Edición filológica utilizada:
Alexandre Hardy, “Mariamne”, Alan Howe (ed.), Exeter, University of Exeter, 1989.
Procedencia:
Texto base
Edición digital a cargo de:
- Barreda Villafranca, Cristina (Artelope)
LES ACTEURS
| L’Ombre d’Aristobule |
| Herode |
| Mariamne |
| Pherore |
| Salome |
| Sohesme |
| Nourrice |
| Prevost |
| Eschanson |
| Messager |
| Eunuque |
| PAGE |
Acte I
L’OMBRE D’ARISTOBULE, HERODE, PHERORE, ET SALOME
SCENE I
L’OMBRE D’ARISTOBULE
Monstre le plus cruel qui respire la vie,
Tyran bouffi d’orgueil et forcené d’envie,
Fleau de l’innocence, horreur du genre humain,
Que fait si longuement ocieuse ta main?
5
Comment peut reposer ta dextre carnassiere,
Ta soif qu’oncques le sang rebeu ne desaltere,
Apres mon Geniteur, le bon Hyrcane, occis,
Qui, t’ayant de plein gré dedans son thrône assis,
Ne conspiroit sinon de passer sans envie
10
Loin du fardeau Royal le reste de sa vie,
Qui credule seduit de ta parjure foy,
Recors de ses biensfaits vers Antipatre et toy,
Et ravy de l’amour de sa terre natale,
Y retourna victime à ta fureur brutale;
15
Barbare, apres ce meurtre, apres m’avoir éteint,
L’âge de puberté à toute peine atteint,
Moy, qu’un peuple en son coeur reclamoit à l’encontre
De tes impietez, et qui ne me demonstre
Que trop d’affection, premier qu’il fust saison,
20
Trop regretter le frein de ceux de ma maison,
Ses Princes naturels, ces Pasteurs debonnaires,
Ennemis d’injustice et d’actes sanguinaires;
Apres avoir fauché les fleurs de mon printemps
Sous ombre, déloyal, d’un mortel passe-temps,
25
Estouffé dans les eaux de la troupe assassine,
Mort qui presque causa ton extréme ruine,
Sinon que ce destin, moteur de l’univers,
A de pires tourmens te reserve, pervers,
Te donne mille morts de troubles domestiques,
30
Outre une fin tragique entre les plus tragiques,
Devoré de vermine en chaque part du corps,
Au lieu d’une, souffrant un siecle mille morts?
Poursuy donc, poursuy donc, scelerat infame,
Ta haine, ta fureur contre ta propre femme.
35
Prime, ennemy commun, de la clarté du jour
Celle qui te brûloit d’un idolatre amour.
Ma miserable soeur, Mariamne, qui traisne
En ta captivité une mortelle chaisne,
Ne respire qu’à l’heur d’un abregé trépas,
40
Retraçant au sejour du silence nos pas.
Tigre, hé! Cuiderois-tu son humeur magnanime
Oublier envers nous la grandeur de ton crime,
Que le front deceptif de ta prosperité
Jettàt l’oubly dedans son courage irrité?
45
Alors certes, alors, la Cicogne pieuse
N’auroit plus du Serpent la semence odieuse,
L’aigneau s’iroit alors en franchise jetter
Chez la Louve brigande, afin de la teter.
Jamais il n’aviendra: jamais, elle vivante,
50
De posseder sa grace indigne ne te vante;
Jamais le souvenir de ton lâche delict
Ne luy figurera qu’un noir vipere au lict;
N’approchera de toy qu’à contrecoeur sa bouche,
Tant ce profond regret equitable la touche;
55
Mesme, l’occasion presentée à ses voeux,
Soudain tu broncherois dans l’Erebe larveux.
Pense à ce que predit l’ombre d’Aristobule;
Reconnoy-le, homicide, et tes maux accumule,
Et les lares emply du sang de ta moitié,
60
Despoüillé de raison, de douceur, de pitié.
Tandis, maint’ autre perte à la sienne succede,
Qui la borne à present de mon pouvoir excede,
Qu’assez-tost tu sçauras à tes dépens toûjours,
Qui prepare un Enfer à tes langoureux jours,
65
Qui fera de ton sort un affreux exemplaire
Aux Monarques qui font ce que tu ne dois faire,
Abusent impudens de la faveur des Cieux,
Et n’estiment vertu que d’estre vicieux.
SCENE II
HERODE, PHERORE, SALOME
HERODE
Quelque Demon jaloux de l’honneur de ma gloire
70
Rameine des horreurs funebres en memoire;
Tâche d’intimider un effroy de la peur
Un qui, present, resout les perils en vapeur,
Depuis que, ce costé capable d’[une] épée,
Ce chef de soustenir la Couronne usurpée,
75
Le courage enroolla mes gestes, mes Lauriers
Au nombre valeureux des plus braves guerriers.
Jadis (à ce qu’on dit) l’Amphitryoniade
Rompit de sa marâtre au berceau l’embuscade,
Escrasa deux Serpents de ses foiblettes mains,
80
Repurgeant l’univers de Monstres inhumains
A mesure que l’âge adjoustoit à sa force,
Si qu’un labeur servoit à un autre d’amorce.
J’ay de mesme, indomptable aux travaux presentez,
Tous obstacles franchy, toutes difficultez,
85
Pour atteindre le fest envié d’un Empire,
Où premier je me suis de ma race fait luire,
Malgré fortune adverse et ceux de qui le sang
Vouloit de genereux me disputer ce rang.
Que pendant j’observasse un moyen de Justice?
90
Que mes competiteurs prudent je ne perdisse?
Que, crainte d’encourir un nom de cruauté,
Je flottasse incertain de telle Royauté?
Que je ne luy donnasse un fondement solide?
La faute n’appartient qu’au vulgaire stupide;
95
Quiconque veut regner longuement asseuré,
Jamais, en ce scrupule importun demeuré,
N’attende que celuy auquel [ore] il pardonne
Tantost à l’impourveu ravisse sa Couronne.
En matiere d’estat, les preceptes meilleurs:
100
Gardons la pieté; horsmis ce point, ailleurs,
Prevoyans, n’espargnons amis ny parentelle
Qui sa part avec nous du Royaume querelle.
Du secret pratiqué je dépouïlle les fruits,
Ces mutins factieux dessous le frein reduits,
105
Que le ressouvenir d’une famille antique
Soulevoit, reputant mon pouvoir tyrannique;
Et jusqu’à la racine extirpeée, il n’y a
Plus dequoy redouter quant à ce costé là.
Seul, paisable je tiens la Judée asservie,
110
Autant ou plus heureux que Monarque en sa vie,
Si l’orgueil amoly de celle que je sers,
Jaçoit qu’Espouse, ainsi qu’esclave mis aux fers,
Que j’adore brûlé d’une flâme loyale,
Daignoit reciproquer l’amitié nuptiale,
115
Daignoit, helas! daignoit de bon oeil recevoir
L’hommage repoussé de mon humble devoir.
O Mariamne ingrate! ô farouche rebelle!
Que n’es-tu plus benigne, ou moins chaste, ou moins belle?
Tu me fais tout le jour mille fois remourir
120
Du rancoeur obstiné que je te vois nourrir,
Rancoeur qu’à la parfin je doute intolerable,
T’apporter justement un malheur deplorable.
Ah! perverse nature, ah! courage rebours,
Les yeux clos, furieuse, à ta perte tu cours.
PHERORE
125
Vostre Majesté deust reprendre un peu d’haleine
Au courant des soucis journaliers qui l’entraine,
Se relâcher un peu de ces pensers cuisans,
Qui blanchissent la test et abregent les ans.
Le pilote asseuré du courroux de Neptune
130
Joûit telle qu’elle est de sa bonne fortune,
N’à sans cesse ses yeux dans les astres fichez,
[Ou] ses robustes bras sur le timon panche;
Ainsi d’oresnavant, les guerres étouffées
Par vos braves labeurs, terminez en trophées,
135
Paisible possesseur du sceptre Palestin,
Nul rival demeuré, nul discord intestin,
Graces à l’Eternel, toutes choses si calmes,
Un monde s’égayant à l’abry de vos palmes:
Hé! que pouvez-vous moins, de la guerre recous,
140
Le corps cicatricé de tant d’horribles coups,
Que savourer les fruits d’un repos souhaitable,
Moins que de vous donner une part equitable
De ce supréme bien dont vous estes l’auteur,
Dont envers le commun vous estes bienfaiteur?
145
Neantmoins à ce front imprimé de tristesse
Il semble qu’appelliez une fascheuse hostesse,
Que vos utiles jous vueillez precipiter,
Et tel heur, à regret conferé, nous oster.
HERODE
Favorisé de Mars autant qu’homme du monde,
150
Ma grandeur affermie à peu d’autres seconde,
Affluant de richesse, un poinet d’adversité
Obscurcit le Soleil de ma felicité,
Rembarre d’un fleau domestique ma joye,
De sorte que par tout un tourment me costoye,
155
De sorte que frustré de mon principal bien,
Cuidant tout posseder, je ne possede rien.
PHERORE
Mariamne possible, ensuivant sa coustume,
D’une rage d’orgueil encontre vous s’allume,
Abusant du pouvoir que ce charme d’Amour
160
Luy concede sur vous. Ah! pernicieux jour,
Qui vous empoisonna le premier de sa veuë!
Combien vostre raison s’extravague deceuë,
S’éforçant de gaigner un Monstre par douceur,
Auquel rien que l’éfort n’est convenable et seur!
HERODE
165
L’éfort, incompatible à sa beauté divine,
A ce miracle issu de Royalle origine,
N’aigriroit que ma playe au lieu de l’adoucir,
Prolongeroit ma peine au lieu de l’acourcir.
Sa haine, ses dédains, son mépris ordinaire
170
Je prefere aux faveurs d’une amitié vulgaire.
PHERORE
Erreur qui pourtant couve un perilleux brasier,
Qui fera son audace à plus licentier,
Sur une ferme foy que toute felonnie,
Toute injure envers vous luy demeure impunie.
HERODE
175
La volonté mauvaise, inutile, ne sert
Lors qu’à l’effectuer le moyen n’est offert.
PHERORE
Liguée avec sa mere, une Eryne infernale,
Qui luy souffle le meurtre, et dans son sein devale
Des conseils pestilens de dol, de trahison,
180
Vostre asseurance pend d’une estroite prison.
HERODE
Captive, je voudrois en sa place me mettre.
Mon amour ne sçauroit de cruauté permettre.
PHERORE
Repensez aux perils qu’elles vous ont brassez.
HERODE
Il ne me souvient plus des outrages passez.
PHERORE
185
Il luy ressouvient trop des siens qu’elle regrette,
Reclus à vostre aveu dans la tombe muette.
HERODE
Le temps ensevelit de pareilles douleurs.
PHERORE
Au contraire, il accroist sa menace et ses pleurs.
HERODE
Encore les lyons à la fin s’apprivoisent,
190
Les orages plus forts dessur l’onde s’accoisent:
J’espere la flechir à force d’endurer,
Et son contentement de tout poinet procurer.
PHERORE
O forte passion, que tu aveugles l’homme!
Mais j’apperçoy venir, ce me semble, Salome,
195
Morne de contenance, et qu’un pressant soucy,
Pour le communiquer, aura [conduite] icy.
SALOME
Jusques à quel esclat de ruine supréme
Voulez-vous demeurer oisif, hors de vous-mesme?
Et jusques à quel terme attendre qu’un méchef
200
D’heure en autre survienne accabler vostre chef?
Attendre qu’un Aspic ingrat de sa pointure
Pique qui l’éleva d’une idolatre cure,
N’aspire frauduleux moins qu’à vous arracher
L’Empire, apres le jour, faute de l’écacher?
205
Ah! que vostre prudence au grand besoin sommeille!
