Accademia degli Intronati, Gl'Ingannati

Les Abusez (1543)





Texto utilizado para esta edición digital:
Accademia degli Intronatti, Les Abusez. Dana F. Sutton (transcription), Charles Estienne (trad.) En The Philological Museum (The University of Birmingham)
Marcación digital para Artelope:
  • Romeu Guallart, Luis María (Artelope)

LES PERSONNAGES DE LA COMEDIE

GERARD FOYANI, viellard
VIRGINIO, viellard
CLEMENCE, nourrisse
LELIA, fille de Virginio
SPELA, serviteur de Gerard
SCARISSA, serviteur de Virginio
FLAMINIO, gentilhomme amoureux
PASQUTTE, chamberiere de Gerard
YSABELLE, fille de Gerard
CRIVELLO, serviteur de Flaminio
MAISTRE PIERRE, pedagogue
FABRITIO, filz de Virginio
STRAGUALCIA, serviteur de pedagogue
LAISE, hoste
BROUILLON, hoste
FINETTE, petite fille de la nourisse

Acte I

SCENE PREMIER

Gerard et Virginio, viellards

[GE.]
Fay donc, Virginio, si tu as vouloir de me faire seruice en ce cas (ainsi que tu m’as promis) que le plustost qu’il sera possible, soit acheué ce benoist mariage, et me retire quelque fois de cest embrouillé Labyrinthe, auquel ne sçay comment suis encouru si despourueument. Et si par cas d’ auanture quelque chose le retardast, comme de n’auoir argent contant pour la vestir (car ie sçay bien que tu as quasi tout perdu à ce piteux sac de Rome) ou de n’ auoir point acoustrement de logis, ou par auanture que tu te trouuasses vn peu mal aysé pour fournir aux noces, dy le moy franchement, sans autre respect, et tu verras que ie pouruoiray à tout facilement, et ne me sera sascherie, pourueu que ceste enterprise suyue, de despendre dix ou vnze escus d’auantage (que Dieu mercy ie sçay bien encor’ou ilz sont) pour acomplir vne fois ceste mienne fantasie.Tu sçais bien que nul de nous deux est plus herbe de Mars, mais bien de May, et possible encor’ car plus on va auant, et plus se perd de temps. Ne t’esmerueille, Virginio, si ie t’importune tant de ceste affaire, car ie te iure ma foy, que depuys que ie suis entré en ceste resuerie, ie n’en dors la moytié de la nuict, et qu’il soit vray, pense à quelle heure ie me suis leué à ce matin, et sçaches encor’ que deuant que ie vinsse huy ceans, pour peur de ne t’esueiller si tost, i’auois desia ouy la premiere messe à la grande eglise. Et si par cas d’auanture tu eusses changé propos, et te semblast que mes ans ne conuinssent pas à la ieunesse de ta fille, car il sont desia sur la conte d’ante, et possible passent bien auant. Dy le moy hardiment, ie pouruoyray bient tost à tout, en tournant ma fantasie ailleurs, et toy et moy par un mesme moyen deliureray de fascherie, car tu scais bien si ie suis grandement solicité de m’acoupler en d’autres maisons.

VIR.
Ne cestuy, ne autre respect, me pourroir retarder de ceste affaire, Gerard, s’il ne tenoit qu’à moy de te faire auiourd’huy espouser ma fille, que ie ne le fisse. Et iaçoit que i’aye quasi tout perdu au sac, ensemble Fabritio mon filz, que i’aymois si cherement, toutesfois encor’ (la grace à Dieu) m’est demeuré tant de patrimonie, que i’espere bien vestir et faire les noces de ma fille, sans greuer mes amys, n’apeller personne à mon ayde. Ne pense point que ie soys homme pour me desdire de ce que ie t’ay promis, moyennant que la fille en soit contente, car tu sçais bien que celà n’est point honneste entre marchands, de faillir à ce qu’ilz ont vne fois promis.

GE.
C’est vn cas, Virginio, qu s’espreuue plus en parole, que non en fait entre les marchands de iourd’huy. Ie ne voudrois pas pourtant dire que tu fusses de ceux là, toutefois de me voir mener d’au iourd’huy en demain, et de demain à l’autre, celà me fait auoir souspçon de ne sçay quoy, et ne te cognois point si beste, que quand tu voudrois tu me ferois faire ta fille à ton plaisir.

VIR.
Ie te diray. Tu sçais bien qu’il m’a falu aller a Bologne ces iours passez, pour arrester vn conte de marchandise que nous auions ensemble le sire Bonnepart Gisilieri, le Cheualier de Casio, et moy, et pource que ie n’auoys autre que moy à mon logis, et que encor’ ie demourois au vilage, celà n’eust pas esté beau de laisser ma fille en garde à mes chambrieres, et pourtant ie l’enuoyay au monastere de saint Crescence, à seur Camille sa tante, ou elle est encor’ de present, car tu sçais que ie ne fis encor’ que arriuer hier en ceste ville, et tout maintenant ie viens d’enuoyer mon valet luy dire qu’elle reuienne.

GE.
Sçais tu bien aumoins pour certain, qu’elle soit encor’ au monastere, et non ailleurs?

VIR.
Comment? Si ie le sçay? Ou voudrois tu donc qu’elle fust? Quelle demande est ce là?

GE.
Ie te diray la raison. Ie me suis transporté quelque fois audit lieu, pour certaines affaires que i’y auoys, et me suis enquis d’elle, mais oncques ie ne la peu voir, mesmement aucunes de religieuses de leans, me dirent qu’elle n’y estoit pas.

VIR.
C’estoit pour autant que ces bonnes meres la voudroient bien faire religieuse, pour heriter apres ma mort, ce peu de reste qui m’est demeuré, mais pour celà encor’ ne le tiendroient elles pas, non. Car ie ne suis point si vieil (Dieu mercy) que, quand ie me voudrois marier, ie ne fisse encor’ gaillardement une paire de beaux enfants.

GE.
Comment? Vieil. O ie te prometz, que ie me trouue encor’ aussi bien dispost de la iambe maintenant, comme quand i’estois en l’aage de vignt cinq ans, et par expres le matin deuant que vriner. Et pourtant, si i’ay ceste barbe vn peu blanche, ie n’en laisse pas d’auoir encor’ vne queuë aussi verte, que le Poëte de Tuscane, et ne voudrois pas que ces ieunes barbeaux, qui vont toute iour faisants des braues par ceste ville, auecq’ la plume droite à la Guelfe, l’espée sur la cuysse, le poignart derriere les fesses, la cappe a la bizarre, me fissent la reste en choses quelconques, excepté sans plus au courir.

VIR.
Tu as bon courage, ie ne sçay pas comment la force se portera.

GE.
Ie vueil que tu en demandes à Lelia la premiere nuict que i’auray couché auec elle.

VIR.
Or sus au nom de Diu soit. Mais escoute, si sault il que tu vses vn peu de discretion enuers elle, car tu voys qu’elle est encor’ bien ieune. D’auantage, il n’est pas troup bon d’estre si chaud du commencement.

GE.
Quel aage peult elle bien auoir?

VIR.
Au temps du sac de Rome, qu’elle et moy fusmes prisonniers de ces chiés mastius, elle etoit sur la fin des treze ans.

GE.
C’est tout iuste ce qu’il me fault. Ie ne la demanderois, ne plus ieune, ne plus aagée. Virginio, i’ay les plus belles robes, les plus beus ioyaux, chaisnes, carcants, acoustrements de femmes, que homme qui soit in ceste ville.

VIR.
De par Deu soit. Ie serois content de tout son bien, et du tien pareillement.

GE.
Pourchasse doncq’ l’ affaire.

VIR.
Du douaire, ce qu’est dit, est dit.

GE.
Penserois-tu que ie me vousisse desdire? A Dieu ne plaise.

VIR.
Va, ne te soucye. Pour certain, voycy sa nourrisse, qui m’ostera ceste peine de l’enuoyer apeller, et si elle luy tiendra compagnie a venir.

SCENE DEUXIESME

Clemence et Virginio.

CLE.
Ie ne sçay moy que signifie celà, que toutes mes gelines ont ces matin caqueté si estrangement, qu’il sembloit qu’elles deussent renuerser tout ce que dessus dessouz, ou bien m’enricher d’oeufz à planté. Il m’ auiendra au iourd’huy quelque cas de nouueau, car elles ne font iamais ceste vie; que ce iour, ie n’aye, ou qu’il ne m’ auienne quelque mal’ encontre.

VIR.
Ceste cy doit bonnement deuiser auecqu’ les anges, ou bien auec ce benoist pere gardian de saint Françoys.

CLE.
Et encor’ vne autre fantasie m’ est auenue, dont ie ne sçay pareillement qu’en deuiner, toutesfois que mon beau pere confesseur, m’a dit que ie fais mal de mettre fantasie à telles chose, et aiouster foy aux diuinations.

VIR.
Que fais-tu, que tu parles ainsi à part toy? Il m’est à voir que le Rouaisons sont desia passées.

CLE.
O bon iour Virginio! En dea ie m’en venois vers vous deuiser ce matin. Mais vous estes levé merueilleusement tost, vous soyez le tresbien trouué.

VIR.
Que barbotoys tu ainsi entre les dents? Tu pensoys possible de me tirer des mains quelque septier de bled, ou quelque liure d’huyle, ou bien quelque fleche de lard, comme tu as de coustume, faisois pas?

CLE.
A vrayement voyre. O quel beau prodigue, de luy tirer rien des mains! Pensez qu’il iete le lard par deflouz l’huys, et ne laisse rein à ses enfants?

VIR.
Que disoys-tu donc?

CLE.
Ie disoys que ie ne sçauois pas que ce vouloit dire, ou signifier, qu’vne belle petite chate que i’auoys perdue bien quinze iours durants, ce matin est retournée en ma chambre, et apres qu’elle eut prinse vne souriz et vne petite despense que i’ay, en se iouant auecq’ elle me renuerse vne pinte de vin Trebian, que m’auoit donné le frere predicateur des Cordeliers, pour autant que ie luy fais la buée, et luy blanchis son ligne.

VIR.
Ce sont signes de noces, mais tu voudrois dire que ie t’en rendisse vne autre, est il pas vray?

CLE.
Il est vray, puis que vous le dites.

VIR.
Or regarde si ie suis deuin. Mais comment va de Lelia ta fille?

CLE.
Hé pauvre fille qu’elle est! Que mieux eust valu pour elle, que iamais n’eust esté née.

VIR.
Pourquoy celà?

CLE.
Pourquoy? Me le demandez-vous? Ne sçait-on pas bien que Gerard Foyany, va semer par tout, que c’est sa femme, et que tout est desia fait?

VIR.
Il dit la verité. Pourquoy doncq’? Te sembleroit elle pas bien logée en vne maison honorable, à vn riche homme, bien garny et ameublé te tout ce qu’il fault à vn bon mesnager, et n’aura que debatre n’auec belle tante, ne belle mere, ne belle seur, ne cousins, ne cousines, ou parentes de son mary, qui sont tousiours comme chiens et chatz ensemble, et si la traitera comma sa propre fille.

CLE.
Et voylà tout le mal, que les ieunes mariées veulent estre traitées comme femmes, et non pas comme filles, et demandent que l’on les morde, que l’on les retourne et renuerse, puis d’vn costé, puis d’autre, et non pas qu’on les traite comme filles.

VIR.
Tu penses que toutes les femmes te resemblent, tu endends bien que ie vueil dire. Mais elles ne sont pas toutes telles, non? Toutesfoys que Gerard a bon vouloir de la traiter comme femme.

CLE.
Et comment? Il a desia passé cinquante ans?

VIR.
Qui fait cela? Ie suis bien du mesme aage, et toutesfoys tu sçais si ie suis bon iousteur, ou non.

CLE.
Ho l’on en trouue peu te telz, mais si me pensois que vous luy deussiez bailler, par la mercy Dieu, ie l’estouferois plus tost.

VIR.
Clemence, i’ay quasi perdu si peu de bien que i’auois, maintenant, du reste, me conuient faire au mieux que ie pourray. S’il auenoit que quelque iour mon filz Fabricio retournast en ceste ville, le pauure enfant mourroit de faim, ce que ie ne voudrois iamais voir. Et pourtant ie la donne à Gerard, à ceste charge et condition, que si mon filz Fabritio ne reuenoit dedans quatre ans, elle aura mile florins de douaire. Au cas qu’il retourne en ce temps, elle en aura seulement deux cens, et du reste il la douëra.

CLE.
Pauure fille. Ie vous asseure que s’elle en fait à ma fantasie.

VIR.
Comment se porte elle? Combien ya il que tu ne la vis?

CLE.
Il ya plus de quinze iours. Ie la voulois au iourd’huy aller voir.

VIR.
I’entends que ces moynesses la veulent faire religieuse, et ay grand’ paour qu’el le ne luy en ayent desia mis le feu en la teste. Va t’en iusques là, et luy dy que ie luy mande qu’elle s’en reuienne à la maison.

CLE.
Escoutez. Ie voudrois bien que vous m’eussiez presté deux carlins pour acheter vne voye de boys, car ie n’en ay plus pas vne buchette.

VIR.
A dyable, sera ce iamais fait. Or sus va. Ie t’en acheteray vne.

CLE.
Ie m’en vueil aller premierement a la messe.

SCENE TROISIESME

Lelia habillée en paige, el nommée par nom contrommé, Fabio: et Clemence nourruffe.

LEL.
C’est bien vne grand’ hardiesse à moy quand ie y pense, que consideré le deshonnestes meurs des ieunes gents de ceste ville, ie m’ enhardis à sortir de la maison toute seule à ceste heure. O qu’il me seroit bien employé maintenant que quelqu’vn de ces ieunes solastres habandonnez me print par force, et me retirast en quelque logis pour s’asseurer si ie suis masle, ou femelle, et par ce moyen me monstrast à partir vne autre fois hors de la maison si matin. Mais de tout cecy, est cause l’amour que ie porte à cest ingrat, à ce cruel de Flamino. O quelle fortune est la mienne! I’ayme celuy qui me hayt, et qui tousiours me blasme, ie serts celuy qui ne me cognoist, et par plusgrand despit encor’ ie luy ayde à aymer vne autre, que quand on l’orra reciter, nul ne sera qui le croye, sans autre esperance que de pouuoir assouuir ces yeux à le voir vn iour tout à mon ayse. Et iusques au iourd’huy mon cas est allé assez bien, mais d’oresenauant, comment feray-ie? Quel sera le moyen d’en cheuir? Mon pere est retourné de Boloigne, Flaminio est venu demourer à la ville, et ne sçaurois estre plus gueres auecques luy, sans que ie soye decelée. Laquelle chose si ainsi fust qu’elle auint, ie demeure blasmée, et deshonorée à tout iamais, et fera l’on des chansons de mon fait. Et pourtant me suis auisée de partir hors du logis à ceste heure, pour prendre conseil auecques ma nourrisse que i’ay de la fenestre veu venir en ça, et auecques elle choisir le party que nous verrons estre le meilleur. Mais premierement, ie vueil voir s’elle me cognoistra en cest habit.

CLE.
En bonne foy, Flaminio doit estre reuenu demourer en ceste ville, car le voy son huys tout ouuert, ó si Lelia le sçavoit! il luy tarderoit mil ans de retourner en la maison de son pere! Mais qui est ce petit affaite qui trauerse tant de fois la rue par devant moy ce matin? Que veux-tu dire, que tu m’empesches si souuent la voye? Que ne vas-tu ton chemin? Que vas tu tournoyant autour de moy? Que me veux-tu? Si tu sçauois comment telles gens que toy me plaisent!

LEL.
Dieu vous doint le bon iour, nourrisse.

CLE.
Va donner le bon iour à ceux, à qui tu as donné la bonne nuict.

LEL.
Si i’ay donné la bonne nuict à autruy, à vous ie vens donne le bon iour, s’il vous plaist.

CLE.
Ne me viens point rompre le teste, car tu me ferois ce matin faire à peu que ie ne dy.

LEL.
Il est bien possible que le Gardian des Cordeliers vous atend, ou bien auez vous haste d’aller trouuer frere Ciboule?

CLE.
Ta fieüre, coquin, Dieu me le pardonne, qui te fait mesler de mes affaires? Que as-tu affaire dont ie vienne, ne ou ie voyse? Quel Gardian est ce que tu me dis? Quel frere Ciboule?

LEL.
Ne vous mettez point aux champs, nourrisse.

CLE.
Ma foy ie pense cognoistre cestuy cy, et ne sçay ou il me semble l’auoir veu mile fois. Dy moy vn peu laquais? Comment me cognois tu, que tu t’enquiers tant de mes affaires? Retire vn peu ce manteau d’entour le visage.

LEL.
Or sus, vous faites semblant de ne me cognoistre point, ne faites pas?

CLE.
Si tu es caché, ne moy, ne personne du monde te cognoistroit?

LEL.
Retirez vous vn peu plus en ça.

CLE.
Ou?

LEL.
Plus en ça. Or ça, me cognoissez vous à ceste heure?

CLE.
Seroys tu bien Lelia? O bon gré ma vie! O pauure desolée que ie suis! ouy par mon ame, c’est elle. Helas que veux tu dire ma fille m’ayme.

LEL.
Parlez bas, vous me semblez vne Sole? Ie m’en iray si vous criez plus si hault?

CLE.
Tenez? Est elle honteuse? Serois-tu point deuenue femme du monde?

LEL.
Ouy vrayement, ie suis du monde, combien de femmes auez vous veuës En vostre vie hors de ce monde? Quant à moy ie n’en vy iamais vne que i’en aye souuenance.

CLE.
Et donc as tu perdu le nom de virginité?

LEL.
Non parle nom que ie sçache, et principalement en ceste ville, du reste, il en faudroit demander aux Espaignolz, qui me tindrent prisonniere à Rome.

CLE.
Est ce cy l’honneur que tu fais à ton pere? A la bonne maison, dont tu est sailie? A-toy mesme? Et à moy qui ay prinstant de peine à t’esleuer? Il me vient vouloir maintenant de t’estrangler de mes deux mains. Entre icy dedans? Depesche? Que ie ne te voye plus en ceste sorte.

LEL.
Ho, ayez un peu de patience si’l vous plaist.

CLE.
Mais n’as tu point de honte d’estre veuë en cest estat parmy la ville?

LEL.
Ie ne suis pas seule, ne la premiere. I’en ay veu à Rome les grands troupeaux, en ceste ville, combien pensez vous qu’il en y ayt, qui toute nuict vont en cest estat à leurs affaires?

CLE.
Celles là sont meschantes.

LEL.
O entre tant de meschantes n’est il pas possible qu’il y en voyse vne bonne?

CLE.
Ie voudrois bien sçauoir pourquoy tu y vas? Et pour quelle cause tu es sortie du conuent. O si ton pere le sçauoit! ne te tueroit il point? Pauure fille, que tu es!

LEL.
Il me deliureroit de grands maux, vous pensez possible que i’estime la vie quelque grand cas.

CLE.
Pourquoy vas tu donc ainsi? Dy le moy.

LEL.
Si vous me voulez escouter, ie le vous diray, et par ce moyen entendrez quelle est ma fortune, la cause pourqouy ie voys en cest habit hors du monastere, et ce que ie voudrois bien que fissiez pour moy en ce cas. Mais tirez vous vn peu plus en ça ie vous prie, car si quelqu’vn passoit, il me pourroit cognoistre, par ce qu’il me verroit vous tenir propos.

CLE.
Tu me fais consumer, dy tost, car ie me meurs de desespoir, o Dieu!

LEL.
Vous deuez entendre, que depuys ce miserable sac de Rome, mon pere apres qui’il eut tout perdu, et encor’ auecqu’ les biens, Fabritio mon frere, pour autant qu’il luy faschoit d’estre seul en la maison, il me retira du seruice de ma Dame de Marquisane, auecqu’ laquelle il m’auoit mise au parauant, puis contraints de la necessité nous en retournasmes à Modena, en nostre maison, pour euiter la fortune et pour viure de si peu qu’il nous demoura. Et sçauez encor’, que pour autant que mon pere estoit estimé des amys du Seigneur Comte Guy de Rengon, n’estoit gueres bien veu d’aucunes gents.

CLE.
Pourquoy me conte tu ce que ie sçay mieux que toy? Car ie sçay bien que pour ceste mesme raison, vous retirasses tous à vn vostre heritage à Fontanilé, la ou ie vous fis compagnie?

LEL.
Vous dites tresbien. Or vous sçauez combien en ce temps ma vie m’estoit dure et ennuyeuse, et non tant seulement loigntaine des amoreuses pensées, mais encor’ de toutes pensées humaines, essimant en moy, que pour ce que i’auois esté entre les mains de souldatz, que chacun me deust mespriser et debouter, et ne me pensois pouuoir viure si honnestement, que ce sufist à garder et tenir le gens de parler. Vous le deuez bien sçauoir, nourrisse, qui tant de foys m’en tençastes, me confortant, et incitant à mener vie plus ioyeuse?

CLE.
Si ie le sçay, pourquoy donc me le dis tu? Or sus, acheue.

LEL.
Pour ce que si ie ne vous eusse reduit celà en memoire, vous n’eussiez peu bonnement entendre ce qui s’ensuyt. Auint qu’en ce mesme temps Flaminio Carandini, pourtant que il tenoit la mesme partie que nous, print familiarité auecq’ mon pere, et de iour en iour venoit en nostre maison, et acunesfois me ietoit vne oeillade secretement, puys en souspirant par foys, abaissoit les yeux. Et de ce vous fustes cause que ie m’en auisay, nourrisse. De là en auant, me commencerent à plaire ses meurs, son maintien, son language, sa maniere de faire, beaucoup plus que au parauant ne souloient, toutesfois que pour celà, ne pensois ie aucunement en amour. Mais à la continue, durant le credit qu’il auoit de venir au logis, et tantost me monstrant vn signe d’amour, tantost vn acte en souspirant, solicitant, contemplant, et faisant telles chose, ie me commençay à douter bien fort que ce personnage estoit esprits d’amour bien grandement, et me sembla estre digne auquel ie deusse mettre ma fantasie. Ie m’embrasay si estrangement, que autre bien ie n’auois que de le voir.

CLE.
Ie sçauois encor’ tout celà.

