGOOD).

WITGOOD
Ma joie était trop grande, je ne pouvais plus croire au malheur. Tout s’écroule en un jour! Comme il faut peu de temps pour que s’élève une noire tempête!

PREMIER CRÉANCIER
Nous pouvons parler maintenant, monsieur. Et cette fameuse veuve? Je crois que vous y renoncez maintenant?

DEUXIÈME CRÉANCIER
Une veuve, à lui! un prodigue, un coquin, un coureur? Une veuve possédant de la fortune? une geôle plutôt!

WITGOOD
Comme vous avez raison mes maîtres, de tyranniser un pauvre homme, d’affliger un affligé! C’est une coutume parmi vous. Je me félicite que vous ne l’abandonniez pas, et j’espère que dorénavant vous la conserverez.

PREMIER CRÉANCIER
Eh bien, monsieur, que pensez-vous maintenant de votre billet de cent livres? Une jolie dette pou rembourrer vos pourpoints!

DEUXIÈME CRÉANCIER
Il me doit quarante livres.

TROISIÈME CRÉANCIER
A moi cinquante.

WITGOOD
Je vous prie, messieurs, permettez-moi de respirer!

PREMIER CRÉANCIER
Non, monsieur, non, vous suffoquerez. De la sorte vous ne nous échapperez plus.

WITGOOD
Voulez-vous m’entendre?

DEUXIÈME CRÉANCIER
Nous savons que vous avez la langue bien pendue. L’autre jour encore vous vous moquiez de nous! Honte! Et nous risquions de tout perdre faute de témoignages. Chaque fois que nous agissons discrètement, nous payons les pots cassés! Non! non! Décidément nous ne nous enrichirons jamais à nous montrer si délicats. Mieux vaut agir en commerçants.

WITGOOD
Accordez-moi un temps raisonnable, et je m’engage à vous satisfaire.

PREMIER CRÉANCIER
Vous osez parler de temps raisonnable!

WITGOOD
En effet, les bêtes ne comprennent pas ce que c’est!

DEUXIÈME CRÉANCIER
Il nous faut ou de l’argent, ou votre carcasse!

WITGOOD
Que voulez-vous tirer de ma carcasse?

TROISIÈME CRÉANCIER
Une joie secrète que nous nous réservons ! Quand on a l’habitude de mettre des oiseaux en cage, il en coûte peu de conduire un homme en prison!

WITGOOD
(à part) Il me faut en appeler encore aux ressources de mon esprit. Un expédient me suffira pour les confondre. (Haut). Vous me permettrez du moins mes maîtres d’avoir recours à mes amis, et d’user de tous les moyens?

PREMIER CRÉANCIER
Soit, monsieur!

(Entre l’HOTELIER)

L’HOTELIER
Master Witgood!

WITGOOD
Toi!

L’HOTELIER
Puis-je vous dire un mot en particulier?

WITGOOD
Impossible, hélas! Je suis ici dans un enfer où les diables ne permettent pas de communiquer.

PREMIER CRÉANCIER
Vous nous appelez des diables, vous conviendrez tout à l’heure que nous sommes des puritains. Emmenez-le, ils s’entretiendront en chemin, et nous ne perdrons pas notre temps à les écouter! Ah! je suis un diable! Jusqu’à la fin de mes jours, j’aurais eu meilleure opinion de moi!

(Ils sortent).

SCÈNE IV.

Une chambre dans la maison de Hoard.
Entre HOARD.

HOARD
Jamais pareilles bénédictions descendirent-elles sur ta tête, maître Hoard? En remercieras-tu jamais assez le ciel? Supposes-tu possible de te trouver plus heureux? Espères-tu encore des temps meilleurs? Non seulement te voilà pourvu d’une femme riche, mais heureuse! Une femme riche, jeune, belle et sage. Quand je veille, je pense à ses terres, ce qui me rajeunit ; quand je me couche, je songe à sa beauté et cela me suffit. Son cotillon représente quatre cent livres de rente, pour un homme qui saura les faire valoir. Nous parcourrons la province pour visiter nos terres, et les autres suivront. Mon frère et d’autres dignes gentlemen que j’ai envoyé chercher, nous accompagneront avec leurs belles barbes, leurs longues casaques de velours, leurs chaines d’or à deux ou trois rangs! Cependant, je mettrai sur pied une dizaine de mes domestiques en livrées! A cette vue, - car nous passerons exprès devant sa porte, nous nous y arrêterons quelques instants, nous ferons caracoler nos chevaux sous ses fenêtres – mon rival deviendra si furieux qu’il se pendre de jalousie! (Entre un SERVITEUR). Quelles nouvelles, encore des gens qui m’offrent leurs services?

LE SERVITEUR
En effet, Monsieur, ils attendent plusieurs à la porte, sollicitant qu’on les introduise.

HOARD
Des gens capables de m’être utiles?

LE SERVITEUR
Oui, Monsieur.

HOARD
C’est différent. Qu’ils entrent ! (Sort le Serviteur). Des gens à cheval galopant derrière moi en livrée bleue, avec des chapeaux jaunes! Voilà qui le défrisera! (Entrent un TAILLEUR, un BARBIER, un FAUCONNIER et un PIQUEUR). Eh bien! quel état exercez-vous?