Qu’ores aux bons conseils vous étoupez l’oreille,
Pris d’une frenaisie aveugle, qui messied
A vostre âge, en quiconque en un trône se sied!
Maistrisé des boüllons d’une jeunesse folle,
210
Sur le theatre humain joüant un moindre rolle,
On vous excuseroit; mais Monarque vieillard,
Vostre honneur, vostre vie, et nous tous en hazard,
Sous ombre d’affecter une femme ennemie,
Icy le repentir est joint à l’infamie,
215
Icy vous offusquez le clair de vos vertus,
Et vous vous laissez vaincre aux vices combatus.
HERODE
Jaçoit que son humeur aucunement hautaine
Ait les miens à mépris, et provoqué leur haine,
Confessez qu’un excez de rancoeur envieilly
220
Me l’accuse souvent où elle n’a failly,
Trouve en ses actions toute chose mauvaise.
L’apparence que rien d’un ennemy nous plaise?
Or à ma volonté que la puvant plier
Je peusse desormais vous reconcilier:
225
Neutre, j’égalleray au defaut la balance,
Sans qu’aucun des [partis] endure violence,
Sans qu’elle l’interesse à vostre occasion,
Ny vous par consequent à sa suasion.
PHERORE
Moy, que la passion puisse particuliere
230
Tant de l’honneur me faire affranchir la carriere
Qu’accroissant ce discord vous la calomnier?
Plustost ce jour icy me tombe le dernier.
J’achepteroy pour vous son amour de la teste,
Et c’est envers le Ciel ma frequente requeste.
HERODE
235
L’homme sçait beaucoup mieux se moderer aussi,
Beaucoup mieux commander à son ire adoucy,
Que ce sexe imparfait, qui, pourveu qu’il se vange,
Estime indifferent le bláme et la loüange.
SALOME
Volontiers je luy ay, faussaire, supposez
240
Mille et mille attentats encontre vous osez,
Ses plaintes sourdement à Cleopatre faites,
Afin de la tirer de vos griffes funestes,
Du Sceptre vous priver sur sa race envahy.
Jamais Espoux fut il plus lâchement trahy,
245
Qui l’adore, en faisant hebeté son Idole?
“Pardonnez si je lâche un telle parole,
Contrainte du devoir et de la verité.
Quelle creance apres a-elle merité?
HERODE
Seduite de sa mere, il y a de l’excuse.
PHERORE
250
Une perseverance à mal faire l’accuse,
A médire de vous, ignoble vous nommer,
Des propos chaque jour de revolte entamer.
HERODE
Qu’importe qu’elle die, impuissante du reste?
SALOME
Le peuple là dessus son oreille luy preste.
HERODE
255
Ma justice exercée est un mors suffisant,
Des exemples passez rendu sage à present.
PHERORE
Ceste hydre, un chef osté, de mille repullule.
HERODE
Et pour un million je represente Hercule.
SALOME
En elle, prévoyant, d’un coup vous les tranchez.
HERODE
260
Son amour plus profond au coeur vous me fichez,
Plus l’aiguillon vengeur me decouvre sa pointe
Contre celle qui m’est d’un sacré noeud conjointe,
Race illustre des Rois, ornement de mon lict.
Avant que consentir tel énorme delict,
265
Je me deposeray du Sceptre et de la vie;
Mon pouvoir ne se regle au compas de l’envie.
PHERORE
Dieu vueille que je sois trompé de l’àvenir.
HERODE
Que pourroit-elle pis, s’il en faut là venir?
SALOME
Corrompre un domesticq à force de promesses,
270
Employant du poison les embûches trraistresses,
Du poison qui se mesle au breuvage, au repas,
[Ou] pendant le sommeil vous brasser le trépas.
HERODE
Ses actions ainsi que le coeur magnanime,
J’oserois la pleger pour un si lâche crime.
PHERORE
275
La bonne impression qu’elle vous a conçeu,
Que vous avoir empraint de long temps elle a sçeu,
D’autant l’animera d’entreprendre hardie,
Voire d’effectuer une entreprise ourdie.
HERODE
Resolu de me croire où j’ay plus d’interest,
280
Le destin ne pourroit revoquer mon arrest.
Que l’on desiste donc de ces repiques vaines,
De perdre sciemment son labeur et ses peines.
SALOME
Helas! il est bien vray que ce foudre orageux
Atterre en vous le tronc d’un grand chesne ombrageux.
285
Mais nous qui demeurons à l’abry du fueillage
Ne laissons de tirer nostre part du dommage;
Mais privez des rayons du Soleil qui nous luit,
Il nous le faudroit suivre en l’eternelle nuit.
PHERORE
Amour l’appelle ailleurs, Tyran de sa pensée.
290
Or que sa mort elle eust volontaire brassée,
Il ne peut, ny ne veut, le coup en détourner:
Un salutaire avis ne le fait qu’obstiner.
SALOME
Helas! je l’apperçoy plus que je ne desire.
Deussé-je nonobstant renouveller son ire,
295
J’espere l’arrogante épier de si prés,
Mettre tant de lumiere et tant d’Argus aprés,
Que nous retorquerons sese fraudes dessur elle,
Qu’elle succombera sous le faix, criminelle,
Que le Roy, décharmé par l’object du danger,
300
Se laissera, contraint, à l’équité ranger.
Acte II
MARIAMNE, NOURRICE, PAGE, SALOME, ESCHANSON
SCENE I
MARIAMNE, NOURRICE, PAGE
MARIAMNE
Justes Cieux, écoutez à ceste fois ma plainte;
Que la pitié vous donne une sensible atteinte,
La pitié des travaux, des douleurs, des ennuis,
Qui de mes jours ont fait de larmoyables nuits.
305
Helas! ne vueillez plus repousser ma priere;
Ne vueillez plus mes voeux rejetter en arriere,
Voeux que l’ambition me suggere pas,
Voeux bornez du secours imploré du trépas.
La mort, la seule mort, humble je vous demande
310
Comme unique soulas de ma misere grande,
Que l’Hymen a [reduite] en la captivité
D’un tyran dépouïllé de toute humanité,
D’un tygre plus felon que n’est la felonnie,
De qui la cruauté n’a de borne finie,
315
Meurtrier de mes parens, sur lesquels l’assassin
Empiete sa Couronne, execrable larcin.
Apres avoir éteint la famille Royalle,
Ce mastin carnacier, ceste ame déloyalle,
Ce Lestrigon beant au carnage, affamé,
320
De la fange venu d’un peuple diffamé,
Qui me feignoit voüer plus d’amoreuses flâmes,
Sous un semblant pipeur, qu’au reste de ses femmes,
Ne resonne en sa bouche autre nom que le mien,
Ne jure bien-souvent que par nostre lien,
325
L’hypocrite bourreau, sans offense receuë,
Sinon de soupçonner une sinistre issuë
Alors que, deferé du meurtre fraternel,
Anthoine devant luy le cita criminel,
Alors pour confirmer l’amour dont il se vante,
330
Laisser le monument d’une ardeur si fervente,
Il enchargea, puny des outrages commis,
Mourant comme coupable, il se l’estoit promis,
Qu’au mesme instant je fusse innocente égorgée,
Et victime agreable à son destin plongée,
335
Enorme cruauté, phrenetique fureur,
Telle que son ministre, épouvanté d’horreur,
Point d’un pâle remords, me l’a manifestée.
Esclave fut-elle onc de la sorte traittée?
Nourrice, as-tu jamais sous le tour du Soleil
340
Oüy parles d’un sort en desastre pareil,
Qu’il faille chaque nuict de fureur éperduë
Tenir la gorge preste à mon bourreau tenduë,
Recevoir les baisers du pire des humains,
Qui trempa dans le sang de mon pere ses mains,
345
Feit mon jeune germain suffoquer dans les ondes?
O douleurs! ô douleurs entre toutes fecondes!
Las! helas! Viendra point ce deplorable jour
Qu’un Alcide t’immole, ô Busire, à ton tour,
Que je preste au chef-d’oeuvre et le coeur et la dextre?
350
Les perfides tousjours payez de trahison
M’osent faire esperer d’en avoir la raison.
NOURRICE
Jadis le sentiment de la recente injure
Coloroit de Justice un semblable murmure;
La playe, qui de sang encore ruisseloit,
355
Sa douleur en soûpirs licites exhaloit.
Toute chose s’estime à son temps assortie;
Mais la nef du naufrage un siecle [à] garantie,
Ne reputeroit-on son Pilote insensé,
Du regret à gemir ces perils dépensé?
360
Madame, je ne voy guieres plus d’apparance
Que vostre Majesté, remise en asseurance,
Mieux que jamais venuë et veuë d’un Espous,
R’allume contre luy ces flâmes de courrous,
Releve des projets forcenez de vengeance,
365
[Impossibles] d’effet, et de nulle allegeance,
Au contraire suivis d’un mortel repentir,
Qui leur moindre étincelle au jour feroit sortir.
Songeant à l’importance, helas! je tremble toute;
Qu’ils soient ouys de l’air à bon droit je redoute,
370
Veu les pieges tendus d’un Prince défiant,
Auquel va de tout poinet la fortune riant.
MARIAMNE
Tu crains qu’il les entende, et moy je le desire,
Lasse de plus languir és liens du martyre,
Lasse de voir le dard encoché de la mort
375
Sans cesse me mirer, et me poursuivre à tort.
NOURRICE
Presumez qu’il conçeut ce desir sanguinaire
D’un amour excessif qui passe l’ordinaire,
Pressé de l’aiguillon d’une jalouse peur
Qu’apres luy vous fussiez le butin d’un pipeur,
380
Indigne succedant à l’heur de vostre grace,
Incapable chez vous de l’honneur de sa place,
Tourment qui n’eut là bas concedé le repos,
Tant il vous idolatre, à son ombre, à ses os.
J’accorde tel amour degenerer en rage,
385
Que c’est pour l’avenir avoir par trop d’ombrage;
Mais le sceptre en sa main desormais asseuré,
Seul des competiteurs au thrône demeuré,
Delivré d’ennemis, de crainte et de tutelle,
Heureuse prés de luy, vostre fortune est belle:
390
La mesme frenaisie onc ne le reprendra,
Car jamais l’accident passé ne reviendra.
MARIAMNE
Non, tant qu’intimidé de la Parque presente
Elle donne un assaut à son âge pesante,
Que proche de ceder à la loy du destin,
395
J’égorge apres la mort de mon sang ce mâtin,
Que son dernier sanglot me conduise au supplice;
Et ne me retirer le pied du precipice,
Détourner si je puis le cousteau du voleur,
Certes ce seroit bien meriter son malheur,
400
Ce seroit bien complaire à sa damnable envie,
Ce seroit luy donner à bon marché sa vie.
NOURRICE
La distance des jours du depuis écoulez
Et la diversité des incidents roulez
Auroient de ce desir effacé la memoire,
405
L’objet ensevely de sa crainte notoire
(Anthoine, qu’il craignoit vostre couche affecter,
Qu’il sçavoit pour l’amour sa foy ne respecter,
Ja blessé du renom de vos beautez empraintes),
Ne tirant plus de là d’ombrages ny de craintes.
410
Aussi n’avez-vous plus d’image de danger;
Rien ne vous doit l’amour conjugal estranger.
MARIAMNE
O simple, ô simple femme! ô vieillesse hebetée,
De cuider qu’un objet seul troublât ce Pentée,
Que tout n’apparut double à sa noire fureur,
415
Qu’il ne perseveraât en ce jaloux erreur,
Que plus qu’aupavarant ce tan ne l’aiguillonne!
Helas! je le doy mieux cognoistre que personne:
Je voy dedans son front, dans son coeur, dans ses yeux
Briller de mon trépas l’éclair injurieux.
NOURRICE
420
Comme quoy? l’amitié de sa part refroidie?