LEL.
Vous sçauez bien aussi que apres que les gens d’armes fuerent partiz de Rome, mon pere voulut retourner iusques là pour voir s’il pourroit riens recouurer de ce qu’il auoit perdu, et encor’ plur pour voir si’l pourroit ouir aucune nouuelle de mon frere. Et pour ce qu’il ne me vouloit laisser seule au logis, m’enuoya demourer à la Mirandole, auecq’ ma tante Ianne, iusques à ce qui’il fust de retour. Combein mal voluntiers ne me separasse de mon bon Flaminio, vous le sçauez, nourrisse; qui tant de foys m’en essuyastes les larmes des yeux? A la Mirandole ie demeuray vn an. Et tantost que mon pere fut de retour (comme sçauez) ie m’en reuins aussi à Modena, plus que deuant amoreuse de celuy, qui comme mes premieres amours, tant m’auoit agrée du commencement, et pensois bien qu’il m’aymast aussi de sa part autant qu’il m’ auoit fait au precedant.

CLE.
Sotelette, et combein as tu trouué d’amoreux qui s’arrestent vn an continuelement à vne dame? Et qui en vn moys seul, ne donnent la moque, puys à l’vne, puys à l’autre?

LEL.
Ie le retrouuay (comme vous dites) ainsi que celuy qui autant auoit de souuenance de moy, comme si iamais ne m’eust veuë. Et, qui pis est, i’aperceu que toute sa fantasie, tout son cueur auoit mis à conquester et gaigner l’amour de la fille de Gerard Foyani, comme celle que outre la grand’ beauté, est fille vnique de son pere, si le viellard radoté ne se remarie, et fait encor’ des enfants.

CLE.
Comment? Si se tient il bien asseuré de t’auoir en mariage, toutesfoys, ie ne sçai comme tu l’entens? Et dit ainsi que ton pere ta promise à luy. Mais ce que tu me dis, nevient point encor’ à propos de ton vestement de page, ne pourquoy tu es yssue hors du monasterie.

LEL.
Si vous me laissez dire, vous verrez que tout viendra à propos. Mais pour repondre au premier poinct, ie vous auertis, qu’il ne m’aura ia en mariage, le vieillard. Peu apres que mon pere fut de retour de Rome, il luy falut aller iusques à Bouloigne, pour certains embrouillements de contes qu’il auoit auecq’ des marchands. Et pource que ie ne voulois retourner à la Mirandole, il me mist au monastere de sainte Crescence, souz la garde de seur Amable nostre parente, iusques à ce qu’il fust de retour, car il se pensoit de retourner bien tost.

CLE.
Tout cela ie le sçauois bien.

LEL.
Or moy estant à ce conuent, et ne oyant parler audit lieu, d’autre chose que d’amour à ses reuerendes meres et seurs du cloistre, ie prins la hardiesse, à l’exemple des autres, de descouurir aussi ma fortune à seur Amable de Courtroys. Elle qui eut tresgrand’ pitié de moy, ne cessa iamais iusques à tant qu’elle fist venir Flaminio par plusieurs fois parler et deuiser auecqu’ elle en compagnie d’autres suers,à fin que moy qui ce pendant estois cachée derriere les custodes, repeusse mes aureilles de l’ouyr deuiser, et mes yeux de le voir et contempler, qui estoit le plusgrand desire qui i’eusse in ce monde. Or vn iour entre les autres qu’il y vint, i’escoute qu’il se plaignoit d’vn sien figlol, qui lui estoit mort, disant plusiers beaux propos de louange dudit figlol, et de son bon seruice, aioustant que s’il en pouuoit recontrer vn pareil, se tiendroit le plus content que homme du monde, et qu’il luy mettroit entre les mains tout ce qu’il auroit.

CLE.
O moy pauure femme! I’ay paour que ce paige ne me face mal contente de ce propos.

LEL.
Tout soudain que i’eu entendu l’affaire, me vint en fantasie d’esprouuer si le cas me pourroit bien auenir que ie fusse ce bien heureux paige. Et si tost qu’il se fut departy, ie conferay le propos auecq’ seur Amable sçauoir s’il eust esté bon, que puis que Flaminio m’auoir point de logis arresté à Modena, ie trouuasse moyé de m’acorder pour seruiteur auecques luy.

CLE.
Ne le disois ie pas bien, que ce paige. O femme perdue que ie suis!

LEL.
Elle me la conseilla tresbein, et me commença à instruire de la maniere que ie deuois tenir, et m’apropria et presta certains habitz, que de neuf s’estoit fait faire pour aller aucunesfois desguisée, comme les autres font hors du convent, à ses affaires. Ainsi vn beau matin, de bonne heure, ie me party du monastere, en cest habit. Et pour autant qu’il est vn peu loing de la ville, celà me donna encor’ meilleur courage, et vint tresbien à propos. Ie m’en vois au palais ou logeoit Flamanio, lequel (comme sçavez) n’est gueres loing du monastere, et là i’aten à la porte, iusques à ce qui’il saillist dehors. En quoy ie ne me puis sinon grandement louër de la fortune, car si tost que Flaminio fut sorty du logis, incontinent il iete l’oeil sur moy, et bien courtoysement et de bonne grace me demande, que ie luy voulois, et d’ou i’estois.

CLE.
Est il possible que tu ne cheusses alors morte de honte?

LEL.
Mais au contraire, à l’ayde d’amour ie luy responds franchement, que i’estois de Rome, et que pour autant que pauuereté me chassoit de pres, i’alois chercher mon auanture par le païs. Il me contemple plusiursfois depuis la teste iusques aux piedz, en sorte que i’eu quasi grand peur qu’il ne me cogneust, puis me dit, que si i’auois vouloir de demourer, auecq’ luy, qu’il me prendroit voluntiers, et me traiteroit honnestement, et comme vn gentilhomme. Alors auec quelque petit de honte, ie responds que i’en estois content.

CLE.
Ie voudrois iamais n’auoir esté née, pourte ouir dre ces propos. Et quel bien pensois tu qui t’en peust auenir de faire telle folie, dy sote que tu es?

LEL.
Quel bien? Vous semble il que ce soit peu de contentement à vne amoureuse, de voir continuellement son seigneur, parler à luy? Le toucher? Entendre son secret? Cognoistre ses pratiques? Deuiser privément auecqu’ luy? Et estre asseurée, que pour le moins si tu n’en as iouyssance, vne autre ne l’a pas aussi.

CLE.
Ce ne sont que toutes foyles de sotelettes. et n’est autre chose ce que tu dys que mettre boys au feu d’auantage, si tu n’es bien certaine que ce que tu fais soit agreable à ton amy. Dequoy luy sers-tu?

LEL.
A la table, à la chambre, et si ie cognois pour certain, que depuys quinze iours qu’il y a que ie le sers, ie luy suis tant agreable, et si bien en sa grace, que si autant ie luy pouuois estre en mon vray habit, ie me reputerois trop heureuse.

CLE.
Dy moy un petit, ou couches-tu?

LEL.
En vne sienne garde robe, toute seule.

CLE.
Et si quelque nuict, luy, tenté de la maudite tentation, vient t’apeller pur coucher en son lict, comment en yroit il?

LEL.
Ie ne vueil point penser au mal deuant qu’il auienne. Si le cas auenoit, ie y penseroya soudainement, et m’auiserois de ce que i’en deüroys faire.

CLE.
Que dira le monde, mais qu’il sçache ceste affaire, faulse garse que tu es?

LEL.
Qui leur dira, si vous ne leurs dites? Or voicy ce que ie voudrois que fissier, c’est, que pour autant que ie sçay que mon pere retourna hier sor, et que ie doute qu’il ne m’ enuoye chercher au monastere, que vos fissiez enuers luy tant, qui’il ne me mandast point querir, iusques à troys ou quatre iours d’icy, et que vous luy donnissiez à entendre, que ie suis allée auecq’ seur Amable à Rouerino, et dedans ce temps, ie seray de retour.

CLE.
Et à quel propos celà?

LEL.
Ie vous diray. Flaminio (comme auer desia entendu par cy deuant) amoureux de Ysabelle Foyani, et bien souuent m’enuoye vers elle, en embassade, auecq’ des lettres, et autre cas. Elle, pensant que ie soye garson, s’est si estrangement amourachée de moy, qu’elle me fait les plus grandes caresses du monde. Ie sais semblant de n’ en vouloir tenire conte, si elle ne fait tant, que Flamino soit banny de sa grace. Or ay ie desia conduit l’afaire à bon port, tellement que i’espere entre cy et trois ou quatre iours, que le cas sera depesché, et que elle le plantera là.

CLE.
Ie te dy que ton pere m’a commandé que ie te vienne chercher, et que ie vueil que tu vienne à mon logis, et i’enuoyray querir tes vestements, car ie ne vueil plus que tu sois veuë en cest estat, ou sinon ie t’auertis, que ie le diray à ton pere.

LEL.
Vous serez cause que ie m’en iray au hault et au loing, et que iamais plus ne me reuerrez, ne vous, ne luy. Faites doncq’ ce que ie vous dy, si vous le voulez. Mais ie ne vous plus acheuer de dire tant. I’oy que le Seigneur Flaminio m’apelle, Monsieur, atendez, moy en vostre logis d’icy à vne heure, et ie vous y viendray trouuer, et souuienne vous qu’em me demandant, ou appellant, ie me fais nommer Fabio dy Alberini, c’est le nom que ie me suis imposé, et par ainsi vous ne faudrez point. Io voys Seigneur, à Dieu.

CLE.
En bonne foy que la coquine a aperceu Gerard venir en çà, et pourtant s’en est enfuye. Or qu’est il maintenant de faire sur ce cas? Vne fois ce n’est pas chose qui faille redire au pere, et toutefois ne la fault laisser en cest estat. Ie m’en tiray iusques à ce que i’aye parlé de rechef à elle.

SCENE QUARTE

Gerard, viellard, spela, son servitieur, Clemence, nourrisse

GE.
Si Virginio me tient ce qu’il m’a promis, ie me veux donner le plus beau temps qu’homme qui soit in Modena. Qu’en dis tu, Spela, n’auray-ie pas raison?

SPE.
Ie croy que vous feriez beaucoup mieux d’employer quelque bien à voz pauures neueux qui ont tant de necessité, et à moy, que vous ay seruy desia di long temps, et iamais ne peu espergner auecq’ vous vne pauure paire de souliers, ma foy, i’ay grand’ peur si Dieu ne vous ayde, que ceste femme ne vous enuoye ie sçay bien ou, ou qu’elle ne vous face vous m’entendez bien.

GE.
Ie veux que tu voyes, s’elle ne se tiendra pas bien contente du payement que ie luy feray.

SPE.
Vray, vray, car là ou vn autre la payeroit en grosse et en forte monnoye, voys la payerez en doubles, et en petit change.

GE.
Voicy sa noutrisse, tais toy, ie luy veux finement demander, comment se porte Lelia.

CLE.
O quel beau lis de iardin, pour luy donner femme si tendre, pensez que ceste pauure fille seroit bien logée entre le mains de ce vieillard, poussif, moreux, enfroiduré. Par la mercy Dieu, ie la deschirerois plustot en mile pieces, que ie soufrisse qu’elle fust donnée à ce vilain radoté, asoté, ridé, rioteux. I’en veux vn petit prendre l’esbat, il fault que ie m’aproche vn peu de luy. Dieu vous doint bon iour et bon an, Gereard.

GE.
Et à toy en doint cent mile, et autant de ducatz.

SPE.
Ilz me seroient beaucoup mieux seant, qu’à elle.

GE.
O Spela! pense tu si i’eusse esté en la peau de ceste femme cy, les beaux plaisirs que i’eusse receuz?

SPE.
Et pourquoy? Vos auriez esprouué beaucoup de maryz, là ou vous n’auez esprouué qu’vne femme, ou, possible, vos le dites pour quelque autre raison.

CLE.
Et combien de maryz ay-ie esprouué, Spela? Que Dieu te face peler par les mouches, tu as, possible, enuie de n’auoir point esté l’vn de ceux là, non pas?

SPE.
Oy, par Dieu, que la bague le vault, pour les moins.

GE.
Tais toy, beste, ie ne le dy pas pour ceste cause, non.

SPE.
Pourquoy le dites-vous doncq’?

GE.
Pourtant que i’aurois tant de fois embracé, baisé, acolé ma Lelia, tant douce, tant delicate, du sucre, d’or, de lait, de roses, de le ne sçay plus que dire moy.

SPE.
Oh oh, mon maistre, mon amy, allons, allons, ie vous prie retirons-nous au logis, depeschons tost, tost.

GE.
Pourquoy celà?

SPE.
Vous avez la fieüre, vertu bieu, il vous pourrroit venir pis de demeurer plus long temps à cest aer.

GE.
I’ay le mal an que Dieu t’enuoye, quel fieüre? Ie me trouue tresbien, Dieu mercy.

SPE.
Ie vous dy que vous estes in fieüre, ie le cognois tresbein moy, et fort grande encores.

GE.
Si suis-ie seur que ie me trouue tresbien.

SPE.
Auez-vous point mal à la teste?

GE.
Non.

SPE.
Arrestez-vous vn peu, que ie vou taste le poux? Vous auez grand’ douleur d’estomac, ou pour le moins, ie me doute que vous sentez quelques fumées, qui vos montent au cerueau.

GE.
Au dyable le fol, me voudrois-tu faire deuenir Canlandrin? Tte dy, que ie n’ay autre mal que de ma Lila delicate, sucrée.

SPE.
Ie suis certain que vous auez la fieüre, et estes en tres mauuais poinct.

GE.
Mais à quoy le voys-tu?

SPE.
A quoy? Ne vous en aperceuez-vous point? Vous estes hors de vostre esprit, vous frenaisiez, vous lunatiquez, et ne sçaurez que vos dites.

GE.
C’est Amour qui fait celà, mon amy, tu ne l’entends pas. Clemence m’amye, omnia vincit amor.

SPE.
Ou le beau prouerbe de Napolitain, ponatus manum bragueta. Il ne fut iamais dit qu’à ceste heure, cestuy là.

GE.
Ah la petite cruelle, la petite traistresse qu’est ta fille!

SPE.
Ah ie voy bien que ce ne sera pas fieüre, mais i’ay grand’ paour que nous ne deuenions aquariastres tout à fait. Ah pauure garson que ie suis! que me fauldra il faire desormais?

GE.
O Clemence m’ayme, il me vient fantasie de te baiser et acoler mile fois.

SPE.
Il nous faudra tantost auoir icy des cordes, ie m’en doute bien.

CLE.
Baiser dea, ie le vous defens bien, car ie ne veux point estre baisée de vieillards, entendez-vous celà?

GE.
Te semble-ie estre si vieil?

SPE.
Qu’est-ce que tu dis vieil? Il n’est pas encores, Dieu mercy, cheut vn oeil hors de la bouche de mon maistere; ie voulois dire vne dent.

CLE.
A dire vray, vous n’auez pas du tout le temps qu’on diroit bien non. sire Gerard, ie le voy à vostre visage.

GE.
Ie te prie dy le vn peu à Leila, escoute Clemence si tu le fais, et tu me metz vne fois en sa grace, ie te veux donner le plus beau demy ceint que tu vis de ta vie.

SPE.
O le grand prodigue que c’est! Et à moy sire, que me donnerez-vous?

CLE.
Aussi auant fussiez-vous en grace du Duc de Ferrare, comme vous Estes en la grace de Lelia, que bien vous en prendroit. Mais vous la faites trop atendre. car si vous l’aymiez ben parfaitement, vous ne la tiendriez pas ainsi aux abois comme vous faites. et ne luy lairriez point perdre sa bonne auanture.

GE.
Comment? Luy faire perdre sa bonne avanture? Ie pourchasse la luy donner, non pas la luy oster.

CLE.
Pourquoy doncq’ la tenez-vous tout vn an durant sur la propos de dire maintenant ie la veux, et puys apres ie ne la veux pas?

GE.
Penseroit elle bien qu’il tint à moy. Or si ie ne solicite tous les iours son pere, si ce n’est le plus grand desir que i’aye en ce monde, si ie ne voudrois que le cas se fist plustost au iour d’huy que demain, tu me puisse voir de brief au gibet.

CLE.
Le cas doncq’ se parfera, si Dieu plaist. Ie luy reconteray tout de poinct en poinct. mais escoutez, sire, elle vous voudroit bien vn peu voir vestu d’autre sort, car ainsi que vous estes habillé, vous luy semblez vn droit pitault de vilage.

GE.
Comment? Pitault, et que luy ay-ie fait?

CLE.
Non, mais pource que tousiours vous estes plus emmailloté de fourreures.

SPE.
Ie serois d’auis, par mon ame, qui mon maistre, pour l’amour de sa dame, se fist escorcher tout vif, ou, pour le moins, qu’il s’en allast tout nud parmy la ville. Pensez-vous qu’il le feroit beau voir?

GE.
I’ay des plus beaux habitz qu’homme qui soit en Modena, si ie les voulois vestir. Clemence, ie te sçay bon gré de m’en auoir auerty. Tu verras d’icy à deux iours si ie ne seray pas acoustré d’autre sorte. Mais ou est ce que ie la pourrois recontrer ¡a son retour du monastre?

CLE.
Vous la pourrez voir à la porte de ceste ville, car tout maintenant ie la vois querir.

GE.
Vaudroit il point mieux que ie te tinsse compagnie? Nous en yrions tout bellement deuisants ensemble.

CLE.
Ah, iamais celà, comment? Et que diroit le monde?

GE.
Amour, helas ie meurs!

SPE.
Baston, fay tes honneurs.

GE.
Que tu es bien heureuse!

SPE.
O beste marmiteuse!

GE.
Femme bien fortunée.

SPE.
O beste ou fus-tu née?

GE.
O laict tresbien content!

SPE.
O cerueau plein de vent!

GE.
O Clemence iolie!

SPE.
O vaisseau plein de lie!.

GE.
Or sus Clemence, à Dieu doncq’ m’amye, ie la vous recommande. Vien çà, Spela, ie me veux aller refaçonner autrement, i’ay deliberé de me vestir d’autre sorte, poiur complaire à mon amoreuse.

SPE.
I’ay grand’ peur que tout n’en voyse mal.

GE.
Pourquoy celà?

SPE.
Pource que vous commencez desia à faire à son apetit, ma foy les brayles demeureront à elle.

GE.
Va t’en à la boutique de maistre Marc le parfumier, et m’achete vne boiste de ciuette, car ie veux maintenant entrer en amoureuse vie.

SPE.
Et l’argent, ou est il?

GE.
Tien, voylà vn Carolus, va tost depesche, es-tu reuenu? Ie me retiray cependant au logis.

SCENE CINQIESME

Spela, serviteur de Gerard, Scarissa, serviteur de Virginio

SPE.
Si quelqu’vn auoit en fantasie de vouloir enfermer toutes les folies de ce monde en vn sac, il ne fault qu’y mettre mon maistre la teste la premiere, et principalement à ceste heure, qu’il est entré en ceste frenaisie d’amour. Si vous le voyez au logis, il se testonné, il se farde, il se proumene en gentilhomme, il va de nuict en gerroyage, la belle espée au costé, la cape renuersée en brigueur, et toute iour vous gringote fors mottetz, sur son beau luc, qui est, par mon ame, aussi descordé que son maistre, et vous tient sa partie auecq’ vne voix tremblante (mais elle est vn peu cassée et enrouée) qui’l semble vn droit trespassement nostre dame. Et de bonne auanture encores s’estudie à composer rondeaux, dixaios, balades, sonnetz, chapitres, et mile autres rimasseries, qui seroient pour faire rire des oreilles tous les asnes de ceste ville, et tous les chiens auecqu’, maintainant encoures se delecte de musq’, de perfuns, de ciuette. Par le corps bieu c’est assez pour le faire deuenir hors de soy du tout, si Dieu ne luy ayde. Mais voicy Scarissa, qui doit retourner de la religion.

SCA.
Ie vous asseure que ces bons peres qui mettent leurs filles en religion doluent estre des bonnes gents du temps de la Royne Catin. Il leur est bien à voir qu’elles sont toute jour à genoux deuant le crucifix, à prier Dieu qu’il face du bien à ceux qui les ont mises leans. Vrayement si sont elles, ie vous en asseure qu’elles prient bien Dieu, et le dyable aussi, mais c’est qu’ilz facent rompre braz et iambes, à ceux qui sont cause qu’elles y entrerent iamais.

SPE.
Ie veux vn petit escouter ce propos.

SCA.
Ainsi que ie vien pour fraper au tournouër de ces bonnes dames, incontinent toute la chambre fut pleine de soeurs. Il y en auoit ce croy plus de cent, et toutes ieunes, belles comme beaux ange. Ie commence à demander si Lelia estoit point leans, l’vne se rit d’vn costé, l’autre se raille, l’autre r’entre de propoz nouueaux. Somme toute elles se moquoient de moy, comme si i’eusse esté quelque teste de veau pelée.

SPE.
Dieu gard he y Scatissa, dont vien tu? Ho, ho, tu as des eschaudez sucrez, donne m’en?

SCA.
Saint Anthoine t’ard, toy et ce solastre de ton maistere.

SPE.
Tire, tire fort à toy, et me laisse aller, mais dont viens tu?

SCA.
De la religion S. Crescence.

SPE.
Et puys? Qu’est deuenue Lelia? Est elle retournée au logis?

SCA.
Elle est retournée ta male hart. Vertu bien, n’est ce pas vn grand cas, que cest acariastre de ton maistre la cuyde auoir en mariage?

SPE.
Pourquoy doncq’? N’en veunt elle point?

SCA.
Ie croy bien que non, mais te semble il que ce soit proye pour ses oyseaux?

SPE.
Par mon ame elle a bonne raison. Ete bien que dit elle?

SCA.
Elle ne dit rien, que voudrois-tu quelle dist, quand ie ne l’ay peu oncques voir au conuent? Tout incontinent que ie suis arrivé là, et que ie l’ay demandée à ses affaitées religieuses, il sembloit qu’elles vousissent auoir le pasture de moy.

SPE.
Elles demandoient bien autre ca, possible vouloient elles ton baston pastoral, tu n’entends pas bien le mistere.

SCA.
Ie l’entends par Dieu mieux que toy, aussi tost eussent elles la teigne. Mon amy, l’vne me demandoit vn propos d’amourettes, l’autre si ie voulois estre son mary, l’autre me disoit que Lelia estoit en oraison au dortouër, l’autre qu’elle s’essuyoit la teste, l’autre qu’on la confessoit au cloistre, il y en vint vne qui me dit, “Mon amy, vostre pere eut il beaucoup d’enfants masles,” ie fu en fantasie de luy respondre, il eut ma dame, à peu que ie ne dy, de sorte que ie m’aperceu tresbien qu’elles prenoient plaisir à se railler de moy, et ne vouloient que ie parlasse à Lelia.

