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Oeuvres complètes de Molière. Tome 6 / collationnées sur les textes originaux et commentées par M. Louis Moland, Paris, Garnier frères, 1880-1885.
- Guinart Palomares, David (Artelope)
PRÉFACE
Voici une comédie dont on a fait beaucoup de bruit, qui a été longtemps persécutée ; et les gens qu’elle joue ont bien fait voir qu’ils étoient plus puissants en France que tous ceux que j’ai joués jusqu’ici. Les marquis, les précieuses, les cocus et les médecins, ont souffert doucement qu’on les ait représentés, et ils ont fait semblant de se divertir, avec tout le monde, des peintures que l’on a faites d’eux ; mais les hypocrites n’ont point entendu raillerie : ils se sont effarouchés d’abord, et ont trouvé étrange que j’eusse la hardiesse de jouer leurs grimaces, et de vouloir décrier un métier dont tant d’honnêtes gens se mêlent. C'est un crime qu'ils ne sauroient me pardonner ; et ils se sont tous armés contre ma comédie avec une fureur épouvantable. Ils n'ont eu garde de l'attaquer par le côté qui les a blessés : ils sont trop politiques pour cela, et savent trop bien vivre pour découvrir le fond de leur âme. Suivant leur louable coutume, ils ont couvert leurs intérêts de la cause de Dieu ; et le Tartuffe, dans leur bouche, est une pièce qui offense la piété. Elle est, d'un bout à l'autre, pleine d'abominations, et l'on n'y trouve rien qui ne mérite le feu. Toutes les syllabes en sont impies ; les gestes mêmes y sont criminels ; et le moindre coup d'œil, le moindre branlement de tête, le moindre pas à droit ou à gauche, y cache des mystères qu'ils trouvent moyen d'expliquer à mon désavantage. J'ai eu beau la soumettre aux lumières de mes amis, et à la censure de tout le monde ; les corrections que j'y ai pu faire ; le jugement du roi et de la reine, qui l'ont vue ; l'approbation des grands princes et de messieurs les ministres, qui l'ont honorée publiquement de leur présence ; le témoignage des gens de bien, qui l'ont trouvée profitable, tout cela n'a de rien servi. Ils n'en veulent point démordre ; et, tous les jours encore, ils font crier en public des zélés indiscrets, qui me disent des injures pieusement, et me damnent par charité.
Je me soucierois fort peu de tout ce qu'ils peuvent dire, n'étoit l'artifice qu'ils ont de me faire des ennemis que je respecte, et de jeter dans leur parti de véritables gens de bien, dont ils préviennent la bonne foi, et qui, par la chaleur qu'ils ont pour les intérêts du ciel, sont faciles à recevoir les impressions qu'on veut leur donner. Voilà ce qui m'oblige à me défendre. C'est aux vrais dévots que je veux partout me justifier sur la conduite de ma comédie ; et je les conjure, de tout mon cœur, de ne point condamner les choses avant que de les voir, de se défaire de toute prévention, et de ne point servir la passion de ceux dont les grimaces les déshonorent.
Si l'on prend la peine d'examiner de bonne foi ma comédie, on verra sans doute que mes intentions y sont partout innocentes, et qu'elle ne tend nullement à jouer les choses que l'on doit révérer ; que je l'ai traitée avec toutes les précautions que me demandoit la délicatesse de la matière ; et que j'ai mis tout l'art et tous les soins qu'il m'a été possible pour bien distinguer le personnage de l'hypocrite d'avec celui du vrai dévot. J'ai employé pour cela deux actes entiers à préparer la venue de mon scélérat. Il ne tient pas un seul moment l'auditeur en balance ; on le connoît d'abord aux marques que je lui donne ; et, d'un bout à l'autre, il ne dit pas un mot, il ne fait pas une action, qui ne peigne aux spectateurs le caractère d'un méchant homme, et ne fasse éclater celui du véritable homme de bien que je lui oppose.