MARIAMNE
Mes faveurs de plus beau l’hypocrite mandie,
Donne à son feint amour ce qu’il peut de renfort.
Je cours avecque luy pour l’heure pareil sort
Que le chien jetté vif au lyon de curée:
425
Auparavant la faim de son ventre emparée,
Il s’en jouë, assiegé des griffes, attendant
Qu’elle arrive, le meurtre à coup persuadant,
Que la criniere droite et changé de courage,
L’impiteux ait saoulé sa famelique rage.
430
Voila ce que je puis de l’attente esperer;
Voila l’occasion que j’ay de m’asseurer.
NOURRICE
Il se pourroit meurtrir afin de vous complaire
Qu’irreconciliable, et mortel adversaire,
Vous ne luy sçaurez gré, que trop de passion
435
Interpretera mal sa chere intention.
MARIAMNE
Jaçoit que le Renard cauteleux nous blandisse,
On redoute tousjours d’éprouver sa malice.
NOURRICE
Celuy qui ne forfait que de sa volonté,
Recompensant d’ailleurs en douceur, en bonté,
440
Diray-je en des devoirs d’humilité si basse
Que ce qu’ont veu mes yeux leur creance surpasse,
N’impetrer de pardon, ne vous point amolir?
C’est outre la raison ce Monarque avilir,
De gayeté de coeur esbranler sa ruine,
445
Coupable du mépris vers la grandeur divine.
MARIAMNE
O faveur odieuse, et confite de fiel!
O faveur, ains égoust de la haine du Ciel,
Trouve mes ennemis à leur tour je te prie,
Me souffrant de tous maux en la tombe guarie!
NOURRICE
450
De quel defaut se plaint vostre felicité?
MARIAMNE
Informe quel defaut a mon adversité.
NOURRICE
Riche de biens de l’ame et de ceux de fortune,
Toute chose à vos voeux secondant opportune,
Belle d’esprit, de corps, en l’Avril d’un Printemps,
455
Deux beaux surjons de Rois de vostre lit sortans,
L’oracle de celuy qui devot ne respire
Que sous l’honneur du vostre abaisser son Empire,
Que vous traitez un peu beaucoup à la rigueur:
De ces extrémitez de pressante miserre,
460
Ou plustost se former en l’air une chymere.
MARIAMNE
Posons que, tes discours vray-semblables, je sois
Maistresse de son coeur sous les jugales loix,
Qu’il m’honore, me prise, et me prefere unique.
Du Sceptre sur les miens usurpateur inique,
465
Né d’ignobles parens, estranger inconnu,
Presque de la charuë au trône parvenu,
Volontiers qu’il se fait grand tort de tel hommage,
Que je n’ay merité ce petit avantage:
De bon coeur j’y renonce et n’en veux plus au pris.
NOURRICE
470
Il est Roy toutesfois malgré vostre mépris.
MARIAMNE
Roy contre tous les froicts des gents et de nature.
NOURRICE
Sa vertu de l’effet de ce tiltre l’asseure.
MARIAMNE
Sa vertu consistant aux meurtres perpetrez
Dessur des innocens, que le traistre a frustrez.
NOURRICE
475
Les appas d’un Royaume autorisent le crime;
La foy, la pitié souvent pour moins s’opprime.
MARIAMNE
Rarement le Tyran paisible s’éjouit
De son rapt execrable, et longuement joüit;
Rarement, exempté de sa peine fatalle,
480
Par le cours naturel au sepulchre il devalle.
NOURRICE
Desormais la Judée embouche doucement
Un mors insupportable en son commencement;
Desormais l’habitude une loy devenuë,
On ne s’informe plus de la race inconnuë;
485
Pilote necessaire à l’estat éprouvé,
Chacun qui le blâmoit l’a depuis approuvé.
Entreprendrez-vous donc dessur une commune,
De force accommodée à sa bonne fortune?
Madame, croyez-moy que son regne asseuré
490
Sans le vouloir exprez de là haut n’eust duré.
MARIAMNE
Qu’il dure, moyennat que je meure surprise
En l’effect d’un juste et loüable entreprise.
NOURRICE
Hé! Dieux, bons Dieux! au moins vueillez tenir en vous,
Modeste reservez le fiel de ce courrous.
495
Tant de flatteurs épars, tant d’espions à craindre,
L’oeil et l’oreille au guet, sont pres de vous enceindre,
Prests à vous imposer pour un mot de travers
Tout ce qu’inventeroit leur courage pervers,
Que du resouvenir je frissonne pâmée,
500
Que j’en ay mille fois la Parque reclamée.
MARIAMNE
Nourrice, je n’espere et ne redoute rien,
Rien de ce qui respire au globe terrien.
M’accuse qui voudra, bien souvent à sa face
J’use vers le tyran de plus âpre menace,
505
Provoque ses fureurs, faciles d’accoiser
Si je me veux le front de larmes arrouser,
S’il me plaist d’amolir sa feroce nature
Avec je ne sçay quoy d’amoureuse peinture.
NOURRICE
Comme sans y penser à mon but vous venez:
510
Sa facilité grande, et ses feux condamnez,
Reproché de fléchir, traitable, debonnaire,
Quand vous ne le voulez traiter en adversaire,
Quand reduite au devoir... Mais un page là bas
Jette l’oeil dessus nous, et s’avance au grand pas.
PAGE
515
Sa Majesté vous prie, ô vertueuse Reine,
De le venir trouver vouloir prendre la peine.
MARIAMNE
Où?
PAGE
Dans son cabinet.
MARIAMNE
Sçais tu l’occasion?
PAGE
L’indice ne me donne autre suasion
Fors que de sa Junon, de son ame dèmie,
520
L’absence le travaille.
MARIAMNE
O faveur ennemie!
Severe mandement, las! que tu m’es amer,
Plus qu’au forçat contraint derechef de ramer,
Qu’au captif de rentrer en la prison faussée.
Mais allons luy donner une oeillade forcée;
525
Allons luy témoigner de courage et de port
Combien à un desir contraire il fait d’effort.
SCENE II
SALOME, ESCHANSON
SALOME
L’abord à dire vray du dessein que je trame
De scrupule pourroit faire pâllir une ame,
Agiter de tremeur ces courages peureux
530
Dans la fange élevez d’un peuple malheureux;
Mais vous qui ne vivez animé que de gloire,
Vous de qui j’ay la foy vers le Prince notoire,
Qui d’un zele pieux son salut preferez
Au propre jour duquel nous vivons éclairez,
535
Vous qu’un astre a voüé prudent à son service,
Prudent discernerez l’utilité du vice,
Mesurerez au mal presque desesperé
Le remede pareil jusqu’icy differé.
Somme que le poison d’une amour feminine
540
Sur le Roy mon Germain si puissante domine,
Luy cille tellement les yeux de la raison
Que les moyens communs ne sont plus de saison,
Que l’éminent peril de sa vie incertaine
Ne semble à l’aveuglé qu’une illusion vaine.
545
J’ay plus que mon pouvoir de ma part employé,
Afin de redresser ce cerveau dévoyé,
Afin de separer de sa couche une peste
Qui de le suffoquer chaque moment s’appreste.
Stupide neantmoins, letargique, assoupy,
550
Il se plaist en sa fange où il a trop croupy,
N’ayme, ne croit, ne tient en personne qui vive,
Horsmis en Mariamne, objet qui le captive,
Presume que ce masque affronteur de beauté
Rarement ou jamais cache la cruauté,
555
Qu’au travers on liroit une fraude meurtriere.
Cependant, prévenuë, elle creuse sa biere,
Remuë Ciel et terre en ceste intention
De haster, le perdant, nostre perdition,
Capitale ennemie à quiconque fidelle
560
Est au Roy domestique, ou joint de parentelle.
Or vous de qui le grade a chez nous le credit
D’attenter un chef-d’oeuvre à tout autre interdit,
De luy rendre suspects de sa mort conjurée
Ceux dont la conjecture il a déja tirée,
565
Pouvez à Mariamne imputer que souvent
Elle vous en a mis des propos en avant,
Par promesse voulu tirer à sa cordelle,
Afin d’empoisonner vostre maistre infidelle,
Mesler en son bruvage un philtre veneneux.
570
Que ne croit là dessus un homme soupçonneux?
Mesme qu’à point nommé je me trouveray preste
De luy certifier l’outrage qui s’apreste,
L’induire d’envoyer ceste horrible Alecton,
Du crime conaincuë, aux antres de Pluton,
575
Bel acte qui d’un los immortel vous guerdonne
(Vous obligez le Roy, les siens, et sa couronne),
Qu’en outre je promets un jour recompenser.
Mais il faut à l’effect diligemment passer.
ESCHANSON
Madame, l’honneur sauf, je vous voudrois complaire,
580
Qui servez aux vertus d’une lampe plus claire,
Qui dans l’interieur desirez me sonder,
Ainsi qu’on fait un gouffre afin de s’en garder;
Car quiconque se lâche à un perfidie,
Pour cent autres n’aura que l’ame trop hardie:
585
Imposteur vers la Reyne, et seduit de leger,
De pis vers le Roy mesme il y auroit danger.
Impollu jusqu’icy quant à la renommée,
Malaisément d’aucun peut-elle estre entamée;
Athlete accoustumé de ne broncher jamais,
590
J’espere en ce devoir persister desormais.
SALOME
Hé! Dieu! qu’à contre-sens vous prenez mes paroles,
Fermes de fondement plus que ne sont les Poles;
Ains qu’à tort vous feignez ne recognoistre pas
Que vrayes elles n’ont rien d’un trompeur appas.
595
Tu le sçais, gouverneur du haut et bas Empire;
Au defaut ne m’espargne au foudre de ton ire.
Unique remarqué des serviteurs du Roy,
Qui la palme emportez d’une immuable foy,
Qui, voyant le peril continu qui l’assiege,
600
Un crime perpetrez pire que sacrilege
De ne l’en preserver ores que le pouvez,
Ores que mon conseil pour guide vous avez,
Qu’au labeur proposé je m’offre de seconde,
Pourquoy n’osterons-nous ceste peste du monde?
605
Pourquoy vous tiendrez-vous scrupuleux et retif?
Pourquoy serez-vous plus qu’une femme craintif?
ESCHANSON
De nos conditions la disparité grande
Dissout assez le noeud de semblable demande:
Vous, exempte du joug redoutable des loix;
610
Moy, prest de succomber si je m’en prévalois.
SALOME
Conjoints en ce dessein de gloire et de fortune,
Presumez du surplus toute chose commune.
ESCHANSON
L’usage journalier apprend que les petits
Demeurent impuissans, du malheur engloutis,
615
Portent seuls, opprimez, la peine temeraire
Des projets suggerez qu’ils n’auront sceu parfaire;
Et que qui les aura souvent precipitez
Bouche soudain la veuë à leurs adversitez.
SALOME
Ah! dure, injurieuse, et vaine deffiance!
620
Outrage insupportable à une conscience
Nuë de fiction, qu’elle abhorra toûjours!
Derechef devant l’oeil eternel de nos jours,
Devant le Ciel voûté, trne du Dieu qui tonne,
La foy (plus chere à moy que le jour) je te donne,
625
Au cas que, du dessein salutaire à l’Estat,
Ou dommage ou danger quel qu’il soit resultat,
En mon nom le subir, plege constituée.
Mais qui ne voit icy la chose effectuée,
Facile, glorieuse, exempte d’accident,
630
Pourveu que vous n’alliez le courage perdant,
Pourveu que le desir vertueux y conspire,
Vous proposant un but de conserver l’Empire,
Capital ennemy des ennemis du Roy?
C’est comme il faut bannir le scrupule et l’effroy.