SPE.
Tu estois vn grand fol, ne deuois-tu pas entrer leans, et dire que tu la voilois chercher toymesmes?

SCA.
Vertu bieu entrer leans tout seul? Va t’y en va pour essayer, vrayement tu m’acoustres bien. Par le corps bieu il n’au a sergent en ceste ville qui n’eust bien afaire à s’en desharpir. Religieuses, hen, et estre tout seul? Vertu bieu! Or ie te diray à Dieu, car ie n’oserois plus icy demeurer, il fault que ie voyse soudainement en rendre la response à mon maistre.

SPE.
Et moy, il fault que ie voyse aussi hastiuement acheter de la ciuette pour mon viel folastre.


Acte II

SCENE PREMIERE

LELIA habillée en paige, et surnommée Fabio, et Flaminio jeune gentilhomme amoureux.

FLA.
C’est vn merveilleux cas, Fabio, que iusques à icy n’ay peu encores tirer vne bonne response de ceste crudelle, de ceste ingrate Ysabelle, et toutesfois par ce qu’elle te donne tousiours bonne audience, et qu’elle te fait si bon recueil, celà me fait penser et souspçonner qu’elle ne me hayt pas de du tout Si est ce que ie ne luy fis iamais (que ie sçache) chose qui luy duest desplaire. Tu t’en pourrois bien estre aperceu aux propoz qu’elle t’a tint, s’il y a quelque cas dont elle soit mal contente. Recite moy encores vne fois, Fabio, ie te prie, que te dit elle hier soir, quand tu fus vers elle avecq’ ceste lettre.

LEL.
Ie le vous ay desia repliqué vingt fois.

FLA.
Dy le moy encoures de rechef, ie te prie, c’est pour ton grant profit, ie t’asseure.

LEL.
Quel grand profit? Est ce mon profit de vous le dire, quand ie voy que vous en estes fasché puys apres? Qui est vne chose (monsieur) qui me donne autant de desplaisir comme à vous mesmes, car moy estant votre seruiteur, comme ie suis, ie ne doy tascher à autre chose qu’à vous complaire. Possible que de telles mauuaises responses, vous me sçauez apres mauuais gré.

FLA.
Ne te fasche point de celà, Fabio mon amy, tu es asseuré que ie t’ayme autant que mon propre frere, car i’aperçoy que tu me veux grand bien. Et pourtant sois certain que iamais ie ne te moqueray, tu en verras l’experience, avecq’ le temps, si Deu plaist, et te sufise. Mais que te dit elle?

LEL.
Ne le vous ay-ie pas desia dit tant de fois? Que le plus grand plaisir que vous loy puissez faire en ce monde, c’est de la laisser là et ne penser plus à elle, car elle a tourné la fantasie allieurs. Et pour conclusion, elle ne vois sçauroit plus monstrer, ne bon oeil, ne bon semblant, et que vos y perdez et le temps et tout ce que vous y employez à la soliciter, car à la fin vous trouuerez le mains pleines de vent.

FLA.
Te semble il Fabio qu’elle die ces paroles du bon du cueur, out si q’est pource qu’elle aye quelque despit encontre moy, car tousiours aut parauant elle me souloit monstrer bon visage, et me faisoit grand’ faueur. Et ne puis croire qu’elle me haye, comme ainsi soit qu’elle accepte mes letres et messages. Somme, i’ay deliberé de la suyure iusques à la mort, et ay grand desir d’en voir ce qui en pourra auenire. Que t’en semble, Fabio, ne le doy-ie pas faire?

LEL.
En bonne foy, monsieur, il me semble que non.

FLA.
Pourquoy?

LEL.
Pource que si i’estoys en vous, ie voudroys qu’elle me sceust gré que ie l’aymasse. Pensez qu’vn noble et honneste gentilhomme tel que vouis, des beantez que vous estes, faudra à trouuer des amoureuses. Monseigneur faites à ma faniasie, laissez la là? Et vous atachez à quelque autres, vous en trouuerez assez, et possible d’aussi belles comme elle. Dites moy, si’l vous plaist, auez vous point quelque amoureuse en ceste ville, qui s’estimast bien heureuse d’estre in vostre grace.

FLA.
Comment si i’en ay? Il en y a vne entre les autres, qui se nomme Lelia (de qui i’ay mile fois voulu dire, que tu auois tout le visage) estimée la plus belle, la mieux auisé, et la plus courtoyse ieune fille de ceste ville. Ie te la veux quelque iour monstrer. Mais croy qu’elle s’estimeroit bien heureuse si ie luy vouloys monstrer tant soit petit de faueur, de richesse, elle ena assez, et si elle a esté autresfois en court et a esté mon amoureuse beien vn an durant. Elle me fit en ce temps mile petitz semblans, et depuys elle s’est retirée ailleurs, au moyen dequoy, ma fortune avoulu que ie me soys amouraché de ceste cy, qui d’autant m’est cruelle que l’autre m’estoit courtoyse.

LEL.
Monsieur, ie vous asseure que le mal que vous auez vous est bien seant, et le merites grandement, pource que si vous auez qui vous ayme, et vous n’en tenez conte, c’est bien droit et raison qu’vne autre que vous aymez ne tienne conte de vous.

FLA.
Que veux tu dire par celà?

LEL.
Ie veuz dire que si ceste autre ieune fille esté vostre premiere amoureuse, et qu’el le vous ayme encor’ maintenant plus que iamais, quelle ocasion auiez vous de l’habandonner pour en prendre vne autre? Monsieur, ce’st vn peché, que ne sçay si Dieu vous pourra iamais pardonner. Hay signeur Flaminio, pour certain vous faites vn tresgrand mal.

FLA.
Tu n’es qu’vn enfant, Fabio, et ne puis encor’ cognoistre la force d’amour, car ie ty dy que ie suis contraint par force d’aymer cest autre cy, et de l’adorer, et ne puis, ne sçay, ne veux iamais penser à autre qu’à elle. Et pourtant ie vueil que tu retournes encor’ vers elle, et que tu tasches le plus habilement et dextrement que tu pourras, de loy tirer de la bouche, que c’est qu’elle a contre moy, et à quoy il tient qu’elle ne me daigne plus regarder.

LEL.
Vous perdez temps.

FLA.
Et tel perdre temps me plaist.

LEL.
Vous abusez, et n’y ferez iamais riens.

FLA.
Patience.

LEL.
Laissez le troter, monsieur, ie vous en suplie.

FLA.
Ie ne puis. Va t’ en vers elle depesche.

LEL.
Ie m’y en voys, mais —

FLA.
Reuien incontinent me dire la response, ie m’en iray ce pendant iusques e la grand’ eglise.

LEL.
Mais que ie voye donc l’oportunité, ie n’y faudray pas.

FLA.
Fabio, si tu entens à cela bon pour toy.

LEL.
Atemps se part, qui. Ho voicy Pasquette, qui me vient chercher.

SCENE SECONDE

PASQUETTE chamberiere d’Ysabelle. LELIA vestue en page et surnommee FABIO.

PAS.
Ie ne pense point qu’il soit au monde plus grand mal, ne plus grande fascherie à vne seruante comme ie suis, que de seruir vne ieune fille amoreuse, et principalement quand elle n’a ne mere, ne seurs, n’autres parents de qui elle puisse auoir crainte, comme ceste mienne maistresse, laquelle depuys quelque temps en ça, est entrée en telle foyle et en telle rage d’amour qu’elle n’eu repose ne iour ne nuict. Toute iour se frote les bas, se grate les cuysses, tantost monte au hault du grenier, tantost se met à la fenestre, puis en hault, puis en bas, et ne s’arreste non plus que s’elle auoit le vif argent sous les pieds. Iesus! Iesus! Iesus! Si ay ie esté, ce me semble, ieune comme les autres, et si ay esté amoureuse ma part, et ay fait quelques petites folies en mon temps, et toutesfois se prenois ie encor quelque peu de repos. A tout le moins si elle se fust mise, à aymer quelque honeste galand de bonne care, meur et puissant, qui luy peust honnestement faire ses besognes et la galer tresbien ou Nature la chatouille si fort. Mais elle s’est embrouillée d’vn petit marmouset, qui ie croy quand il seriot detaché ¡a grand’ piene sçauroit il lever sa braye, si quelqu’vn ne loy aydoit. Et toute iour m’en voye chercher ce beau ioyau, comme si ie n’auoys autre chose à faire à la maison. Pensez comment son maistre en est bien seruy? Il croyt fermement qu’il porte les embassadies pour loy. A le vocy qui vient à la bonne heure. Fabio, Dieu te doint bon iour, mon petit mignon, mon amy, ie te venois chercher.

LEL.
Et à toi mil escuz, ma bonne Pasquette. Et puys que fait ta belle maistresse? Qui veult elle?

PAS.
Et que pense tu qu’elle face? Elle pleure, elle se consume, elle se detruit, pource qu’à ce matin tu n’as point passé par deuant nostre maison.

LEL.
Comment? Voudroit elle que ie y passasse deuant le iour?

PAS.
Ie croy bien qu’elle voudroit que tu demourasse auecq’ elle toute a nuict.

LEL.
Ah vrayement i’ay bien autre chose à faire. N’entens-tu pas bien qu’il me fault soigner au seruice de mon maistre?

PAS.
Ho de cela ie sçay bien que tu ne seroys pas desplaisir à ton maitrre d’y venire, mais possible que tu couches auecq’ luy.

LEL.
Pleust à Dieu que ie fuisse tant en sa grace d’y coucher, ie ne seroys pas en la fascherie ou ie suis.

PAS.
Comment? Ne coucheroys tu pas plus voluntiers auecq’ Ysabelle?

LEL.
Non pas moy.

PAS.
Ah ie ne t’en croiray iamais.

LEL.
Ainsi ne fust il pas.

PAS.
Or laissons celà vne fois, ma maistresse te prie bien fort, et te mande de par moy que tu viennes bien tost vers elle, et que son pere n’est pas au logis, et qu’elle te veult dire quelque chose pour ton grand profit.

LEL.
Dy luy qu’elle se defface de Flaminio, qu’elle perd son temps, car elle sçait bien que ie me destruyrois.

PAS.
Vien luy dire doncq’ toy mesmes.

LEL.
Ie te dy que i’ay autre chose à faire, m’entends tu bien?

PAS.
Et qu’as-tu tant à faire? Fay y vne course, et tu seras incontinent retournée.

LEL.
Va, tu me romps la teste, retire toy ie te prye.

PAS.
Tu n’y veux doncq’ pas venire.

LEL.
Non te dy-ie, tant dire de fois.

PAS.
En bonne foy et en bonne verité. Fabio, Fabio, tu es vn peu trop orgueilleux et te souuienne de ce que ie te dy, que tu es en cor’ bien ieune, et ne cognois pas ta bonne auanture. Cest belle fortune ne te viendra pas tousiours, non, la barbe te grandire, et n’auras pas tousiours le visage si frais, ne les iouës si rouges, ne la bouche si vermeillette, tu ne feras pas tousiours si requis. Vn temps viendra que tu cognoistras bien la grand folie que tu fais à present, et t’en repentiras bien fort, mais il n’en sera plus temps. Ie te demande, combien pense tu qu’il y ayt d’honnestes gentilzhommes en ceste ville, qui se tiendroient bien fiers d’auoir la grace d’Ysabelle? Et tu ne tiens contre de rostie, si elle n’est faite en la poisle, ou couuerte de sucre.

LEL.
Que ne les prend elle doncques? Et qu’elle me laisse en paix? Car (somme toute) ie n’y puis entendre.

PAS.
O Dieu! On dit bien vray, si ieunesse sçavoit et viellesse pouuoit.

LEL.
Or sus Pasquette, ne me viens plus precher, car tant plus tu m’en diras, et moins i’en feray.

PAS.
Petit glorieux, petit glorieux, ceste fumée se passera. Or sus Fabio, mon petit amy, ma petite rosée, vien t’envistement ie t’en prie. Si ce n’estoit que ie sçai bien que ma maistresse m’enuoyroit encor’ vers toy tout soudain, ne pense point que ie t’en importunasse tant.

LEL.
Or sus, bien va Pasquette, ie m’y trouueray, ie ne te faisois que moquer.

PAS.
Quand donc, mon esperance?

LEL.
Bien tost.

PAS.
Quand bien tost?

LEL.
Tout à ceste heure, va.

PAS.
Ie t’atendray à l’huys.

LEL.
Bien, bien.

PAS.
Mais escoute, si tu ne venois point, à bon escient tu me ferois bien tander.

SCENE TROYSIESME

FLAMINIO, CRIVELLO son serviteur.

FLA.
Tu n’es pas allé voir si tu recontreras Fabio? Ie suis esbahy qu’il ne reuient, et ne sçay que penser de sa longue demeure.

CRI.
Ie m’y en alloys et vous m’aues rapelle, il ne tient pas à moy.

FLA.
Va t’y en doncq’ tout maintenant, et au cas qu’il fust encour’ au logis d’Ysabelle, atende dehors iusques à ce qu’il sorte, et luy dy qu’il se haste bien tost de venir.

CRI.
Voyre mais, comment sçauray-ie s’il y sera, ou si’l n’y sera pas? Voudriez-vous que ie frapasse à la porte pour demander si’l y est?

FLA.
Voyez moy vn petit cest asne. Pense tu que celà seroit bien honneste de buquer à la porte? Croy moy de celà que ie n’ay valet en ma maison qui vaille vn chou, si ce n’est Fabio. Dieu me doint grace que ie luy puisse faire du bien quelque iour. Qu’est ce que tu me barbotes? Qu’en griognes tu maurad, ne dy-ie pas la verité?

CRI.
Que voudriez vous que ie grognasse, Fabio est bon, Fabio est mignon, Fabio vous sert bien, Fabio est tousiours auecq’ vous, Fabio est tousiours auecq’ ma dame, il n’y a que Fabio, il ny’a que Fabio, hon.

FLA.
Que veult dire ce hon?

CRI.
Il ne sera pas tousiours si bonne bague, non.

FLA.
Que dis-tu de bagues?

CRI.
Ie dy qu’il n’est pas trop bon de luy laisser tousiours entre les maines, toutesvoz bague, car il est estranger il vous en pourroit bien vn iour bailler d’vne.

FLA.
Aussi seurs fussiez vous, vous autres, comme il est. Or sus enquiers toy à Scatissa que ie voy venir, s’il auroit point aperceu, cependant ie me retireray au banc de Porrini.

CRI.
Scatissa, Dieu te gard, as-tu point veu Fabio?

SCA.
Qui? Vostre bonne bague? Hau paillard, tu te donnes bien du bon temps.

CRI.
Ou vas tu?

SCA.
Chercher mon viellard.

CRI.
Il ne fait tout à cest heure que de passer par cy deuant.

SCA.
De quel costé est il tourné?

CRI.
Deça, deça, vien, nos le rencotrerons, et sçaches qu’en allant ie te veux conter le plus beau passetemps du monde, qui m’est auenu ce iours icy auecq’ ma Catherine.

SCENE QUATREIESME

SPELA, serviteur de GERARD tout seul.

SPE.
Y a il rien pire au monde que seruir vn maistre solastre. Mon beau Gerard m’auoit enouyé acheter de la cyuette. Quand i’en vins demander au parfumeux, et que ie luy dis que ie n’auoys qu’vn Carolus, il me commence à dire que ie n’auoys pas bien retenu, et qu’il me deuoit auoir dit vne boeste d’oignement pur la ronge, et que mon maistre en auoit bon mestier, et qu’il sçauoit bien que mon maistre n’auoit point de coustume d’vser de parfuns. Adonc ie me mys à loy raconter quelque mot de ses nouuelles amours, à fin qu’il m’en creust plus tost, et mon homme de se prender a rire si fort, que luy et ie ne sçay quelz misserres, qui estoient in sa boutique, cuyderent demourer là en la place de force de rire, et vouloit à toute force que ie luy portasse vne boeste de chicotin, de sorte qui sur ces propos ie m’en reuiens. Or si mon maistre veult auoir de la cyuette, qu’il me baille de l’argent d’auantage.

SCENE CINQIESME

CRIVELLO, SCATISSA, LELIA, habitée en paige, et Ysabelle

CRI.
Or tu as ouy, et si tu t’y veux trouuer, ie me fais fort d’en recouurer vne pour toy.

SCA.
Fay me auoir vn peu de credit auecq’ quelqu’vne? Ie te prometz que si tu me trouue quelque chamberiere à mon gré, nous donnerons le meilleur temps du monde. Vn foys i’ay la clef de la caue, la clef du grenier, du boys, de la despense, et si i’auois ou descharger ma hacquebutte, ie me fais fort que nous menerions vne vie de gentilzhommes, aussi bien de ces maistres cy, on n’en a iamais autre chose.

CRI.
Tu sçais bien que ie t’ay dit. I’en auertiray Guillemette, ne te souyce, elle te pouruoira de quelque belle garce, à fin que nous quatre ensemble puissons prendre du bon temps à ce Caresme prenant.

SCA.
Ho, voire mais nous en sommes desia au bout.

CRI.
Il ne m’en chault, nous le pourrons bien encor’ prendre de Caresme, pendant que noz maistres seront au sermon à le proumener Mais mot, i’ay ouy l’huys de Gerard qu’on ou ure, restire toy vn petit plus ença,

SCA.
Pourquoy celà?

CRI.
Ne te soucie, pour cause.

LEL.
Donc, Ysabelle, doncq’, souuienne vous de ce que vous m’auez promis.

YSA.
Et toy aussi, ayes souuenance de me venir souvent visiter. Escoute encor’ vn mot.

CRI.
Si i’estois que de ce petit babouin ie sçay bien que mon maistre en auroit tout du long.

SCA.
Tu preudrois la pasture pour toy, serois pas?

CRI.
L’entens-tu autrement?

LEL.
Ne me voulez vous autre chose?

YSA.
Escoute encor’ vn petit.

LEL.
Me voylà, que voulez vous?

YSA.
Y a il ame la dehors?

LEL.
Ie n’y voy personne.

CRI.
Que dyable est ce que teste ¡a luy veult tant?

SCA.
Cest priuauté me semble vn peu bien grande.

CRI.
Tu verras tantost, ne bouge.

YSA.
Escoute vn petit mot.

CRI.
Ilz s’aprochent fort pres l’vn de l’autre.

SCA.
Ie gage, ie gage.

YSA.
Oys-tu, ie voudrais bien voluntiers.

LEL.
Que voudriez vous, ma dame?

YSA.
Ie voudrois — Aproche toy vn petit.

SCA.
Aproche toy, petit sauuageau.

YSA.
Ie te pry’ regarde si tu verras personne là dehors.

LEL.
Ne vous l’ay-ie pas dit, il n’ya ame viuant.

YSA.
Or ie voudrois bien que tu reuinses ceans apres disner, mais que mon pere fust allé a la ville.

LEL.
Ie le feray. Mais par tel si, qui quand vous verrez passer mon maistre par cy deuant vous en fuirez, et luy fermerz la fenestre au visage.

YSA.
Si ie ne le fais, ne me vueillez iamais bien.

SCA.
Ou dyable luy tient la main cest là?

CRI.
O mon pauure maistre, ou es-tu? Par le corps bieu, ie disois tousiours bien que ie serois deuin.

LEL.
A Dieu, ma dame.

YSA.
Escoute, t’en vas tu si tost?

SCA.
Baise la, ta fieüre quartaine, baise la.

CRI.
Elle a paour qu’on ne la voye, la bonne dame.

LEL.
Or sus, ma dame, il est temps de vous retirer au logis, s’il vous plaist.

YSA.
Ie voudrois bien que tu m’eusses fait encor’ vn plaisir.

LEL.
Quel? Dites.

YSA.
Que tu te retirasses vn petit entre ses deux huys.

SCA.
Voylà le cas, tout est depesché.

YSA.
Ha Iesus que tu es estrange!

LEL.
Voyre, mais quelqu’vn nous verra.

CRI.
Et là là compagnon, autant à moy.

SCA.
Ne l’auois-ie pas bien dit qu’elle le baiseroit?

CRI.
Or sus donc de par Dieu, et ie te prometz que ie n’en voudrois pas tenir cent escus, de n’auoir veu ce baiser.

SCA.
Ie l’entens bien. Aussi tost m’eust il esté donné pour voir si i’en eusse esté refusant.

CRI.
O que dira mon maistre, mais qu’il le sçache!

SCA.
Ha vertu biou, il s’en fault bien garder de luy dire.

YSA.
Ie te suply’ mon amy de me pardonner ce que i’ay fait. Ta trop grand beauté et la trop excessiue amour que ie te porte sont cause de ce que possible tu estimeras peu honeste. Mais i’en apelle Dieu ¡a tesmoing, que oncques ie m’en ay sceu gardeer.

LEL.
Ce n’est pas à moy, ma dame, enuers qui il fault vser de telles excuses, car ie sçay bien en tel cas comment autresfois il m’en est prins à moy mesmes, et ce que par trop excessiue amour ie me suis mis à faire.

YSA.
Et quoy, mon amy?

LEL.
Ha Dieu, à deceuoir mon maistre, que toutesfoys iamais ne s’en trouuera bien.

YSA.
Sa male tigne, à ton maistre.

CRI.
Va t’en puis fier en ces pisseuses. Par mon ame il est bien employé. Ie ne m’esbahys pas, si cest affaité incitoit tousiours mon maistre à soy deporter de l’amour de ceste cy.

SCA.
Toute geline becque à soy, quand tout est dit, toutes femmes sont forgés à vn coign.

LEL.
Il vient desia sur le tard, et fault que ie voyse chercher mon maistre, parquoy ma dame ie me recommande.

YSA.
Or escoute encor’ vn mot à l’oreille.

CRI.
Là, là, et deux, qui te puisse casser les dents, par le corps bieu il m’est enflé vne iambe, qu’il semble qu’elle vueille tout rompre.

LEL.
Fermez[N]
X
Nota del editor digital

"Fermez"

El editor, Dana F. Sutton, considera, quizás por error, que este parlamento pertenece a Ysabelle. Probablemente sea de Lelia. [Nota del editor digital]

. Ma dame, à Dieu.

YSA.
Ie suis vostre.