Je sais bien que, pour réponse, ces messieurs tâchent d'insinuer que ce n'est point au théâtre à parler de ces matières ; mais je leur demande, avec leur permission, sur quoi ils fondent cette belle maxime. C'est une proposition qu'ils ne font que supposer, et qu'ils ne prouvent en aucune façon ; et, sans doute, il ne seroit pas difficile de leur faire voir que la comédie, chez les anciens, a pris son origine de la religion, et faisoit partie de leurs mystères ; que les Espagnols, nos voisins, ne célèbrent guère de fête où la comédie ne soit mêlée ; et que, même parmi nous, elle doit sa naissance aux soins d'une confrérie à qui appartient encore aujourd'hui l'hôtel de Bourgogne ; que c'est un lieu qui fut donné pour y représenter les plus importants mystères de notre foi ; qu'on en voit encore des comédies imprimées en lettres gothiques, sous le nom d'un docteur de Sorbonne ; et, sans aller chercher si loin, que l'on a joué, de notre temps, des pièces saintes de M. de Corneille , qui ont été l'admiration de toute la France.
Si l'emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes, je ne vois pas par quelle raison il y en aura de privilégiés. Celui-ci est, dans l'État, d'une conséquence bien plus dangereuse que tous les autres ; et nous avons vu que le théâtre a une grande vertu pour la correction. Les plus beaux traits d'une sérieuse morale sont moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire ; et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts. C'est une grande atteinte aux vices que de les exposer à la risée de tout le monde. On souffre aisément des répréhensions ; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant ; mais on ne veut point être ridicule.
On me reproche d'avoir mis des termes de piété dans la bouche de mon imposteur. Et pouvois-je m'en empêcher, pour bien représenter le caractère d'un hypocrite ? Il suffit, ce me semble, que je fasse connoître les motifs criminels qui lui font dire les choses, et que j'en aie retranché les termes consacrés, dont on auroit eu peine à lui entendre faire un mauvais usage . — Mais il débite au quatrième acte une morale pernicieuse. — Mais cette morale est-elle quelque chose dont tout le monde n'eût les oreilles rebattues ? Dit-elle rien de nouveau dans ma comédie ? Et peut-on craindre que des choses si généralement détestées fassent quelque impression dans les esprits ; que je les rende dangereuses en les faisant monter sur le théâtre ; qu'elles reçoivent quelque autorité de la bouche d'un scélérat ? Il n'y a nulle apparence à cela ; et l'on doit approuver la comédie du Tartuffe, ou condamner généralement toutes les comédies.
C'est à quoi l'on s'attache furieusement depuis un temps ; et jamais on ne s'étoit si fort déchaîné contre le théâtre. Je ne puis pas nier qu'il n'y ait eu des Pères de l'Église qui ont condamné la comédie ; mais on ne peut pas me nier aussi qu'il n'y en ait eu quelques-uns qui l'ont traitée un peu plus doucement. Ainsi l'autorité dont on prétend appuyer la censure est détruite par ce partage : et toute la conséquence qu'on peut tirer de cette diversité d'opinions en des esprits éclairés des mêmes lumières, c'est qu'ils ont pris la comédie différemment, et que les uns l'ont considérée dans sa pureté, lorsque les autres l'ont regardée dans sa corruption, et confondue avec tous ces vilains spectacles qu'on a eu raison de nommer des spectacles de turpitude.
Et en effet, puisqu'on doit discourir des choses et non pas des mots, et que la plupart des contrariétés viennent de ne se pas entendre, et d'envelopper dans un même mot des choses opposées, il ne faut qu'ôter le voile de l'équivoque, et regarder ce qu'est la comédie en soi, pour voir si elle est condamnable. On connoîtra, sans doute, que, n'étant autre chose qu'un poème ingénieux, qui, par des leçons agréables, reprend les défauts des hommes, on ne sauroit la censurer sans injustice ; et, si nous voulons ouïr là-dessus le témoignage de l'antiquité, elle nous dira que ses plus célèbres philosophes ont donné des louanges à la comédie, eux qui faisoient profession d'une sagesse si austère, et qui crioient sans cesse après les vices de leur siècle. Elle nous fera voir qu'Aristote a consacré des veilles au théâtre, et s'est donné le soin de réduire en préceptes l'art de faire des comédies. Elle nous apprendra que de ses plus grands hommes, et des premiers en dignité, ont fait gloire d'en composer eux-mêmes ; qu'il y en a eu d'autres qui n'ont pas dédaigné de réciter en public celles qu'ils avoient composées ; que la Grèce a fait pour cet art éclater son estime, par les prix glorieux et par les superbes théâtres dont elle a voulu l'honorer ; et que, dans Rome enfin, ce même art a reçu aussi des honneurs extraordinaires : je ne dis pas dans Rome débauchée, et sous la licence des empereurs, mais dans Rome disciplinée, sous la sagesse des consuls, et dans le temps de la vigueur de la vertu romaine.