ESCHANSON
635
Bien que persuadé de tenter l’entreprise,
Sa Majesté d’amour profondement éprise,
Et vassal de l’objet d’une rare beauté,
Ne la soupçonneroit onc de déloyauté;
Loin de croire une fraude inepte controuvée,
640
Voire ne la pourroit, criminelle prouvée,
Separer de ses yeux, s’en priver un moment.
Jamais, jamais l’amour parfait ne se dément;
L’osbstacle interposé sert d’amorce à son foudre,
Pour le reduire apres plus aisément en poudre,
645
Pour affermir plus fort ses fondemens d’airain.
Ainsi, certes, ainsi nous peinerions en vain,
Sages de desister, attendu l’impossible,
Et n’entreprendre plus qu’il ne nous est loisible.
SALOME
Ah! que ces premiers feux se sont bien refroidis,
650
Le Roy d’affection tout autre que jadis,
Lassé de supporter les reproches, le blâme,
L’audace, le mépris d’une mauvaise femme,
Qui s’en desireroit dés un siecle défait,
Trouvant à son projet quelque apparent forfait.
ESCHANSON
655
Semblable neantmoins vers elle de caresse,
Il pend de son vouloir comme d’une maistresse,
L’adore, ne la voit, ce luy semble, à demy;
Embrasé, ne demonstre aucun signe ennemy,
Aucune mal-vueillance à vos propos conforme,
660
Ny que l’affection conjugale s’endorme.
SALOME
L’ordinaire des grands est de cacher au coeur
Vers leurs moindres sujets l’aiguillon de rancoeur;
Et ce qu’il luy confere, ou d’honneur ou de grace,
Ne doit s’attribuer qu’au lustre de sa race,
665
Afin de contenter un peuple médisant,
Devoy à sa famille, et tel acte prisant.
ESCHANSON
Curieux espion, qui les suis de la veuë
Dessous le sauf conduit de la charge receuë,
Je n’ay peu remarquer, de geste ny de voix,
670
Le Roy plus animé l’une que l’autre fois.
Mariamne luy plaist, en l’ame enracinée,
Autant qu’elle faisoit au jour de l’Hymenée.
SALOME
Sa bouche m’a pourtant des plaintes souspiré,
Qui témoignoit assez d’un amour empiré,
675
M’a commis des secrets directement contraires.
Or ce fil de discorus n’avance nos affaires:
Il n’y a que deux mots, d’accorder ou nier,
De ceder à la crainte, ou cueillir un laurier.
ESCHANSON
Divisé de pensers, tantost l’un me retire,
680
Maintenant l’autre à soy plus violent m’attire:
J’abhorre de porter un témoignage faux,
Et ne vous croyant pas, m’est avis que je faux.
Puis que la seureté du Roy flotte incertaine,
La femme d’ordinaire implacable en sa haine,
685
Ardente de vindicte, et plus à redouter
Que les rocs Capharez ne sont au trajecter,
Avienne que pourra, resolu je proteste
Suivre en ce mandement vostre oracle celeste,
Autre Phare n’avoir en ceste aveugle nuit,
690
Seur que la pieté prudente vous induit.
Ores specifiez à quelle heure opportune
Nous iron ce dessein commettre à la fortune.
SALOME
Le plustost vaut le mieux. Tenez vous appresté
Alors que j’iray voir demain sa Majesté,
695
Qu’entrée au cabinet, de certaine science
Je l’auray fait tomber sur telle défiance.
On purge beaucoup mieux les corps ja disposez;
Les remedes chez eux agissent plus aisez.
ESCHANSON
Asseurez-vous de moy, difficile à resoudre,
700
Mais qui verroit, resous, la machine dissoudre
Avant que desister d’un ouvrage entrepris!
SALOME
C’est en quoy des prudens vous emportez le prix.
Acte III
HERODE, SALOME, PHERORE, SOESME, MARIAMNE, EUNUQUE, ESCHANSON, ET PREVOST
HERODE
Serpent enflé d’orgueil, fere ingrate sortie
Des antres Caspiens ou des rocs de Scythie,
705
Tigresse qui d’humain ne retiens que le front,
Crois-tu qu’impunément je porte cest affront?
Cuides-tu, me brassant injure sur injure,
Qu’insensible d’honneur sans cesse je l’endure?
Va, rebelle, arrogante, oste toy de mes yeux;
710
Ne m’espere jamais de regards captieux
Amolir courroucé; non, desormais n’espere
Que ce refus ne soit ta ruine derniere.
Dédaigner mes faveurs? Mes flämes mépriser?
Le devoir d’une femme au mary refuser?
715
Voir que d’humilité je te prie et reprie
D’appaiser de mes feux l’amoureuse furie?
Et pour se fier trop d’une fresle beauté,
Se roidir d’autant plus vers moy de cruauté?
Non, tu en maudiras mille et mille fois l’heure,
720
Ma fortune du bris de la tienne meilleure,
Qui feray d’un terroir fertile élection,
Où se reposera ma chaste affection,
Duquel une moisson m’arrivera sans peine,
Et qui deprimera ton humeur si hautaine.
SALOME
725
L’accident qui vous trouble arrive volontiers
De sa source ordinaire, et ne reçoit de tiers,
Car le discord épris entre l’homme et la femme
Puise l’eau du lieu mesme où il a pris sa flâme:
Arbitre aucun, non pas des plus proches parents,
730
Ne se doit ingerer de pareils differents.
HERODE
Ouy, lors que ce ne sont que legeres querelles,
Qui servent à l’amour de flammeches nouvelles,
Qui semblent sommeilleux luy donner l’esperon;
Mais ce fleau conceu des rages d’Acheron,
735
Ceste pernicieuse et farouche Lyonne
Merite qu’un corroux jamais ne luy pardonne,
Merite pour l’outrage impudemment commis
Que je corye un conseil par tant de fois remis.
SALOME
Merveille, qu’au devoir les bienfaicts ne la rangent,
740
Que ses affections de jour en jour s’estrangent,
Qu’on ne puisse adoucir ses feroces humeurs!
” De pitié repensant à vostre sorte je meurs:
Accouplé sous un joug du tout intolerable,
Autant qu’ailleurs heureux, en l’Hymen miserable,
745
Exemple de remarque à la posterité
Comme nul n’est parfait en sa prosperité,
Qu’elle cloche toûjours en l’une ou l’autre sorte.
Mais faites qu’une part de la douleur je porte,
Sa faute reconnuë.
HERODE
Aujourd’huy retiré
750
Seul dans mon cabinet, ardent j’ay desiré,
Espoint de ces beautez plus qu’oncques de ma vie,
Mariamne amortir mon amoureuse envie.
Là dessus on la mande, elle vient à regret,
Ma priere éconduit, suppliée en secret;
755
Voire apres le refus de paroles picquantes,
A l’honneur de ma gloire et des miens importantes,
Ainsi que le Crapaut s’enflant du noir venin,
Plus je m’humiliois d’un courage benin,
D’injures, de brocards, de reproches infames
760
Convertit en fureur mes innocentes flâmes,
Precipite ma dextre à la chasser de là;
Mesme peu s’en fallut, non content de cela,
Qu’elle ne passât outre, et que d’ire échauffée
Je n’aye son audace en sa vie étouffée.
765
Helas! c’est le sujet de ce courroux plaintif;
C’est ce qui me contraint de forcener chetif.
SALOME
Voila certes aussi par trop se méconnoistre,
Trop envers vous faveurs criminelle paroistre.
Presumez qu’au surplus l’espoir d’oresnavant
770
De regagner son coeur vous iroit decevant,
Qu’il se faudra tenir sage dessus ses gardes,
Esvitant des appas, des caresses mignardes,
Que la haine gardee au besoin déploira,
Et qu’éclairs d’un complot vengeur elle envoira.
HERODE
775
J’auray plus de fiance au Scythe et au Numide
Qu’aux pieges desormais tendus de la perfide:
Ny prieres, ny pleurs, repentir, ny serment,
” Armes dont elles vont cauteleuses s’armant,
Ne la replaceront en mon ame irritée.
780
Le sort en est tombé, la pierre en est jettée:
Toutes ces actions suspectes cy apres,
Et se peine toûjours la suivra de si pres
Qu’au moindre indice pris, mille morts plustost qu’une
Luy signeront l’effet de ma juste rancune.
785
Ah! je te puniray, rebelle; ton orgueil
T’eschangera ma couche en un sanglat cercueil.
PHERORE
Bon Dieu! qui de nouveu trouble vostre bonasse?
Qu’a pleu le Ciel sur vous d’envieuse disgrace,
Capable d’obscurcir l’auguste Majesté
790
D’un Prince à la fortune invincible resté?
Cieux! la morne couleur de ce sacré visage
D’un notable accident me donne son presage,
Aveugle m’intimide, et devore inhumain.
SIRE, ne le celez à moy, vostre germain,
795
Que la fidelité comme le sang vous lie;
Chargez moy d’une part du faix, je vous supplie.
HERODE
L’impetueux torrent de mon affliction
Ne se láche non plus que celuy d’Ixion,
Ne demeure non plus à retitre ma peine
800
Que l’Euripe ses flots meine, agite et remeine.
Une fiere Alecton domestique a toûjours
Dequoy renouveler le tourment de mes jours,
Dequoy me bourreller l’esprit et la pensée,
Me survendre angoisseux la liesse passée.
PHERORE
805
Frappé de ce soupçon, je me l’estois predit,
Veu que de tous les dards que fortune brandit
Autre ne blesseroit un courage invincible,
Que souvent vous avez surmonté l’impossible,
Et mesme traversé d’obstacles, de hazards,
810
Parmy les tourbillons redoutables de Mars,
Nompareil en prudence, en valeur, en adresse,
De qui le los au Ciel une sente se dresse,
De qui la renommée a comblé l’univers
Sans que le sort ait peu luy donner un revers,
815
Horsmis de ce costé, horsmis la felonnie
D’une femme exerçant sur vous sa tyrannie,
Dangereux animal, qui foible de raison
Retient les vertueux d’ordinaire en prison,
Leur commande asservis, et offusque leur gloire
820
Pour ne sçavoir comment user de sa victoire,
Non plus qu’eux se tirer de ce gouffre beant
Où les a submergez un plaisir de neant.
HERODE
Vos consolations me rougissent de honte
Qu’indomptable autre fois une femme me dompte,
825
Que vainqueur demeuré de si grands ennemis,
Un mauvais astre m’ait à sa mercy sousmis.
Depuis le seüil franchy de la jeunesse blonde,
Mes travaux, dérivez d’une source feconde,
Ceux du brave Thebain de force et de grandeur
830
Surpassent de beaucoup; mais plein de force et d’heur,
Que la gloire animoit, enfant digne d’un pere
Traistrement butiné de la Parque severe,
Hardy j’executay ses projets commencez,
Les Assamoneans de l’Empire chassez,
835
Installé peu à peu dedans leur trône mesme.
Apres, que n’ay-je fait en ce peril extréme
Où Cleopatre avoit mes affaires reduit,
Elle qui gouvernoit un Antonine seduit,
Preste de m’arracher le Royaume et la vie?
840
Ma prudence pourtant étouffa son envie.
Qui ne sçait qu’au milieu des Romains divisez,
De civiles fureurs contraires attisez,
Lors que Brute et Cassie aux chaps de Macedoine
Demeurerent vaincus sous les armes d’Antoine,
845
Quoy que leur Partisan je ne perdis le coeur,
A mesme heure obtenant ma grace du vainqueur?
Et luy du grand Cesar asservy déplorable,
Qui croira ce chef-d’oeuvre aux âges memorable,
Comme, sans m’abaisser sous la calamité,
850
Soudain je le fléchis par magnanimité,
Comme de ses amis il me receut au nombre,
Admirant mon courage en un semblable encombre?
En suite repeter tous mes autres exploits,
Le jour me defaudroit si je l’entreprenois.
