Jean Racine

Athalie





Texto utilizado para esta edición digital:
Jean Racine, Athalie, tragédie tirée de l'Écriture sainte, Paul Longueville (ed.), Paris, J. Delalain, 1843.
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  • Corbellini, Natalia

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PERSONNAGES

PERSONNAGES

JOAS, roi de Juda, fils d'Ochozias
ATHALIE, veuve de Joram, aïeule de Joas
JOAD, autrement Joïada, grand-prêtre
JOSABETH, tante de Joas, femme du grand prêtre
ZACHARIE, fils de Joad et de Josabeth
SALOMITH, soeur de Zacharie
ABNER, l'un des principaux officiers des rois de Juda
MATHAN, prêtre apostat, sacrificateur de Baal
NABAL, confident de Mathan
AGAR, femme de la suite d'Alhalie
AZARIAS
ISMAËL
LES TROIS AUTRES CHEFS DES PRÊTRES ET DES LÉVITES
LA NOURRICE DE JOAS
SUITE D'ATHALIE
TROUPE DE PRÊTRES ET DE LÉVITES
LE CHŒUR, chœur de jeunes filles de la tribu de Lévi

ACTE PREMIER

SCENE I

La scène est dans le temple de Jérusalem, dans un vestibule de l'appartement du grand prêtre
JOAD, ABNER

ABNER
1
Oui, je viens dans son temple adorer l'Eternel;
2
Je viens, selon l'usage antique et solennel,
3
Célébrer avec vous la fameuse journée
4
Où sur le mont Sina la loi nous fut donnée.
5
Que les temps sont changés! Sitôt que de ce jour
6
La trompette sacrée annonçait le retour,
7
Du temple, orné partout de festons magnifiques,
8
Le peuple saint en foule inondait les portiques;
9
Et tous, devant l'autel avec ordre introduits, fruits,
10
De leurs champs dans leurs mains portant les nouveaux
11
Au Dieu de l'univers consacraient ces prémices:
12
Les prêtres ne pouvaient suffire aux sacrifices.
13
L'audace d'une femme, arrêtant ce concours,
14
En des jours ténébreux a changé ces beaux jours.
15
D'adorateurs zélés à peine un petit nombre
16
Ose des premiers temps nous retracer quelque ombre:
17
Le reste pour son Dieu montre un oubli fatal;
18
Ou même, s'empressant aux autels de Baal,
19
Se fait initier à ses honteux mystères,
20
Et blasphème le nom qu'ont invoqué leurs pères.
21
Je tremble qu'Athalie, à ne vous rien cacher,
22
Vous-même de l'autel vous faisant arracher,
23
N'achève enfin sur vous ses vengeances funestes,
24
Et d'un respect forcé ne dépouille les restes.

JOAD
25
D'où vous vient aujourd'hui ce noir pressentiment?

ABNER
26
Pensez-vous être saint et juste impunément?
27
Dès longtemps elle hait cette fermeté rare
28
Qui rehausse en Joad l'éclat delà tiare;
29
Dès longtemps votre amour pour la religion
30
Est traité de révolte et de sédition.
31
Du mérite éclatant cette reine jalouse
32
Hait surtout Josabeth, votre fidèle épouse.
33
Si du grand prêtre Aaron Joad est successeur,
34
De notre dernier roi Josabeth est la soeur.
35
Mathan, d'ailleurs, Mathan, ce prêtre sacrilège,
36
Plus méchant qu' Athalie, à toute heure l'assiège;
37
Mathan, de nos autels infâme déserteur,
38
Et de toute vertu zélé persécuteur.
39
C'est peu que, le front ceint d'une mitre étrangère,
40
Ce lévite à Baal prête son ministère;
41
Ce temple l'importune, et son impiété
42
Voudrait anéantir le Dieu qu'il a quitté.
43
Pour vous perdre il n'est point de ressorts qu'il n'in vente;
44
Quelquefois il vous plaint, souvent même il vous vante;
45
Il affecte pour vous une fausse douceur;
46
Et, par là, de son fiel colorant la noirceur,
47
Tantôt à cette reine il vous peint redoutable,
48
Tantôt, voyant pour l'or sa soif insatiable,
49
Il lui feint qu'en un lieu que vous seul connaissez,
50
Vous cachez des trésors par David amassés.
51
Enfin, depuis deux jours, la superbe Athalie
52
Dans un sombre chagrin paraît ensevelie.
53
Je l'observais hier, et je voyais ses yeux
54
Lancer sur le lieu saint des regards furieux:
55
Comme si, dans le fond-de ce vaste édifice,
56
Dieu cachait un vengeur armé pour son supplice.
57
Croyez-moi, plus j'y pense, et moins je puis douter
58
Que sur vous son courroux ne soit près d'éclater;
59
Et que de Jézabel la fille sanguinaire
60
Ne vienne attaquer Dieu jusqu'en son sanctuaire.