J'avoue qu'il y a eu des temps où la comédie s'est corrompue. Et qu'est-ce que dans le monde on ne corrompt point tous les jours ? Il n'y a chose si innocente où les hommes ne puissent porter du crime ; point d'art si salutaire dont ils ne soient capables de renverser les intentions ; rien de si bon en soi qu'ils ne puissent tourner à de mauvais usages. La médecine est un art profitable, et chacun la révère comme une des plus excellentes choses que nous ayons ; et cependant il y a eu des temps où elle s'est rendue odieuse, et souvent on en a fait un art d'empoisonner les hommes. La philosophie est un présent du ciel ; elle nous a été donnée pour porter nos esprits à la connoissance d'un Dieu, par la contemplation des merveilles de la nature ; et pourtant on n'ignore pas que souvent on l'a détournée de son emploi, et qu'on l'a occupée publiquement à soutenir l'impiété. Les choses même les plus saintes ne sont point à couvert de la corruption des hommes ; et nous voyons des scélérats qui, tous les jours, abusent de la piété, et la font servir méchamment aux crimes les plus grands. Mais on ne laisse pas pour cela de faire les distinctions qu'il est besoin de faire. On n'enveloppe point dans une fausse conséquence la bonté des choses que l'on corrompt, avec la malice des corrupteurs. On sépare toujours le mauvais usage d'avec l'intention de l'art ; et, comme on ne s'avise point de défendre la médecine pour avoir été bannie de Rome, ni la philosophie pour avoir été condamnée publiquement dans Athènes, on ne doit point aussi vouloir interdire la comédie pour avoir été censurée en de certains temps. Cette censure a eu ses raisons, qui ne subsistent point ici. Elle s'est renfermée dans ce qu'elle a pu voir ; et nous ne devons point la tirer des bornes qu'elle s'est données, l'étendre plus loin qu'il ne faut, et lui faire embrasser l'innocent avec le coupable. La comédie qu'elle a eu dessein d'attaquer n'est point du tout la comédie que nous voulons défendre. Il se faut bien garder de confondre celle-là avec celle-ci. Ce sont deux personnes de qui les mœurs sont tout à fait opposées. Elles n'ont aucun rapport l'une avec l'autre, que la ressemblance du nom ; et ce seroit une injustice épouvantable que de vouloir condamner Olympe, qui est femme de bien, parce qu'il y a une Olympe qui a été une débauchée. De semblables arrêts, sans doute, feroient un grand désordre dans le monde. Il n'y aurait rien par là qui ne fût condamné ; et, puisque l'on ne garde point cette rigueur à tant de choses dont on abuse tous les jours, on doit bien faire la même grâce à la comédie, et approuver les pièces de théâtre où l'on verra régner l'instruction et l'honnêteté.
Je sais qu'il y a des esprits dont la délicatesse ne peut souffrir aucune comédie ; qui disent que les plus honnêtes sont les plus dangereuses ; que les passions que l'on y dépeint sont d'autant plus touchantes qu'elles sont pleines de vertu, et que les âmes sont attendries par ces sortes de représentations. Je ne vois pas quel grand crime c'est que de s'attendrir à la vue d'une passion honnête ; et c'est un haut étage de vertu que cette pleine insensibilité où ils veulent faire monter notre âme. Je doute qu'une si grande perfection soit dans les forces de la nature humaine ; et je ne sais s'il n'est pas mieux de travailler à rectifier et adoucir les passions des hommes que de vouloir les retrancher entièrement. J'avoue qu'il y a des lieux qu'il vaut mieux fréquenter que le théâtre ; et si l'on veut blâmer toutes les choses qui ne regardent pas directement Dieu et notre salut, il est certain que la comédie en doit être, et je ne trouve point mauvais qu'elle soit condamnée avec le reste ; mais supposé, comme il est vrai, que les exercices de la piété souffrent des intervalles, et que les hommes aient besoin de divertissement, je soutiens qu'on ne leur en peut trouver un qui soit plus innocent que la comédie. Je me suis étendu trop loin. Finissons par un mot d'un grand prince sur la comédie du Tartuffe.