PHERORE
855
On conteroit plustost les arenes menuës
Qu’abreuve l’Ocean de ses vagues chenuës,
Plustost les fleurs d’Hymette, et les Mouches qui vont
Picorer au Printemps l’émail gay de leur front.
Infiny de vertus, de gloire, et de loüanges,
860
Miracle de nostre âge et des peuples estranges,
Pere de la Patrie, et autheur de la paix,
Monarque de vostre heur n’approcheroit jamais,
Si ce fleau commun, si ce mal necessaire
De femme n’offusquoit la lumiere plus claire:
865
Vous peûtes tout horsmis sa malice dompter.
Mais qui fait cetui cy devers nous tant haster?
Sur vostre Majesté son regard il arreste,
Presage qu’il luy veut quelque chose secrette.
ESCHANSON
L’importance du cas, que pressé du devoir
870
A vostre Majesté je vien faire sçavoir,
Desire qu’à l’écart seul à seul je le die,
Et qu’aussi tost que sçeu au mal on remedie.
HERODE
Suy-moy; vous, demeurez, attendant mon retour,
Afin de m’assiter, ce secret mis au jour.
SALOME
875
Variable d’avis, en l’esprit je rumine
Quel sujet precipit vers le Roy l’achemine,
L’occasion qui plus vray-semblable paroist.
Mais [ou] l’affection du desir me deçoit,
Ou le fiel envieilly de cest’ ame infidelle
880
Luy aura conseillé tirer à sa cordelle
Un qui peut entre tous Ministre la venger,
Qui peut les jours du Roy son Espoux abreger.
PHERORE
Selon que du present je tire conjecture,
Atteinte de l’excés de tant énorme injure,
885
Le Roy, déja d’ailleurs animé, ne faudroit
User de chastiment capable en son endroit.
L’antique erreur purgé, et sa flâme or de glace,
Sans doute permettroit que la Justice eust place;
Sans doute qu’en ce cas la Justice auroit lieu,
890
Que celle qui se croit digne de quelque Dieu
L’iroit chercher là bas en la nuit eternelle.
Mais le voicy, son oeil de fureur étincelle,
Plus troublé, plus épris d’ire qu’auparavant,
Les deux bras vers les Cieux attestez élevant.
HERODE
895
Du prodige entendu le poil me herissonne!
Une stupide horreur mes membres environne!
O Cieux! ô Terre! ô Mer! hé! comment souffrez-vous
Des execrations si grandes entre nous?
Celle à qui je fiois ma vie et ma fortune,
900
Celle à qui je rendis toute chose commune,
Celle que j’aymois plus que moy-mesme cent fois,
Viole la nature et ses plus sainctes loix,
Aboye à mon trépas, que ma mort ne respire,
Ne veut que me priver du jour et de l’Empire,
905
Sortable recompense aux biens qu’elle a receus.
Amis, conseillez-moy de grace là dessus.
SALOME
O detestable femme! ô trahison maudite!
Trahison que j’avois de longue-main predite!
Le Taureau de Perille, au crime comparé,
910
Ne t’auroit pas assez de tourmens preparé.
PHERORE
Esperdu plus que ceux qu’atteint un coup de foudre,
Je ne sçay quant à moy que croire, que resoudre.
Vous plaist-il pas, avant que plus outre attenter,
Presente au delateur la faire confronter?
HERODE
915
Ce sera pour le mieux. Viste, qu’on me la mande,
Que telles qu’elles sont ses raison on entende.
Ouy, je veux qu’en publicsoit jugé de l’excés,
Les formes observant requises au procés.
SALOME
La deposition d’un tesmoin sans reproche
920
Suffit à condamner ce courage de roche,
Conforme de tout poinct aux menaces qu’elle a
Volontaire vomy dessur ce sujet là.
Le danger est qu’un rais de sa sorciere veuë
Ne fende les glaçons de la haine conceuë,
925
Que des pleurs feminins, des adulations
N’emportent le grief des accusations.
HERODE
Nullement. Il n’y a si criminelle offense
Qui ne doyve du moins impetrer sa defense,
Qu’il ne luy soit permis de se justifier.
930
L’aller à mon courroux soudain sacrifier,
De Cesar, du public m’exciteroit la haine;
Ma soeur, il ne faut pas... La voicy qu’on ameine,
Superbe d’asseurance, aussi grave de port
Que qui soupçonneroit son innocence à tort.
935
Déloyalle assassine, ingrate, et plus qu’ingrate,
A ce coup ton orgueil en ruine s’éclate.
Un Dieu, qui Tout-puissant te deteste, a permis
Que l’on chastie en un tes outrages commis,
Que l’horrible attentat de ma mort projettée
940
Donne à tant de forfaits la peine meritée.
Ton effronté sousris ne l’empeschera pas.
Respon: n’est-il pas vray que dés long temps tu as
Sollicité celuy que, present, je t’oppose
De mesler du poison (abominable chose!)
945
Dans le vin qu’il me sert à table? Sus, dy nous
Tes complices, avant qu’aigrir plus mon courrous,
Avant que la douleur des tortures l’arrache:
Declare qui t’incite à un acte si lâche,
Quel sujet, quelle excuse à l’infidelité,
950
Sinon, pauvre, le trop de ma facilité,
Sinon mon indulgence et faveur excessive.
Sus, parle vistement. Qu’est-ce que l’on retive?
MARIAMNE
Surprise à l’impourveu, je m’épouvanterois;
Mais de jeunesse instruite en l’école des Rois,
955
” Jaçoit qu’ores du nom venerable j’abuse,
En vostre haine assez coupable je m’accuse.
Quel besoin d’imposture? Abregez les ennuis
De celle qui ne voit au monde que des nuits,
Qui languit douloureuse aux liens de la vie,
960
De moment en moment la prévoyant ravie,
Ainsi que l’on va faire. O desirable jour!
Combien je te dois plus qu’à ce parfait amour,
Qu’à ces belles faveurs n’agueres reprochées,
Faveurs qui de mourir ne m’eussent empeschées
965
Dés l’heure que, cité d’Antoine, leur auteur,
Incertain du retour, choisit l’executeur.
HERODE
O response arrogante, à l’extréme ambiguë,
Qui moy de cruauté, luy d’imposture arguë!
Explique, explique mieux ton dire irresolu:
970
Quand me suis-je, en quel lieu de parjure polu?
Pourquoy t’imposeroy-je une trame assassine,
A cause qu’impuissant le rancoeur me domine,
Que je ne perdois pas de pleine authorité
Quinconque me plairoit? Chante la verité.
MARIAMNE
975
Verité n’est de moy horsmis une connuë,
L’heure de ma ruine innocente venuë;
Et feindre ne sçavoir qui devoit m’immoler
A vos Manes absens, c’est trop dissimuler.
HERODE
O double trahison! Le scelerat Soesme
980
Mes secrets enchargez a decelé luy-mesme,
Interprete maling de mes conceptions.
Tout abonde d’outrage et de deceptions;
Tout abonde chez moy d’aguets, de perfidie.
Mais se plaindre ocieux aux maux ne remedie.
985
Allez, saisissez-vous de Soesme, et de ceux
Qu’il a de familiers plus affidez receus.
Un Eunuque sur tous ses affaires manie,
Qui nous relevera d’une peine infinie.
Amenez-le premier, car son Maistre n’a point
990
Violé de leger le mandement enjoint,
Communiqué sans plus des paroles de bouche:
Le traistre aura soüillé les honneurs de ma couche,
Entrepris d’avantage. Ah! du ressouvenir
Je forcene, et me puis à peine contenir.
MARIAMNE
995
Peur d’enfans, ou plustost sur l’enclume forgée,
Qui d’un crime tantost de poison m’a chargée!
” L’honneur des devanciers au sang demeure escrit;
” Aucun terme des ans fuitifs ne [le] prescrit:
Inseparable j’ay vescu sous la franchise,
1000
Afin que plus certain mon estre j’authorise.
HERODE
L’honneur t’a commandé de meurtrir ton Espous,
Et de croire les tiens fort differens de nous,
Orgueilleux d’un faux tiltre, et qui prise les secptres
Sans marque de vertu d’une suite d’ancestres,
1005
Qui ne te garderon de subir toutesfois
L’équitable rigueur des politiques loix.
MARIAMNE
J’apprehenderay moins l’effect que la menace,
Que je tiens des Tyrans une supréme grace.
HERODE
Meschante, qu’as tu veu de tyrannique en moy?
MARIAMNE
1010
Mon Geniteur Hircane occis sous vostre foy,
Son fils d’âge innocent, le jeune Aristobule,
Espoir de la patrie et son fatal Hercule,
Traistrement étouffé.
HERODE
Je te feray cracher
Cette langue impudente, ou tels mots retrancher.
MARIAMNE
1015
Libre je veux mourir ainsi que je fus née.
HERODE
Hé! quelle liberté ne t’ay-je pas donnée,
Maistresse de mon ame et de mes volontez,
Paravant les desseins de ce meurtre tentez?
MARIAMNE
L’Immortel scrutateur des oeuvres projettées
1020
Connoist ces charitez de mensonge apostées,
Connoist qu’un naturel genereux et Royal
Ne sçauroit consentir à rien de déloyal.
HERODE
Non, la veuë en fait foy: le doigt touche palpable
La blanche pureté de ta vie incoupable,
1025
Autant que du voleur les chemins assiegeant,
De la Justice en fin surpris en égorgeant.
Il est vray qu’on peut mieux éviter son outrage.
Mais l’Eunuque amené, nous sçaurons davantage.
Escoute, ton salut dépend de confesser,
1030
Rien de la verité derriere ne laisser.
Quel argument fonda l’accointance ordinaire
De Mariamne avec Soesme le faussaire?
Qu’as-tu de leurs devis familiers entendu?
Dy moy le principal où ils avoient tendu,
1035
Lors que je fus mandé de L’Empereur Antoine,
Et que je te laissay Gardien de la Royne.
Parle, que songes-tu? Icy le tournoyer
N’est que de son plein gré au cordeau s’envoyer.
EUNUQUE
SIRE, la qualité ne m’a permis, [infime],
1040
D’entrer en leurs secrets d’importance sublime;
J’attesteray les Cieux et nostre alme Soleil
N’avoir participé jamais d’aucun conseil
Qui vostre Majesté pernicieux regarde,
Ains que mesmes en fis une soigneuse garde.
HERODE
1045
O l’enorme mensonge! ô la déloyauté!
Que tu n’as reconnu parmy leur privauté
Ce que contre l’estat, ce que contre moy-mesme
L’un et l’autre brassoit? O l’impudence extréme!
Des gesnes, des bourreaux!
EUNUQUE
Helas! Sire, mercy!
1050
Je confesseray tout, sans me traiter ainsy.
HERODE
Sus donc, certainement, et en peu de paroles,
Que je discerneray certaines ou frivoles.
EUNUQUE
L’effroy retient ma voix au canal étoupé.
HERODE
N’espere que la mort horrible, entrecoupé,
1055
Convaincu de mensonge.
EUNUQUE
Helas! je dis sans force
Qu’en la couche Royale il seme le divorce,
Des-unit vos moitiez, un secret revelé
Duquel depositaire on l’avoit appellé.
SIRE, vous sçavez tout en ce peu que j’abrege.
HERODE
1060
L’auspice du discours aucunement m’allege.
Poursuy: leur conference a passé plus avant,
Quelque faveur d’amour mutuelle suivant,
Soesme, pour loyer de l’avoir advertie,
Caressé comme Espoux de ma femme abrutie.
MARIAMNE
1065
Qui se pourroit du bien qu’on a fait repentir,
Ce naufrage d’honneur je devois consentir.
HERODE
Voila plus qu’à demy la chose confessée.
Achevons: l’a-t’il pas maintesfois embrassée?