LEL.
Et moy a vostre commandement. I’ay d’vne part la plus belle pasture du monde, de ceste cy qui pense à toutes fins que ie sois masle. De autre costé, ie voudrois bien sortir de ceste fantasie, si estoit possible, et si ne sçay comment en faire. Car ie voy bien que puys que ceste cy est desia venue iusques au baiser, elle voudra me premiere foys venir plus auant, et me trouuera auoir tout perdu, de sorte qu’il sera force descouurir le pertuys. Il vaudroit doncques mieux que ie me retirasse chez ma mere nourisse, pour luy demander comment i’en seray. Mais Dieu y ayt part! Voicy Flaminio qui vient.

CRI.
Scatissa, mon maistre m’auoit dit qu’il m’antendroit au banc de Porrini. Ie luy veux aller donner ceste bonne nouuelle. Mais au cas qu’il ne m’en vuielle croyre (escoute?) ayde moy que ie ne soye point trouué menteur.

SCA.
Ie n’y faudray pas, ne te soucye. Mais si tu m’en veux croire, tu t’en tairas pour ceste heure, et garderas tousiours ceste dent de laict à Fabio, pour mieux le faire tourner à ton plaisir.

CRI.
Ie t’auertis que ie le hay, car il m’a fait vn mauuais tour.

SCA.
Da, fais en comme tu l’entendras.

SCENE SIXIESME.

FLAMINIO, LELIA en paige

FLA.
Est il possible que ie sois si hors de mon sens, et qui ie m’estime si peu, que ie vueille aymer ceste cy, oultre son gré? Et seruir celle qui me destruit, qui ne fait conte de moy, ne me veult complaire d’vn seul regard? Seray-ie de si petit courage, et si vil, que ie ne puisse oster ceste honte et ceste infection d’autour de moy? Ha voicy Fabio, et puis, qu’as tu fait?

LEL.
Riens du monde.

FLA.
Pourquoy as-tu doncqu’ tant demouré? Tu veux deuenir vn vaut neant à la fin, ie le voy bien.

LEL.
I’ay vn peu atendu là, pour ce que voulois à toute parler à elle.

FLA.
A quoy a il tene que tu n’y as parlé?

LEL.
Pource qu’elle ne m’a pas voulu escouter, et si vous faisiez selon mon conseil, sans nulle faulte, monsieur, vous chercheriez autre party, et vous retireriez de ceste brouillerie. Car à ce que i’en ay peu comprendre iusques à cy, vous y perdez vostre temps, elle se monstre trop obstinée enuers vous, de ne vous vouloir iamais monstrer acte, qui vous plaise.

FLA.
Et si Dieu le distoit, elle a grand tord. Tu ne sçais pas que tost à ceste heure ainsi que ie passois par là, incontinent qu’elle m’a veu de la fenestre, ma dame se lieue de là, et s’en va auecq’ si grand despit et desdain, comme s’elle eust veu quelque chose horrible ou espouuentable.

LEL.
Laisser la troter, vous dy-ie. Est il possible qu’il n’y en ayt vne autre qu’elle en ceste ville qi soit digne de vostre amour? Y eut il iamais autre qu’elle qui vos agreast?

FLA.
Ainsi ne fust il? Car i’ay grand paour que celà soit cause de tout mon mal, pour ce qu’au parauant i’ay bien grandement aymé ceste Lelia fille de Virginio Belleuzini, de qui ie t’ay parlé cy deuant. I’ay paour que Ysabelle ne se doute que cest amour dure encore à present, et que pour ceste cause ne me vueille plus voir, ne recontrer. Mais i’ay bonne intention de luy donner en brief ¡a cognoistre que ie l’ayme plus que Lelia, et que i’ay Lelia en grand hayne, et ne sçaurois plus ouyr parler d’elle. et que ainsi soit, ie luy en ferai tel serment qu’elle voudra, que ie ne mettray iamais le pied in lieu ou Lelia sout ne veuë ne ouye, et veux, comment que ce soit, que toy mesmes luy r’aportes ces paroles.

LEL.
Ah mon Dieu!

FLA.
Qu’as-tu? Tu as changé de couleur? Sens tu qulque mal?

LEL.
Ah, ah mon Dieu!

FLA.
Qu’est ce qui te fait mal?

LEL.
Ha Dieu! Le cueur!

FLA.
Depuys quand t’est venu cecy, apuye toy vn peu sur moy? As-tu mal au ventre?

LEL.
Non, mon siegneur, non.

FLA.
C’est possible l’estomac, qui te fait auoir ceste foyblesse.

LEL.
Ie vous dy, seigneur, que c’est le cueur que me fait mal.

FLA.
Aussi fait il bien à moy, et possible plus qu’à toy. Tu es deuenu fort pasle, va t’en, va t’en à la maison, et te fay tresbien chaufer quelque ligne fur l’estomac, et te froter beien fort entre deux espaules aupres du feu. Ce ne sera rein, non. Ie m’y trouueray incontinent apres toy, et si ie voy qu’el en soit mestier, ie feray venir le medecin qui te tastera le pous pour sçauoir quelle maladie tu as. Monstre, que ie te manye vn peu le bras. Tu es froid comme glace. Or sus, sus, va t’en bien bellement au logis. L’homme est subiet à beaucoup de fortunes. Ie ne voudrois pas pour tout mon bien amor avoir perdu ce garçon, car ie pense qu’en tout le monde, et n’ya pas vn seruiteur si auisé, si bien apris ,ne de si bonne meurs, qu’est ce ieune gars, et oultre ce, me monstre tel signe d’amour que si’l estoit femme ie me douterois qu’il fust ialoux de moy. Fabio va à la maison, te dy-ie, et te chaufe tresbien les piedz. Ie seray là incontinent apres toy. Dy que l’on mette la nappe.

LEL.
Or as tu maintenant (pauure miserable fille!) de tes propres oreilles et de la mesme bouche de c’est ingrat Flaminio entendu l’amour qu’il te porte, mal fortunée et mal contente Lelia! Que veux-tu plus perdre temps à server ce cruel homme? Riens ne t’a valu la pacience, rien tes prieres, rien les semblants que tu luy às monstres, maintenant à grand’ piene l’auras-tu par finesse. Mal auanturée que ie suis, refusee, chaffée, fuye, haye. A quel propos soys-ie celuy, qui me refuse? A quelle raison cherché-ie celui, qui me chasse? Qui me fait suyure celuy, qui me fuit? Qui m’ induist aymer celuy qui me hayt? Ah! Ie voy bien que nulle ne luy plaist qu’ Ysabelle! Il n’en demande point d’autre. Or qui’il l’aye, qu’il en i’ouysse, qu’il en face à son plaisir, car ie le lairray, ou ie mourray en la piene. I’ay deliberé de iamais plus ne luy seruir en cest habit, ne iamais plus me retrouuer deuant luy, puis qu’ainsi est qu’il m’a tant à contrecuerur. I m’en iray trouuer Clemence ma nourrisse, car ie sçay bien qu’elle m’atend à sa chambre, et auecq’ elle disposeray ce que l’auray ¡a faire desormais.

SCENE SEPTIESME

CRIVELLO, FLAMINIO

CRI.
Et s’il n’est ainsi que ie vous dy, monsieur, faites moy pendre par la gorge, non pas seulement couper la langue. Ie vous auertis qu’il est ainsi.

FLA.
Depuys quand celà? Combien y a il?

CRI.
Ce fut quand vous m’enouyastes le chercher.

FLA.
Comment se fit le case? Dy me le, ie te prie, car vne fois il m’a dit, somme toute, qu’il n’a à parler à elle au iourd’huy.

CRI.
Mais dommage, qu’il ne vous le confesse. Ie vous dy, qu’ainsi que i’atendois pour voir s’il sortiroit du logis, ie fu tout esbahy que ie le vy faillir dehors, et ainsi qu’il se vouloit partir, Ysabelle le r’apelle, et le retire dedans, et en faisant le guet, s’il y auoit personne dehors qui les apercuest, et ne voyans nully, s’entrebaiserent à bon escient.

FLA.
Comment? Ne te puerent ilz aperceuoir?

CRI.
Pource que ie m’estois retiré souz ce piliers qui sont la deuant, par ainsi ne me puerent iamais voir.

FLA.
Voyre, mais comment les vis-tu?

CRI.
De mes deux yeux, penseriez vous que ie les eusse veuz des coudes?

FLA.
Et la basia il?

CRI.
Ie ne vous sçaurois pas dire bonnement s’elle le basia, out si luy la basia, mais ie croy bien de celà, que l’vn basoit l’autre.

FLA.
S’aprocherent ilz les visages si pres l’vn de l’autre, qu’ilz se peussent entrebaiser?

CRI.
Ie ne sçay pas des visages, mais des leüres i’en suis bien certain.

FLA.
Coquin, pourroit-on aprocher les leüres sans le visages?

CRI.
Ouy bien, si l’homme auoit la bouche aux orielles, ou au derriere de la teste. Mais estant située là ou elle est, ie croy bien que non.

FLA.
Pense bien à toy, si u l’as certainement veu, à fin que tu ne m’en viennes dire puis apres, il me le semblont, car ce n’est pas peu de cas que cecy, à fin que tu l’entendes.

CRI.
C’est encor’ plus grands cast, du Geant qui est au hault de la tour de Senes.

FLA.
Comment les vis-tu?

CRI.
En veillant, les yeux ouuers, atentif à voir, n’ayant autre chose à faire que regarder.

FLA.
S’il est ainsi que tu dis, le voy l¡a mort.

CRI.
Et ie vous dy qu’il est ainse elle l’appelle, il s’aproche, elle l’embrace, et la baise. Or maintenantm ourez, si vous voulez, car iene vous y sçaurois que faire.

FLA.
Non sans cause le trahistre nyoit si asseurément d’y auoir esté. Ha maintenant ie m’aperçoy bien pourquoy le paillard me conseilloit tant de la laisser, c’estoit pour eniouyr luy mesmes. Se ie n’en fais telle vengeance, que tant que ceste ville durera il sera exemple au seruiteurs de ne trahir point leurs maistres, ie ne veux point estre apellé homme. Toutesfoys si ie n’en ay autre isseurance que de toy, encor’ n’en croray-ie riens, car ie sçay bien que tu es vn mechant coquin, et que tu luy veux mal d’autre chose, et fais celà à fin de le faire partir de ma maison. Mais par le vray Dieu, que i’adore, ie feray tout à ceste heure dire la verité, ou ie te turay tout royde. Dy donc? L’as tu veu?

CRI.
Ouy monsieur, ie l’ay veu.

FLA.
La baisa il?

CRI.
Il s’entrebaiserent.

FLA.
Combien de fois?

CRI.
Deux fois.

FLA.
En quel lieu?

CRI.
En l’allée.

FLA.
Tu as menty par ta gorge, coquin, n’ya gueres que tu disoys à l’huys.

CRI.
Ie voulois doncq’ dire aupres de l’huys.

FLA.
Me diras-tu point doncq’ la verité?

CRI.
Auf, auf, monsieur, pardonnez moy, si ie l’ay dit.

FLA.
Est il vray?

CRI.
Ouy monsieur, il est vray. Mais il ne m’estoit pas souuenu que i’auois vn tesmoing.

FLA.
Qui estoit il?

CRI.
Scatissa, seruiteur de Virginio.

FLA.
Le vid il?

CRI.
Aussi bien que moy.

FLA.
Et s’il ne le confesse?

CRI.
Ie suis content que me tuez.

FLA.
Corps bieu, aussi ferai-ie.

CRI.
Mais aussi, mon maister, s’il le confesse?

FLA.
Sang bieu, ie vous tueray tous deux.

CRI.
He mon Dieu! Pourquoy celà, monsieur?

FLA.
Ie n’entends pas de toy, mais ie dy Ysabelle et Fabio.

CRI.
Vrayement ie le vueil, et qu’ encor’ vous brusliez la maison, et Pasquette aussi, et tout ce qu’il ya leans.

FLA.
Va me chercher Scatissa. Si ie ne l’en paye, si ie ne fais parler de moy, si tout la ville n’en est abreuêe, ie donne au diable. Si ie n’en fais telle vengeance, que le trahistre qu’il est. Allex vous puis fier à tolles gens.


Acte III

SCENE PREMIERE

Le pedagogue, Fabritio, filx de Virginio, et Stragualcia serviteur de Fabritio.

PED.
Cest ville me semble tout changée depuys le temps que ie n’y fu. Bien est vray que ie n’y demeuray qu’vn peu en passant auecq’ l’embassadeur d’Ancorie, et alors me souuint que nos logeasmes chez le Seigneur Guissardin, toutesvoys si y demeurasmes-nous quelque six ou sept iours, que vous en semble, Fabritio, ne la recognoissez vous point?

FAB.
Autant qui si iamais ie ne l’auois veuë.

PED.
Ie le croy facilement, car vous en partistes si ieune, qu’il ne s’en fault esmerueiller. Or encor’ sçay-ie bien comment s’apelle la rue ou nos sommes, Voylà la palays de Rangons. Cy dessouz paise le grand canal. Ce que vous voyez là en face, s’est l’eglise cathedrale. Auez vous iamais ouy dire vn proverbe, “tu ressembles à la pote de Modena,” ou “tu es vne droit pote de Modena?”

FAB.
Mile foys. Ie vous pry monstrez la moy.

PED.
La voyez vous là, sur ceste trande eglise.

FAB.
Est ce ceste là?

PED.
Elle mesmes.

FAB.
Ho, ce n’est qu’vne foyle!

PED.
Vous voyez ce c’est.

FAB.
I’ay encor’ autresfous ouy dire vn autre prouerbe, “tu as enterpris de mener l’Ours à Modena.” Que signifie celà? Ou est c’est Ours?

PED.
Ce sont certains prouerbes intriques de tempes passé, de quibus nescitur origo.

FAB.
Certes mon maistre, cest ville cy semble sentir son bien.

STRA.
Et à moy me sent encor’ meilleur, car ie sents icy apres’vn odeur de rost, qui me fait venir la faim.

PED.
Ne vous souuient il pas de ce que dit Cantalitio? Dulcis amor patria. Et Caton dit semblablement, pugna pro pataria. In summa id est, hoc est, significat. c’est a dire, tout autant comme qui voudroit dire, il n’est chose plus douce ne plus plaisante que le paîs.

STRA.
Ma foy, maistre, ie croyerois bien que le Trebian fust encor’ plus doux et plaisant, car ie suis tout espaulé de porter ceste malle.

PED.
Il semble que ces rues soient faites de neuf, oncques puys ne fus-ie en ceste ville, qu’elles estoient tant ordes, et fangeuses que c’estoit pitié.

STRA.
Ha, nous amuserons tantost à conter lex carreaux, ie le voy bien vryament nous n’auons par oeuure laisée, i’aymeroys mieux que nous retirissions in quelque lieu pour boyre.

PED.
Iamdudum animus est in patinis.

FAB.
Mon maistre, quelles armes sont cela que ie voy?

PED.
Ce sont les armes de la communauté de ceste ville, et s’appele ce que voyes dedans la Triuelle, tout ainsi comme a Florence l’on crie Marioco, Marioco, et à Venise San Marco, San Marco, et a Senes, Lupa, Lupa, ainsi en ceste ville on exclame Triuelle, Triuelle.

STRA.
I’ay aymerois mieux que nous cryissions paesle, paesle.

FAB.
Ho ie cognois bien celles là: ce sont les armes du Duc.

STRA.
Maistre, ie voudrois vn peu que vous portissiez cest malle. May foi i’ay la bouche si seiche, qu’à grand’ peine puis ie plus papier.

FAB.
Aten, aten, tu te desaltereras tantost.

STRA.
Mais que ie sois mort, vous me ferez du chaudeau aux oeufz.

FAB.
Ie vous prometz que de premiere entrée, ceste ville m’a semble fort belle. Que t’en semble, Stragualcia?

STRA.
Ce me semble vn droit paradis, car on n’y boit ne menge. Ie vous suply’ ne perdons plus de temps à contempler ceste ville. Nous la verrons bien puys apres tout à nostre aysle.

PED.
Tu verras icy vn clocher, le plus excellent qui soit in toute la machine mondiale.

STRA.
Est ce cestuy là, à qui l’on dit que les Modenois vouloient faire vn estuy, de peur que la pluye ne le gastast? Duquel l’on dit aussi que l’ombre empesche les gens de passer par les rues?

PED.
C’est cestuy là mesmes.

STRA.
Ie suis seur que iamais ie ne partiray de la cuysine, quant à moy. Ie voise voir que voudra, parquoy ie vous pry’, messieurs, trouuons moyen de nous loger.

PED.
Tu as grand’ haste.

STRA.
Vertu bieu, ie meurs de faim. Ie ne sçay pas comme vous l’entendes, et n’ay mengé huy que la moytié d’vne poule, qui vous estoit demourée au bateau ce matin.

FAB.
Qui trouuerons-nous qui nous conduisse en la maison de mon pere?

PED.
Non, non. Il me semble meilleur que nos allions premierement en vn bonne hostelerie, nous refraischir vn petit, et puys tout à l’ayse, nous irons chercer le logis.

FAB.
I’en suis content, ie croy que voicy des hosteleries.

SCENE SECONDE

Laise, hoste, Brouillon, hoste, pedagogue, Stragualcia.

LAI.
Holà siegneurs, i’ay bon logis pour vous, sil vous plaist d’y demeurer. Au Mirouër, au Mirouër, messieurs.

BRO.
Ha a, vous soyes les tresbien venuz, messieurs. Il m’est à voir que ie vous ay logez autresfois, ne vous souuient il plus de vostre Brouillon? Entrez ceans, entrez, messieurs, c’est ceans qu’ont tousiours de coustume loger telles gents que vous.

LAI.
Venez loger ches moy, siegneurs Ie vous donneray bonnes chambres, ie vous feray beau feu, vous aurez bon lictz, beaux drapz blans tous fraiz de buée. Tout sera à vostre commandement, et n’espergnez chose que vous ayez.

BRO.
Ho de celà nous l’entendons bien, aussi ne ferons-nous.

LAI.
Ie voulois dire chose que nos ayons.

BRO.
Messieurs, ie vous donneray du meilleur vin de Lombardie, iambons, espais comme celà, saucisses de ceste longueur, pigeons, pouletz, tout ce qu’il vous plaira demander, et grand’ chere.

STRA.
C’est ce que i’ayme sur tout.

PED.
Et toy que dis-tu?

LAI.
Ie vous donneray bons fraises de veau, beaux piedz de mouton fricassez, bon vin de montaigne, et sur tout ie vous traitemeray delicatement.

BRO.
Ie vous donneray plus viandes et moins delicatesses. Si vous voulez loger chez moi, ie vous traiteray comme princes, et du payment vous en ferez ainsi que bon vous semblera. Au Mirouër, l’on vous mettra in conte iusque à la chandelle. Quant ¡a moy, faites en comme il vous plaira.

STRA.
Maistre, demourons ceans, ma foy il le vault mieux.

LAI.
Hé faites ce que ie vous dy, si vous voulez estre logez à vostre ayse. Messieurs, voulez vous quel’ on die que vous soyes logez au sot.

BRO.
Mon sot vault mieux dix mile fois, que ne fait ton Mirouër.

PED.
Speculum prudentia significat, iuxta id Catonis, “nosce teipsum.” Entendez vous pas bien celà, Fabritio?

FAB.
I’entens bien, mon maistre.

BRO.
On void assez bien qui a plus d’hostres communément, de toy ou de moy.

LAI.
On void assez ou vont les gens de bien.

BRO.
On void bien ou l’on traite mieux les honnestes gens.

LAI.
On void bien qui c’est qui les traite plus delicatement.

STRA.
Quel tant delicatement, delicatement. I’aymerois mieux me remplir bien la panse, et estre traité moins brauement. Que valent tant de braueries et courtisanies, c’est ¡a faire à Florentins.

LAI.
Tous ceux là logent le plus souuent chez moi.

BRO.
Il est bien vray qu’ilz y souloient loger, mais depuys cinq ou sex ans en ça, ilz se retirement tous souz mon enseigne.

LAI.
Garçon mon amy, boute bas ceste malle, ie voy bien qu’elle te rompt les espaules.

STRA.
Ne te soucye pas de celà, toy, car ie ne vueil poinct descharger mes espaules, si ie ne sçay premierement out ie doy charger mon ventre.

BRO.
Te sufira il pour ta portion d’vne bonne paire de chapons? Aporte hau? Tien, voy tu? Celà sera pour toy tout seul.

STRA.
Cecy ne me rassasiera pas du tout, mais c’est bien pour vn bon desieuner.

LAI.
Voyes, messieurs, quel iambon? Ne semble il pas un satin cramoysi par dedans?

PED.
Celà n’est pas trop mauuais.

BRO.
Qui est ce de vous qui se cognoist bien en vin?

STRA.
Moy, moy, mieux qu’homme du monde.

BRO.
Essaye si cestuy là te sembera bon. Sinon, ie t’en bailleray d’vne autre sort.

STRA.
Brouillon, may foi, à mon avis que tu entens mieux les matieres que ne fait pas l’autre, car tu monstres la maniere de boyre deuant que l’on soit au logis. Que ie taste si ton vin est bon ou non, ho maistre voyla bon vin. Tien, tien, pren ceste malle.

PED.
Aten, aten encor’ vn peu. Et toy, que dis tu?

LAI.
Ie dy moy, que gens de bien et d’honnesteté ne demandent point à se remplir la panse de tant de viandes, mais de peu, bon, et delicat.

STRA.
Cestuy cy doit estre quelque hospitalier, ou hoste de gens malades.

PED.
Tu ne dis pas trop mal, que nous donneras-tu?

LAI.
Demandez.

BRO.
En vrayement, messieurs, ie m’esmerueille de vostre opinion. Quand on sert beaucoup de viandes sur table, l’homme en peult manger tant et si peu qu’il luy plaist, ce qui n’auient pas quand on n’en sert que vn petit. D’auantage, quand la personne commence à menger, c’et alors que l’apetit commence à croistre, et par ainsi faulte de viande il se fault remplir l’estomac de pain.

STRA.
Tu es plus sage que n’est un Docteur en Theologie, va. Ie ne vy oncques homme qui entendist mieux mon affaire que toy, ie t’ayme!

BRO.
Compagnon, va un peu iusques à la cuysine, et voy que s’cest qu’il y a.

PED.
Omnis repletio mala, panis autem pessima.

LAI.
Venez et entrez ceans, mes seigneurs, car celà n’est pas trop bon de demourer la dehors à la froidure.