LE TAILLEUR
Celui de tailleur, n’en déplaise à votre Seigneurie.

HOARD
Tailleur? Très bien! Vous me ferez les livrées! Et vous?

LE BARBIER
Barbier.

HOARD
Barbier? Parfait! Vous raserez toute la maison, et au besoin, moissonnerez pendant l’été. Vous?

LE PARFUMEUR
Parfumeur.

HOARD
Je le sentais! Parmi les hommes, les parfumeurs sont particulièrement obligés de se conduire loyalement. S’ils commettent une fourberie, on les renifle vite. Et vous?

LE FAUCONNIER
Fauconnier.

HOARD
Sa ho! Sa ho! Sa ho! Et vous?

LE PIQUEUR
Piqueur.

HOARD
Approche. A mon âge on peut se promettre encore de beaux jours. Je vous prends tous à mon service. Vous porterez bientôt ma livrée. Vous spécialement, le fauconnier et le piqueur, nous vous utiliserons dans le manoir de ma femme. Vous y trouverez de beaux parcs et des lévriers. Nous pratiquerons tous les sports, et les gentilshommes de la contrée viendront nous distraire.

LE FAUCONNIER
Nous nous arrangerons de façon que tout le monde vous admire.

HOARD
La chose ne sera pas difficile. Tailleur?

LE TAILLEUR
Présent!

HOARD
Occupe-toi de suite de mes livrées.

LE TAILLEUR
Bien, monsieur.

HOARD
Barbier?

LE BARBIER
Présent.

HOARD
Arrange-moi tous ces gens-là. Epouille-les bien? Surtout mon piqueur. Taille-moi toutes ces barbes à la polonaise. Parfumeur?

LE PARFUMEUR
Je reste à distance de votre odorat, monsieur.

HOARD
Répands des parfums sur tous ces gens-là, pour chasser l’odeur des pieds de mon tailleur, et celle des lotions de mon barbier.

LE PARFUMEUR
Je n’y manquerai pas, monsieur.

HOARD
Quant à vous, mon fauconnier et mon piqueur, soyez particulièrement les bienvenus.

LE PIQUEUR
Nous saurons, monsieur, mériter cette faveur.

HOARD
J’y compte. Allez, et lavez-moi vos jambes dans la salle où l’ou bat le beurre. (Ils sortent). Par la messe, je me souviens. Je vais poser la question à ma femme, mistress Jane Hoard.

(Entre LA COURTISANE dans un autre costume).

LA COURTISANE
Que désirez-vous de moi?

HOARD
Je voulais vous demander, chère épouse, ce que vous préférez. Faire le repas de noces ici, ou à la campagne?

LA COURTISANE
Hum! Ici! Marions-nous ici! Autant en finir ici avec toutes les cérémonies!

HOARD
Une marquise ne répondrait pas mieux! Hoard! relève la tête. Ton épouse te fera honneur! (Entre l’HOTELIER avec une lettre). Qui te presse de la sorte? ah! une lettre! Encore quelque tour de mon rival! Quoi encore?

L’HOTELIER
Une lettre pour ma maîtresse, monsieur?

HOARD
Alors, elle me regarde, coquin!

L’HOTELIER
Elle vous regarde aussi, coquin! Que votre Seigneurie m’excuse. Vous allez bientôt partager mon trouble; il s’agit d’un précontrat!

HOARD
Un précontrat, dis-tu?

L’HOTELIER
Le vieux Lucre, qui ne sait plus où donner de la tête, demande à plaider le plus tôt possible. Le jeune Witgood, traqué par ses créanciers, crie après vous d’un autre côté et prétend que vous avez causé sa perte en voulant annuler illégalement son contrat.

HOARD
Corbleu!

L’HOTELIER
(à part) Il obtiendra satisfaction à ce qu’il prétend.

LA COURTISANE
(à part) Hélas! Des créanciers si impitoyables! Ma situation est encore incertaine! Comment lui porter secours!

L’HOTELIER
Voilà la vérité, monsieur.

HOARD
Femme, que contient cette lettre, je veux la lire?

LA COURTISANE
(déchirant la lettre et la foulant aux pieds.) Maudites soient mes paroles inconsidérées et maladroites! Je veux marcher sur ma langue, et trainer mon imprudence dans la poussière.

HOARD
Femme…

L’HOTELIER
(à part) Voilà de l’habilité! Bravo pour les femmes qui empêchent leur mari de lire leur correspondance.

LA COURTISANE
J’ai, monsieur, prononcé des paroles imprudentes, qui, en effet, peuvent motiver un procès.

HOARD
Si imprudentes que cela? Laissez-moi examiner le cas.

LA COURTISANE
Plus qu’imprudentes, j’en ai bien peur! Au moment où je désirais tant qu’il ne fût plus question de lui!

HOARD
Puis-je arranger l’affaire?

LA COURTISANE
Non, monsieur! Je voudrais pourtant que vous vous en tiriez à votre honneur, et que la honte fût pour eux…Ah! si vous saviez en profiter! l’occasion nous est offerte!

HOARD
Parlez, ma chère femme!