Huit jours après qu'elle eut été défendue, on représenta devant la cour une pièce intitulée Scaramouche hermite, et le roi, en sortant, dit au grand prince que je veux dire : « Je voudrois bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière ne disent mot de celle de Scaramouche ; » à quoi le prince répondit : « La raison de cela, c'est que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces messieurs-là ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux-mêmes : c'est ce qu'ils ne peuvent souffrir. »
PREMIER PLACET PRÉSENTÉ AU ROI SUR LA COMÉDIE DU TARTUFFE [QUI N’AVAIT PAS ENCORE ÉTÉ REPRÉSENTÉE EN PUBLIC].
SIRE,Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j'ai cru que, dans l'emploi où je me trouve, je n'avois rien de mieux à faire que d'attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle ; et comme l'hypocrisie, sans doute, en est un des plus en usage, des plus incommodes et des plus dangereux, j'avois eu, SIRE, la pensée que je ne rendrois pas un petit service à tous les honnêtes gens de votre royaume si je faisois une comédie qui décriât les hypocrites, et mît en vue, comme il faut, toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces faux-monnoyeurs en dévotion, qui veulent attraper les hommes avec un zèle contrefait et une charité sophistique.Je l'ai faite, SIRE, cette comédie, avec tout le soin, comme je crois, et toutes les circonspections que pouvoit demander la délicatesse de la matière ; et pour mieux conserver l'estime et le respect qu'on doit aux vrais dévots, j'en ai distingué le plus que j'ai pu le caractère que j'avois à toucher. Je n'ai point laissé d'équivoque, j'ai ôté ce qui pouvoit confondre le bien avec le mal, et ne me suis servi dans cette peinture que des couleurs expresses et des traits essentiels qui font reconnoître d'abord un véritable et franc hypocrite.Cependant toutes mes précautions ont été inutiles. On a profité, SIRE, de la délicatesse de votre âme sur les matières de religion, et l'on a su vous prendre par l'endroit seul que vous êtes prenable, je veux dire par le respect des choses saintes. Les tartuffes, sous main, ont eu l'adresse de trouver grâce auprès de VOTRE MAJESTÉ ; et les originaux enfin ont fait supprimer la copie, quelque innocente qu'elle fût, et quelque ressemblante qu'on la trouvât.Bien que ce m'eût été un coup sensible que la suppression de cet ouvrage, mon malheur pourtant étoit adouci par la manière dont VOTRE MAJESTÉ s'étoit expliquée sur ce sujet ; et j'ai cru, SIRE, qu'elle m'ôtoit tout lieu de me plaindre, ayant eu la bonté de déclarer qu’elle ne trouvoit rien à dire dans cette comédie qu’elle me défendoit de produire en public.Mais, malgré cette glorieuse déclaration du plus grand roi du monde et du plus éclairé, malgré l’approbation encore de M. de légat, et de la plus grande partie de nos prélats, qui tous, dans les lectures particulières que je leur ai faites de mon ouvrage, se sont trouvés d’accord avec les sentiments de VOTRE MAJESTÉ ; malgré tout cela, dis-je, on voit un livre composé par le curé de... qui donne hautement un démenti à tous ces augustes témoignages. VOTRE MAJESTÉ a beau dire, et M. le légat et MM. les prélats ont beau donner leur jugement, ma comédie, sans l’avoir vue, est diabolique, et diabolique mon cerveau ; je suis un démon vêtu de chair et habillé en homme, un libertin, un impie digne d'un supplice exemplaire. Ce n'est pas assez que le feu expie en public mon offense, j’en serois quitte à trop bon marché : le zèle charitable de ce galant homme de bien n’a garde de demeurer là ; il ne veut point que j’aie de miséricorde auprès de Dieu, il veut absolument que je sois damné, c'est une affaire résolue.Ce livre, SIRE, a été présenté à VOTRE MAJESTÉ ; et, sans doute, elle juge bien elle-même combien il m’est fâcheux de me voir exposé tous les jours aux insultes de ces messieurs ; quel tort me feront dans le monde de telles calomnies, s’il faut qu’elles soient tolérées ; et quel intérêt j’ai enfin à me purger de son imposture, et à faire voir au public que ma comédie n’est rien moins que ce qu’on veut qu’elle soit. Je ne dirai point, SIRE, ce que j’aurois à demander pour ma réputation, et pour justifier à tout le monde l’innocence de mon ouvrage : les rois éclairés, comme vous, n’ont pas besoin qu’on leur marque ce qu’on souhaite ; ils voient, comme Dieu, ce qu’il nous faut, et savent mieux que nous ce qu’ils nous doivent accorder. Il me suffit de mettre mes intérêts entre les mains de VOTRE MAJESTÉ ; et j’attends d’elle, avec respect, tout ce qu’il lui plaira d’ordonner là-dessus.