JOAD
61
Celui qui met un frein à la fureur des flots
62
Sait aussi des méchants arrêter les complots.
63
Soumis avec respect à sa volonté sainte,
64
Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte
65
Cependant je rends grâce au zèle officieux
66
Qui sur tous mes périls vous fait ouvrir les yeux.
67
Je vois que l'injustice en secret vous irrite,
68
Que vous avez encor le coeur israélite.
69
Le ciel en soit béni! Mais ce secret courroux,
70
Celte oisive vertu, vous en contentez-vous?
71
La foi qui n'agit point, est-ce une foi sincère?
72
Huit ans déjà passés, une impie étrangère
73
Du sceptre de David usurpe tous les droits,
74
Se baigne impunément dans le sang de nos rois,
75
Des enfants de son fils détestable homicide,
76
Et même contre Dieu lève son bras perfide;
77
Et vous, l'un dés soutiens de ce tremblant état,
78
Vous, nourri dans tes camps du saint roi Josaphat,
79
Qui sous son fils Joram commandiez nos armées,
80
Qui rassurâtes seul nos villes alarmées,
81
Lorsque d'Ochozias le trépas imprévu
82
Dispersa tout son camp à l'aspect de Jéhu;
83
«Je crains Dieu, dites-vous; sa vérité me touche!»
84
Voici comme ce Dieu vous répond par ma bouche:
85
«Du zèle de ma loi que sert de vous parer?
86
«Par de stériles voeux pensez-vous m'honorer?
87
«Quel fruit me revient-il de tous vos sacrifices?
88
«Ai-je besoin du sang des boues et des génisses?
89
«Le sang de vos rois crie, et n'est point écouté.
90
«Rompez, rompez tout pacte avec l'impiété;
91
«Du milieu de mon peuplé exterminez les crimes;
92
«Et vous viendrez alors m'immoler vos victimes.»

ABNER
93
Hé! que puis-je au milieu de ce peuple abattu?
94
Benjamin est sans force, et Juda sans vertu:
95
Le jour qui de leurs rois vit éteindre la race
96
Eteignit tout te feu de leur antique audace.
97
Dieu même, disent-ils, s'est retiré de nous:
98
De l'honneur des Hébreux autrefois si jaloux,
99
Il voit sans intérêt leur grandeur, terrassée;
100
Et sa miséricorde à latin s'est lassée:
101
On ne voit plus pour nous ses redoutables mains
102
De merveilles sans nombre effrayer les humains;
103
L'arche sainte est muette, et ne rend plus d'oracles

JOAD
104
Et quel temps fut jamais si fertile en miracles?
105
Quand Dieu par plus d'effets montra-t-il son pouvoir?
106
Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir ,
107
Peuple ingrat? Quoi! toujours les plus grandes mer veilles,
108
Sans ébranler ton coeur frapperont tes oreilles?
109
Faut-il, Abner, faut-i! vous rappeler te cours
110
Des prodiges fameux accomplis en nos jours,
111
Des tyrans d'Israël les célèbres disgrâces,
112
Et Dieu trouvé fidèle en toutes ses menaces;
113
L'impie Achab détruit, et de son sang trempé
114
Le champ que par le meurtre il avait usurpé;
115
Près de ce champ fatal Jézabel immolée,
116
Sous les pieds des Chevaux cette reine foulée,
117
Dans son sang inhumain les chiens désaltérés,
118
Et de son corps hideux les membres déchirés;
119
Des prophètes menteurs la troupe confondue,
120
Et la flamme du ciel sur l'autel descendue;
121
Elie aux éléments parlant en souverain,
122
Les cieux par lui fermés et devenus d'airain,
123
Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée,
124
Les morts se ranimant à la voix d'Elisée?
125
Reconnaissez, Abner, à ces traits éclatants,
126
Un Dieu tel aujourd'hui qu'il fut dans tous les temps:
127
Il sait, quand il lui plaît, faire éclater sa gloire;
128
Et son peuple est toujours présent à sa mémoire.

