Texto utilizado para esta edición digital:
Shakespeare, William. Le Second Hamlet. In: Ouvres complètes de Shakespeare. Deuxième édition. Paris: Pagnerre, 1865, tome I Les deux Hamlet, pp. 201-388.
- Tronch Pérez, Jesus (Artelope)
PERSONNAGES
| LE SPECTRE |
| CLAUDIUS, roi de Danemark |
| HAMLET, fils du précédent roi, neveu du roi actuel. |
| POLONIUS, chambellan |
| HORATIO, ami d’Hamlet |
| LAERTES, fils de Polonius |
| VOLTIMAND, courtisan |
| CORNÉLIUS, courtisan |
| ROSENCRANTZ, courtisan |
| GUILDENSTERN, courtisan |
| OSRIC, courtisan |
| UN AUTRE COURTISAN |
| MARCELLUS, officier |
| BERNARDO, officier |
| FRANCISCO, soldat |
| REYNALDO, serviteur de Polonius |
| FORTINBRAS, prince de Norwége |
| UN CAPITAINE |
| UN AMBASSADEUR |
| GERTRUDE, reine de Danemark et mère d’Hamlet |
| OPHÉLIA, fille de Polonius |
SEIGNEURS, DAMES, OFFICIERS, SOLDATS, FOSSOYEURS, MATELOTS, MESSAGERS, GEN DE SUITE.
La scène est en Danemark.
Acte I
SCÈNE I
– Mais, chut! regardez, là! il revient encore! – Je vais lui barrer le passage, dût-il me foudroyer. Arrête, illusion! – Si tu as un son, une voix dont tu fasses usage, – parle-moi! – S’il y a à faire quelque bonne action – qui puisse contribuer à ton soulagement et à mon salut, – parle-moi! – Si tu es dans le secret de quelque fatalité nationale, – qu’un avertissement pourrait peut-être prévenir, – oh! parle! – Ou, si tu as enfoui pensant ta vie – dans le sein de la terre un trésor extorqué, – ce pourquoi, dit-on, vous autres esprits vous errez souvent après la mort, – dis-le moi. Le coq chante.
Arrête et parle... Retiens-le, Marcellus.
SCÈNE II
– Et maintenant, Laertes, qu’avez-vous de nouveau à nous dire? – Vous nous avez parlé d’une requête. Qu’est-ce, Laertes? – Vous ne sauriez parler raison au roi de Danemark – et perdre vos paroles. Que peux-tu désirer, Laertes, – que je ne sois prêt à t’accorder avant que tu le demandes? – La tête n’est pas plus naturellement dévouée au cœur, – la main, plus serviable à la bouche, – que la couronne de Danemark ne l’est à ton père. – Que veux-tu, Laertes?
– L’esprit de mon père en armes! Tout cela va mal! – Je soupçonne quelque hideuse tragédie! Que la nui n’est-elle déjà venue! – Jusque-là, reste calme, mon âme! Les noires actions, – quand toute la terre les couvrirait, se dresseront aux yeux des hommes.
SCÈNE III
– Une double bénédiction est une double grâce; – l’occasion sourit à de seconds adieux.
– Maintenant grave dans ta mémoire ces quelques préceptes: – Refuse l’expression à tes pensées – et l’exécution à toute idée irréfléchie. – Sois familier, mais nullement vulgaire. – Quand tu as adopté et éprouvé un ami, – accroche-le à ton âme avec un crampon d’acier, – mais ne durcis pas ta main au contact – du premier camarade frais éclos que tu dénicheras. Garde-toi – d’entrer dans une querelle; mais, une fois dedans, – comporte-toi de manière que l’adversaire se darde de toi. – Prête l’oreille à tous, mais tes paroles au petit nombre. – Prends l’opinion de chacun, mais réserve ton jugement. – Que ta mise soit aussi coûteuse que ta bourse te le permet, – sans être de fantaisie excentrique; riche, mais peu voyante; – car le vêtement révèle souvent l’home; – et en France, le gens de qualité et du premier rang – ont, sous ce rapport, le goût le plus exquis et le plus noble. – Ne sois ni emprunteur, ni prêteur; – car le prêt fait perdre souvent argent et ami, – et l’emprunt émousse l’économie. – Avant tout, sois loyal envers toi-même; – et aussi infailliblement que la nuit suit le jour, – tu ne pourras être déloyal envers personne. – Adieu. Que ma bénédiction assaisonne pour toi ces conseils!
SCÈNE IV
– Qu’est ce que cela signifie, monseigneur?
– Va! je te suis.
– Il m’appelle encore. S’échappant de leurs bras.