LA COURTISANE
Le voilà sous la coupe de ses créanciers, sans le sou, et pour des dettes sans importance. Je le sais capable de tout plutôt que de pourrir en prison. Je ne vois qu’un procédé pour qu’on le relâche. L’affaire n’est pas encore venue aux oreilles de son oncle. Envoyez immédiatement quelqu’un trouver les créanciers en question ; dans son désespoir, il est incapable de rien faire par lui-même. Donnez des ordres pour ses dettes, au besoin payez-les. La peste l’étouffe, mais débarrassez-vous de ce misérable.

HOARD
Parfait! Tu me stupéfies. Cours sans perdre de temps et amène-moi ici Witgood ainsi que ses créanciers.

L’HOTELIER
(à part) Encore une revanche!

(Il sort).

HOARD
Enfin, j’aurai un peu de repos! Qu’y a-t-i?

(Entre un DOMESTIQUE).

LE DOMESTIQUE
Monsieur…

HOARD
Prends mes ordres. Tu iras chez mon notaire…

LA COURTISANE
(à part, tandis que Hoard donne des ordres au domestique.) Je suis comme ceux qui n’entrevoient la richesse qu’en rêve; le réveil les désabuse. Ma destinée est de m’embourber toujours davantage. Quoique j’aie beaucoup péché, je pourrais me réhabiliter, car je n’ai jamais manqué à un serment.

HOARD
Dépêche-toi. (Le domestique sort.) L’occasion est heureuse. Fasse le ciel que Witgood se prête à une combinaison qui ne peut lui nuire en rien, et puisse la folie ne pas lui donner le temps de réfléchir. Le voici.

(Entrent WITGOOD et les CRÉANCIERS).

WITGOOD
Que voulez-vous de moi, vous l’impitoyable rival de mon oncle?

HOARD
J’ai entendu dire que vous étiez sous clef?

WITGOOD
Après? Vous ne paierez pas me dettes, j’en suis sûr?

HOARD
Un homme prudent ne présage pas. Il y a dans la vie des circonstances capables de me faire faire plus encore.

WITGOOD
Te voilà, femme parjure! Je ne sais pas de termes assez vils pour qualifier ta trahison! Cause de tous mes malheurs!

LA COURTISANE
Arrière, mendiant!

HOARD
Femme, vous vous montrez trop vive. Laissez parler ceux qui ont à réclamer quelque chose.

WITGOOD
Je pourrais te rappeler une promesse, plus grave encore que la première!

LA COURTISANE
Je suis curieuse de la connaître.

WITGOOD
Elle te ferait rougir!

LA COURTISANE
Honte à toi!

WITGOOD
Je vais te la dire à l’oreille. (Bas). Crois-tu qu’il paye mes dettes?

LA COURTISANE
(id.) N’en doute pas, il y a là un acte de libération que tu pourras prendre.

WITGOOD
(id.) Parfait.

LA COURTISANE
(id.) Mais, ne semble-t-il pas que tu aurais dû trouver le moyen de te dégager avec la douaire qu’on t’a restitué? Ma conscience n’aurait rien à se reprocher.

WITGOOD
(id.) Impossible! La cruauté de mes créanciers s’exerce aussi sur le présent.

LA COURTISANE
(id.) Plus un mot! (Haut). Je vous défie d’agir plus mal!

WITGOOD
Impudente! J’en appellerai à mes témoins!

LA COURTISANE
Appelez-en plutôt à vos esprits, car voilà longtemps que vous êtes fou.

HOARD
Femme, vous vous montrez trop sévère. Master Witgood, et vous mes amis, je m’exprimerai en des termes plus conciliants. Dernièrement, une bonne fortune m’est échue. La voici devant moi, je l’ai épousée, elle a partagé mon lit, et elle n’est pas complètement heureuse. Elle s’est engagée imprudemment envers vous, et vous avez des dettes criardes dans le pays. Mettez la tête du lièvre dans la petite oie. Rendez-lui sa parole et j’acquitte vos créanciers.

WITGOOD
Vous agiriez ainsi? Je vous en remercie et ne saurais vous en blâmer.

HOARD
Des dettes ne sont-elles pas plus graves que des paroles?

WITGOOD
Les paroles sont des engagements, et les engagements des dettes.

HOARD
(à part.) Il joue à la raquette avec moi.

PREMIER CRÉANCIER
Allons, maître Witgood, laissez-vous faire!

DEUXIÈME CRÉANCIER
Nous sommes des citoyens et connaissons le devoir!

PREMIER CRÉANCIER
Acceptez son offre; ne tracassez plus la veuve. Vos dettes payées, je me charge de vous en trouver une autre la valant dix fois.

TROISIÈME CRÉANCIER
Par la messe, vous me rappelez que je connais une sœur de master Malligrute, récemment veuve!

PREMIER CRÉANCIER
Voilà la veuve qui vous convient! Dix mille livres en argent comptant, et de plus de l’argenterie, des joyaux, etc. Je suis son parent. Le parti tenu, vous pourrez en faire tout ce qu’il vous plaira. Dépêchez-vous, nous allons vous présenter à elle.

WITGOOD
Mon oncle ne voudra plus entendre parler de moi, quand il apprendra que j’ai été complice d’un pareil abandon!