ABNER
129
Mais où sont ces honneurs à David tant promis,
130
Et prédits même encore a Salomon son fils?
131
Hélas! nous espérions que de leur race heureuse
132
Devait sortir de rois une suite nombreuse;
133
Que sur toute tribu, sur toute nation,
134
L'un d'eux établirait sa domination,
135
Ferait cesser partout la discorde et la guerre,
136
Et verrait à ses pieds tous les rois de la terre.

JOAD
137
Aux promesses du ciel pourquoi renoncez-vous?

ABNER
138
Ce roi fils de David, où le chercherons-nous?
139
Le ciel même peut-il réparer tes ruines
140
De cet arbre séché jusque dans ses racines?
141
Athalie étouffa l'enfant même au berceau.
142
Les morts, après huit ans, sortent-ils du tombeau?
143
Ah! si dans sa fureur elle s'était trompée;
144
Si du sang de nos rois quelque goutte échappée…

JOAD
145
Hé bien! que feriez-vous?

ABNER
O jour heureux pour moi!
146
De quelle ardeur j'irais reconnaître mon roi!
147
Doutez-vous qu'à ses pieds nos tribus empressées…
148
Mais pourquoi me flatter de ces vaines pensées?
149
Déplorable héritier de ces rois triomphants,
150
Ochozias restait seul avec ses enfants;
151
Par les traits de Jéhu je vis percer le père:
152
Vous avez vu les fils massacrés par la mère.

JOAD
153
Je ne m'explique point; mais quand l'astre du jour
154
Aura sur l'horizon fait le Tiers de son tour,
155
Lorsque la troisième heure aux prières rappelle,
156
Retrouvez-vous au temple avec ce même zèle.
157
Dieu pourra vous montrer par d'importants bienfaits
158
Que sa parole est stable et ne trompe jamais.
159
Allez: pour ce grand jour il faut que je m'apprête,
160
Et du temple déjà l'aube blanchit le faîte.

ABNER
161
Quel sera ce bienfait que je ne comprends pas?
162
L'illustre Josabeth porte vers vous ses pas:
163
Je sors, et vais me joindre à la troupe fidèle
164
Qu'attire de ce jour la pompe solennelle.

SCÈNE II

JOAD,JOSABETH

JOAD
165
Les temps sont accomplis, princesse: il faut parler,
166
Et votre heureux larcin ne se peut plus celer.
167
Des ennemis de Dieu la coupable insolence,
168
Abusant contre lui de ce profond silence;
169
Accusé trop longtemps ses promesses d'erreur.
170
Que dis-je? Le succès animant leur fureur,
171
Jusque sur notre autel votre injuste marâtre
172
Veut offrir à Baal un encens idolâtre.
173
Montrons ce jeune roi que vos mains ont sauvé,
174
Sous l'aile du Seigneur dans le temple élevé.
175
De nos princes hébreux il aura le courage,
176
Et déjà son esprit a devancé son âge.
177
Avant que son destin s'explique par ma voix,
178
Je vais l'offrir au Dieu par qui règnent les rois:
179
Aussitôt, assemblant nos lévites, nos prêtres,
180
Je leur déclarerai l'héritier de leurs maîtres.

JOSABETH
181
Sait-il déjà son nom et son noble destin?

JOAD
182
Il ne répond encor qu'au nom d'Eliacin,
183
Et se croit quelque enfant rejeté par sa mère,
184
A qui j'ai par pitié daigné servir de père.

JOSABETH
185
Hélas! de quel péril je Pavais su tirer!
186
Dans quel péril encore il est près de rentrer!

JOAD
187
Quoi! déjà votre foi s'affaiblit et s'étonne?