Lâchez-moi, messieurs. – Par le ciel, je ferai un spectre de qui m’arrêtera! – Arrière, vous dis-je! Au Spectre.
Marche, je te suis.
SCÈNE V
– Ainsi, mon oncle, vous êtes là. Maintenant le mot d’ordre. – C’est: Adieu! adieu! Souviens-toi de moi! – Je l’ai juré.
Acte II
SCÈNE VI
Eh bien! Ophélia, qu’y a-t-il?
SCÈNE VII
Que quelques-uns de vous aillent – conduire ces messieurs là où est Hamlet.
A part, au roi. – Et je pense, à moins que ma cervelle – ne sache plus suivre la piste d’une affaire aussi sûrement – que de coutume, que j’ai découvert – la cause même de l’état lunatique d’Hamlet.
– Il me dit, chère Gertrude, qu’il a découvert – le principe et la source de tout le trouble de votre fils.
– de vouloir bien accorder un libre passage – à travers vos domaines pour cette expédition, – sous telles conditions de sûretés et de garanties – qui sont proposées ici.
« A la céleste idole de mon âme, à la belle des belles, à Ophélia. »
Voilà une mauvaise phrase, une phrase vulgaire; « belle des belles » est une expression vulgaire; mais écoutez:
« Qu’elle garde ceci sur son magnifique sein blanc.»
» A toi pour toujours, ma dame chérie, tant que cette machine mortelle m’appartiendra.
»HAMLET.»
– Voilà ce que, dans son obéissance, m’a remis ma fille; – elle m’a confié, en outre, toutes les sollicitations qu’il lui adressait, – avec tous les détails de l’heure, des moyens et du lieu.
Comment va mon bon seigneur Hamlet?
A part. Toujours à rebâcher de ma fille! ... Cependant il ne m’a pas reconnu d’abord; il m’a dit que j’étais un marchand de poisson. Il n’y est plus! il n’y est plus! et, de fait, dans ma jeunesse, l’amour m’a réduit à une extrémité bien voisine de celle-ci. Parlons-lui encore...
Que lisez-vous là, monseigneur?
Irez-vous changer d’air, monseigneur?
A part. Comme ses répliques sont parfois grosses de sens! Heureuses réparties qu’a souvent la folie, et que la raison et le bon sens ne trouveraient pas avec autant d’à-propos. Je vais le quitter et combiner tout de suite les moyens d’une rencontre entre lui et ma fille. Haut.
Mon honorable seigneur, je vais très-humblement prendre congé de vous.
Si vous m’aimez, ne me cachez rien.
Et vous aussi; pour chaque oreille un auditeur. Ce grand bambin que vous voyez là, n’est pas encore hors de ses langes.
Vous êtes les bienvenus, mes maîtres; bienvenus tous. A l’un d’eux.
Je suis charmé de te voir bien portant... Bienvenus, mes bons amis! ... A un autre.
Oh! ce vieil ami! comme ta figure s’est aguerrie depuis que je ne t’ai vu; viens-tu en Danemark pour me faire la barbe? ... Et vous, ma jeune dame, ma princesse! Par Notre-Dame! votre grâce, depuis que je ne vous ai vue, est plus rapprochée du ciel de toute la hauteur d’un sabot vénitien. Priez Dieu que votre voix, comme une pièce d’or qui n’a plus cours, ne se fêle pas dans le cercle de votre gosier! ... Mes maîtres, vous êtes tous les bienvenus. Vite, à la besogne, comme les fauconniers français, et élançons-nous après la première chose venue. Tout de suite une tirade! Allons, donnez-nous un échantillon de votre talent; allons, une tirade passionnée!
Veillez, je vous prie, monseigneur, à ce que ces comédiens soient bien traités. Entendez-vous? qu’on ait pour eux des égards; car ils sont le résumé, la chronique abrégée des temps. Mieux vaudrait pour vous une méchante épitaphe après votre mort que leur blâme pendant votre vie.
Écoutez-moi, vieil ami: pourriez-vous jouer le meurtre de Gonzague?
À Rosencrantz et à Guildenstern. Mes bons amis, je vous laisse jusqu’à ce soir: vous êtes les bienvenus à Elseneur.
Acte III
SCÈNE VIII
Lisez dans ce livre; – cette apparence d’occupation colorera – votre solitude. C’est un tort que nous avons souvent: – il arrive trop fréquemment qu’avec un visage dévot – et une attitude pieuse, nous parvenons à emmieller – le diable lui-même.
SCÈNE IX
Voudriez-vous tous deux presser leurs préparatifs?
– Allez prendre place...
Monseigneur, vous jouâtes jadis à l’Université, m’avez-vous dit?