DEUXIÈME CRÉANCIER
Nous vous indiquons le moyen d’en sortir. Jadis j’ai dépensé cinq cents livres pour ma toilette, cela m’a donné de l’expérience. Actuellement vous êtes notre prisonnier. Rédigez un abandon, et croyez-moi: Tout ce que fait un homme en prison est nul au point de vue de la loi.

(Il fait claquer ses doigts).

WITGOOD
Vous savez cela, monsieur?

TROISIÈME CRÉANCIER
J’ai payé pour le savoir!

WITGOOD
Alors je consens!

TROISIÈME CRÉANCIER
A la bonne heure!

HOARD
Eh bien! mes maîtres, en avez-vous fini avec lui?

PREMIER CRÉANCIER
Avec beaucoup de difficultés, nous obtenons son consentement!

HOARD
Ah! Ah! Et à combien se montent ses dettes?

PREMIER CRÉANCIER
Cent soixante livres à peu près.

HOARD
Tant que cela! Créditez la somme. Ces dettes, vous le savez, ne vous auraient jamais été payées. Il a fallu une circonstance comme celle qui se présente…Un pauvre, un besogneux qui serait mort de faim et de pourriture en prison. Allez! vous aurez dix shillings par livre, et je paie. Voici l’argent. Vous n’y perdez pas… Eh bien! master Witgood, il faut vous violenter pour sauver votre bonheur! (Entre LE NOTAIRE). Soyez le bienvenu, honnête notaire. Veuillez me lire l’acte.

LE NOTAIRE
(lisant) « Par la présente, il est fait à savoir à tous que moi, Théodorus Witgood, gentleman, ainsi que neveu de Pécunius Lucre, ayant eu d’injustes prétentions à l’égard de Jane Medler, veuve d’Antony Medler, et maintenant épouse de Walkadine Hoard, en considération d’une somme par lui versée pour acquitter mes dettes, je renonce à toute revendication de titre, droits ou intérêts auprès de la susdite veuve, jadis appartenant au dit Antony Medler, et appartenant aujourd’hui à Walkadine Hoard. Je renonce également à tout contrat, promesse, etc., concernant le manoir, le château, le parc, petit bois, prairie, terres labourables, granges, meules, étables, colombiers, clapiers, en même temps qu’à sa ferme, son argent, sa vaisselle, ses bijoux, chaines, bracelets, tapisserie, meubles. En témoignage de quoi, moi, Théodorus Witgood, je signe et scelle l’acte présent, le jour et la date étant inscrits au début. »

WITGOOD
Quelle fortune je laisse échapper comme un maladroit!

HOARD
Allons, entête!

WITGOOD
Vous avez raison, master Hoard, donnez-moi la plume. Il faut subir sa destinée.

(Il signe).

HOARD
Maintenant, donne-moi la main. Devant la compagnie, je veux être désormais ton ami.

WITGOOD
Il faudrait que je fusse impitoyable pour vous tenir à présent rancune.

HOARD
J’inviterai ton oncle au repas de noces, et nous redeviendrons amis.

WITGOOD
Je compte m’y employer.

HOARD
Eh bien, mes maîtres, êtes-vous contents?

PREMIER CRÉANCIER
La somme n’est pas complète, mais elle suffit!

HOARD
Bien dit! Venez, messieurs, vous goûterez à mon vin avant de partir.

TOUS
Nous vous suivons.

(Sortent Hoard et le Notaire).

WITGOOD
(à part) Maintenant, je vais mettre ces gens à l’épreuve. (Haut). Un mot, messieurs, voulez-vous me conduire chez la veuve en question?

PREMIER CRÉANCIER
Croyez-vous que nous parlions sérieusement? Vous mener chez une riche veuve, vous un noceur, un prodigue incorrigible? C’était un moyen de rentrer dans notre argent. Portez-vous bien!

(Ils sortent).

WITGOOD
Adieu, et soyez pendus, coquins à poils de porc, têtes de béliers. L’homme qui croit en vous est à jamais perdu, mais grâce à vous je vais pouvoir aller auprès de qui j’aime.

(JOYCE paraît au-dessus).

JOYCE
Master Witggod!

WITGOOD
Joyce!

JOYCE
Venez me rejoindre. (Elle lui jette une lettre). Cette lettre vous dira ce qu’il faut faire. On ne nous soupçonnera pas, et le bonheur nous attend. Au revoir.

WITGOOD
Cela suffit.

SCÈNE V.

La chambre à coucher de Dampit.
DAMPIT couche, ANDREY filant pres de lui, un DOMESTIQUE.

DAMPIT
Trahe, trahito, tire ces rideaux, et donne-moi quelques gouttes de Xérès?

(Tandis qu’il boit entrent LAMPREY et SPICHCOCK).

LAMPREY
Ne vous disais-je pas qu’il couchait comme le diable dans ses chaînes quand on l’emprisonna pour un million d’années ?

SPICHCOCK
Le diable n’avait pas de ciel de lit. Dampit l’emporte sur lui en cela.

LAMPREY
Voyez le résultat de la boisson: il faut qu’on lui essuie la bouche avec un mouchoir!

SPICHCOCK
Il est malade pour avoir trop bu!