JOSABETH
188
A vos sages conseils, seigneur, je m'abandonne.
189
Du jour que j'arrachai cet enfant à la mort,
190
Je remis en vos mains tout te soin de son sort;
191
Même, de mon amour craignant la violence,
192
Autant que je le puis j'évite sa présence,
193
De peur qu'en le voyant quelque trouble indiscret
194
Ne fasse avec mes pleurs échapper mon secret.
195
Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières,
196
Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières.
197
Cependant aujourd'hui puis-je vous demander
198
Quels amis vous avez prêts à vous seconder?
199
Abner, le brave Abner viendra-t-il nous défendre?
200
A-t-il près de son roi fait serment de se rendre?

JOAD
201
Abner, quoiqu'on se put assurer sur sa foi,
202
Ne sait pas même encor si nous avons un roi.

JOSABETH
203
Mais à qui de Joas confiez-vous la garde?
204
Est-ce Obed, est-ce Ammon que cet honneur regarde?
205
De mon pèresur eux les bienfaits répandus…

JOAD
206
A l'injuste Athalie ils se sont tous vendus.

JOSABETH
207
Qui donc opposez-vous contré ses satellites?

JOAD
208
Ne vous l'ai-je pas dit? Nos prêtres, nos lévites.

JOSABETH
209
Je sais que, près de vous en secret assemblé,
210
Par vos soins prévoyants leur nombre est redoublé;
211
Que, pleins d'amour pour vous, d'horreur pour Athalie,
212
Un serment solennel par avance les lie
213
A ce fils de David qu'on leur doit révéler.
214
Mais, quelque noble ardeur dont ils puissent brûler,
215
Peuvent-ils de leur roi venger seuls la querelle?
216
Pour un si grand ouvrage est-ce assez de leur zèle?
217
Doutez-vous qu’ Athalie, au premier bruit semé
218
Qu'un fils d'Ochozias est ici renfermé,
219
De ses fiers étrangers assemblant les cohortes,
220
N'environne le temple et n'en brise les portes?
221
Suffira-t-il contre eux de vos ministres saints,
222
Qui, levant au Seigneur leurs innocentes mains,
223
Ne savent que gémir et prier pour nos crimes,
224
Et n'ont jamais versé que le sang des victimes?
225
Peut-être dans leurs bras, Joas percé de coups…

JOAD
226
Et comptez-vous pour rien Dieu qui combat pour nous;
227
Dieu, qui de l'orphelin protège l'innocence,
228
Et fait dans la faiblesse éclater sa puissance;
229
Dieu, qui hait les tyrans, et qui dans Jézraël
230
Jura d'exterminer Achab et Jézabel;
231
Dieu, qui, frappant Joram, le mari de leur fille,
232
A jusque sur son fils poursuivi leur famille;
233
Dieu, dont le bras vengeur, pour un temps suspendu,
234
Sur cette race impie est toujours étendu?

JOSABETH
235
Et c'est sur tous ces rois sa justice sévère
236
Que je crains pour le fils de mon malheureux frère.
237
Qui sait si cet enfant, par leur crime entraîné,
238
Avec eux en naissant ne fut pas condamné?
239
Si Dieu, le séparant d'une odieuse race,
240
En faveur de David voudra lui faire grâce?
241
Hélas! l'état horrible où le ciel me l'offrit
242
Revient à tout moment effrayer mon esprit.
243
De princes égorgés la chambre était remplie,
244
Un poignard à la main l'implacable Athalie
245
Au carnage animait ses barbares soldats,
246
Et poursuivait le cours de ses assassinats.
247
Joas, laissé pour mort, frappa soudain ma vue;
248
Je me figure encor sa nourrice éperdue
249
Qui devant les bourreaux s'était jetée en vain,
250
Et, faible, le tenait renversé sur son sein.
251
Je le pris tout sanglant. En baignant son visage,
252
Mes pleurs du sentiment lui rendirent l'usage;
253
Et, soit frayeur encore, ou pour me caresser,
254
De ses bras innocents je me sentis presser.
255
Grand Dieu! que mon amour ne lui soit point funeste!
256
Du fidèle David c'est le précieux reste:
257
Nourri dans ta maison, en l'amour de ta loi,
258
Il ne connaît encor d'autre père que toi.
259
Sur te point d'attaquer une reine homicide,
260
A l'aspect du péril si ma foi s'intimide,
261
Si la chair et le sang, se troublant aujourd'hui,
262
Ont trop de part aux pleurs que je répands pour lui,
263
Conserve l'héritier de les saintes promesses,
264
Et ne punis que moi de toutes mes faiblesses!