Voici un métal plus attractif.
Celui-ci est un certain Lucianus, neveu du roi.
Ah! les flageolets! ... Voyons-en un. A Rosencrantz et à Guildenstern qui lui font signe.
Me retirer avec vous! Pourquoi donc cherchez-vous à me dérouter, comme si vous vouliez me pousser dans un filet?
Dieu vous bénisse, monsieur!
Voici l’heure propice aux sorcelleries nocturnes, – où les tombes bâillent et où l’enfer lui-même souffle – la contagion sur le monde. Maintenant je pourrais boire du sang tout chaud, – et faire une de ces actions amères que le jour – tremblerait de regarder. Doucement! chez ma mère, maintenant! – O mon cœur, garde ta nature; que jamais l’âme de Néron n’entre dans cette ferme poitrine. – Soyons inflexible, mais non dénaturé; – ayons des poignards dans la voix, mais non à la main. – Qu’en cette affaire ma langue et mon âme soient hypocrites. – Quelques menaces qu’il y ait dans mes paroles, – ne consens jamais, mon âme, à les sceller de l’action.
SCÈNE X
. Oh! ma faute fermente, elle infecte le ciel même; – elle porte avec elle la première, la plus ancienne malédiction, – celle du fratricide! ... Je ne puis pas prier, – bien que le désir m’u pousse aussi vivement que la volonté; – mon crime est plus fort que ma forte intention; – comme un homme obligé à deux devoirs, – je m’arrête ne sachant par lequel commencer, – et je les néglige tous deux. Quoi! quand sur cette main maudite – le sang fraternel ferait une couche plus épaisse qu’elle-même, – est-ce qu’il n’y a pas assez de pluie dans les cieux cléments – pour la rendre blanche comme neige? A quoi set la miséricorde, – si ce n’est à affronter le visage du crime? – Et qu’y a-t-il dans la prière, si ce n’est cette double vertu – de nous retenir avant la chute, – ou de nous faire pardonner, après? Levons donc les yeux; – ma faute est passée. Oh! mais quelle forme de prière – peut convenir à ma situation? ... Pardonnez-moi mon meurtre hideux? ... – Cela est impossible, puisque je suis encore en possession – des objets pour lesquels j’ai commis le meurtre: – ma couronne, ma puissance, ma femme? – Peut-on être pardonné sans réparer l’offense. – Dans les voies corrompues de ce monde, – la main dorée du crime peut faire dévier la justice, – et l’on a vu souvent le gain criminel lui-même – servir à acheter la loi. Mais il n’en est pas ainsi là-haut: – là, pas de chicane; là, l’action se poursuit – dans toute sa sincérité; et nous sommes obligés nous-mêmes, – dussent nos fautes démasquées montrer les dents, – de faire notre déposition. Quoi donc? qu’ai-je encore à faire? – Essayer ce que peut le repentir? Que ne peut-il repentir? – O situation misérable! ô conscience noire comme la mort! – ô pauvre âme engluée, qui, en te débattant pour être libre, – t’engages de plus en plus! Au secours, anges, faites un effort! – Pliez, genoux inflexibles! Et toi, cœur, que tes fibres d’acier – soient tendres comme les nerfs d’un enfant nouveau-né! – Tout peut être réparé.
– Ce palliatif-là ne fait que prolonger tes jours malades.
SCÈNE XI
– Mort! Un ducat qu’il est mort!
– Toi, misérable impudent, indiscret imbécile, adieu! – Je t’ai pris pour un plus grand que toi, subis ton sort. – Tu sais maintenant que l’excès de zèle a son danger. A sa mère.
– Cessez de vous tordre les mains. Silence! asseyez-vous, – que je vous torde le cœur! Oui, j’y parviendrai, – s’il n’est pas d’une étoffe impénétrable, – si l’habitude du crime ne l’a pas bronzé – et rendu inaccessible au sentiment.
Et quel être raisonnable – voudrait passer de ceci à ceci? Vous êtes sans doute de perception, – autrement vous ne seriez pas douée de mouvement; mais sans doute la perception – est paralysée en vous: car la folie ne ferait pas une pareille erreur; – la perception ne s’asservit pas au délire à ce point, – elle garde assez de discernement – pour remarquer une telle différence. Quel diable – vous a ainsi attrapée à colin-maillard? – La vue sans le toucher, le toucher sans la vue, – l’ouïe sans les mains et sans les yeux, l’odorat seul, – une partie même malade d’un de nos sens, – ne serait pas à ce point stupide. – O honte! où est ta rougeur? Enfer rebelle, – si tu peux te mutiner ainsi dans les os d’une matrone, – la vertu ne sera plus pour la jeunesse brûlante qu’une cire – toujours fusible à sa flamme. Qu’on ne proclame plus le déshonneur – de quiconque es emporté par une passion ardent, – puisque les frimats eux-mêmes prennent feu si vivement – et que la raison prostitue le désir!