FAB.
Ah nous ne sommes pas si frileux, Dieu mercy.

BRO.
Messieurs, il est bien vray que ceste hostelerie du Mirouër souloit estre l’vne des meillures hosteleries de Lombardie, mais incontinent que i’eu ouuert ceste cy, il n’y loge plus en vn an dix personnes, et a plus de bruit ceste mienne ensigne par tout le monde que hostelerie qui soit. Ceans logent Angloys et Flamens en grande quantité. Allemans, o combien y en vient il!

LAI.
Tu ne dis pas vray de celà, car les Allemans ont de coustume de se loger au Pourcelet.

BRO.
Ceans arriuent Milanois, Parmesans, Plaisantins.

LAI.
A mon logis viennent Françoys, Venissiens, Geneuoys, Florentins.

PED.
Ou logent les Napolitains?

BRO.
Chez moy.

LAI.
Laissez de dire, messieurs, il se moque, car ilz logent, la plus part, au Dieu d’Amours.

FAB.
Le Duc de Melfe, ou loge il?

LAI.
Aucunesfoys chez moy, aucunesfoys chez lui, vn iour a L’Espée, l’autre au Dieu d’Amours, selon qu’il luy vient en fantasie.

PED.
Ou est ce que logent les Romains? Pource que nous sommes de Rome.

LAI.
Chez moy.

BRO.
Il n’est pas vray. On n’en trouuera pas vn en vn an qui s’y loge. Bien est vray que quelques Cardinaux, de plus anciens, s’y sont aucunesfoys logez par vne certaine acoustumance, mais les nouueaux tous viennent fraper la teste à ce Sot.

STRA.
Ie ne partiray huy de ceans, se le deuois estre fessé par le carrefours, voysent ces veaux ou il leur plaira. Magister mon amy, il y a leans tant de potz au tour de feu, tant de potages, fricasées, entrées de tables, broches plienes de pigeons, chapons, connins, perdriz, beccasses en rost, en paste, brouillu, rauaudé, tracassé, plus de tartes, plus de saucisses, que quand se seroit pour faire vn festin de Caresme prenant à toute la courte de Rome, celà sufiroit.

BRO.
T’a l’on donné a boyre?

STRA.
Mais quelz vins? Ah il n’en fault point parler.

PED.
Variorum ciborum commixtio pessimam generat digestionem.

STRA.
Bus, asinorum, buorum castronorum, rattê, vattaté pecoronibus Quel dyable barbouillez vous icy en vostre Latin? Que le feu Saint Anthoine vous ardre les iambes, tant vous allez lachement, vous et autant de magisters qu’il ya en ce monde, vous me semblez vn droit maistre veau. Dominé entrez ceans, entre ceans, entrez.

FAB.
Ou logent les Espagnolz?

BRO.
A dyable! Ie ne veux auoir que faire ne que souder auecq’ eux, il me semble toutesfois qu’ilz logent au Lyon Rampant. Mais que vous fault il tant dire? Vne foys pour toutes, il n’y a personne qui voyse par païs, qui ne vienne loger à mon enseigne, excepté, sans plus, les Senois. Lesquelz, pour ce qu’ils sont quasi comme vn mesme chose auecq’ les Modenois, n’arriuent iamais gueres en ceste ville qu’ilz ne trouuent plus d’vn cent de leurs amys, qui les meinent loger chez eux, mais quasi tons les autres seigneurs, grand monsieurs, pauures, riches, souldatz, et tous bon compagnons, acourent à ce Sot, de si loing qu’ilz le voyent.

LAI.
Ie vous de que tous Docteurs, iuges, religieux, gens de letres logent chez moi.

FAB.
Maistre, qu’est il de faire?

PED.
Etiam atque etiam cogitandum.

STRA.
Auf, estomac mon arcy. Eslargiz toy hardment, car ie sçay bien que pour vn coup ie te donneray à faire.

PED.
Ie regardois, Fabritio, que nous ne sommes pas beaucoup chargez d’argent.

STRA.
Domine, i’ay veu leans vne des filles de l’hoste, mon amy, belle comme vn ange.

PED.
Or sus, demourons doncq’ ceans, car vne foys si nous pouuons recontrer le bon pere, il payera nostre escot.

STRA.
Cous semble il que ce soit moque, i’ay desia bien beu quatre bonnes foys, et si n’ay encor’ conté qu’vne. Ah ie ne me partiray huy de cestre cuysine que ne m’essaye de tout ce qu’il ya en broche, et puis mon amy ie m’en voys me mettre à dormir, tout du long de ce beau greand feu, et foing pour ceux qui espergnent des rentres.

LAI.
Souuienne toy, Brouillon, que tu m’en as fait par trop, et croy que vn iour nous rompons la teste l’un à l’autre, et à bon escient.

BRO.
Ie ne t’y sçaurois que faire. Nous ne scaurions plus tost qu’à ceste heure.

SCENE TROISIESME

Virginio, vieillard, Clemence, norrisse

VIR.
Ce sont les belles coustumes que tu luy as enseignées? C’est l’honneur qu’elle me fait maintenant, malheureux que ie suis! Ay-ie eschape tant de fortunes pour voir ma maison tant destruite, ma fille deuenue meschante pour estre mis aux contes et chansons publiques, poiur iamais ne pouuroir plus haulser le front deuant le monde, pour estre monstrée au doigt des petitz enfants, deschassé du nombre de tous bons viellards, mis aux ieux de la bazoche, reduit pour exemple aux fables de cent nouuelles, tenu sur les rengs aux caq-uetz des achouchées? Et pensez si elles ne s’enquestent pas de tout? Pensez si elles ne prennent pas plaisir à blasmer vn chacun? Ie croy fermement que desia tout mon cas se sçait par tout la ville! Ha de celà ie m’en puis bien tenir tout asseuré. Il n’en fault seulement qu’vne d’entre elles qui se scache, incontinent en moins de troys heures, le bruit en court par tout la ville. O pauure et miserable pere, douloureux, plein d’ennuy et de fascherie! Virginio pauuere viellart! Que feras-tu desormais? A quoy dois-tu penser maintenant?

CLE.
Vous ferez tresbien d’en mener le moins de bruyt que vous pourrez, et de penser à pouruoir au reste le mieux que faire se pourra, et la faire returner au logis le plustost qu’il sera possible, a fin que l’on n’en sçache riens par la ville. Mais non plus eust elle de vie au corps seur nouuellante, comme ie penserois qu’il fust vray que Lelia allast habillée en paige par la ville. Regardez bien que le religieuses n’ayent controuué ces propoz, pour la vouloir faire conuerse, à fin que vous leur laissiez tout voz biens.

VIR.
Comment? Penserois’tu doncq’ qu’il ne fust pas veray? Qui plus est, elle m’a encor’ dit d’auantage que ma fille fert de paige, et est demourante auecq’ vn gentilhomme de ceste ville, et que le gentilhomme ne s’est point encor’ aperceu qu’elle soit fille.

CLE.
Tout celà pourroit bien estre, mais quant à moy, ie n’ey croyray iamais riens.

VIR.
Ne moy aussi, ie ne croyrois iamais qu’elle ne fust fille.

CLE.
Ie ne dy pas celà.

VIR.
C’est moy que le dy, car le cas me touche trop. Toutesfous que la faulte vient de moy qui te l’a baillay iamais à nourrir, veu que ie sçauois bien, et cognoissois tes complexions.

CLE.
Virginio, ne parlons plus si auant. Si i’ay esté meschante, ç’a esté par vous, qui m’aues fait telle, et sçauez bien que si ce n’a esté vous, iamais autre ne me fut rien que mon mary. Ie vous dy que les ieunes filles de maintenant voulent estre autrement traitées que vous ne la traitez. Mais aussi puys qu’il fault que ie le vous die, n’auez vous point de honte de la vouloir marier à vn viellart r’assoté, qui pourroit bein estre son pere grand?

VIR.
Et qu’est ce qu’ont les vieillards, qui ne sont bons, bolistresse que tu es? Ils valent aucunesfois mieux, et de beaucoup encor’, que ne font pas vn tas de ieune folastres.

CLE.
May foy vous n’estes pas à ceste heure en vostre bon sens, ie le voy bien, et pourtant, c’est bien raison que chacun cognoisse vostre folie, et vous monstre vote belaune.

VIR.
Si ie la puis vne fous recontrer, ie le traneray par les cheueux iusques à la maison.

CLE.
Vous ferez ainsi que celuy que se mist luy mesmes les cornes sur la teste pour se faire mieux à cognoistre.

VIR.
Quand celà me seroit auenu, ie ne m’en soucirois pas trop. Car si ie me mettois les cornes, ie me les sçaurois bien oster.

CLE.
Or bien doncq’, gouuernez vous à vostre fantasie, et par ainsi vous n’en aurez point de mal à la teste.

VIR.
Ha l’on m’a baillé les enseignes comment elle est vestu en garçon! Ie la trouueray, et tant cherceray qu’ell me retournera entre les mains. Et puys l’on verra que ie luy feray.

CLE.
A vostre bon plaisir soit, ie me veux retirer d’icy, car ie voy bien que c’est temps perdu de vouloir lauer des charbons.

SCENE QUATREIESME

Fabritio jeune filx, Brouillon, hoste.

FAB.
Pendant que mes deux galans se reposent, ie m’en vois esbatre vn petit à me proumener par ceste ville. Mails qu’ilz soient esueillez, dy leur qu’ilz me viennent chercher vers la grand’ place.

BRO.
Monsieur, croyez que si ce n’estoit que ie vous ay veu vestir ces habitz, i’eusse iuré que vous fuissiez un ieune gars, paige d’vn gentilhomme de ceste ville, laquel va ainsi vestu de blanc comme vous, et vous resemble si bien de tout en tout qui’il n’y a quasi rien à dire des deux.

FAB.
Ce pourroit bein possible estre quelque mien frere.

BRO.
Il est possible.

FAB.
Ecoute, mon amy, Dy à mon maistre, mais qu’il soit esueillé, qui’il s’enquiere du personnage qi’il sçait. Entens-tu bien?

BRO.
Laissez en faire à moi.

SCENE CINQUIESME

Fabritio, filx de Virginio, PASQUETTE, chamberiere d’Ysabelle.

PAS.
En bonne foy la voycy. I’auois paour de tracasser par toute ceste ville auant que le trouuer. Fabio mon amy, vous soyez le tresbien trouué. Ie vous venois chercher, mon petit mignon, vous m’auez ostée de grand’ piene. Mon petit amy, ma maistesse dit que pour quelque afaire qui touche grandement vostre honneur et le sien, que vous transportez tout maintenant en son logis. Ie ne sçay pas bonnement que c’est qu’elle vous veult.

FAB.
M’ayme, qui est vostre maistresse?

PAS.
Pour ce que vous ne le sçauez pas bien! En bonne foy de verité que l’vn et l’autre ce sont tresbien atachez.

FAB.
Ie ne pense point m’y estre encor ataché, toutesfois si elle le veult, il ne tiendra pas à moy que ne nous atachons l’vn à l’autre, à bon escient et de brief.

PAS.
A quoy tient il doncq’ que vous estes tous deux si couardz? O que ie n’ay encor’ mon pellisson de vignt ans! Croyez que ie me ferois rechaufer la cropier à bon escient. Et si i’estois que de vous deux, i’eusse desia mis toute suspition dehors, et tous respectz de costé. Toutesfous ie croy que vous le ferez à la parfin, ie m’en doute.

FAB.
M’ayme vous ne me cognoissez pas bien. Allez, allez, vous me prenez pour vn autre.

PAS.
Ie vous pry’ ne l’ayez point à mal, Fabio mon amy, car ce que ie vous dy, c’est pour vostre grand profit.

FAB.
Il ne le pren point à mal autrement. Mais si est ce que ie n’ay pas le nom que vous me donnez, et ne sçay pas qui vos pensez qui ie sois.

PAS.
Or faites en tous deux ainsi que vous l’entendrez. Mas escoutez encor’ ce mot. Croyez que l’on trouuera en ceste ville peu de ieunes dames aussi riches et aussi bien auenantes en matiere d’entretien qu’est ma maistresse, et voudrois tresbien que vous vuydrissiez le mains de ceste brouillerie. Car d’aller toute iour deuant et derriere, et aduancer paroles de çà et de là, en donnant ocasion de parler aux gens, sans aucun profit que vous y puissies auoir, et auecq’ bien petit d’honneur pour elle, celà me semble vn peu troup fascheux.

FAB.
Vertu bieu que peult ce estre cecy? Ie ne puis bonnement entendre ce cas, ou que ceste cy est folle, or qu’elle m’a pris pour vn autre. Si veux-ie voir en quel lieu elle me voudra mener. Allons doncq’?

PAS.
Au, il me semble que i’ay ouy des gens en la masion. Arrestez vous un bien petit icy autour, et m’atendez tant que i’aye veu si Ysabelle est seule leans. Ie vous feray signe que vous entriez, mais qu’il n’y aye personne.

FAB.
Ie veux atendre, voir quelle fin aura ceste fable. Car il seroit bien possible que ceste cy fust seruante de quelque cortisane, et me pense ioncher de quelque escu. Mais elle s’abuse bien, car ie suis parent des Espaignolz en celà. L’aymerois mieux tirer vn escu du sien, qu’elle eust un soul du mien. Ie me doute que l’un de nous detira de rest à l’autre. Laissez vn peu que i’entende à ceste affaire, et que ie voye quelles gens ce sont qui entrent, et que sortent de leans, pour sçauoir de quelle race est ceste damoyselle.

SCENE SIXIESME

GERARD, VIRGINIO, PASQUETTE.

GER.
Or tu me pardonneras doncq’. Car s’il est ainsi, ie te la renonce de ceste heure, et n’y pensons plus. Car i’estime que si ta fille a fait ce que l’on dit, elle l’a fait pource qu’elle ne veult point de moy. Encor’ ie me doute qu’elle n’en aye pris vn autre.

VIR.
Ne croy iamais celà, Gerard. Penseroys-tu que ie te vousisse seduyre? Ie te pry’ n’y pense plus.

GER.
Ie te pry’ aussi ne m’en parle plus.

VIR.
Voire mais, serois-tu bien homme pour faulser ta promesse?

GER.
Ouy bien à qui m’a faulse la sienne. Tu n’es pas encor’ bien si tu pourras r’auour ta fille ou non, et toutes fois tu meveux vendre l’oyseau sur la branche. Penses-tu que ie n’aye pas bien ouy ce que tu en as deuisé auecq’ Clemence?

VIR.
Si ie ne la recouure, ie ne veux point que tu la prennes. Mais aussi, si ie la recouurois, voudrois-tu pas que les noces se fissent incontinent?

GER.
Virgie i’ay eu espousée, Dieu mercy, la plus honorable femme qui fust en ceste ville. Ie te puis bien asseurer de celà, dont i’ay encor’ vne fille qui semble un petite columbe. Voudrois-tu maintenant que ie prinse en ma maison vne garce, qui s’est enfuye de chez son pere, et va tous les iours de çà et de là, de maison en maison, habillée en homme, ainsi que sont les filles communes et deshonestes? N’entends-tu pas bien que ie ne pourray puys apres trouuer à qui marier ma fille?

VIR.
Point, point, d’icy à cinq iours on n’en parlera plus, il n’en sera plus de nouuelle. Que penses-tu que ce soit? Il n’y a que toy et moy qui en sçachent rien.

GER.
Mon amy, le bruit en courra tantost par toute la vile.

VIR.
Hé tu t’abuses.

GER.
Combien y a il qu’elle s’en est enfuye?

VIR.
Hier soir, ou ce matin, que ie ne mente.

GER.
Dieu le vueille. Mais comment sçais-tu qu’elle soit en ceste ville?

VIR.
Ie le sçay bien, ne t’en soucye.

GER.
Or trouue la doncq’, et nous en parlerons puys apres.

VIR.
Voire mais, prometz moy doncq’ de la prendre.

GER.
I’y penseray.

VIR.
Or sus, dy moy que tu le feras.

GER.
Ie ne t’en asseureray poit autrement.

VIR.
Quel mais? Dy hardiment le mot.

GER.
Allons tout beau. Et bien qu’y a il, que dis-tu, Pasquette? Que fait Ysabelle?

PAS.
Et que voudriez vous q’elle fist la pauure fille! Elle est toute iour à genoux en sa chapelle deuant son petit autel à prier Dieu.

GER.
Or benye soit elle de Dieu! I’ose bien dire que i’ay la fille la plus honeste qui soit en ce monde. elle vous est tousiours en priere et oraison. Ie vous asseure que c’est le plus grand cas que ie vy oncques, et ne croy point qu’elle ne deuienne en sainte quelque iour.

PAS.
O que vous en dites bien la verité! Dieu en est tesmoing, s’elle ne ieusne pas toutes le bonnes veilles de l’année, et dit son seruice come vne petite nonne.

GER.
Elle ressemble en celà à la benostre ame de sa mere.

PAS.
Vous dites vray de celà, sire. O les grandes austeritez que faisoit la pauure femme! Les disciplines qu’elle se faisoit bailler tous les iours, et les heres qu’elle portoit iour et nuict valoient pous que tout ce que font les autres femmes du iourd’huy. Elle estoit aumosniere pour la vie, et si n’eust esté pour l’amour de vous, il ne fust iamais entré prebstre, ne religieux, ne pauure homme à son huys à qui elle n’eust donné ou presté de bon cueur tout ce qu’elle auoit.

VIR.
Voylà la tresbonnes complexions.

PAS.
Ie vous veux bien dire d’auantage qu’elle s’est leuée plus de deux cents foys trois ou quatre heures deuant le iour pour aller à la premiere messe aux Cordeliers, à cause qu’elle ne vouloit point estre veuë ne tenue comme vne porchite, ainsi que sont vn tas de mengeuses de crucifix, et esgratigneuses de saints, que ie cognois bien en ceste ville.

GER.
Comment celà? Porchite! Que veux tu dire par ce mot là?

PAS.
Porchite? Ouy, comment voudriez vous donc que ie disse?

VIR.
C’est vne vilaine parole.

PAS.
Si sçay-ie bien, que ie luy ay autrefois ouy dire ainsi?

GER.
Tu veux dire ypocrite, ie m’en doute.

PAS.
Il est bien possible. Mais ie vous ose bien dire que la fille le fera encor’ mieux que sa mere.

GER.
Dieu le vueille, par sa grace.

VIR.
Hau Gerard, Gerard, voicy celle de qui nous parlions n’agueres. O pauure pere desolé! Voys tu s’elle se cache, pour chose qu’el le t’aye veu? Ou qu’eile s’en enfuye? Aprochons vn peu d’elle.

GER.
Garde toy bien de faillir, car possible n’est ce elle point.

VIR.
Qui ne la cognoistroit? Ne voy-ie pas bien tous les signes que m’a baillez seur Nouellante?

PAS.
le cas va mal pour moy. Ie gage que i’en seray payée tout du long à ce coup.

SCENE SEPTIESME

VIRGINIO, GERARD et FABRITIO jeune filx

VIR.
Dieu gard la bella garce. Tu semble cest habit conuenable à vne honneste fille come toy? Est ce cy l’honneur que tu fais à la maison dont tu es yssue? Est ce cy la consolation que tu bailles à ce pauure vieillart? Que pleust à Dieu que l’eusse esté mort quand le t’engenderay? Car tu n’es faite que pour me faire deshonneur. Pour me mettre en terre tout vif que ie suis. O Gerard que te semble de ton accordée? Te semble il quelle te face honneur?

GER.
Celà ne confesseray-ie iamais? Acordée hen?

VIR.
Meschante, infaite, deshonneste. Comment il te seroit bien seant que c’est honeste homme qui cy est ne te vousist point prendre à femme, et que tu demourasses desormais sans party? Toutesfoy que i’espere qu’il n’aura point d’egard à tes foyles, et que neantmoins ne te refusera pas.

GER.
Tout beau, tout beau.

VIR.
Entre en la maison, vilaine, que bien maudit fut le lait que ta mere te donna, et le iour que ie t’engendray iamais.

FAB.
Mais venez ça, bon homme, dites moy, n’auez vous point quelque enfans ou autres parens in ceste ville, qui vous puissent penser et gouuerner et auoir solicitude de vous?

VIR.
Voyez quelle response à quel propos. Dis-tu celà?

FAB.
Pource que ie m’esmerueille, que veu que vous avez si grand besong de medecine ilz vous laissant sailler hors du logis. Car en quelque autre lieu de ce païs que vous fussiez, l’on vous tendroit lyé en vne chambre bien estroitement.

VIR.
C’est moy qui te deürois tenir lyée, mescante, qui’l me vient vouloir de t’estrangler maintenant de mes deus mains! Aporte moy vn costeau.

FAB.
Bonne homme, venez ça, me cognoissez vous bien? Qui vous meut de me dire vilanie? Vous pensez possible que ie soys estrange, croyez certainement que ie suis aussi bien de cest ville comme vous, et filz d’aussi bon parentage, et d’aussi bonne maison que vous estes. Entendez-vous celà?

GER.
Vrayement cecy n’est pas mauuais, s’il n’y à autre foyle que ce que i’y voy, ie ne refuseray pas encor’ à la prendre.

VIR.
Et vien ça? Pourquoy t’es-tu partie de chez ton pere, et du lieu ou ie t’auois enuoyée?

FAB.
Vous? Iamais ne m’enuoyases en nul lieu, que ie sçache. Il est bien vray que i’estoys à Rome, mais il me fut force d’en partir.

VIR.
Force? Et qui t’en efforça?

FAB.
Les Espagnolz.

VIR.
Et maintenant, dont viens-tu?

FAB.
Du camp.

VIR.
Du camp?

FAB.
Ouy, du camp.

GER.
Ah par Dieu, ie n’en vieux donc plus.

VIR.
O mal fortunée que tu es!

FAB.
Sur vostre conscience soit.

VIR.
Gerard, ie te pry’ mettons la en ton logis, qu’elle ne soit plus aperceuë en cest estat.

GER.
Non feray pas moy, mene la, si tu veux à ta maison.

VIR.
Ie te pry’, pour l’amour que ie te porte, fay vn petit ouurir l’huys.

GER.
Non feray.

VIR.
Escoute vn mot en l’aureille. Que est là, hau prenez vn peu garde, que ceste garse ne s’en voyse.