LAMPREY
Il nous épie!

DAMPIT
Eh bien! Sir Tristam, vous venez voir un homme bien faible?

LAMPREY
Si vous êtes faible de corps, vous n’en prierez qu’avec plus de ferveur. Je viens vous emprunter cent livres.

DAMPIT
Hélas, vous choisissez mal votre moment. Il n’en reste plus que deux mille à la maison.

ANDREY
Ah! ah! ah!

DAMPIT
Assez ! Sorcière à grimaces, pocharde pleine de concupiscence!

(Entrent SIR LANCELOT et d’autres).

SIR LANCELOT
Est-ce vous que nous voyons, messieurs? Comment ça va-t-il?

LAMPREY
Toujours de même, la taverne lui a cassé la tête.

SIR LANCELOT
Je vais m’en amuser. Eh bien! master Dampit?

DAMPIT
Sir Lancelot! Quelle joie de te voir, ta présence me réconforte!

SIR LANCELOT
On se plaint beaucoup de vous, master Dampit, parmi les bons viveurs!

DAMPIT
Tant mieux! de quoi s’agit-il?

SIR LANCELOT
On prétend que vous devenez fier, au point que si un ami vient vous voir l’après-midi, c’est à peine si vous le reconnaissez.

DAMPIT
Fier, moi! Je ne me souviens pas de l’avoir jamais été, ou j’étais gris.

SIR LANCELOT
Croyez-vous?

DAMPIT
Sans aucun doute! J’étais peut-être fier de mon Xérès, voilà tout. Cours en chercher, coquin.

(Le domestique sort, et revient avec du Xérès).

ANDREY
Maître Dampit, si vous continuez, inutile de m’inquiéter de votre testament, le cabaretier héritera de tout.

DAMPIT
Arrière, bavarde déplumée, réceptacle de plaies!

ANDREY
Voilà de belles paroles à dire à une jeune femme et à une vierge!

DAMPIT
Accroche ta virginité au poteau de la concupiscence!

ANDREY
Du joli! Mon maître saura tout cela!

LAMPREY
Considérez l’état de ce misérable usurier. On dirait un fumeur infect, empoisonné qu’il est par ses blasphèmes d’ivrogne. Ceux à qui il doit tout léguer lui donnent à contre-cœur les mets qui le nourrissent, et l’oreiller sur lequel il repose. Ici un usurier peut méditer sur sa fin. Quel profit tire-t-on à être un coquin dans ce bas monde, pour devenir un diable dans l’autre?

DAMPIT
Sir Lancelot, laisse-moi t’embrasser! Tu es le seul ami que j’honore et respecte!

SIR LANCELOT
Je vous en remercie, master Dampit!

DAMPIT
Porte-toi bien, mon cher sir Lancelot!

SIR LANCELOT
Messieurs, si vous m’aimez, laissez-moi me mettre derrière vous, et l’un d’entre vous lui répétera ce que je vais dire.

LAMPREY
Soit! master Dampit?

DAMPIT
Monsieur?

LAMPREY
Sir Lancelot vient vous voir.

DAMPIT
Qu’il aille se faire pendre!

LAMPREY
Qui? Sir Lancelot?

DAMPIT
Oui, drôle! un pythagoricien!

LAMPREY
Un pythagoricien?

DAMPIT
Il change d’habit quand il rencontre un sergent.

SIR LANCELOT
Hein?

LAMPREY
Pourquoi lui adressez-vous des injures, il vient vous voir en ami?

DAMPIT
Des poux pour son amitié! Son père fabriquait des peignes! Je me moque de son hypocrite amitié. Il veut tout simplement me demander un délai pour le paiement de sa dette!

SIR LANCELOT
Je ne supporterai pas plus longtemps ce drôle! Master Dampit, je venais prendre congé!

DAMPIT
Toi, mon cher et brave sir Lancelot, le seul véritable gentleman de toute l’Angleterre? Je veux te serrer dans mes bras!

LAMPREY
Un composé d’injures et de basses flatteries!

SIR LANCELOT
Messieurs, il vous en fera avaler bien d’autres. Je vais vous donner un autre aperçu de notre homme.

LAMPREY
Est-ce possible?

SIR LANCELOT
Il perd la mémoire!

DAMPIT
Un autre verre de Xérès?

SIR LANCELOT
Il sera complètement ivre. Avant qu’il ait vidé ce verre, dites-lui qu’il y a là un client de la contrée désireux d’en appeler à son expérience.

LAMPREY
Entendu.

DAMPIT
Encore un verre et laissez sonner la cloche!

LAMPREY
Master Dampit?

DAMPIT
Le vin est-il tiré?

LAMPREY
On vous l’apporte. Un homme de la contrée, un de vos clients, voudrait en appeler à la sagesse et à la profondeur de vos conseils.

DAMPIT
Qu’attend le drôle? Qu’il vienne! Rehaussez-moi d’un cran!

LAMPREY
(à SIR LANCELOT) Vous pouvez approcher.

DAMPIT
Parlez.

SIR LANCELOT
Vous voyez un pauvre homme, monsieur.

DAMPIT
Qui vous amène ici?

SIR LANCELOT
Le besoin de solliciter un avis pour une cause honnête et juste.