DEUXIÈME PLACET PRÉSENTÉ AU ROI DANS SON CAMP DEVANT LA VILLE DE LILLE EN FLANDRE, [PAR LES NOMMÉS DE LA THORILLIÈRE ET DE LA GRANDE, COMÉDIENS DE SA MAJESTÉ, ET COMPAGNONS DU SIEUR MOLIÈRE, SUR LA DÉFENSE QUI FUT FAITE, LE 6 AOUT 1667, DE REPRÉSENTER LE TARTUFFE JUSQUES A NOUVEL ORDRE DE SA MAJESTÉ].
SIRE ,C’est une chose bien téméraire à moi que de venir importuner un grand monarque au milieu de ses glorieuses conquêtes ; mais, dans l’état où je me vois, où trouver, SIRE, une protection qu’au lieu où je la viens chercher ? Et qui puis-je solliciter contre l’autorité de la puissance qui m’accable, que la source de la puissance et de l’autorité, que le juste dispensateur des ordres absolus, que le souverain juge et le maître de toutes choses ?Ma comédie, SIRE, n’a pu jouir ici des bontés de VOTRE MAJESTÉ. En vain je l’ai produite sous le titre de L’Imposteur, et déguisé le personnage sous l’ajustement d’un homme du monde ; j’ai eu beau lui donner un petit chapeau, de grands cheveux, un grand collet, une épée, et des dentelles sur tout l’habit, mettre en plusieurs endroits des adoucissements, et retrancher avec soin tout ce que j’ai jugé capable de fournir l’ombre d’un prétexte aux célèbres originaux du portrait que je voulois faire : tout cela n’a de rien servi. La cabale s’est réveillée aux simples conjectures qu’ils ont pu avoir de la chose. Ils ont trouvé moyen de surprendre des esprits qui, dans toute autre matière, font une haute profession de ne se point laisser surprendre. Ma comédie n'a pas plus tôt paru qu'elle s'est vue foudroyée par le coup d'un pouvoir qui doit imposer du respect ; et tout ce que j'ai pu faire en cette rencontre pour me sauver moi-même de l'éclat de cette tempête, c'est de dire que VOTRE MAJESTÉ avoit eu la bonté de m'en permettre la représentation, et que je n'avois pas cru qu'il fût besoin de demander cette permission à d'autres, puisqu'il n'y avoit qu'elle seule qui me l'eût défendue.Je ne doute point, SIRE, que les gens que je peins dans ma comédie ne remuent bien des ressorts auprès de VOTRE MAJESTÉ, et ne jettent dans leur parti, comme ils l'ont déjà fait, de véritables gens de bien, qui sont d'autant plus prompts à se laisser tromper qu'ils jugent d'autrui par eux-mêmes. Ils ont l'art de donner de belles couleurs à toutes leurs intentions. Quelque mine qu'ils fassent, ce n'est point du tout l'intérêt de Dieu qui les peut émouvoir : ils l'ont assez montré dans les comédies qu'ils ont souffert qu'on ait jouées tant de fois en public sans en dire le moindre mot. Celles-là n’attaquoient que la piété et la religion, dont ils se soucient fort peu ; mais celle-ci les attaque et les joue eux-mêmes ; et c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir. Ils ne sauroient me pardonner de dévoiler leur imposture aux yeux de tout le monde ; et, sans doute, on