EUNUQUE
Que vostre Majesté telle erreur ne s’imprime:
1070
Elle est trop vertueuse, elle est trop magnanime
Pour luy manquer jamais en ce chaste devoir,
Jamais autre desir qu’honeste concevoir.
HERODE
Tu as receu, mâtin, le charme d’un silence.
Mais si tu me croyois, n’attend la violence,
1075
N’attend que les tourmens tirent la verité;
Prefere la prudence à la temerité,
Declarant le progrez de leurs amours furtives,
Qui servis de Mercure.
EUNUQUE
O pointure plus vives
Que celles de cent morts à un coeur innocent!
1080
Qu’un supplice nouveau les autres surpassant
S’exerce sur mon corps, le demembre, ou devore,
Je ne confesseray, menteur, ce que j’ignore:
Je ne déchireray la gloire du renom
D’une qui tient chez vous la place de Junon,
1085
Miroir de chasteté, qui n’eut onc son égalle
Quant à la continence et la foy conjugalle.
HERODE
Prevost, que de ce pas on le livre aux bourreaux;
Qu’ils recherchent parmy le fer, le feu, les eaux,
Dequoy le tourmenter, le presser, le contraindre
1090
A nous notifier ce qu’il a voulu feindre;
Et que son traiste maistre, amené sur le champ,
J’examine d’un coup, l’affaire dépeschant.
PREVOST
SIRE, il ne tiendra pas à un devoir fidelle
Que vostre Majesté le crime ne decelle.
1095
Nous y employerons l’artifice et l’effort.
MARIAMNE
Ha! chetif innocent, que le pleure ton sort.
HERODE
Pleure le tien plustost, et folle ne presume
Abuser de ma grace ainsi que de coustume,
Qu’on te traitte avec plus de respect, de faveur.
1100
Tes yeux n’ont plus d’attraits, tes baisers de saveur:
L’execration jointe à ce dol homicide
D’amour et de pitié rend ma poitrine vuide,
Déracine ce peu qui restoit là dedans,
Par l’assiduité des forfaits precedens.
1105
Asseure, asseure toy, qu’exemplaire punie,
L’appareillé supplice attend ta felonie.
MARIAMNE
Quelle?
HERODE
Ma mort brassée, et mon lit maculé.
MARIAMNE
D’[une] adultere flâme oncques je n’ay brûlé,
Moins debile attenté de rompre le servage,
1110
Qui me fit de l’Hymen un continu veufvage.
HERODE
Il te falloit un Dieu, presomptueuse, afin
Que ton ambition excessive prist fin,
Afin de rencontrer un Espoux de ta sorte;
Mais au defaut voicy, voicy celuy qui porte
1115
Le nom de favory, ton Egiste vanté,
Du remors de sa coulpe en l’ame espouvanté,
Pasle de conscience ainsi que de visage,
Et qui de sa ruine a senty le presage.
Perfide mille fois, qui t’a mis au penser
1120
De trahir mes secrets, la borne outre-passer
Que mes commandements t’exposerent expresse?
Cede à la verité dont le Soleil te presse,
Declarant qui t’a meu, infracteur de ta foy,
Manifester un cas inconnu que de toy,
1125
Cas qui m’importoit lors plus que je n’ose dire.
Comment te laissas tu d’une femme seduire,
Jusqu’à communiquer le mandement receu?
Respon: me decevant, quel esprit t’a deceu?
SOESME
Helas! qui du futur auroit la prescience,
1130
Qui d’un seul Teut-puissant partiroit la science,
A peine, je le sçay, d’imprudence eust esté
Se jetter au peril où je me suis jetté.
Mais le voile tendu devant l’humaine veuë
Pour juger à travers la chose mal preveuë,
1135
Suiv¡re le sentier pire en une aveugle nuit,
Et se paistre du faux d’un populaire bruit,
De là, SIRE, ma faute a pris son origine,
Que vostre Majesté pardonnera Divine,
Veu que sans varier, sans feindre, sans mentir
1140
Je luy ay confessée avec un repentir.
HERODE
Tu tais le principal de ce que je demande.
Hypocrite menteur, quelle audace si grande
T’inspiroit negliger un fidele devoir?
Quel fruit presumois-tu du crime recevoir?
SOESME
1145
Sur la fausse rumeur d’une derniere perte
Par vostre Majesté chez le Romain soufferte,
L’Estat se conservant à son [Espouse] entier,
J’allay (fresle projet) sa faveur mendier.
J’allay comme font ceux qui surpris du naufrage
1150
Tâchent à se sauver plus dispos à la nage,
Dessur quelque ais brisé, miserible, de peur
Que ma fortune fût convertie en vapeur,
Que personne privée une hydeuse hostesse
De pauvreté me vint accabler en vieillesse.
1155
Helas! par ces genoux, mon asyle, embrassez,
Par ces pleurs moins de l’oeil que de l’ame versez,
Mercy je vous requiers. Hé! faites, grand Monarque,
Luire en moy de clemence une immortelle marque,
Me redonnant la vie.
HERODE
Ah! rustre, il n’est plus temps:
1160
Trop l’arriere saison ta repentance arrive.
Or du premier forfait un pire se derive:
La Royne, en ton endroit prodigue de guerdon,
Son bien plus precieux t’a mis à l’abandon,
Et selon le rapport d’un des tiens plus intime,
1165
Examiné déja dessur ce mesme crime,
Permis l’attouchement, permis ce que permet
Celle qui son honneur publique en vente met.
Confessant, je promets te moderer ta peine;
Obstiné, tu l’aurois, n’accroissant que ma haine.
1170
Dy nous quand, et comment, le lieu, l’heure, et le jour
Esquels se commença vostre adultere amour.
SOESME
Jamais il ne tomba dans sa chaste pensée,
Et jamais sa vertu ne m’a recompensée,
Sinon par vos biensfaits encore possedez,
1175
[Ou] la Terre et les Cieux de fureur débordez
Puissent exterminé se vanger du parjure.
SIRE, pardonnez-moy, vous luy faites injure:
Au peril de cent morts je maintiendray qu’à tort
Sur son chaste renom la médisance mort.
HERODE
1180
Possible que tantost les gesnes aprestées
T’induiront accepter mes offres rejettées.
Chargé de fers, trainez-le au creux d’un prison;
Que faute d’en vouloir tirer autre raison,
Faites (car je le veux) que mourir il se sente.
1185
Tandis je convaincray d’une honte decente
Mon empoisonneresse, et feray dans demain
Imposer au chef-d’oeuvre une derniere main.
Acte IV
MARIAMNE, PREVOST, HERODE, ESCHANSON, PHERORE, SALOME
SCENE I
MARIAMNE en prison, PREVOST
MARIAMNE
Souverain Gouverneur de l’Empire du monde,
Qui de rien as construit les Cieux, la Terre, et l’Onde,
1190
Targe des Innocens, leur asseuré rempart,
Je t’invoque reduite au supréme hazard;
Equitable Censeur des actions humaines,
Qui nombres et prescris nos heures incertaines,
J’atteste ta Justice au desastre où je suis,
1195
D’ennemis opprimée, en ce gouffre d’ennuis,
La proye du mensonge et de la calomnie,
Esclave d’une horrible et dure tyrannie.
Pere, je ne requiers autre faveur de toy
Sinon que de sortir de l’Enfer où j’estoy,
1200
Sinon que de là haut ma constance inspirée
Triomphe de la mort qu’on m’aura preparée,
Sinon que de moquer les iniques efforts
De l’odieux bourreau de mes ancestres morts,
Du barbare qui tient ma liberté sujette
1205
Depuis le noeud fourré d’une alliance abjecte,
Depuis, helas! depuis qu’à contrecoeur je sers
D’égoust aux voluptez du pire des pervers,
Qu’en un lit, souspireuse, à part moy je déplore
La tardive langueur du secours que j’implore,
1210
Secours qui pend du dard funereux de Cloton,
Secours qui me confine aux antres de Pluton,
Secours qui convertit ma tempeste en bonace,
Qui le repos des miens tant desiré me trace.
Indocile à la peur, je sçay qu’il faut mourir,
1215
Je sçay qu’à meilleur port l’homme ne peut courir,
Lors principalement qu’entier de conscience
D’une seconde vie il conçoit la fiance,
Stable en tranquillité, durable de repos.
On ouvre la prison. Que tu viens à propos,
1220
Quiconque apportera ma sentence mortelle;
Je voudrois couronner ton chef pour la nouvelle.
PREVOST
Sa Majesté vous mande; allons, Madame.
MARIAMNE
Helas!
J’esperois du message un extreme soulas,
Que tu me conduirois au destiné supplice.
PREVOST
1225
Non, que telle frayeur ores ne vous saisisse;
Ce n’est pour autre fin que pour vous confronter
Celuy qui l’attentat a osé raconter:
Soyez à ce besoin de response pourveuë,
Car on se tire mieux d’une affaire préveuë.
MARIAMNE
1230
Ma premier response est la derniere aussi,
Où s’étend desormais le moins de mon soucy.
SCENE II
HERODE, MAR[IAMNE], ESCH[ANSON], PHERORE, SALOME
HERODE
Bourrelé dans l’esprit de passions contraires,
Je ressemble un captif entre deux adversaires,
Un Aigneau que deux Loups terrassent acharnez,
1235
D’une rage de faim cruelle forcenez:
Maintenant cetuy-cy, tantos l’autre l’emporte,
Selon qu’il a donné sa secousse plus forte.
Je sens ne plus ne moins se paistre tour à tour
De mon coeur divisé la vengeance et l’amour:
1240
Le crime m’apparoist d’une femme homicide,
Ed d’ailleurs sa beauté divine m’intimide,
M’espouvante, certain que me la separant,
A regret je verray le Soleil m’éclairant,
Qu’apres elle je n’ay chose qui me contente.
1245
Hé! Cieux, qui la sçauroit sans feinte, repentante,
Desister de sa haine, éteinte à l’avenir,
Je voudrois du passé ne me plus souvenir:
Sa grace luy seroit bien-tost entherinée.
Mais d’une humeur perverse, et au vice obstinée,
1250
L’affront qu’elle aura creu maintenant recevoir
Plus que tous mes biensfaicts obtiendra de pouvoir:
Il ne s’écoulera de sa memoire ingratte.
Bref que de son salut ma ruine s’éclatte,
Sa perte me conserve, et sa perte me pert.
1255
Que resoudray-je donc en un tel doute offert?
L’absence de ses yeux m’absente de mon ame,
Qui ne vit que des rais de leur jumelle flâme;
Vive, l’impunité son audace accroistra,
Sans fin la trahison en elle renaistra.
1260
Observons le milieu requis en ces extrémes:
Qu’où elle ne voudroit retourner en soy-mesmes,
Reconnoistre sa coulpe, ains y perseverer,
La peine capitale on luy face endurer;
Mais reduite au devoir de l’amitié jugalle,
1265
Mais de l’ame abjurant son erreur déloyalle,
Qu’à bras ouverts receuë on revoque l’arrest,
Arrest où la nature a le plus d’interest,
Car deffaite il n’y a plus de miracle au monde.
La voicy ceux qu’au conseil aussi je demandois,
1270
Suivis du Delateur qu’opposer je luy dois.
Vague de contenance, une pitié soudaine
M’influë (estrange cas) la moitié de sa peine;
Si faut-il se roidir contre l’affection,
Et couvrir du discours telle imperfection.
1275
Assemblez devant l’oeil du Grand Juge Celeste,
Neutre en ceste action me porter je proteste,
Quoy qu’elle me regarde, et que seul offensé
Je me pûsse venger sans le droict balancé.
Doncques vous, [Delateur], presentement j’adjure
1280
De ne rien referer que ce que vous sçavez,
Que de sa propre bouche entendu vous avez.