DAMPIT
Dans ces conditions je ne m’en mêle pas, cela regarde master No-man.

SIR LANCELOT
Il ne me restait plus qu’une maison ayant appartenu à mon père, à mon grand-père, à mon aïeul. Un misérable m’en a impunément chassé, pour en prendre possession.

DAMPIT
Il a accompli un pareil exploit? Le meilleur est d’apporter ton « ejectione firmæ », et dans sept années, il se peut qu’on te rende justice!

SIR LANCELOT
Hélas! n’en déplaise à Votre Seigneurie, je manqué à la fois d’amis et d’argent.

DAMPIT
Dans ce cas, l’affaire est très simple, mets le feu à la maison, et tu l’en déposséderas!

SIR LANCELOT
Je vous remercie du conseil. (Aux autres). Vous voyez, il m’a suffi d’altérer ma voix pour qu’il ne me reconnût pas. La mémoire d’un ivrogne se réveille plus à l’audition d’une voix qu’à la vue d’une personne. Regardez venir ce damné oiseau plongeur, Gulf, l’usurier le plus endurci de ce temps.

LAMPREY
Qui l’accompagne?

SIR LANCELOT
Hoard, le nouvel époux de la veuve Medler…

LAMPREY
Je vous demande grâce!

(Entrent HOARD et GULF).

HOARD
Comment se porte master Dampit?

SIR LANCELOT
Il est couché, s’empiffrant autant que possible de vin des Canaries, il est bien faible en vérité; sur le point de quitter cette terre.

HOARD
Fi! master Dampit ! Encore au lit ? Je viens vous inviter à mon repas de noces! Allons! debout!

DAMPIT
Qui me parle? Master Hoard! Et qui as-tu commis la folie d’épouser?

HOARD
Une riche veuve.

DAMPIT
Allemande?

HOARD
Une riche veuve. La veuve Medler.

DAMPIT
Medler? Elle tient maison ouverte.

HOARD
Elle tenait maison ouverte, en effet, du temps de son premier mari; hommes et chevaux étaient les bienvenus, il y avait de la place pour tous.

DAMPIT
La maison doit être trop grande pour toi alors, et tu pourras y loger les voisins.

GULF
Quoi, enchainé vivant! Quel spectacle! un ciel de lit en acier! O monstrum horrendum, informe, ingens, cui lumen ademptum! Dampit, voilà la juste récompense de ton usure, de tes extorsions, de toutes tes méchantes actions!

SIR LANCELOT
Le cas est amusant. Voleur contre voleur!

GULF
Voilà où mènent l’usure, les coupe-gorges, les mauvais lieux et les blasphèmes. Maintenant tu peux te rendre compte où conduit l’usure!

DAMPIT
Je te connais, coquin, ta voix rappelle celle du coucou, l’ambassadeur Gallois. Lâche qui voudrait se battre avec un malade désarmé! Injurie-moi pendant que je suis nu au lit, humble servant du grand Lucifer! Je peux encore reconnaître un drôle à première vue! Misérable sans conscience qui, lorsqu’il faisait partie du jury de Middlesex, dépêchait son verdict pour ne pas manquer l’heure de son diner!

GULF
(tirant un poignard.) Voyez cette honte!

DAMPIT
Veux-tu mourir pendu?

LAMPREY
De la patience, master Gulf, vous êtes dans la chambre d’un malade.

SIR LANCELOT
Tu n’oserais pas chercher querelle à un homme debout!

DAMPIT
Laissez-le venir, messieurs, je suis armé! Donnez-moi ma chaise percée.

SIR LANCELOT
On assistera à un joli combat! Je vous laisse, messieurs.

LAMPREY
Vous nous suivez, master Gulf…?

GULF
La potence pour cet usurier!

SIR LANCELOT
A quoi bon se mesurer avec lui!

ANDREY
Je vous en prie, messieurs, partez. Son heure est venue. Dors, dors sur mon sein.

SIR LANCELOT
Nous en avons assez. Qu’on le porte chez lui. Pour trois fois sa fortune, je ne voudrais pas être à sa place!

GULF
Pour un peu, je l’assommerais, maintenant qu’il fort!

SIR LANCELOT
Alors je ne voudrais pas assister à son réveil! Allons!

GULF
Je cède à vos instances, messieurs.

(Ils sortent.)

ACTE V

SCÈNE PREMIÈRE.

Une chambre dans la maison de Lucre.
Entrent LUCRE et WITGOOD.

WITGOOD
Laissez-moi vous persuader. Il nous a invités.

LUCRE
J’eprouverai une grande joie quand il emmènera la veuve.

WITGOOD
Vous n’y êtes pas!

LUCRE
Ne l’a-t-il pas épousée ?

WITGOOD
Non, mon oncle!

LUCRE
Comment!

WITGOOD
Voulez-vous savoir la vérité? Il a épousé une drôlesse!

LUCRE
Je m’en réjouirais!

WITGOOD
Je veux mourir si je mens.

LUCRE
Je ferais dix milles pour assister à un pareil spectacle!

WITGOOD
Vous y assisterez, ou je renonce à vous revoir.

LUCRE
Une drôlesse! Ah! ah! ah!