ne manquera pas de dire à VOTRE MAJESTÉ que chacun s'est scandalisé de ma comédie. Mais la vérité pure, SIRE, c'est que tout Paris ne s'est scandalisé que de la défense qu'on en a faite, que les plus scrupuleux en ont trouvé la représentation profitable, et qu'on s'est étonné que des personnes d'une probité si connue aient eu une si grande déférence pour des gens qui devroient être l'horreur de tout le monde, et sont si opposés à a véritable piété, dont elles font profession.J'attends avec respect l'arrêt que VOTRE MAJESTÉ daignera prononcer sur cette matière ; mais il est très-assuré, SIRE, qu'il ne faut plus que je songe à faire de comédie, si les tartuffes ont l'avantage ; qu'ils prendront droit par là de me persécuter plus que jamais, et voudront trouver à redire aux choses les plus innocentes qui pourront sortir de ma plume.Daignent vos bontés, SIRE, me donner une protection contre leur rage envenimée ! et puissé-je, au retour d'une campagne si glorieuse, délasser VOTRE MAJESTÉ des fatigues de ses conquêtes, lui donner d’innocents plaisirs après de si nobles travaux, et faire rire le monarque qui fait trembler toute l’Europe !
TROISIÈME PLACET PRÉSENTÉ AU ROI [LE 5 FÉVRIER 1669.]
SIRE,Un fort honnête médecin, dont j'ai l'honneur d'être le malade, me promet et veut s'obliger par-devant notaires de me faire vivre encore trente années si je puis lui obtenir une grâce de VOTRE MAJESTÉ. Je lui ai dit, sur sa promesse, que je ne lui demandois pas tant, et que je serois satisfait de lui pourvu qu'il s'obligeât de ne me point tuer. Cette grâce, SIRE, est un canonicat de votre chapelle royale de Vincennes, vacant par la mort de...Oserois-je demander encore cette grâce à VOTRE MAJESTÉ le propre jour de la grande résurrection de Tartuffe, ressuscité par vos bontés ? Je suis, par cette première faveur, réconcilié avec les dévots ; et je le serois, par cette seconde, avec les médecins. C'est pour moi, sans doute, trop de grâces à la fois ; mais peut-être n'en est-ce pas trop pour VOTRE MAJESTÉ ; et j'attends, avec un peu d'espérance respectueuse, la réponse de mon placet.
PERSONNAGES
MADAME PERNELLE, mère d’Orgon |
ORGON, mari d’Elmire |
ELMIRE, femme d’Orgon |
DAMIS, fils d’Orgon |
MARIANE, fille d’Orgon et amante de Valère |
VALÈRE, amant de Mariane |
CLÉANTE, beau-frère d’Orgon |
TARTUFFE, faux-devot |
DORINE, suivante de Mariane |
M. LOYAL, sergent |
UN EXEMPT |
FLIPOTE, servante de Mme. Pernelle |
Acte I
SCÈNE PREMIÈRE.
SCÈNE II.
SCÈNE III.
SCÈNE IV.
SCÈNE V.
SCÈNE VI.
Acte II
SCÈNE PREMIÈRE.
SCÈNE II.
SCÈNE III.
SCÈNE IV.
Acte III
SCÈNE PREMIÈRE.
SCÈNE II.
SCÈNE III.
SCÈNE IV.
SCÈNE V.
SCÈNE VI.
SCÈNE VII
Acte IV
SCÈNE PREMIÈRE.
SCÈNE II
SCÈNE III.
SCÈNE IV.
SCÈNE V.
SCÈNE VI.
SCÈNE VII
SCÈNE VIII.
Acte V
SCÈNE PREMIÈRE.
SCÈNE II.
SCÈNE III.
SCÈNE IV.
SCÈNE V.
SCÈNE VI.
SCÈNE VII.
SCÈNE VIII.