FAB.
I’ay cogneu en ma vie beaucoup de sotz Modenoys, lesquelz ie ne voudrois nommer pour grand chose, mais sotz et hors sens comme ce vieillart (au moins que ne fussent ou lyez ou reclus) ie n’en vy iamais vn seul. Mais ie vous suply’ considerez quelle humeur luy empesche de cerueau, car, à ce que ie me suys desia aperceu, les hommes luy semblent estre femmes, et prient maintenant l’vn pour l’autre. Ie ne voudrois pas pour cent escuz ne voir la vin de ceste fantasie, pour en sçauoir raconter à ce caresme prenant aux sorz de la passion. Les voy cy qui retournent, escoutons vn peu qu’ilz voudroient dire.

GER.
Ie t’en diray la verité: d’vne part il me le semble, de l’autre il m’est auis que non, et en suis en grand doute. Il vaudrois mieux l’interroguer de rechef.

VIR.
Vien ça?

FAB.
Que me voulez vous bon pere grand.

VIR.
N’es-tu pas bien meschante?

FAB.
Ne m’iniuriez point, car ie ne l’endurerois pas long temps.

VIR.
Eshontée, que tu es.

FAB.
Au, o, o, o, o, o, au.

GER.
Laisse le dire, escoute le parler. Ne voys-tu pas bien qu’il est en sa colere, fay ce qu’il te dira seulement, et ne rebeque plus.

FAB.
Mais que diable luy fault il? Qu’ ay-ie affaire, ne de luy, ne de vous.

VIR.
Encores as-tu la hardiesse de parler? Vien ça, dy moy, de qui est-tu fille?

FAB.
De Virginio Bellenzini.

VIR.
Que pleust à Dieu, qu’il n’en fust riens, car tu me fais mourir deuant mes iours.

FAB.
Vrayemenet voy là bon? Vn vieillard de soixante ans mourra deuant ses iours, autant en eust vn chacun à viure. Our mourez quand vous voudrez, car aussi bien ne seruez vous de rien en ce monde.

VIR.
Ce sera par toy, et à ton dam, si ie meurs, meschante.

GER.
Et laissez ces propoz ie vous pry’. Ma fille et ma soeur, m’ayme, ce n’est pas ainsi que l’on doit respondre à son pere.

FAB.
Elles estoient plus meures en l’autre pannier. Ces deux viellards cy sont espris d’vne mesme humeur. Hau le beau passetemps que voicy ha, ha, ha, ha.

VIR.
Tu t’en rys encor’ fais pas?

GER.
Ie trouue vn tres mauuais signe à celà, quand on ne tient conte, et que l’on se moque de son pere.

FAB.
Quel pere? Quelle mere? Ie n’eu iamais autre pere que Virginio, n’autre mere que Ianne. Vous ne me semblez qu’vne beste, pensez vous que ie n’aye point de parens en ceste ville?

GER.
Virginio sçais-tu de quoy ie me doute que ceste pauure fille, par melencholie ne soit troublée de cerueau.

VIR.
Malheureuz que ie suis! Ie m’en suis douté du commencement, quand ie vy qu’auecq’ si peu dehonte et honnesteté venois vers moy.

GER.
Celà pourroit bien venire d’autre chose.

VIR.
Et de quoy?

GER.
Depuys q’vne fille a perdu son honneur, tout le monde est sien, elle n’a plus de honte ne demye.

VIR.
Meschante, infaite, deshonneste. Comment il te seroit bien seant que c’est honeste homme qui cy est ne te vousist point prendre à femme, et que tu demourasses desormais sans party? Toutesfoy que i’espere qu’il n’aura point d’egard à tes foyles, et que neantmoins ne te refusera pas.

GER.
[sic!] Toutesfois, si a elle bonne souuenance de son pere et de sa mere, et ce neantmoins semble qu’elle ne te cognoisse point.

VIR.
Faisons la entrer ie te pry’ en ton logis, puys que nous sommes se pres, car de la faire conduyre au mien, ie ne sçauroys, sans me faire moquer par toute la ville.

FAB.
Quel conseil est ce que tiennent ces vieux freres de Melchisedech?

VIR.
Faisons premierement auecq’ douces paroles tant que nous la puissions conduyre leans, et puys, par force, nous l’enferrons en vne chambre auecq’ ta fille.

GER.
Ie le veux bien. Qu’il soit fait.

VIR.
Or sus, ma fille, m’ayme. Ie ne veux plus combatre de paroles auecq’ toy, ne me colerer. Ie te pardonne tout, mais que desormais tu vueilles entendre à bien viure.

FAB.
Ie vous en remercie grandement.

GER.
Ainsi font les filles de bien et d’honneur.

FAB.
A l’autre, c’est rentré de piques.

GER.
Il me semble que celà n’est pas trop honneste, que vous soyes veuz ainsi deuiser ensemble emmy la rue, mesmement elle estant vestu de cest habit. Entrez doncq’ à la maison. Pasquette, ouure l’huys.

VIR.
Entrez, ma fille, entrez.

FAB.
Moy? A quoy faire? Ie n’en fera ia rien.

GER.
Pourquoy celà?

FAB.
Pource que ie ne veux point entrer en maisons estranges.

GER.
Ceste fille est pour deuenir vne droite Pelenope. Dieu! Que ie seray heureux!

VIR.
Ne disoys-ie pas tousiours que ma fille estoit belle, bonne, et honneste?

GER.
Vrayement[N]
X
Nota del editor digital

"Vrayement"

El traductor indica que, en la edición que ha utilizado de base para traducir, esta intervención se adjudica a VIRGINO, pero señala su improbabilidad. Realmente es una intervención de GHERARDO. [Nota del editor digital]

l’habit le demonstre, quand encor’il n’y auroit autre chose.

VIR.
Entre m’ayme, ie ne te veux dire que vn petit mot.

FAB.
Dites le moy ici dehors.

GER.
Celà n’est pas beau de faire tant de mines. Ceste maison est vostre m’ayme. I’ay espoir que vous serez vn iour ma femme. En estes vous pas bien contente?

FAB.
Quelle femme? Mais voyez moy vn petit ce viellard radoté?

GER.
Vostre pere m’a promis qu’ainsi seroit voys si vous luy voulez desdire.

FAB.
Mais que pensez-vous que ie soys?

VIR.
Or sur, ne la fay point courroucer ie t’en pry’. Escoute, ma fille, ie ne veux faire que tant et si peu que tu voudras.

FAB.
Hé pere grand! Vous ne me cognoissez pas bien.

VIR.
Escoute vn mot ici dedans.

FAB.
Dix, non pas vn. Penseriez vous que i’eusse peur de vous?

VIR.
O Gerard! Maintenant que nous la tenons leans, mettons ordre, qu’elle soit en fermée dans vn chambre auecque ta fille, iusques à ce que i’aye enuoyé querir ses autres habillemens, qui sont en la maison.

GER.
Tout ce que tu voudas, Virginio. Pasquette, hau Pasquette, aporte ça la clef de la chambre d’en bas, et apelle Ysabelle, qu’elle descende.


Acte IV

SCENE PREMIERE

PEDAGOGUE, STRAGUALCIA, son serviteur

PED.
Il te seroit tresbien employé, qu’il te baillast cinquante bons coups de baston pour te monstrer vne autresfois quand il va dehors que tu luy tinses compagnie, et de ne t’enyurer point en cest estat, et puys t’endormir comme vn pourceau, et l’as laissé partir tout seul.

STRA.
Ainsi que tu as fait. Et vous? L’on vous deüroit couurir de paille, de souffre, de poix, et de belle poudre à canon, et pays mettre le feu dessouz pour vous enseigner ¡a n’estre point ce que vous estes.

PED.
Yuroigne, yoroigne?

STRA.
Magister, magister.

PED.
Laisse faire que ie trouue ton maistre.

STRA.
Laisse faire que ie trouue son pere.

PED.
Ouy dea son pere, et que luy sçauras tu dire de moy?

STRA.
Et vous, que pouuez vous dire de moy à mon maistre?

PED.
Que tu es vn paillard, vn coquin, vn truant, vn maraud, vn belistre, vn fol, vn estourdy, vn yurogne. Voylà que ie luy puis dire de toy.

STRA.
Et moi, quis vous estes vn larron, vn iouëur, vn pipeur, vne mauvaise langue, vn afronteur, vn ruffian, vn flateur, vn venteur, vne teste esuolée, vn eshonté, vn impudent, vn ingrat, vn trahistre, vn meschant. Voilà que ie puis dire de vous.

PED.
On nous cognoist bien, Dieu mercy.

STRA.
Et ce fait mon de par Deu, ce fait mon.

PED.
Il suffit, mot, n’en parlons plus, ce ne m’est pas honneur de debatre auecq’ telle gens que toy.

STRA.
I’l n’y a point de faute à celà, que tout la noblesse du caignard est en vous. Sçait on pas bien que vous estes le filz d’vn mulletier, pour ton potage? Suis-ie pas de plus honneste lieu venu que vous n’estes? Par Dieu il semble à ces maraudx icy, depuys qu’il sçauent dira vne fois cuius masculini, qu’ils tendront chacun souz leurs piedz.

PED.
Ha pauure philosophie, pauures lettres, ou estes vous arriuées? En la bouche d’vn asne.

STRA.
L’asne ferez vous si vous n’aprenez à parler autrement, car ie vous chargeray de cotretz si vous n’y prenez garde.

PED.
Souuienne toy bien que furor fit laesa saepius sapientia. Si tu me fais vne fois lascher le manche. Stragualcia, ie te pry, tais toy, et me laisse la? Pallefrenier detestable que tu es, maraud et prince de maraudx.

STRA.
Hé capette de montaigne, prince de capettes, capettissime, peult on dire pis que capette? Y a il pire nation au monde? Y a il pire canaille, y a il pire genealogie? Et possible encor’ qu’ilz ne se tiennent pas bien sur les grauitez quand on les apelle, messire tel et maistre quel, et qu’ilz ne sçauent respondre en reputation, auecq’ vne reverance d’vne demye lieuë loing. Comment se porte messire Brougirno? Maistre Frerato? Monsieur de la Poltronnie?

PED.
Tractant fabrilia fabri, tu parles pro prement, aisi qu’il apartient à vn tel homme que tu es.

STRA.
I parle de ce qui est bon pour vous.

PED.
Te veux-tu retirer d’icy derriere?

STRA.
Ie ne m’en retireray pas pour vous.

PED.
Par le corps.

STRA.
Par le corps se garde celuy qui me veult dire outrage. Vous sçauez que ie ne fis iamais meschanceté, que ie ne sçache bien, et que si i’en voulous faire, se seroit possible ¡a vostre aueu.

PED.
Tu as menty par la gorge, ie ne suis pas homme de tel affaire.

STRA.
Ie vous en asseure, ce seroit possible la premiere fois.

PED.
I’ay deliberé, Stragualcia, du que tu ne demeureras plus ceans, ou qu’il faudra que i’en parte moymsemses.

STRA.
C’est possible la premiere fois que vous l’auez dit celà. Mon amy, fous n’en partires iamais qui ne voius en chauffera à beaux coups de baston. Dites moy ie vous pry’ que trouueriez vous qui vous vousist receuoir ¡a sa table? A son estude? A son lict? Antre que ce ieune filz cy, qui est meilleur que le bon iour?

PED.
Ah vrayement tu dis vray. Les bons partiz me manqueroient, si ie les vouloys chercher. I’ay tel encor’ qui m’en prie à baise main.

STRA.
O le notable personnage! Passons passons oultre.

PED.
Voulons nous bien faire? Sans tant de plait, retourne t’en ¡a l’hostelerie, et pren bien garde aux besognes de ton maister, et puys nous conterons ensemble.

STRA.
Ie retourneray voluntiers à l’hostelerie, et suis bien content de faire conte autant que vous voudrez. Mais pensez que ce sera à vous ¡a payer. Se ie ne tenois aucunes foys bonne barbe à ce maistre aliborum, par Dieu on ne pourroit durer à luy. Il vous iure comme vn beau chartier, mais quand ie le viens ¡a donder vne fois, iamais homme ne fut plus peneux. Il ne vous dit pas vn perit mot, mais si ie me laissoys mettre souz le pieds, cor bieu il me deschireroit en pieces, tant il a peu de conscience. Bon pour moy, que ie cognois sa complexion.

PED.
L’hoste m’auoit dit que Fabritio seroit vers la place, et pourtant il vault mieux que ie prenne mon chemin par deça.

SCENE SECONDE

GERARD, VIRGINIO, PEDAGOGUE.

GER.
Du douaire, ce qui est dit est dit. Ie la douray ainsi qu’il te plaira, et toy de ta part y aiousteras mile florins, si par cas d’auanture ton filz retournoit de Rome.

VIR.
Ie le veux bien.

PED.
Si ie ne suis deceu, i’ay veu cest honnest homme cy autrefois in quelque part, et ne sçay pas bonnement ou.

VIR.
Que regardez vous, monsieur?

PED.
Pour certain c’est mon maistre que ie cerchoys.

GER.
Laisse le contempler ce qui’l voudrai. Il est possible nouueau venu en ceste village, car aux autres lieux on ne prend point tant garde à ceux qui regardent comme icy, mais on laisse chacun contempler à son plaisir.

PED.
Se ie contemple ce n’est pas sans cause. Dites moy, bonnes gens, ne cognoissez vous point en ceste village vn qui se nomme virginio Bellenzini.

VIR.
Ie cognois le personnage. Il ne me sçauroit estre plus prochain qu’il est, maisque luy voudriez vous. Car si vous vouliez par fortune loger chez luy, ie suis asseuré qu’il a autre chose à faire pour le present, et ne pourroit bonnement entendre à vous. Parquoy cerchez hardiment vn autre hoste.

PED.
Pour tout certain, c’estes vous mesme. Salve patronorum optime.

VIR.
N’estes vous point mesire Pierre de Pagliarci, maister de mon filz?

PED.
Sire ie suis celuy là.

VIR.
O mon pauure enfant! Et me douloureux que ie fuis1 Que.les nouuelles nous aportez vous, mon amy? Ou le lassastes vous? Helas, ou mourut il! Pourquoy auez vous tant mis à m’en venir dire nouuelle? Ah il a esté tué de ses trahistres infaits, chiens, mastins. Ha mon pauure filz! C’estoit tout le bien que i’auois en ce monde. Hé maistre mon amy! Ie vous suply’ dites le moy bien tost.

PED.
Ne pleurez point sire, ie vous en pry’.

VIR.
Ah Gerard, mon gendre et bon amy, voicy le personnage qui m’esleua mon pauure filz, et qui l’à tousiours gouuerné pendant qu’il a vescu. O maistre! O mon cher filz mon amy! Helas ou as tu esté enterré. N’en sçauez vous rien? Maistre,hé que ne me le dites vous, car ie suis mort, si ie ne le sçay bien tout. Encor’ ay-ie grand paour d’ouyr ce que ie m’en voudroys iamais entendre.

PED.
Dei, mon maistre et bon seigneur, pour quoy pleurez vous? Ne pleurez point, non.

VIR.
Ne pleureray-ie point vn enfant si cher, si doux, si sage, si benin, si auisé, si entendu, si bien apris, puys que ce trahistres meschants me l’ont ainsi tué.

PED.
Dieu vos vueille garder de ce danger et luy pareillement. Sire vostre filz est encore viuant et in bonne santé, Dieu mercy.

GER.
Celà ne va pas bien pour moy, car s’il est vray i’ay perdu mile florins.

VIR.
Vivant et in bonne santé? Si celà estoit vray le roy ne seroit pas mon maistre.

GER.
Mais aussi Virginio, cognois-tu bien qui est cestuy cy? Car ce pourroit estre quelque afronteur.

PED.
Parcius ista viris tamen obiicienda momento.

VIR.
Maistre mon amy, ie vous prie racontez moy quelque chose de mon filz.

PED.
Vostre filz, au sac de Rome, fut prisonnier d’vn capitaine qui se nommoit le capitaine Hortye.

VIR.
Escoutons vn petit, voicy le commencement du conte.

PED.
Or pource, qu’il estoit en compagnie de deux autres prosonniers. Le capitaine, à fin de ne s’abuser, l’enuoya à Senes bien secretement, ou peu de iours apres arriua. Depys qu’il ly fut, ledit capitane doutant que les gentilzhommes Senois (par ce qu’ilz ayment le droit et la raison et sont fort affectionnez à ceste nation, et sur tout gens de bien) ne luy ostassent son prisonnier, et ne le vousissent de liurer, le retira de ladite ville de Senes, et le renouoya en vn chasteau apartenant au signeur Plombin, et per usque millies me fist escrire par deça, que l’on trouuast mile ducatz de rançon, qui luy auoient esté taxez.

VIR.
Ah, mon pauure enfant là tout de moins ces meschants le mastinoient bien, faisorent pas?

PED.
Nenny certes, sire, mais le traitoyent en gentilhomme.

GER.
I’ay maintenant la morte entre les dents.

PED.
Or n’eusmes nous iamais response de letre que nous enuoyssions par deuers, vous.

GER.
Voylà la cas. Ie gage qu’il te tirera quelque escu hors de la bourse, ou il me pourra.

VIR.
Suyuez, suyuez, dites.

PED.
Aiunt que fusmes menez auecq’ le camp des Espagnolz iusques a Couroye, auquel lieu nostre capitaine fut tué, duquel les seruiteurs apres auoir rauy les biens au dit seigneur nous deliurerent.

VIR.
Et ou est donc mon filz à present?

PED.
Plus pres de vous que ne pensez.

VIR.
Seroit il bien en ceste ville?

PED.
Si vous me voulez promettre de me donner le vin (quia omnis labor optat premium) ie vous le dira.

GER.
Voylà le poinct de mon troumpeur. Le disois-ie pas bien?

PED.
Escoutez, sire, vous auez grand tort trompeur? Moy? Absit.

VIR.
Ie vous prometz tout ce que vous voudrez? Helas dites moy, ou est il?

PED.
A l’hostelerie du Sot.

GER.
Tout est depesché voyla mes mile florins perduz et iouez. Toutesfois par mon ame que ie ne m’en deürois soucyer. Mais que la fille soit mienne, ie suis, Dieu mercy, assez riche.

VIR.
Allons y donc, maistre mon amy, allons le trouuer. Ie ne verray iamais l’heure assez à temps, que ie le retrouue, que ie l’embrace.

PED.
Seigneur. O quantum mutatur ab illo! Ce n’est plus vn enfant pour porter au col, vous le descognoistrez maintenant il est devenu grand comme vn noyer, et suis certain qu’a grand’ peine vous recognoistra il, tant vous estes changé depuys le temps. Praeterea, vous avez maintenant ceste barbe, lequelle ne souliez point porter au parauant, tellement que moy mesmes, si ie ne vous eusse entendu au parler, à peine vous eusse-ie iamais recogneu. Mais qu’est deuenue Lelia?

VIR.
Elle se porte bien, Dieu mercy, elle est deuenue grosse et grasse.

GER.
Comment grosse par bieu, s’il est ainsi, retiens la donc encor’ si tu veux, car moy, ie ie n’en veux plus.

VIR.
Tout beau, tout beau, compere, ie dy qu’elle est desi a deuenue tout femme. O maistre mon amy! Ie ne vous auois pas encores baisé!

PED.
Sire, ie ne dy pas pour me vanter, mais ie vous asseure que i’ay fait pour vostre filz, ie n’en diray point d’auantage. Aussi loué soit Dieu, i’ay eu ocasion, car iamais e ne le requis de chose, que tout soudain ne s’enclinast à la faire.

VIR.
A il bien apris?

PED.
Il n’a pas du tout perdu son temps Dieu mercy, ut licuit per varios casus, per tot discrimina rerum.

VIR.
Apellez le vn peu qu’il vienne de hors, ie vous suply’ maistre, ne luy sonnez mot de moy. Ie vueil voir s’il me recognoistra.

PED.
Il n’ya pas trop long temps qu’il estoit party de l’hostelerie. voyuns un peu s’il est retourné.

SCENE TROYSIESME

PEDAGOGUE, STRAGUALCIA, VIRGINIO, GERARD.

PED.
Stragualcia, hau Stragualcia, Fabritio est il reuenu?

STRA.
Non pas encor’.

PED.
Vien ça vien, voicy le bon pere que i’ay trouué, veux-tu parler ¡a luy? Voy-tu? Cestuy est le sire Virginio.

STRA.
Et bien ceste colere est elle passée?

PED.
Sçais-tu pas bien que ie ne tiens iamais mon cueur contre toy?

STRA.
Vous faites que sage.

PED.
Or baille moy ça la main au bon pere de Fabritio.

STRA.
Baillez me la ça vous mesmes.

PED.
Ie ne dy pas à moy, ie dy que tu la bailles à ce bon seigneur cy.

STRA.
Est ce cy le pere de nostre maistre?

PED.
Ouy, c’est il, se l’ay-ie pas desia dit?

STRA.
O mon bon maistere et seigneur! Vous estes venu tout à temps pour payer l’hoste, vous soyez le tresbien trouué.

PED.
Sire, cestuy a esté vn bon seruiteur à vostre fils, ie vous asseure.

STRA.
Comment? Voudriez vous doncq’ dire que ie ne le fusse plus?

PED.
Nenny dea.

VIR.
Benist soys-tu de Dieu, mon filz, mon amy, pense que i’ay bien ¡a recompenser et remunerer tous ceux qui luy ont tenu compagnie.

STRA.
Vous m’aurez bien tost recompensé en peu de chose, s’il vous plaist.

VIR.
Ne fay que demander.

STRA.
Acordez moi au seruice de l’hoste de ceans, car ie le trouue le meilleur homme du monde, et le mieux fourny de tout, le plus sage, et le mieux entendant ce qui est besoing aux estrangiers qu’hoste que i’aye oncques veu. Quant à moy, ie ue voudrois pas meilleur paradis en ce monde.

GER.
Il a renom d’auoir beaucouip de biens.

VIR.
As-ty point encor’ gousté?

STRA.
Ouy sire, vn petit.

VIR.
Qu’as-ty mengé?

STRA.
Vn couple de saucisses, six pigeons, vn chapon, et vn peu de veau, et n’ay beu seulement qu’vne quarte de vin.

VIR.
“Brouillon, donne luy ce qu’il e demandera et puys m’en lasser payer,” ie t’en respondds.

PED.
Or sus de par Dieu, que te fault il à ceste heure?