JOAD
265
Vos larmes, Josabeth, n'ont rien de criminel,
266
Mais Dieu veut qu'on espère en son soin paternel.
267
Il ne recherche point, aveugle en sa colère,
268
Sur le fils qui te craint l'impiété du père.
269
Tout ce qui reste encor de fidèles Hébreux
270
Lui viendront aujourd'hui renouveler leurs voeux:
271
Autant que de David la race est respectée,
272
Autant de Jézabel la fille est détestée.
273
Joas les touchera par sa noble pudeur
274
Où semble de son sang reluire la splendeur;
275
Et Dieu, par sa voix même appuyant notre exemple,
276
De plus près à leur coeur parlera dans son temple.
277
Deux infidèles rois tour à tour l'ont bravé:
278
Il faut que sur le trône un roi soit élevé,
279
Qui se souvienne un jour qu'au rang de ses ancêtres
280
Dieu l'a fait remonter par la main de ses prêtres,
281
L'a tiré par leurs mains de l'oubli du tombeau,
282
Et de David éteint rallumé le flambeau
283
Grand Dieu! si lu prévois qu'indigne de sa race,
284
Il doive de David abandonner la trace,
285
Qu'il soit comme le fruit en naissant arraché,
286
Ou qu'un souffle ennemi dans sa fleur a séché!
287
Mais si ce même enfant, à tes ordres docile,
288
Doit être à tes desseins un instrument utile,
289
Fais qu'au juste héritier le sceptre soit remis;
290
Livre en mes faibles mains ses puissants ennemis;
291
Confonds dans ses conseils une reine cruelle:
292
Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle
293
Répandre cet esprit d'imprudence et d'erreur,
294
De la chute des rois funeste avant-coureur.
295
L'heure me presse: adieu. Des plus saintes familles
296
Votre fils et sa soeur vous amènent les filles.

SCÈNE III

JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH, LE CHOEUR

JOSABET
297
Chef Zacharie, allez, ne vous arrêtez pas;
298
De votre auguste père accompagnez les pas.
299
O filles dé Lévi, troupe jeune et fidèle,
300
Que déjà le Seigneur embrase de son zèle,
301
Qui venez si souvent partager mes soupirs,
302
Enfants, ma seule joie en mes longs déplaisirs,
303
Ces festons dans vos mains, et Ces fleurs sur vos têtes,
304
Autrefois convenaient à nos pompeuses fêtes;
305
Mais, hélas! en ce temps d'opprobre et de douleurs,
306
Quelle offrande sied mieux que celle de nos pleurs!
307
J'entends déjà, j'entends la trompette sacrée,
308
Et du temple bientôt on permettra l'entrée.
309
Tandis que je me vais préparer à marcher,
310
Chantez, louez le Dieu que vous venez chercher.

SCÈNE IV

Tout le choeur chante.

LE CHOEUR
311
Tout l'univers est plein de sa magnificence:
312
Qu'on l'adore ce Dieu, qu'on l'invoque à jamais!
313
Son empire a des temps précédé la naissance:
314
Chantons publions ses bienfaits.

UNE VOIX
315
(seule)
En vain l'injuste violence
316
Au peuple qui le loue imposerait silence:
317
Son nom ne périra jamais.
318
Le jour annonce au jour sa gloire et sa puissance;
319
Tout l'univers est plein de sa magnificence:
320
Chantons, publions ses bienfaits.

Tout le choeur répèle

LE CHOEUR
321
Tout l'univers est plein de sa magnificence:
322
Chantons, publions ses bienfaits.

UNE VOIX
323
(seule)
Il donne aux fleurs leur aimable peinture;
324
Il fait naître et mûrir les fruits:
325
Il leur dispense avec mesure
326
Et la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits;
327
Le champ qui les reçut les rend avec usure

UNE AUTRE
328
Il commande au soleil d'animer la nature,
329
Et la lumière est un don de ses mains;
330
Mais sa loi sainte, sa loi pure
331
Est le plus riche don qu'il ait fait aux humains.