SCÈNE II.

Une chambre dans la maison de Hoard.
Entrent HOARD, goutant du vin, et l’HOTELIER le suivant en livrée.

HOARD
Je n’aime pas ce vin. N’y en a-t-il pas de meilleur dans la maison?

L’HOTELIER
Si, monsieur. Elle renferme les meilleurs vins de l’Angleterre.

HOARD
Que votre maîtresse le goûte, elle s’y connaît mieux que vous!

L’HOTELIER
(à part) Tant mieux pour elle, et tant pis pour moi!

(Il sort).

HOARD
Arthur! (Entre ARTHUR). Avez-vous mis la vaisselle d’argent?

ARTHUR
Tout est prêt.

(Il sort).

HOARD
Je suis enchanté de ma livrée, elle représente bien.

(Entre JOYCE).

JOYCE
Vous appelez?

HOARD
Je t’en prie, mets-y un peu d’empressement et surveille les domestiques. Ils me volent et envoient tous les pâtés à leurs femmes. En bonne nièce, ne me laisse pas gruger!

JOYCE
Ne craignez rien. Je veille. (A part). Quoique la fête soit préparée pour vous, elle servira à mon repas de noces!

(Elle sort).
(Entrent LAMPREY et SPICHCOCK).

HOARD
Master Lamprey, et master Spichcock! La bienvenue à tous deux. Vos pères et le mien vendaient du poisson.

LAMPREY
En effet, vous avez devant vous de fameux hôtes et qui ne se font pas prier.

HOARD
Et comme ils ont raison! (Entre un SERVITEUR). Qu’y a-t-il, coquin ?

LE SERVITEUR
Une voiture s’arrête à la porte.

(Il sort)

HOARD
Ma chère Lady Foxtone! Mistress Jane Hoard, ma femme! Par la messe, c’est bien la femme du Chevalier!

(Entre LADY FOXTONE).

HOARD
Madame, soyez la bienvenue dans cette modeste maison, où le repas sera très simple et le service plus ou moins bien fait!

LADY FOXTONE
Vous vous calomniez!

HOARD
Femme!

(Entre LA COURTISANE).

LADY FOXTONE
Votre épouse?

HOARD
Oui, madame. Salue Lady Foxtone.

LA COURTISANE
Voulez-vous, Madame, faire un tour de jardin?

LADY FOXTONE
S’il vous plait.

(Sortent Lady Foxtone, et la Courtisane).

HOARD
Est-il vie plus agréable que celle d’un homme marié? Une joie comparable à celle que vous procure une épouse?

LAMPREY
Tel est notre avis à nous autres célibataires qui n’en subissons pas les ennuis.

(Entre le SERVITEUR).

LE SERVITEUR
Le frère de votre Seigneurie, accompagné de vieux gentlemen, vient d’arriver.

HOARD
Master Onésiphorus Hoard? Les autres vont suivre. (Entrent ONESIPHORUS HOARD, LIMBER et KIX). Mon cher et bon frère, soyez le bienvenu!

ONÉSIPHORUS
Vous voyez que nous sommes des gens exacts?

HOARD
Je dois en convenir. Quand il s’agit d’arriver à une fête, vous êtes le plus exact de la contrée. Quoi! master Limber et master Kix! Quelle joie de vous voir!

ONÉSIPHORUS
Alors, mon frère, vous avez mis la main sur la veuve Medler?

HOARD
Malgré tout; car je dois vous prévenir que j’ai de puissants ennemis qui s’en désolent. Le vieux Lucre est un malin renard, je puis le garantir.

ONÉSIPHORUS
Où est-elle? Je vais la chercher; il me tarde de l’embrasser!

HOARD
La voilà qui vient! (Rentrent la COURTISANE et LADY FOXTONE). Embrasse-la!

LA COURTISANE
(à part.) Ciel! je suis perdue! Je connais cette figure!

HOARD
Ah! ah! ah! Ah! ah! Avez-vous honte tous les deux?

ONÉSIPHORUS
Frère, ecoutez-moi. Vous êtes disposé à rire.

HOARD
C’est le jour, il me semble?

ONÉSIPHORUS
Ah! ah! c’est différent. Rien ne m’effraye plus que de vous voir triste.

HOARD
Qu’entendez-vous par là, mon frère?

ONÉSIPHORUS
Vous dites qu’elle est votre femme?

HOARD
Parfaitement!

ONÉSIPHORUS
Sans plaisanterie?

HOARD
Pourquoi mentirais-je à mes amis? Si le mariage peut unir deux êtres, elle est mienne!

ONÉSIPHORUS
Je ne me sens pas très bien! Excusez-moi, mon frère, je ne pourrai pas profiter de votre diner.

HOARD
Vous ne me ferez pas cette injure?

LAMPREY
Avec votre permission, master Hoard…

HOARD
Quoi encore? Voyons, Messieurs, montrez-vous plus raisonnables!

LAMPREY
Nous n’avons été que trop fous en venant ici!

HOARD
Hein!

KIX
Fi! Fi! un homme de votre réputation et de votre rang! Vous prétendez fêter vos amis et vous commencez par leur faire honte!

HOARD
La plaisanterie commence à dépasser les bornes. Expliquez-vous!