STRA.
Monsieur, ie vous remercie grandement, c’est ainsi que font les gens de bien. Sire maistre Pierre vous estes trop cliche, et n’estes bonque pour vous seulement, on vous l’a dit desia plus de cent fois. Brouillon aporte vn peu cy à boyre à ces gens de bien.

PED.
I’z n’en ont point de besoign, non.

STRA.
Et vrayement mes seigneurs vous beurez, tenes seigneurs? Que pensez vous que ce soit cy? Ce n’est qu’vn peu de fricassée et deux ou troys rouëlles de saucisses. Il n’ya pas grand cas? En voulez vous? Domine, beuuez aussi bien que les autres.

PED.
Pour faire le paix auecq’ toy, i’en suis content, verse.

STRA.
Ah ie vous asseure, magister, que c’est du bon. Croyez, sire, que la raison veult que vous faciez du bien à ce magister, il ayme mieux vostre filz que ses deux yeux propres.

VIR.
Dieu luy en doint tresbonne recompense.

STRA.
C’est à faire à vous premierement, sire, et puys à Dieu beuuez aussi seigneurs, vous en plaist il pas?

GER.
Il n’en est ia de besoing.

STRA.
Par honnesteté, entrons ceans, iusque ¡a ce que Fabritio soit te retour, puysque le souper est desia apareillé. Il vault mieux que nous soupions tous ensembe ce soir.

PED.
Il n’y auroit point de mal.

GER.
Ie vous lairray doncq’ là, vous autres, car ’iay quelque peu d’afaires au logis.

VIR.
Ayes soing sur ceste fille qu’elle ne i’en voyse, entends tu?

GER.
Ie n’y vois pour autre chose.

VIR.
Elle est tienne, fay en comme tu l’entendras, de ma parte ie t’ay donné congé de tout.

GER.
Quand tout est dit, on n’a pas tout ce que l’on demande en ce monde, or patience. Mais si ie n’ay perdu la veuë, il m’est à voir que cest là Leilia qui est sortie dehors. Ie gage que ceste paresseuse de chambriere l’aura laissée sortir dehors.

SCENE QUATREIESME

LELIA vestue en paige, CLEMENCE, nourrisse, GERARD, viellard

LEL.
Vous semble il point, Clemence, que la fortune se moque bien de moy, et de mon affaire?

CLE.
Ne t’en soucye point autrement, et m’en laisse faire, car ie trouueray bien quelque moyen pour te contenter.Va, et me oste ces habitz d’homme, que tu ne sois plus veuë en cest estat.

GER.
Si fault il que ie la salue, et que ie scache par quel moyen elle s’en est fuye. Dieu gard, Clemence, et voius aussi, Lelia ma chere espouse, qui vous a ouuert l’huys, m’ayme? La chambriere, n’a pas? Ie ne suis point marry que vous soyez venue à la maison de vostre nourisse, non. Mais vous entendez, m’ayme, que de vous voir en cest habit, cela ne scauroit porter honneur, ne à vous, ne à moy.

LEL.
O pauure fille desolée! Cestuy cy m’a bien cogneuë, A qui pensez vous parler, vieil registre, quelle Lelia? Ie ne suis pas Lelia, moy.

GER.
Comment celà? Et quoy? Il n’y a quasi rien que nous vous enfermasmes auecq’ ma fille Ysabelle, vostre pere et moy? Ne confessastes-vous pas lors que vous estiez Lelia? Et puys vous pensez maintenant que ie ne vous cognoisse? Ma femme, m’ayme, ie vous pry’, allez vous en despouiller ces habits.

LEL.
Ainsi vois vuielle Dieu ayder, comme ie suis vostre femme. I’auois grand faim d’estre mariée, quand ie vous prendrois pour mary.

CLE.
Retournez vous en hardiment à la maison, Gereard. Toutes filles font aucunesfois de petites folies, l’vne et vn moyen, l’autere en l’autre, et sçachez que peu en ya, et possible pas vne, que ne trebuche quelque sois. Ce neansmoins cela se doit tousiours tener secret.

GER.
De ma part, tu es asseuré que iamais on n’en sçaura riens. mMais comment dyable elle peu trouuer le moyen de saillir? Ie l’auois ce me semble si bien enfermée auecq’ Ysabelle?

CLE.
Qui? Ceste cy?

GER.
Ouy, ceste cy, ouy.

CLE.
Vous abusez, car elle ne se partit huy de ceans, et par petite folie de ieunesse s’estoit tout à ceste heure vestue des habitz que voyez, ainsi que font ces sottes foles aucunesfois, et s’en estoit descendue en bas, me disant que ie regardasse si cest habut luy sierroit bien.

GER.
Tu me veux faire aueugle, fais pas? Et ie te dy que nous l’auins enfermée dedans mon logis auecq’ Ysabelle.

CLE.
Dont venez fous doncq’ maintenant?

GER.
De l’hostelerie du Sot, ou i’estois allé auecq’ Virginio.

CLE.
Y auez vous beu?

GER.
Vn petit coup, non gueres.

CLE.
Or vous en allez doncqu’ dormir, car vous en auez besoing.

GER.
Fay moy doncq’ voir encor’ vn petit Leila, deuant que ie m’en voyse? Ie luy veux donner vne bonne nouuelle.

LEL.
Quelle nouuelle?

GER.
Son frere est retourné sain et sauue, Dieu mercy. Le pere l’atend à l’hostelerie.

CLE.
Qui? Fabritio?

GER.
Luy mesmes.

CLE.
Si ie le sçauois pour vray, ie vous donnerois maintenant vn baiser.

GER.
Ouy vrayment, la bague le vault, fay me le plustost donner à Lelia.

CLE.
Ie m’en voys tout courant luy dire.

GER.
De moy, ie m’en vois donner vne paire de soufletz à ceste maraude, qui l’a laissée enfuyr.

SCENE CINQUIESME

PASQUETTE seule.

PAS.
Of, nostre dince, la grand’ peur que i’ay euë. Ie vous prometz que i’ay eu si horrible frayeur, qu’il m’a falu tout hastiuement saillir hors de la maison, et sçay bien que si ie ne vous disois dequoy, mes dames, à grand’ piene le sçauriez vous. Ie le vous veux dire à vous seules, non pas à ces hommes, car ie sçay bien qu’ilz ne s’en feroient que moquer. C’est que deux vieillards, sots comme oysons, vouloient maintenir à toute force que ce ieune filz, qui est ceans, c’estoit vne fille, et souz ceste couleur l’ont enfermé en vne chambre auecq’ Ysabelle, et m’en ont donné la clef. I’ay bien depuys voulu entrer leans pour voir que c’estoit qu’ilz faisoient. Ie trouue qu’ilz se’ntrebaisoient l’vn l’autre bien et gentlement, et s’entreembraçoient fort et ferme. Il me vint vouloir de sçauoir si c’estoit masle ou femelle, car ma maistresse vous l’aouit desia empoigné iolyement, et vous l’aouit couché à la renuerse sur le lict, et m’apelloit que ie lu aydasse, ce pendant qu’elle luy tendroit les mains. De luy, il se laissoit bien gaigner et vaincre, sans trop se defendre. M’ayme ie le vous detache par deuant, et soudain, voicy sortir vn gros ie ne sçay quoy, qui me vient fraper si grand coup sur les mains, floc, et moy deuant. Ie ne sçay pas bonnement si c’estoit vn pilon ou vne endouille, ou bien quelque autre chose semblable, mais soit ce que ce soit, ie puis bien asseurer que ce n’est point herbe qui aye sentu la gresse. Quand ie vy celà si grand, et moy de fuyr, mes amys, et de fermer l’huys apres moy. Et vous asseure bien de ma part que ie n’ay garde plus de retourner leans toute seule. Mais, s’il y auoit quelqu’vn de vous autres qui ne m’en vousist croyre, ou qui en vousist prendre les passetemps, vienne à mont, ie luy presteray la clef tresvoluntiers. Mais, ho, voicy pis que tout. Dont vient ce vieillard tant rechigné? Que peult il auoir qu’il est si fasché? Il y aura tantost beau fabat, ie m’en doute bien.

SCENE SIXIESME

GERAD et PASQUETTE

GER.
Tu as bien fait ce que ie t’auois enchargé, n’as pas? Maraude, i’ay aussi bon vouloir de te rompre braz et iambes, meschante que tu es.

PAS.
Et pourquoy, sire?

GER.
Pourquoy-est ce que tu as laissé sortir Lelia? Ne t’auois-ie pas dit que tu ne luy ouurisse point l’huys?

PAS.
Quand est ce doncq’ qu’elle s’est partie? Voire? N’est elle pas encor à la chambre?

GER.
Elle est le mal an que Dieu t’enuoye.

PAS.
Ian, si sçay-ie bien qu’elle y est encor’ pourtant.

GER.
Et vrayement ie sçay bien que non est, car ie la viens de laisser au logis de sa nourisse Clemence.

PAS.
Voyre? Ne les viens-ie pas de laisser tous deux à genoux en la chambre, qui enfiloient des paternostres?

GER.
Il fault doncq’ bien dire qu’elle soit reuenue plustot que moy?

PAS.
Ie vous dy, sire, qu’elle ne saillit huy dehors, au moin que ie sçache. Pardon, la chambre a esté tousiours fermée.

GER.
Ou en est la clef?

PAS.
La voylà.

GER.
Baille la ça? S’elle n’y est encor’, ie t’assomeray tout royde.

PAS.
Aussi s’elle y est, me donnerez vous pas vne chemise?

GER.
Vrayement i’en fuis content, va.

PAS.
Atendez que ie vous ouure la porte.

GER.
Non feray, ie la veux ouurir moymesmes. Tu m’yrois incontinent trouuer quelque excuse.

PAS.
Oh que i’ay belle peur qu’il ne nes trouue encor’ en besogne, toutesfouis si a il assez bonne piece que ie les y laissay.

SCENE SEPTIESME

FLAMINIO, PASQUETTE, GERARD.

FLA.
Pasquette? Combien y a all que non Fabio ne fut chez vous?

PAS.
Pourquoy celà?

FLA.
Pource que c’est vn meschant, vn trahistre, et croy que ie l’en chastiray de brief, puys qu’ainsi est qu’ Ysabelle m’a laissé pour le prendre. Ha ie l’en payeray comme il a merité? O la belle louange à vne gentile dame comme elle est s’amouracher d’vn paige!

PAS.
O mon Dieu! Ne dite pas celà, monsieur, car sans point de faulte, la chere qu’ell luy fait, ce n’est que pour l’amour de vous.

FLA.
Dy luy qu’elle s’en repentira aussi quelque iour. Mais luy, de l’heure que ie le rencontreray, ie porte ceste dague tout à propos en ma main, ie luy fendray les leüres, ie luy couperay les aureilles, ie luy arracheray vn oiel hors de la teste, etmettray le tout en vn plat, puys en feray faire vn present à ta maistresse. Ah ie veux qu’elle se soulle de le baiser tout à son ayse.

PAS.
Voyre par may foy, on dit bien vray, pendant que le chien s’amuse, le loup s’enfuyt.

FLA.
Tu le verras.

GER.
Ha Dieu de Paradis! Est ce ainsi que ie suis abusé et trompé? Est ce ainsi que l’on m’a afronté? Pauure et destruit homme que ie suis! Ce trahistre, ce meschant Virginio, m’a bien pris et tenu pour vn veau. Ah Dieu, que feray-ie maintenant?

PAS.
Qui a il mon maistre, qui a il?

GER.
Qui a il? Et vien ça! Qui est cestuy là qui est leans auecq’ ma fille?

PAS.
Comment ne le sçaurez vous pas bien? Et n’est ce pas la fillette de Virginio?

GER.
Fillette? Quel fillette? Fillette qui seroit faire à ma fille d’autres petites fillettes. Dolent que ie suis!

PAS.
Hé ne dites iamais ces vilaines paroles la, sire, Ma dites en bonne foy, n’est ce pas Lelia?

GER.
Et ie te dy moy que c’est vn garçon.

PAS.
Voyre par ma foy. Et comment le scauez vou cela?

GER.
Ne l’ay-ie pas veu in ma presence?

PAS.
Et comment seroit il possible?

GER.
Ie l’ay veu monté sur la ventre de ma fille, desolé que ie suis!

PAS.
Et vous abusez. Ilz se iouoyent ensemble.

GER.
Ie le croy bien vrayement qu’ilz se iouoent, mais c’estoit à bon ieu bon argent.

PAS.
Mais venez ça, auez vous bien aperceu qu’il soit masle?

GER.
Oy te dy-ie? Car ainsi que, l’ouuray l’huys tout d’vn coup, ie vy le galant tout en porpoint, et n’eut pas loysir de se couurir.

PAS.
Vistes vous doncq’ tout? Regardez y bien, et vous trouuerez que c’est vne fille.

GER.
Ie dy my que c’est vn masle, et qui en a assez pour en faire deux autres.

PAS.
Et bien? Qu’en dit Ysabelle?

FLA.
Que voudrois-tu qu’elle en dist? Pauure honteux qui ie suis!

PAS.
Or puys doncq’ que c’est vn garçon que ne le laissez vous sortir? Mais, sire, qu’en voulez faire?

GER.
Que i’en veux faire? Ie le veux acuser au gouuerneur de ceste ville, et le faire tresbien chastier?

PAS.
Ilz’ enfuyra possible cependant.

GER.
Non fera, non? Il n’a garde, i’ay renfermé dedans mieux que iamais. Mais voycy venir Virginio tout à point, ie ne demandois par mieux.

SCENE HUICTIESME

PEDAGOGUE, VIRGINIO, GERARD.

PED.
Ie suis tout en esmoy qu’il n’est encor’ retourné à l’hostelerie, et si n’en sçay que penser.

VIR.
Auoit il vn baston?

GER.
Ie croy qu’ouy, car il ne va iamais sans.

VIR.
Le pauure enfant aura esté mené en prison, car nous avons un bailly in cette ville qui tireroit la gresse d’vn cyron.

PED.
Si ne croy-ie pas pourtant que l’on face telles iniures et vilanies à gens estrangers.

GER.
Dieu gard Virginio! Et vien ça beau-sire? Est ce l’acte d’vn homme de bien, est ce chose conuenable à vn vray amy, est ce le bon acord du parentage que tu voulois faire auecq’ moy, de m’auoir ainsi trompé et abusé? Pense-tu que ie sois homme d’endurer cest iniure? Il me vient maintenant vouloir de —

VIR.
Qui a il? Dequoy te plains-tu? De moy Gerard? Que t’ai-ie fait? Iamais ie ne cherchay de faire parentage auecq’ toy. Tu m’en as rompu toy mesmes la teste plus d’vn an durant. Maintenant si la chose ne te plaist, n’en parons plus ne fait ne fait.

GER.
Encor as-tu la hardiesse de me respondre? Comme si i’estois vne beste. Meschant trahistre, trompeur, afronteur, larron, infame. Ne te soucye, le gouuerneur en sçaura des nouuelles.

VIR.
Gerard, ces paroles ne sont pas trop seantes à vn tel homme que toy, et principalement en mon endroit.

GER.
Encor’ ne fault il point que ie m’en complaigne, ces meschant? Es-tu deuenu si hautain depuys que tu as retrouué ton filz? Dy, maraud.

VIR.
C’est toy qui es vn maraud.

GER.
O Dieu, que ne suis ie encor’ ieune, comme ie me suis retrouué autresfois? Ie te metrois en dix mile pieces auant que partir de la place.

VIR.
Seroit il possible que l’on peust bien entendre ce que tu veux dire, ou non?

GER.
Impudent!

VIR.
Tu me feras perdre patience.

GER.
Larron.

VIR.
Faulsaire.

GER.
Tu as menty par la gorge, aten vn peu.

VIR.
Vien, vien, ie t’aten.

PED.
Ah seigneurs, quelle foyle sera ce cy? A il n’y point d’ordre.

GER.
Ne me tenez point, ah ne me tenez point.

PED.
Et vous aussi, sire, reuestez vous, ie vous en suply’.

VIR.
A qui pense il auoir à faire? Rens moy ma fille que tu me retiens?

GER.
Fusses tu au gibet, toy et elle.

PED.
Mais quelle querelle auez vous ensemble, quel est vostre debat? Ie vous pry’ que ie le sçache.

VIR.
Moy? Il ne sçay que c’est, sinon que n’agueres ie mis ma fille Lelia en son logis pour ce qu’il la vouloit auoir à femme. Maintenant voius voyez que c’est. Encor’ ay-ie crainte qu’il ne ly face quelque deplaisir.

PED.
Sire, sire! Ha point, point, auecq’ ferrement, auecq’ ferrement! Ha celà ne se doit point ainsi faire, vous auez tord.

GER.
Laissez moy faire?

PED.
Quel est vostre diferent?

GER.
Ce trahistre m’a iouë vn meschant tour.

PED.
Comment celà?

GER.
Si ie ne le trenche in dix mile pieces, si ie l’escartele auecq’ ceste iaueline —

PED.
Mais dites moy ie vous pry, seigneur, comment va le cas?

GER.
Etrons doncq’ vn peu en mon logis, puys que le trahistre s’en est fuy, et ie vous conteray le tout de l’affaire. N’es ce vous pas qui estes le maistre de son filz? Et qui vinstes en l’hostelerie auecq’ nous?

PED.
Ouy dea, seigneur, à vostre bon commandement.

GER.
Entrez doncq’, entrez.

PED.
Mais ecoutez, ce sera souz vostre foy, et à vostre asseurance?

GER.
Comment doncq’? Fiez vous en à moy hardiment.


Acte V

SCENE PREMIERE

Virginio, Stragualcia, Scatissa, Gerard, le Pedagogue

VIR.
Venez me tenir compagnie tant que vous estes. Stragualcia, vien quant et les autres.

STRA.
Embastonné ou non? Car quant à moy, ie n’ay point de baston.

VIR.
Imprunte icy au logis de l’hoste quelque vouge, ou quelque autre ferrement.

SCA.
Sire, auecq’ la targe il apartiendroit vien auoir vne lance.

VIR.
Ie ne me soucie plus de lance, il me sufit de cecy seulement.

SCA.
Cese rondelle seroit ce me semble plus propre pour vous, veu que vous estes en pourpoint.

VIR.
Non, ceste cy couure mieux. Oh oh! Penseroit ce veau qu’il m’eust trouué pour vne beste? I’ay peur qu’il ne tue ceste pauure fille.

STRA.
Maistre, voicy bon baston, ie les veux tous enfiler de trauers en ceste broche, comme beaux becasseaux.

SCA.
Mais que veux-tu faire de ce rost?

STRA.
Mon amy, i’entens bien que c’est du camp. Car c’est la premiere chose qu’il fault, que de faire prouision de victuailles.

SCA.
Et de se flascon, qu’en veux-tu faire?

STRA.
Pour r’afraisher les soldatz, si pour premier choc se retiroient en arriere.

SCA.
Celà ne me semble pas mauuais, car il nous en pourroit autant auecir.

STRA.
Maistre, voulez-vous que tout d’vn coup ie vous embroche le vieillard auecq’ sa fille, les seruiteurs, la maison, et tout comme beaux perdriaux? Au vieillard, ie vous luy ficheray ceste broche au trou de cul, et la feray sortir par les yeux. Les autes, ie les vous embrocheray de trauers comme belles alouettes.

VIR.
La maison est ouuerte. Ie gage que ceux cy auront fait quelque embusche.

STRA.
Embusche? Vorps bieu celà yroit mal. Encor’ ay-ie plus grand peur du boys que du feu. Mais voicy le magister qui sort de leans.

PED.
Laissez en faire à moy. Ie vous rens la chose toute faite, sire Gerard.

STRA.
Sire, tenez vous bien sur voz gardes car ce magister cy se pourroit bien estre rebellé, et apointé auecq’ noz ennemys. O l’on trouue peu de telles gents qui tiennent bon. Voulez vous que ie commence à l’embrocher, et que ie die, et vn?

PED.
Sire Virginio, mon bon maistre, que signifient ces bastons?

STRA.
Ha, ha! Ne m’en doutois-ie pas bien?

VIR.
Ou est ma fille? Qu’il me la rende tout à ceste heure? Car ie la veux remener en ma maison, ou par la mort. Et vous? Auez vous retrouué Fabritio?

PED.
Il est retrouué, Dieu mercy!

VIR.
Et ou est il?

PED.
Ceans, ou il a pris vne tresbelle femme, pourueu que vous en soyez content.

VIR.
Femme? Et qui est elle?

STRA.
O mon amy! Nous voylà bien par le corps bieu me voylà riche, riche.

PED.
Ceste belle et honneste fille de Gerard.

VIR.
Et comment celà? Gerard me vouloit n’agueres tuer?

PED.
Rem omnem a principio audies. Entrons ceans, et vous sçaurez tout l’affaire, sire Gerard, hau? Sortez à seureté.

GER.
O Virgine mon amy! Le plus estrange cas que iamais fut. Ie te pry’, entre, entre.

STRA.
L’embrocheray-ie. Mais la chair ne vault pas l’embrocher.

GER.
Fay mettre ius ces bastons, car vrayment il y a bien pour rire.

VIR.
Le fais-ie à seureté?

PED.
Seurement, sur ma vie. Ie vous en responde.

VIR.
Or sus, retirez vous doncq’ au logis vous autres? Mettez bas ces armes, et que l’on m’aporte ma robe.

PED.
Fabritio, venz faire reuerance à vostre pere.

VIR.
Et comment? N’est ce pas cy Lelia?

PED.
Non sire, cestury est vostre fils Fabritio.

VIR.
O mon cher filz! Mon amy.

FAB.
O pere tant de iours de moy desiré!

VIR.
Mon filz, mon amy, que ie t’ay pleuré de foys!

PED.
Entre, entre ceans, Virginio. Tu ne sçais pas encor’ tout. Tu verras tantost bien d’autres matieres. Ie te veux bien dire plus, que ta fille est au logis de ta norrisse.

VIR.
O mon Dieu! Que de graces et merciz ie te rends, que de plaisirs tu me donnes en vn coup!

SCENE SECONDE

Crivello, Flaminio, Clemence norrisse

CRI.
Ie vous dy que ie l’ay veu au logis de Clemence sa norrisse, et l’ay veu de mes deux yeux, et ouy de mes deux aureilles.

FLA.
Regarde bien aussi que ce fust Fabio.

CRI.
Pensez-vous pas bien que ie le cognoisse?

FLA.
Allons y doncq’. Si ie les rencontre.

CRI.
Vous gasterez tout, ayez pacience tant qu’il sorte du logis.