A-elle pas tâché plusieurs fois de vous faire
Mesler dedans ma Couppe un poison mortifere,
Tâché de suborner vostre fidelité?
1285
Dites, n’ayans égard aucun de qualité:
Le crime exorbitant du tiltre la depose.
Respondez veritable à ce que je propose.
ESCHANSON
SIRE, à ma volonté que, reconnu menteur,
Du divorce Royal je ne fusse l’autheur,
1290
Que mon sang expiast l’imposture maudite.
Dispensez moy d’user, s’il vous plaist, de redite:
L’histoire racontée à vostre Majesté
Ne fait pas moins qu’icy presente elle eust esté,
Contient de point en point le progrez de l’affaire,
1295
Et le plus repeter je ne tiens necessaire.
HERODE
L’usage coustumier de Justice le veut;
Condamner autrement les crimes on ne peut.
Dépeschons: fustes-vous pratiqué de la Reyne,
Encontre moy choisi ministre de sa hayne,
1300
Par promesse tenté d’elle à m’empoisonner?
ESCHANSON
Ouy, SIRE, mais vueillez au courroux pardonner,
Qui la transportoit lors.
MARIAMNE
O déloyale bouche!
Volontiers la pitié du desastre te touche,
Où tu cuides plonger une qui ne le craint.
1305
Je t’excuse pourtant, comme d’ailleurs contraint.
HERODE
Regardez l’impudence et l’énorme malice,
Que d’un crime aposté elle me fait complice.
Or n’est-il question de plus dissimuler,
Ny à la verité presente reculer,
1310
Mais aux objections de l’attentat respondre,
Coulpable s’avouër, ou menteur le confondre.
Sus, que pretendez-vous vallable repliquer
Qui puisse du forfait la peine revoquer?
MARIAMNE
Destinée à mourir nonobstant ma defence,
1315
J’ayme autant confesser que dénier l’offence:
Il m’est indifferent. Sur charges inventez
D’autres assassinats et pires attentez:
Je m’attribueray tout, le poison, l’adultere,
La conspiration du meurtre de ma mere,
1320
Tant le jour me déplaist, tant un desir m’époint
De sortir de vos mains, et de ne languir point.
HERODE
Au desespoir conceu le criminel s’accuse.
MARIAMNE
Quiconque est juge ensemble et partie on recuse.
HERODE
La recusation mal fondée ne sert
1325
Que de preuve du crime au coulpable inexpert.
MARIAMNE
Pourquoy m’informez-vous, criminelle averée?
HERODE
Une confession nous manque referée.
MARIAMNE
Je confesseray plus que vous ne demandez,
Et une prompte mort exorable accordez.
HERODE
1330
Amis, retirez-vous; j’estime face à face
Que mes suasions auront plus d’efficace:
Souventesfois la honte interdit le parler
Au grand coeur qui ne peut à la force ceder.
PHERORE
Ah! qu’il y a danger que le vaincueur succombe.
1335
Qu’en ce premier erreur d’amour il ne retombe.
SALOME
Prévoyant, vous frappez au but apprehendé:
Je le revoy des yeux de la raison bandé.
HERODE
Quoy qu’un mauvais Demon te resolve à ta perte,
Que ton impieté ne soit que trop aperte,
1340
Que le vouloir damnable on tienne pour l’effet,
Et que supplice aucun n’approche ce forfait,
L’amitié de jadis, qui encore estincelle,
Te garde de son tout quelque foible parcelle,
T’offre, me confessant, un respit du trépas;
1345
Et de peur que semer je semble de l’appas,
M’aider pour te punir par apres de ce piege,
D’un Monarque la foy je te donne [de] pleige:
J’atteste l’Eternel, et son nom precieux,
Qu’au crime du passé je fermeray les yeux,
1350
Exorable, clement, pitoyable, fleschible
Par dessus ton espoir.
MARIAMNE
Proposer l’impossible
Et cela m’est tout un, d’avouër un horreur
Dont le tiltre me jette, innocente, en fureur,
Dont jamais le penser ne me tomba dans l’ame,
1355
Bien qu’à regret Cloton me prolonge ma trame,
Bien que je tende toute à un heur souverain
De trépasser plustost aujourd’huy que demain.
HERODE
La raison de vouloir mourir desesperée?
MARIAMNE
J’en ay plus que n’eut onc l’Espouse de Therée.
HERODE
1360
Où me suis-je pollu adultere pareil?
MARIAMNE
Les meurtres perpetrez m’apportent plus de dueil.
HERODE
Dequoy te souvient-il, meschante, depuis l’heure?
MARIAMNE
Mon pere et mon germain rememorez je pleure.
HERODE
Tu ferois plus pour toy, perverse, de songer
1365
A sortir du bourbier d’un crime et t’en purger.
MARIAMNE
La fin de mes douleurs en doit estre l’issuë.
HERODE
Oüy, oüy, quant à ce point, tu ne t’es pas deceuë:
Ton opiniastreté, tes reproches malins,
Chastiez de la teste, en feront d’orphelins.
MARIAMNE
1370
Ceux du tige Royal, apres moy je ne doute
Qu’ils ne soyent destinez à ta vengeance gloute,
L’insatiable soif d’un pere indigne d’eux,
Qu’avorta l’Arabie en ses deserts hydeux.
HERODE
O comble de forfaits! ô estrange manie!
MARIAMNE
1375
O genereux mépris d’une orde tyrannie!
HERODE
Louve, cuiderois-tu porter impunément
Ces blasphemes vomis en ton forcenement?
Cuiderois-tu payer tes lubriques outrages,
Tes conspirations, tes injures, tes rages,
1380
D’un fardé repentir, d’un remors, d’un dédit?
Non, certes, le chemis de ma grace, interdit,
Ne se rouvrira plus par prieres ny larmes:
Tu ne me retiens plus en tes perfides charmes;
L’amitié conjugalle a rendu ses abois.
1385
Que plustost, que plustost une fere des bois
Succede à tes faveurs, compagne de ma couche:
Mes bienfaits la tiendront par le temps moins farouche;
Je la reduiray mieux au joug de la raison
Que toy, serpent ingrat, malheur de ma maison.
MARIAMNE
1390
Lors que je changeray de parolle ou de face,
Barbare, en volonté de mendier ta grace,
Lors que je m’oubliray tant que de recourir
Au bourreau de mon sang, de crainte de mourir,
Thetis adonc perdra l’ordinaire amertume,
1395
Phoebus ira s’éteindre où sa lampe s’allume,
Zephyre, accoustumé de suivre le Printemps,
Soufflera quand l’Hyver nous herisse les champs,
Les Corbeaux vestiront du Cigne le plumage,
Philomele avec eux échangeant son ramage.
1400
Ne le presume pas, sanguinaire, felon,
Avant je supplierois un Scythe ou un Gelon.
Corsaire Idumeen, race ignoble, n’estime
Que Mariamne meure autre que magnanime,
Que pouvant de soy mesme elle n’eust enterré
1405
Tes lâches cruautez dans ton flanc enferré,
Qu’elle n’eust accomply ce que tu luy supposes.
Sus donc, fay moy mourir; il semble que tu n’oses.
HERODE
O peste abominable! ô Megere d’Enfer!
De vray je tarde trop à te faire étouffer;
1410
Ma clemence à bon droit tu blâmes excessive.
Amis, remenez-la; qu’au surplus on poursuive
Tellement ce procés, sans intermission,
Que dans demain, parfait sur sa confession,
Une Justice égalle au forfait on me rende:
1415
Faveur que celle-là vostre Roy ne demande.
PHERORE
SIRE, vous surmontez l’honneur de vos combats
En ce Monstre impudent à ceste heure mis bas.
L’utilité, conjointe à si belle victoire,
Deviendra par les ans plus belle et plus notoire.
1420
Quels voeux n’avons-nous faits, de crainte retenus
Que Mars ne s’endormist au sein d’une Venus,
Que les allechemens de sa beauté sorciere
Regaignassent sur vous leur puissance premiere,
Coup qui n’importeroit, pardonnant l’attentat,
1425
Que de vostre ruine et celle de l’Estat.
Acte V
MESSAGER, HERODE, PHERORE, SALOME
MESSAGER
O Constance admirable! ô Reyne infortunée!
Helas! tu meritois meilleure destinée;
Tes vertus, tes beautez, tes graces, tes appas
Ne devoient s’asservir à loy du trépas.
1430
Ou du moins qu’une mort te ravist plus sortable.
O spectacle piteux! ô perte regrettable!
Perte qui la patrie a privé d’un Soleil,
Perte qui conduira son autheur au cercueil,
Car le Roy separé de l’ame de son ame
1435
Ne peut moins recevoir de douleur que de blâme:
Il ne peut, d’une ardeur de vindicte remis,
Qu’expirer de regret pour tel acte permis.
HERODE
O malheur! c’en est fait, c’en est fait, elle est morte;
Du supplice enduré la nouvelle il m’apporte.
1440
Qu’auront les mal-veillans traistres precipité
Sous ombre de complaire à un Prince irrité?
Approche, et promptement raconte qui t’ameine.
MESSAGER
Autre chose sinon le decés de la Reine,
Chargé de vous en faire un fidelle discours.
HERODE
1445
Qu’à ton chef-d’ouvre, ô Ciel, n’as-tu presté secours?
Que n’as tu retardé l’effect de ma colere?
Ainsi donc Mariamne a perdu la lumiere?
Mariamne, ce nom, ce beau nom reveré,
Vive ne luy sera plus de moy referé.
1450
Mariamne a suby les rigueurs de la Parque!
L’impiteux Nautonnier l’a passée en sa barque!
Donc, ce flambeau d’amour illumine les morts!
Ah! je pâme, je meurs, bourrelé de remors;
La pitié de douleur me transit importune.
1455
Recite neantmoins ce fatal infortune.
MESSAGER
L’Arrest en la prison de la mort prononcé,
Comme qui luy auroit le contraire annoncé,
Comme libre, en l’honneur de n’agueres remise,
Grave de contenance, et de face rassise,
1460
Elle tend vers le Ciel d’allegresse les mains,
Des graces sacrifie au Pere des humains,
Qui la tire des ceps d’un continu martyre,
Bourgeoise desormais de l’Eternel Empire,
D’une Egypte sortie, où la fleur de ses ans
1465
Sterile fut pareille à des Chardons poignans,
Où sous le nom d’Hymen son horrible servage
Ne luy auroit filé qu’un moleste veufvage.
Adjouste n’emporter de ce monde pervers
Regret aucun, sinon par les malheurs ouverts
1470
A sa race orpheline, en deux fils qu’elle laisse.
Lors un fleuve de pleurs, conforme à sa tristesse,
Augmenta les beautez du visage obscurcy.
Vous voyez qu’il avient dedans le Ciel ainsy
Quand Iris de couleurs a bigarré les nuës,
1475
Et distille une pluye à secousses menuës:
Le front du Firmament ne paroist que plus beau,
Ny le Soleil apres r’allumant son flambeau.
Chacun des assistans, attendry de courage,
Participe muet à ce mal qui l’outrage,
1480
Deplore l’accident qui dissout funereux
Vostre lien Nopcier, autrefois tant heureux.
Mesme que j’entr’oüy soulever un murmure,
Rejettant sur l’envie une telle avanture,
Et que beaucoup, soufflans un feu continuel
1485
De discord, vous rendoient vers elle plus cruel.
Là dessus, volontaire, on la meine au supplice;
Un monde à ce spectacle à la foule se glisse,
Par ondes agité, comme le font les flots,
Borée et l’Aquilon de leurs prisons déclos.