Que voulez-vous, gracieuse figure?
Ne me regardez pas, – de peur que l’attendrissement ne change – ma résolution rigoureuse. L’acte que j’ai à faire – perdrait sa vraie couleur, celle du sang, pour celle des larmes.
Quant à ce seigneur, – j’ai du repentir; mais les cieux ont voulu – nous punir tous deux, lui par moi, moi par lui, – en me forçant à être leur ministre et leur fléau. – Je me charge de lui et je suis prêt à répondre – de la mort que je lui ai donnée. Allons, bonne nuit, encore! – Il faut que je sois cruel, rien que pour être humain. – Commencement douloureux! Le pire est encore à venir.
– Commençons nos paquets par cet homme, – et fourrons ses entrailles dans la chambre voisine. – Mère, bonne nuit. Vraiment, ce conseiller – est maintenant bien tranquille, bien discret, bien grave, – lui qui, vivant, était un drôle si niais et si bavard. – Allons, monsieur, finissons-en avec vous. – Bonne nuit, ma mère.
Acte IV
SCÈNE XII
– Ah! mon bon seigneur, qu’ai-je vu cette nuit?
– Mes amis, prenez du renfort. – Hamlet, dans sa folie, a tué Polonius, – et l’a traîne hors du cabinet de sa mère. – Allez le trouver, parlez-lui doucement, et transportez le corps – dans la chapelle. Je vous en prie, hâtez-vous. Sortent Rosencrantz et Guildenstern.
– Viens, Gertrude; nous allons convoquer nos amis les plus sages – pour leur faire savoir ce que nous comptons faire, – et l’imprudence qui a été commise. Ainsi la calomnie – qui traverse le monde, – comme un canon atteint la cible, – de son boulet empoisonné, pourra manquer notre nom, – et ne frapper que l’air invulnérable. Oh! partons! – mon âme est pleine de discorde et d’épouvante. –
SCÈNE XIII
SCÈNE XIV
A part. – Combien il est dangereux que cet homme soit libre! – Pourtant, ne le soumettons pas à la loi rigoureuse: – il est adoré de la multitude en délire, – qui aime, non par le jugement, mais per les yeux; – et, dans ce cas-là, c’est le châtiment du criminel qu’elle pèse, – jamais le crime. Pour que tout se passe doucement et sans bruit, – il faut que cet embarquement soudain paraisse – une décision réfléchie. Aux maux désespérés – il faut des remèdes désespérés. Entre ROSENCRANTZ.
– Ou il n’en faut pas du tout. Eh bien! que s’est-il passé?
SCÈNE XV.
– Comme toutes les circonstances récriminent contre moi! – Comme elles éperonnent ma vengeance rétive! Qu’est-ce que l’homme, – si le bien suprême, l’aubaine de sa vie – est uniquement de dormir et de manger?… Une bête, rien de plus. – Certes celui qui nous a faits avec cette vaste intelligence, – avec ce regard dans le passé et dans l’avenir, ne nous a pas donné – cette capacité, cette raison divine – pour qu’elles moisissent en nous inactives. Eh bien, est-ce l’effet – d’un oubli bestial ou d’un scrupule poltron – qui me fait réfléchir trop précisément aux conséquences, – réflexion qui, mise en quatre, contient un quart de sagesse – et trois quarts de lâcheté?… je ne sais pas – pourquoi j’en suis encore à me dire: « Ceci est à faire »; – puisque j’ai motif, volonté, force et moyen – de le faire. Des exemples, gros comme la terre, m’exhortent: – témoin cette armée aux masses imposantes, – conduite par un prince délicat et adolescent, – dont le courage, enflé d’une ambition divine, – fait la grimace à l’invisible événement, – et qui expose une existence mortelle et fragile – à tout ce que peuvent oser la fortune, la mort et le danger, – pour une coquille d’œuf!… Pour être vraiment grand, – il faut ne pas s’émouvoir sans de grands motifs – mais il faut aussi trouver grandement une querelle dans un brin de paille, – quand l’honneur est en jeu. Que suis-je donc moi – qui ai l’assassinat d’un père, le déshonneur d’une mère – pour exciter ma raison et mon sang, – et qui laisse tout dormir? Tandis qu’à ma honte je vois – vingt mille hommes marcher à une mort imminente, – et pour une fantaisie, pour une gloriole, – aller au sépulcre comme au lit; se battant pour un champ – où il leur est impossible de se mesurer tous, – et qui est une tombe trop étroite – pour couvrir les tués! Oh! que désormais – mes pensées soient sanglantes pour n’être pas dignes du néant!