FLA.
Et le dyable ne le feroit pas que i’eusses plus de pacience.

CRI.
Vous estes homme pour gaster tout le ieu.

FLA.
Ie n’en ay que faire, tic, toc, toc.

CLE.
Qui est là, qui est là?

FLA.
Gents de bien. Norrisse descends vn peu ça bas.

CLE.
Oh, oh? Que me voulez vous, seigneur Flaminio?

FLA.
Ouure, et puys ie le te diray.

CLE.
Atendez, i’y voys.

FLA.
Si tost qu’elle aura ouert l’huys, entre soudain leans, monte à amont, voy s’il y est, et m’apelle.

CRI.
Laissez m’en faire.

CLE.
Et bien que dites vouis? Seigneur Flaminio,

FLA.
Que fais-tu ceans de mon paige?

CLE.
Quel paige? Et toy, ou entre-tu presumpteux? Mercy Dieu! Veux tu entrer en mon logis par force?

FLA.
Clemence, par la sacrée, intemerée, pure, si tu ne me le rends —

CLE.
Que voulez-vous que ie vous rende?

FLA.
Mon paige, qui s’en est enfuy en ton logis.

CLE.
En mon logis n’y a point de seruiteur vostre, mais trop bien vne seruante à vostre commandement.

FLA.
Clemence, il n’est point à ceste heure temps de railler. Tu as tousiours esté preste à me faire seruice, et moy pareillement à toy. Tu m’as fait des plaisirs, et moy à toy. Maintenant ce cas est de trop grande importance.

CLE.
Il y aura icy quelque fureur d’amou,r ie m’en doute. Or sus Flaminio, laissez passier vn peu ceste colere.

FLA.
Rends moy Fabio, te dy-ie?

CLE.
Vous l’aurez, n’ayez peur.

FLA.
Il sufit, fay le doncq’ venir à bas.

CLE.
Ho, ne soyes point si furieux, en bonne foy si i’estois encor’ bieu ieune, et ie vous pleusse, ie ne voudrois iamais auoir à faire à vous. Mais comment se porte Ysabelle? Qu’en est il?

FLA.
Ie voudrois qu’elle fust au dyable.

CLE.
Oh, vous ne le dits pas du bon du cueur.

FLA.
Ie ne le dy pas du bon du cueur? Ie te sçay bien dire qu’elle a fait et fenné à moy.

CLE.
Hé, par mon ame, tous mauxvous sont bien employez à vous autres ieunes folastres, qui estes les plus ingrates gents du monde.

FLA.
Ha, ne dy pas celà du moy, car tous autres vices se pourroient possible esprouuer en moy, hors cestuy cy, que ie sois ingrate ha iamais. Ie t’en auertis que c’est le peché qui plus me desplaist en ce monde.

CLE.
Monsieur, ce que i’en dy, ce n’est pas pour vous. Mais il fut en ceste ville vne ieune fille, laquelle s’aperceuant estre en grace d’vn gentilhomme Modenois, semblable du tout à vostre personne, deuint aussi tant amoureuse de luy qu’elle ne le voyoit ne puys ça, ne puys là, sinon que tant qu’el estoit long.

FLA.
Bien heureux estoit il, et trop bien fortuné. Cela ne pourray-ie iamais dire de moy.

CLE.
Auiot que le pere enuoye ceste pauure ieune fille, tant amoureuse, hors de ceste ville, laquelle à son departement pleura tant qu’à merueilles, craignant que son amy ne tint plus conte d’elle apres son depart, ce qui auiunt, car tout soudain el en reprit vne autre, et en deuint autant amoureux comme si iamais il n’eust veu la premiere.

FLA.
Ie veux dire que tel ne fut oncq’ gentilhomme, mais vilain parfait.

CLE.
Escoutez? Vous orrez. Qui pis est, la ieune fille estant de retour quelque moys après, et trouuant que son amoureux s’estoit embusché ailleurs, et encor’ en lieu, auquel il n’estoit gueres aymé. Pensant luy deuoir faire plaisir, habandonna la maison de son pere et mist son honneur en danger, de sorte que vestue en seruiteur s’acorda auecq’ sondit amant pour paige.

FLA.
Me dites vous que ce cas est auenu en ceste ville?

CLE.
Oh, vous cognoissez bien l’vn et l’autre!

FLA.
I’aymerois mieux estre le tel bien heureux, plustost que d’estre seigneur de Milan.

CLE.
Et quoy? Cestuy sien amoureux, ne la cognoissant aucunement, s’ayda d’elle pour estre moyen entre sà seconde amoureuse, et bien, tellement que la pauure fille, pour faire plaisir à son amy, se mist en deuoir de tout faire.

FLA.
O fille constant et vertueuse! O ferme amour! Chose vrayement digne d’estre mise pour exemple au temps auenir. Ah qu’il ne m’est auenu en tel cas!

CLE.
Oh, may foy aussi bien ne lairrez vous Ysabelle, c’est folie.

FLA.
Ie lairrois (à peu que ie ne te dy) Dieu le creteur pour seruir vne telle. Et ie te pry’, Clemence, fay me cognoistre qui elle st.

CLE.
I’en suis contente. Mais ie veux que vous me dissiez premierement, sur vostre conscience et en foy de noble gentilhomme, si vn tel cas vous estoit auenu que feriez fous à la pauure ieunn fille. La dechasseriez vous, entendu ce qu’elle vous auoit fait? La tueriez vous? Ou si vous l’estimeriez digne de quelque guerdon?

FLA.
Ie te iure , par la vertu de ce soleil, que tu voys là au ciel, ou que iamais ie ne me puisse trouuer en compagnie de gentilhommes et nobles cheualiers mes pareilz, si ie ne prenois plustost à femme vne telle amye, fust elle layde, fust elle pauure, fust elle de plus bas lieu de ceste ville, que ie ne ferois la fille du Duc de Ferrare.

CLE.
Vrayement voylà vn grand cas! Et ainsi me le voudriez-vous bien iurer?

FLA.
Ainsi te le iure, et ainsi en ferois-ie.

CLE.
Tu en sois tesmoing, hau Thibauld.

CRI.
I’ay bien ouy, voyre, ha croyez d’vn cas qu’il le feroit.

CLE.
Or maintenant ie vous veux donner cognoissance de la dame de que ie vous ay parlé, et vous monstreray qui est le cheualier semblablement. Fabio, o Fabio! Viens en bas à ton maistre qui de demande.

FLA.
Que t’en semble. Cruiello, le doy-ie tuer ce trahistre, ou que dois-ie faire? Si m’estoit il bon seruiteur toutesfois.

CRI.
Ho ie m’en fusse bien esmerueillé, si vous loy eussiez fait mal, c’estoit tousiours ce que ie pensois. Hé que loy feriez vous? Pardonnez ly hardiment. Mai foi aussi bien ceste truande d’Ysabelle ne vous ayma iamais de bon cueur.

FLA.
Cor bieu, tu as en dit la verité.

SCENE TROISIESME

Pasquette, Clemence, Flaminio, Lelia vestue en fille, Crivello serviteur.

PAS.
Laissez m’en faire. Ie n’y faudray point. Ie vous ay bien entendu, ie luy diray tout ce que vous m’auez commade.

CLE.
Voyez cy, seigneur Flaminio, vostre Fabio. Regardez le bien enter deux yeux! Le cognoissez vous bien maintenant? Vous en esmerueillez? Et celle mesme est la si fidele et constante ieune fille amoreuse que ie vous disois. Considerez la bien, vour si vous la recognoistrez. Vous en perdez la parole? Flaminio, que veult dire celà? Et vous mesmes estes celuy qui si peu prisez et estimez l’amour de vostre dame! C’est la verité que ie vous chante, ne pensez point estre deceu? Regardez y bien à deux foys, si ce que ie vous dy peult estre vray ou non. Or maintenant tenez moy ce que vous m’auez promis, ou ie vous appelleray en toute vonne compagnie Normand et pis.

FLA.
Ie ne pense point qu’au monde fust iamais plus belle tromperie que ceste cy. Est il possible que i’aye esté si aueuglé que iamais ie ne l’aye peu recognoistre?

CRI.
Mais qui fut iamais plus aueuglé que moy? Qui l’ay voulu plus de cent fois esprouuer? Que maudit en soit! Oh que i’ay esté la grosse beste!

PAS.
Clemence, Virgino dit ainsi que tu t’en viennes tout maintentant et bien tost à nostre maison, pour autant qu’il a trouué femme à Fabritio son filz, qui est auiourd’huy reuenu. Et pource fault que tu te transportes au logis, pour mettre tout en ordre, car tu sçais bien qu’il n’y a femme qui entende mieux ceste affaire que toy.

CLE.
Comment? Gemme, et qui est elle?

PAS.
Ysabelle, fille de mon maistre Gerard.

FLA.
Qui? Ysabelle fille de Gerard Foyani, ton maistre? Ou si c’est vne autre?

PAS.
Quoy? Vne autre? Ie dy moy que c’est elle mesmes. Ne sçauez-vous pas bien que l’on dit, que pourceau paresseux ne menge iamais poire molle.

CLE.
Mais est il ainsi, à la verité?

PAS.
Il est ainsi. I’ay esté presente à tout ce qui en a esté fait. Ie luy ay feu mettre l’anneau au doigt, s’entrebaiser et embracer l’vn l’autre, et faire grand chere, mais deuant que le compagnon luy baillast l’anneau, ma maistresse luy auoit desia baillé ie sçay bien quoy.

FLA.
Combien ya il que ce fut?

PAS.
Tout à ceste heure, et puys ilz m’ont enuoyée courant dire les nouuelles à Clemence, et l’apeller pour mettre tout en order pour les noces.

CLE.
Dy luy, Pasquette, que ie n’arresteray gueres à me trouuer là. Ie y seray aussi tost que toy, va.

LEL.
O seigneur Dieu! Que de biens et de plaisirs me donnez vous pour vn coup!

PAS.
Atendons vn petit. I’ay tant d’afaires encor’, et de messages à porter, que ie ne sçay auquel commencer le premier. Il me fault aller acheter des franges, des houpes, des brouilleries, l’en ay tant quil ne m’en souuient. Ha, voire mais, norrise, i’auois oublié à te demander si Lelia estoit ceans, car Gerard luy a dit qu’elle y est.

CLE.
Tu dois estre seure qu’elle y est vrayement. Et bien, qu’en veult il faire? La veult il marier à ce beau fantosme de ton maistre? May foy il deüroit auoir grand’ honte.

PAS.
Ha, tu ne cognois pas bien encor’ mon maistre, non? Si tu sçauois comment il est aspre à la besongue, tu ne dirois pas celà.

CLE.
Ouy vrayement, ie t’en croy, tu le dois auoir essayé.

PAS.
Autant que tu as fait la tien. A Dieu, à Dieu, il me fault haster d’aller.

FLA.
La veult il doncq’ marier à Gerard?

CLE.
Et ouy, que bon gré en ayt ma vie, or voyez si cest pauure ieune fille n’est pas bien mal fortunée.

FLA.
N’eust il non plus de vie au corps, comme il l’espousera, la vieillard. Quand tout est dit, Clemence, ie pense certainement c’est icy vne volunté de Dieu, lequel a eu piti´´de ceste si vertueuse ieunne fille, et semblablement de mon ame, qu’elle ne voyse en voye de perdition. Et pour ceste cause, ma dame Lelia, m’ayme (pouruou que vous en soyez bien contente). Ie ne veux iamais auoir autre femme esponsée que vous, et vous prometz la foy de gentilhomme et de vray cheualier, que si ie ne vous ay, ie ne suis iamais pour en prendre d’autre.

LEL.
Flaminio, vous estes et auez tousiours esté mon maistre et mon seigneur, et sçauez tresbien ce que i’ay fait, à quelle occasion ie l’ay fait, car iamais ie n’eu autre desir que cestuy cy.

FLA.
Assez me l’auez monstré, m’ayme, et pourtant, ie vous suply’ tresgrandement me pardonner, se ie vous ay fait quelque desplair par ne vous auoir point cogneuë, car certainement i’en suis tres repentant, et recognois bien maintenant ma faulte.

LEL.
Vous ne sçauriez, signeur, iamais auoir fait chose qui ne m’ay esté agreable.

FLA.
Clemence, ie ne veux point atendre plus long temps, que quelque mal’ encontre ne me destournast ceste bone auanture. Ie la veux espouser tout maintenant, si elle en est contente.

LEL.
Tres contente.

CRI.
Or Dieu en soit loué, et vous, mon maistre seigneur Flaminio, en estes vous content pareillement? Si vous pensez que ie ne soys notaire? Tenez, tenez, voyez s i i’en ay belle letre?

FLA.
Content, autant que de chose que ie fisse iamais.

CRI.
Or maintenant espousez vous à vostre ayse, et vous en allez faire les noces, et vous couchez tresbien et chaudemet, et besongnez en apostres, seurement, sans autre suspicion de personne. Mais ie ne vous auois pas dit que vous la baisissiez dea?

CLE.
Sçauez vous que ie pense qu’il seroit bon de faire? Quoe vous entriez ceans en mon logis cependant que i’yray auerter Virginio de tout l’affaire, et donneray la mauuaise nuict à Gerard.

FLA.
Va donc ie t’en pry, Clemence, et conte encor’ le tout a Ysabelle.

SCENE QUATREIESME

Ysabelle, Fabritio, Clemence.

YSA.
Ie vous asseure, mon amy, que ie pensoys fermement que vous fussiez le seruiteur d’vn cheualier de ceste ville, auquel vous ressemblez comme deux goutes d’eau, et ne peult estre que ne soyes son frere.

FAB.
Il en y a eu d’autres auiourd’huy, qui m’ont aussi bien pres en change pour luy tant que ie doutois quasi moymesmes, que l’hoste ne m’eust changé au logis.

YSA.
Voycy Clemence vostre norrisse qui vous doit venir voir voluntiers.

CLE.
Il ne peult estre que ce ne soit cestuy que ie voy là, car il ressemble du tout à Lelia. O Fabritio mon cher enfant! Mon amy! Que ie t’ay pleure de foys! Hé? Que tu m’as baillé de tristesse au cueur! Et puis mon amy, te portes tu bien, au moins?

FAB.
Vous le voyez, norrisse, m’ayme si bien que mieux ne sçaurois ce me semble.

CLE.
I’entends bien que nouueaux mariez non sçauroient mal porter.

YSA.
Voyre, qui vous l’a desia dit?

CLE.
Vrayement ce n’auez vous pas esté, ma dame? Pendant que vous enfiliez de perles vous deux, et que l’on pensoit que ce fust ma fille Lelia, vous n’auiez garde de m’y apeller?

FAB.
Tu dis vray? Il ne fut iamias rien de cel`à, non norrisse. Mais au propos, ou est elle, ma seur Lelia?

CLE.
Ou elle est? A mon logis, bien empeschée a ses affaire, ainsi que ie croy.

YSA.
Comment? M’ayme, luy est il auenu quelque fortune?

CLE.
M’ayme ouy, la plusgrande du monde.

FAB.
Helas, ie vous prometz que i’en seroys bien marry, et seroit grand dommages, que la pauure fille eust mal.

YSA.
Ian mon pere en sera encor’ bien plus falsché, mais qu’il le sçache, car il l’ayme bien.

CLE.
Si ne l’espousera il meshuy, ne demain toutesfois.

YSA.
Comment cela? Est elle donc malade?

CLE.
Nenny, mais elle est desia (ou peu s’en fault) aussi bien femme que vous.

FAB.
Ah il y a donc du cas. Ie m’en doute.

CLE.
Mon amy, deux noces pour vne. Ie ne te sçaurois dire autre chose. Entrez, tentres ceans, i’ay bien à vous en conter à tous deux.

SCENE CINQIESME

Finette fille di Clemence seule

FIN.
Ie ne sçay moy quel trebouille mesnage se fait là dedans ceste chambre basse, mais i’oy vne couchette que mene vn bruyt vn tin tamarre qu’il semble que quelque esprit la remue. O Iesus! Mananda si ie n’en ay grand paour! O i’en oy vn que semble qu’il se pleigne et dit mon amy tout bellement, “ne faies pas si fort!” Oh, i’en oy vn autre qui dit “ma vie, mon bien, mon esperance, ma petite femme tresdouce.” Ie ne puis entendre le demourant. En dea, si ie non suis entre deux de fraper à l’huys, pour voir s’ilz s’arrestet ont point. O, en voylà vn autre qui dit “attends moy, ils s’en veulent aller en quelque lieu voluntiers.” Escoutez l’autre qui dit “fay tost ie feray aussi.” Ie gage qu’ils romperont nostre couchette. Nostre pere! Nostre mere! Comment ils la font remuer? Et que celà val dru! Que celà va dru! Mananda en bonne figuette, si ie ne le voys dire à ma mere tout fin en ceste heure.

SCENE SIXIESME

Virginio, Gerard, Clemence

CLE.
Mais vien ça, vien. Dis-tu à bon escient ou si tu te moques? Car tu as tant la coustume de me bailler des bourdes, que ie ne sçay quand tu mens, ou quand tu dis vray.

GER.
Elle fait celà pour se railler de moy voire, il y a desia troys iours qu’elle ne fait autre chose.

CLE.
Railler? Pourquoy m’en raillerois ie? Ay-ie vostre argent, pour me moquer de vous?

VIR.
Ma foy ie voy bien que ru te moques va, va, fay la venir? Son frere et nous, la depescherons tout d’vn train.

CLE.
Or se ie me moque, que Dieu se puisse donc moquer de moy, non. Enuouez à ma chambre celuy que vous voudrez, si l’on ne vous apoite qu’ilz sont les noces à bon escient, n’en croyez rien.

GER.
C’est donc à bon ieu bon argent?

CLE.
Michel c’est mon, comment l’entendez vous donc?

GER.
Et vien ça meschante, que n’en auertissois tu donc son pere? Ou que tu ne me le faisois-tu assauoir?

CLE.
Comment auertir? A grand’ peine eu-ie le loysir de respondre par ma fenestre? Il cuida rompre la porte de mon logis du beau premier sault. Il me dist plus d’iniures, et que ie recelois son page, et que i’estois ie ne vous en sçauroys dire la quarte partie, et qu’il luy feroit, qu’il luy diroit. Encor’ vrayement me vouloit il embrocher, si ie ne m’en fusse bien desendue à belles paroles. Demandez à Pasquette que c’est qui luy dit aussi vn iour de Lelia.

VIR.
Voycy le plusgrand cas de quoy i’aye iamais ouy parler, faire celà en mon absence? Au moins m’eust elle dit “mon pere, ie veux auoir vn tel,” vrayement i’eusse tasché à luy complaire. Mais elle ne m’en parla iamais vn seul mot.

CLE.
Comment vous l’eust elle dit, qu’elle sçauoit bien que l’acord estoit desia fait entre vous et Gerard?

GER.
Ne vouloit elle donc point de moy?

CLE.
Ma foy nenny. Vous le dit elle pas à vous mesmes dernierement quand vous la trouuastes à mon huys? D’auantage, il y auoit desia plus de troys ans qu’elle estoit amoureuse de ce gentilhomme, et si sçauez bien en quelz dangers elle s’est mise pour loy, du sorte que quand il l’a entendue, le bon seigneur à telle heure tel disner il l’a espousée.

GER.
Il auoit grand’ haste. O patience! Il sufit, ie voy bien que tout celà se fait par mistere.

CLE.
Gerard, ne pensez pas que i’en soys cause, car ie vous iure bon serment que iamais ie n’en auois ouy parler qu’à ceste heure (et qui plus est) quand elle me l’eust dit, vous pouuez bien iurer que i’eusse fait grand’ difficulté d’en parler au gentilhomme, de peur d’este refusée.

GER.
Or s’en est fait. Puys donc que ainsi est, si ie n’ay ceste là, il m’en fault chercher quelque autre.

CLE.
Oh, ma foy ne vous en chaille ia, sire Gerard. Car aussi bien ie vous asseure que ce n’estoit point vostre cas, quant à cest affaire que sçauez. Croyez quelle vous eust en voyé bien tost en Paradis en poste. Ce n’estoit pas ville pour vous. Il vous fault quelque bonne vefue, quelque mere grand de bonnage, qui vos sçache froter l’estomach, face de bous chadeaux, pour vous conforter la poictrine et chauffe tous les soirs vostre bonnet de nuict, de peur de vous refroider la ceruelle, voylà qu’il vous fault. Pensez vous que vne ieune fille ayme à faire toutes ses brouilleries là? Elle demanderoit plustot qu’on la frotast souuent elle mesmes.

GER.
L’eusse tasché d’en faire mon deuoir.

CLE.
Il y eust eu danger qu’en luy cuydant rompre, sça-vous bien quoy? Vous ne vous y fussiez rompu la teste.

VIR.
Or c’est fait, n’en parlons plus. Puys que elle se contente de Flaminio, il fault, Gerard, que tu te contentes sur le ieu.

CLE.
Sire, vous n’en deuez par estre marry, ie vous prometz. Ilz sont tous deux ieunes, fortz, et roydes, Dieu mercy. Tous deux beaux et honnestes, vous n’y aurez point de deshonneur. Dieu leur doit grace qu’ilz puissent faire de beaux enfants.

VIR.
Voylà que ie pense, puys que Dieu l’a ainsi permis, son nom en soit loué. Ie croy que ç’à esté par son vouloir que le cas est auenu. Car on dit que les mariages se font au ciel. Parquoy Gerard, ne nous en faschons plus, il nous fault faire deux noces en vn iour. Veux tu que nous les allions voir? Nous les trouuerons possible encor’ en champ de bataille?

GER.
Allons, ie le veux bien.

CLE.
Atendez, ie vous ouuriray l’huys. Mais laissez moy vn peu entrer la premiere, pour les en auertir, car sans doute quand ie me suis partie ie les ay laissez aux estroites voyes. Entrez, entrez hardiment, tout va bien, il n’y a qu’eux.

Stragualcia aux spectateurs.

[STRA.]
Mes seigneurs, ne vous amusez point à attendre que ceux cy saillent dehors, car nous ferions la fable trop longue, et trop enneyeuse. S’il vous plaist venir souper auecq’ nous ce soir,ie vous atendray au Sot, et aportez hardiment du quibus, car nous n’auons personne qui depesche gratis. Mais s’il ne vous plaist de venir (ce qui me semble que non), demeurez en ioye et santé, et vois, Intronati, faites signes d’alegresse.

Finis