LAMPREY
A votre âge ! S’amouracher d’une courtisane!

HOARD
Hein!

KIX
D’une coquine!

HOARD
Messieurs!

ONÉSIPHORUS
De la maîtresse de Witgood!

HOARD
Elle ne possède ni biens, ni moyens d’existence?

ONÉSIPHORUS
Des moyens d’existence!

HOARD
Parlez!

LA COURTISANE
Hélas! je vous ai bien prévenu que je ne possédais rien!

HOARD
Je suis trompé! Absolument dupé!

LAMPREY
Master Hoard…

(Entrent LUCRE, WITGOOD et JOYCE).

HOARD
Une veuve allemande!

LUCRE
Eh bien! mon neveu, tu m’as encore menti! Veux-tu me rendre fou? N’est-ce pas là la veuve?

WITGOOD
Que vous êtes difficile à convaincre! C’est une prostituée.

LUCRE
En ce cas, tu es un misérable!

WITGOOD
Negatur argumentum, mon oncle.

LUCRE
Probo tibi, neveu. Celui qui sait qu’une femme est prostituée doit être évidemment un coquin. Tu sais que celle-ci en est une, donc, si c’est vrai, tu es un drôle!

WITGOOD
Negatur sequeta majoris, mon oncle. Je nie qu’un homme soit nécessairement un coquin parce qu’il sait qu’une femme est une prostituée.

LUCRE
Pourquoi m’as-tu fait inviter au repas de noces?

WITGOOD
N’avons-nous pas juré devant témoins, et le verre en main, de demeurer perpétuellement amis?

HOARD
Vous m’avez abusé! Vous m’avez mis une drôlesse sur le dos!

LUCRE
Ah! ah! ah! ah!

HOARD
Une fille à tout le monde!

WITGOOD
Vous la calomniez, monsieur. A sa place, je vous intenterais un procès. J’affirme que ses manières et sa façon de voir, ne sont pas celles de tout le monde.

LA COURTISANE
Méprisez-moi, montrez-moi du doigt, je n’en suis pas moins votre femme. Quelle honte puis-je supporter maintenant dont vous n’ayez votre part? Si vous partagez ma disgrace, est-ce ma faute? C’est vous qui m’avez poursuivie, contrainte, enlevée.

ONÉSIPHORUS
Frère !...

LA COURTISANE
Me suis-je jamais vantée devant vous de ma terre, de mes immeubles, de mon argent? J’ai franchement avoué ne posséder rien. Si une erreur a été commise, la faute vous en revient. N’en accusez que votre folie! Et puis suis-je si déformée que je ne puisse plaire à un vieillard de votre espèce? La femme qui n’a pas tâté du péché à vingt ou vingt et un ans, en tâtera après. Beaucoup d’hommes de votre âge, satisfaits d’épouser des jeunes vierges, en subissent les conséquences. En épousant une femme comme moi, vous nous évitez à tous deux un péché, et vous ne courez pas le risque d’être cocu. En un mot, revenez à de meilleurs sentiments; la femme qui connaît le péché est plus qu’une autre portée à le haïr.

HOARD
Malédiction sur la méchanceté! Les fruits noirs de la haine empoisonnent ceux qui les cultivent! O mes amis! l’unique moyen d’atténuer ma honte est de la subir! Ah! Witgood! Ah! Théodorus!

WITGOOD
En conscience, je me faisais un devoir de la remettre entre bonnes mains. Où pouvait-elle mieux être qu’entre les vôtres, que je sais pitoyables? Je jure avoir été le seul à la posséder. Je l’ai quittée dans le but d’épouser votre nièce.

LA COURTISANE
(s’agenouillant) Messieurs, devant vous tous, je jure de m’amender. Je défie à jamais les regards pervers, les gestes compromettants, les appels du pied, les signes du doigt, les tremblements des lèvres, les allures folâtres, les promenades séduisantes, les amis secrets, les rendez-vous clandestins, les billets galants et les entremetteuses. Je jure de ne point négliger les travaux féminins qui m’appelleront aux environs, de ne plus me droguer, de ne plus soumettre mon sang à l’influence des planètes, de ne plus changer de lit ou partager avec des amis celui de l’époux, de ne jamais me réjouir à vos dépens, de ne pas dépenser vos économies, ou faire des enfants dont vous ne seriez que le père supposé! Autant de méfaits que j’abhorre.

LUCRE
(à Witgood) Voici une leçon méritée, libertin.

WITGOOD
Je veux confesser aussi mes folies. (S’agenouillant) Je renonce à ces corrupteurs de la jeunesse, le jeu, les dés, qui font sortir de terre les mendiants, les filous, et les entremetteurs; aux excès de table, aux intempérances, aux mauvaises femmes, aux régimes des docteurs, aux régimes des apothicaires, aux lavements des chirurgiens, aux saignements de bras pour une femme publique, aux échanges de rubans, aux discours libertins, aux pourpoints parfumés, aux flapdragons hollandais, aux toasts à l’urine. Et je me relève comme un homme corrigé qui hait désormais le vice!

HOARD
Maintenant, mes amis, le dîner refroidit. Les plus malins sont parfois les plus fous!

(Ils sortent).
FIN.