1490
Sa mere, qui passer d’un Portique l’avise,
Imitant la fureur dans les Bacchantes prise,
L’attaque injurieuse en ces mots à peu pres:
Te voila malheureuse, ingratte que tu es,
Ingratte à un Espoux qui t’avoit plus cherie,
1495
Plus que ne meritoit, Carnaciere furie,
Ny ton extraction, ny ta rogue beauté;
Te voila convaincuë en ta déloyauté;
Te voila trebuchée en honteuse ruine,
De leze Majesté et humaine et divine
1500
Criminelle approuvée. Ha! que n’ay-je avorté
D’un si Monstrueux fruict? Pourquoy l’ay-je porté?
Qu’au sortir de ces flancs tu ne fus étouffée?
Un bourreau maintenant ne t’auroit de trophée.
Mais va, peste, querir de ta temerité
1505
Et des tes trahisons le loyer merité.
Que dis-je merité? Mille morts plus cruelles
Capables n’expieroient des forfaitures telles.
Ces reprehensions ne l’émeurent non plus
Qu’un grand roc rivager est émeu du reflus:
1510
Constance elle poursuit ce funeste voyage,
Et feint n’avoir oüy l’hypocrite langage
Que suggeroit la crainte à sa mere, de peur
D’encourir mesme sort, compagne du malheur.
HERODE
O grande cruauté! que le Ciel et la terre
1515
Ensemble t’on livré une cruelle guerre!
Pauvrette, tu n’as eu qu’à ton aide recours,
Que ton courage seul te donnant du secours.
O barbare! o barbare, une aveugle colere
Te comble de remors, de dueil, de vitupere.
1520
Mais poursuy le narré, ce qui ne peut sans pleurs
Me rafraischir l’objet de si vives douleurs.
MESSAGER
Venuë à l’echaffaut, de qui la morne face
Semble à regret souffrir que sur luy se déface
Un miracle du Ciel, de nature, et d’Amour,
1525
Le peuple larmoyeux en silence à l’entour,
De son mouvement propre à genoux prosternée,
Et moins qu’au precedent encores étonnée,
Ses prieres de zele adresse au Tout-puissant;
L’atteste derechef sur son los innocent
1530
Que pour d’autres pechez de memoire infinie,
Ce dernier supposé, elle se sçait punie;
Prie des assistants quelqu’un vous asseurer,
Qu’au cas que sciemment n’ayez feint l’ignorer,
qu’onc poison de sa part n’a tenté fraudulente
1535
Contre vous, prévenu d’une ire violente,
Prevenu des aguets de ceux qui l’ont toûjours,
Ennemis du repos et de l’heur de vos jours,
Voulu rendre suspecte, et poussez de rancune,
Envié la splendeur chez vous de la fortune;
1540
Dit que la Verité, vierge fille du temps,
Deviendra manifeste un jour aux escoutants,
Produira des effects tardifs de repentance
A vous, qu’elle conjure avoir soing d’une enfance,
Prendre de ses deux fils le soucy paternel,
1545
Commandez d’oublier l’oppobre maternel,
Commandez d’enfermer dedans la sepulture
Le souvenir du tort inique qu’elle endure.
Ces propos achevez, un col d’yvoire blanc
Au glaive se presente, et de courage franc
1550
L’Executeur invite à frapper sans remise.
Un coup le chef du corps à l’instant luy divise:
Ils trébuchent ensemble avec un petit bruit;
Dans les bouïllons de sang l’ame prompte s’enfuit.
HERODE
Helas! tu n’as que trop mes cruautez depeintes,
1555
Que trop ouvert la bonde à mes pleurs, à mes plaintes,
Trop en mon ame mis de Vautours et bourreaux.
O terre! englouty moy dans tes caves boyaux,
Ouvre le plus profond de tes gouffreux abysmes,
Et y plonge ce corps chargé de tant de crimes.
1560
Mariamne défaite! O Astres inclemens!
O Ciel! injuste Ciel, perfides Elements,
Et ne pouviez-vous pas resister à ma haine?
Et ne deviez-vous pas me répandre sa peine?
Mariamne défaite! Ah! je ne le croy pas:
1565
L’Univers tout en dueil pleureroit son trépas;
Phoebus, à qui ses yeux fournissoient de lumiere,
Dormiroit pour jamais sous l’onde mariniere.
Mariamne défaite! Helas! le sçais-tu bien?
Tu t’abuses: Cloton sur elle ne peut rien.
MESSAGER
1570
SIRE, tous les regrets du demeurant du monde
Ne la retireroient hors de la nuit profonde:
Son corps n’est plus qu’un tronc privé de mouvement,
Qui desire de vous l’honneur du monument,
Qui vous reprocheroit irresoult d’inconstance,
1575
Puis qu’elle ne mourut que par vostre sentence.
HERODE
O barbare sentence! O Arrest déloyal,
Acte de Lestigron, beaucoup plus que Royal!
Vengez, peuples, vengez sur les Autheurs du crime
Celle qui vous restoit de Reyne legitime,
1580
Heritiere d’Hyrcane au Sceptre Palestin;
Faites-nous compagnons de son sanglant destin;
Egorgez, égorgez ces meurtriers sur sa tombe;
Et que moy le premier plus coupable je tombe,
Reduit au desespoir, furieux que je suis:
1585
Vous me delivrerez d’un deluge d’ennuis;
Le Ciel vous sçaura gré d’une telle justice.
Qu’au moins encore un coup, chere Ame, je te visse!
Qu’au moins encore un coup je te peusse parler!
Ains, qu’helas, ne me puis je en ta place immoler?
1590
Que ne me puis-je perdre en te sauvant la vie?
La vie? Hé! Cieux, comment? qui te l’auroit ravie?
Divine de l’esprit et divine du corps,
Quel accident auroit rompu leurs saints accords?
Quelle de ces trois soeurs filandieres de l’age
1595
Eust entrepris de faire à tes beautez outrage?
Nulle certainement: la mort n’a point de traits
Que n’eussent émoussez leurs amoureux attraits.
Helas! je ne repais mes douleurs que d’un songe;
Je me console en vain d’un frauduleux mensonge.
1600
Mariamne n’est plus; Mariamne a passé
Ce fleuve de l’Enfer neuf fois entrelassé;
Mariamne n’est plus qu’une insensible souche;
Python ne coulera plus de miel de sa bouche;
Plus de dards dans ses yeux l’Amour ne trempera,
1605
Qu’un long somne d’airain toûjours occupera.
Las! helas! je n’attens de revoir que son ombre
Cruelle, épouventable, en la demeure sombre,
Armée de flambeaux, de tortures, de fers.
Que dis-je? Ja déja hors du sueil des Enfers,
1610
Suivie d’une bande affreuse, elles s’élance.
Pardonne à mon outrage et à ma violence;
Pardonne moy, ma vie: à grands coups redoublez
Je m’en vay satisfaire à tes Manes troublez,
Plomber ce sein caduc, me déchirer la face,
1615
Arracher ces cheveux, me meurtrir sur la place.
Ha, cruel! ha, bourreau! quelle punition
Feroit de ton forfait digne expiation?
PHERORE
D’où sortent ces clameurs qui le Palais étonnent?
Quels souspirs feminins en la bouche resonnent
1620
D’un Monarque invincible? O secousses du sort!
Dois-je croire mes yeux, ou son courage mort?
SIRE, je vous supplie, écoutez ma priere:
Que vostre Majesté pour un peu se tempere,
Reprime sa fureur, impetueux torrent,
1625
Impetueux, qui cause un extase apparent.
Immobile sinon des paupieres ouvertes,
Qu’il contourne d’horreur et de flâmes couvertes,
Sourd, estrangé de soy, stupide, forcené,
D’une brutalité maniaque mené,
1630
Sa poitrine de coups l’homicide guerroye.
O Cieux! qui l’abandonne au desespoir en proye?
MESSAGER
Informé du trépas de la Royne par moy,
Soudain le tourbillon de ce lugubre émoy
L’a saisi, l’a surpris, réduisant ses complaintes
1635
Jusqu’aux communes loix de la nature enfraintes,
Jusqu’à se mutiler l’estomach de sa main.
Mon conseil, mes efforts luy resistent en vain.
SALOME
O d’un parfait amour exemple deplorable,
Qui fut à son object de sorte inseparable,
1640
Qu’il ne peut au cercueil devalé oublier,
Qui ne peut le Ciment de sa foy délier,
Jaçoit que, criminelle, une mort appliquée
Soit moindre que l’offense horrible remarquée,
Que l’arrogante seule ait voulu son malheur!
1645
Or, SIRE, si faut-il prendre un avis meilleur,
Passer d’oresnavant l’esponge sur sa perte,
Qui de peu vous sera facile recouverte,
Mille heureuses d’avoir le grade qu’elle obtient,
Posseder un honneur qui ne luy appartient,
1650
Humbles, sages, de qui toûjours l’obeïssance
Se gardera de cheoir en sa mesconnoissance.
HERODE
Perfides envieux, qui me la tollissez,
Qui l’astre de mon mieux à jamais eclipsez,
Organes de sa mort, qui me saignez dans l’ame,
1655
Que deceu me chargez de remors et de blâme,
Fuyez viste d’icy, à peine de sentir
Du Conseil frauduleux le proche repentir,
A peine d’alleger ma torture immortelle,
Sans égard, sans respect, de sang, de parentelle:
1660
Bourreaux, ne paroissez plus jamais à mes yeux,
Qui ne vous peuvent voir sans estre furieux.
PHERORE
Retirons-nous, ma soeur, que ce tançon de rage
N’épande sur nos chefs une part de l’orage;
Et faut que la raison, recampée en son fort,
1665
Efface le peril d’un frenetique effort.
SALOME
Aussi que s’obstiner presens à contredire
Seroit verser de l’huile és flâmes de son ire,
Enaigrir un levain d’aveugle passion,
Qui du temps Medecin veut l’operation.
1670
Toy, mon amy, regarde au mal qui le tenaille:
Qu’un secours domestique ores ne luy defaille.
MESSAGER
L’honneur incomparable en ce pieux devoir
M’oblige d’y vaquer par dessus mon pouvoir.
Assiste, Tout-puissant, assiste de ta grace
1675
Celuy chez qui l’amour toute prudence efface;
Compose sa tourmente. Helas! je l’apperçoy
Aux plaintes recourir, tout transporté de soy.
HERODE
Que cesses-tu, meurtrier? Donnes-tu déja tréve
Aux assauts redoublez de l’ennuy qui te gréve?
1680
Suffit-il d’honorer de souspireux sanglots
De ton autre moitié la memoire et le los?
Suffit-il que toy seul dans ton coeur la reveres?
Non, non, malgré l’effort des trois Vierges severes,
Mariamne revit en la terre et aux Cieux:
1685
Chacun ainsi que moy l’aura devant les yeux.
Fidelles serviteurs, vous quiconques l’aimâtes,
Venez tous, accourez, je vous commande exprés,
Les larmes sur les yeux, le front ceint de Cyprés,
De reclamer par tout Mariamne Deesse.
1690
Je vous commande exprés qu’un autel on luy dresse
Icy dans le Palais, où les voeux et l’encens
Appaisent chaque jour ses Manes innocens,
Où je vous donne un lieu d’inviolable asyle,
Où je veux que ma vie en larmes se distile,
1695
Où ce precieux corps inhumé quelquefois
Revoquera l’esprit aux accens de ma voix,
Consolant mes ennuis d’une douce parole,
Permettant à mes bras d’étraindre son idole,
A ma bouche obtenir sa piteuse mercy,
1700
Premier que je descende au Royaume noircy,
Premier que le trépas criminel me previenne,
Premier qu’ombre là bas à elle je parvienne.
Car certain du pardon, et que purifié,
J’auray ce bel esprit du tout propicié,
1705
Un moment superflu ne trainera ma vie,
De plus de mille morts, elle absente, suivie:
Dessur l’heure, content, je la vay retrouver,
Heure qui ne sçauroit assez tost arriver.
FIN