SCENE XVI
– Telle est la vraie nature du péché! À mon âme malade – la moindre niaiserie semble le prologue d’un grand malheur. – Le crime est si plein de maladroite méfiance, – qu’il se divulgue lui-même par crainte d’être divulgué. –
– Oh! c’est le poison d’une profonde douleur; il jaillit – tout entier de la mort de son père. Et maintenant voyez! – Ô Gertrude, Gertrude, – quand les malheurs arrivent, ils ne viennent pas en éclaireurs solitaires, – mais en bataillons. D’abord c’était le meurtre de son père, – puis, le départ de votre fils, auteur par sa propre violence – de son juste exil. Maintenant, voici le peuple boueux – qui s’ameute, plein de pensées et de rumeurs dangereuses, – à propos de la mort du bon Polonius. – Nous avons étourdiment agi en l’enterrant secrètement… Puis, voici la pauvre Ophélia – séparée d’elle-même et de ce noble jugement – sans lequel nous sommes des effigies, ou de simples bêtes. – Enfin, ce qui est aussi gros de troubles que tout le reste, – voici son frère, secrètement revenu de France, – qui se repaît de sa stupeur, s’enferme dans des nuages, – et trouve partout des êtres bourdonnants qui lui empoisonnent l’oreille – des récits envenimés de la mort de son père, – où leur misérable argumentation n’hésite pas, – pour ses besoins, à nous accuser – d’oreille en oreille. Ô ma chère Gertrude, tout cela – tombe sur moi comme une mitraille meurtrière, – et me donne mille morts superflues.
– O incendie, dessèche ma cervelle! Larmes sept fois salées, – brûlez mes yeux jusqu’à les rendre insensibles et impuissants! – Par le ciel, ta folie sera payée si cher que le poids – de la vengeance retournera le fléau. Ô rose de mai! – chère fille, bonne sœur, suave Ophélia! – Ô cieux! est-il possible que la raison d’une jeune fille – soit aussi mortelle que la vie d’un vieillard? – Sa nature se volatilise, et, devenue subtile, – elle envoie les plus précieuses émanations de son essence – vers l’être aimé.
A la reine. Voilà de la rue pour vous, et en voici un peu pour moi; nous pouvons bien l’appeler religieusement herbe de grâce, mais elle doit avoir à votre main un autre sens qu’à la mienne… Voici une pâquerette. Je vous aurais bien donné des violettes, mais elles se sont toutes fanées, quand mon père est mort… On dit qu’il a fait une bonne fin.
SCÈNE XVII
– J’ignore de quelle partie du monde – ce salut peut me venir, si ce n’est du seigneur Hamlet. –
» HAMLET. »
– Venez, je vais vous donner le moyen de remettre ces lettres, – et dépêchez-vous, pour que vous puissiez me conduire plus vite – vers celui de qui vous les tenez.
SCÈNE XVIII
– Qu’est-ce? quelle nouvelle? –
» HAMLET. »
– Qu’est-ce que cela signifie? Est-ce que tous les autres sont de retour? – Ou est-ce une mystification, et n’y a-t-il rien de vrai?
– Qu’est-ce donc, ma douce reine?
– c’est un tic chez nous: la nature garde ses habitudes, – quoi qu’en dise la honte. Quand ces pleurs auront coulé, – plus de femmelette en moi! Adieu, Monseigneur; – j’ai des paroles de feu qui flamboieraient, – si cette folle douleur ne les noyait pas.
Acte V
SCÈNE XIX
– La reine! les courtisans! De qui suivent-ils le convoi? – Pourquoi ces rites tronqués? Ceci annonce – que le corps qu'ils suivent a, d'une main désespérée, – attenté à sa propre vie. C'était quelqu'un de qualité. – Cachons-nous un moment et observons.
– Maintenant entassez votre poussière sur le vivant et sur la morte, – jusqu’à ce que vous ayez fait de cette surface une montagne – qui dépasse le vieux Pélion ou la tête céleste – de l’Olympe azuré.
Qu’es-tu prêt à faire pour elle?
À la reine. – Bonne Gertrude, faites surveiller votre fils.
À part. – Il faut à cette fosse un monument vivant. – L’heure du repos viendra bientôt pour nous. – Jusque-là, procédons avec patience.
SCÈNE XX
Connais-tu ce moucheron?
Encore une! qu’en dites-vous?
Quel est ce bruit martial?