UNE AUTRE
332
O mont de Sinaï, conserve la mémoire
333
De ce jour à jamais auguste et renommé,
334
Quand, sur ton sommet enflammé,
335
Dans un nuage épais le Seigneur enfermé
336
Fit luire aux yeux mortels un rayon de sa gloire.
337
Dis-nous pourquoi ces feux et ces éclairs,
338
Ces torrents de fumée, et ce bruit dans tes airs,
339
Ces trompettes et ce tonnerre:
340
Venait-il renverser l'ordre des éléments?
341
Sur ses antiques fondements
342
Venait-il ébranler la terre?

UNE AUTRE
343
Il venait révéler aux enfants des Hébreux
344
De ses préceptes saints la lumière immortelle;
345
Il venait à ce peuple heureux
346
Ordonner de l'aimer d'une amour éternelle.

Tout le choeur

LE CHOEUR
347
O divine, ô charmante loi!
348
O justice, ô bonté suprême!
349
Que de raisons, quelle douceur extrême
350
D'engager à ce Dieu son amour et sa foi!

UNE VOIX
351
(seule)
D'un joug cruel il sauva nos aïeux,
352
Les nourrit au désert d'un pain délicieux;
353
Il nous donne ses lois, il se donne lui-même:
354
Pour tant de biens, il commande qu'on l'aime.

LE CHOEUR
355
O justice, ô bonté suprême!

UNE VOIX
356
(la même voix)
Des mers pour eux il entr' ouvrit les eaux;
357
D'un aride rocher fit sortir des ruisseaux;
358
Il nous donne ses lois, il se donne lui-même:
359
Pour tant de biens, il commande qu'on l'aime.

LE CHOEUR
360
O divine, ô charmante loi!
361
Que de raisons, quelle douceur extrême
362
D'engager à ce Dieu son amour et sa foi!

UNE AUTRE VOIX
363
(seule)
Vous qu i ne connaissez qu'une crainte servile,
364
Ingrats, un Dieu si bon ne peut-il vous charmer?
365
Est-il donc à vos coeurs, est-il si difficile
366
Et si pénible de l'aimer?
367
L'esclave craint le tyran qui l'outrage;
368
Mais des enfants l'amour est le partage:
369
Vous voùlez que ce Dieu vous comble de bienfaits,
370
Et ne l'aimer jamais!

LE CHOEUR
371
(Tout)
O divine, ô charmante loi!
372
O justice, ô bonté suprême!
373
Que de raisons, quelle douceur extrême
374
D'engager à ce Dieu son amour et sa foi!


ACTE DEUXIÈME

SCÈNE I

JOSABETH, SALOMITH, LE CHOEUR.

JOSABETH
375
Mes filles, c'est assez; suspendez vos cantiques:
376
Il est temps de nous joindre aux prières publiques.
377
Voici notre heure: allons célébrer ce grand jour,
378
Et devant le Seigneur paraître à notre tour.

SCÈNE II.

JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH, LE CHOEUR.

JOSABETH
379
Mais que vois-je! Mon fils, quel sujet vous ramène?
380
Où courez-vous ainsi tout pâle et hors d'haleine?

ZACHARIE
381
O ma mère!

JOSABETH
Eh bien! quoi?

ZACHARIE
Le temple est profané!

JOSABETH
382
Comment?

ZACHARIE
Et du Seigneur l'autel abandonné.

JOSABETH
383
Je tremble. Hâtez-vous d'éclaircir votre mère.

ZACHARIE
384
Déjà, selon la loi, le grand prêtre mon père,
385
Après avoir au Dieu qui nourrit les humains
386
De la moisson nouvelle offert les premiers pains,
387
Lui présentait encore entré ses mains sanglantes
388
Des victimes de paix les entrailles fumantes;
389
Debout à ses côtés le jeune Eliacin
390
Comme moi le servait en long habit de lin;
391
Et cependant du sang de la chair immolée
392
Les prêtres arrosaient l'autel et l'assemblée:
393
Un bruit confus s'élève, et du peuple surpris
394
Détourne tout à coup tes yeux et les esprits.
395
Une femme... Peut-on la nommer sans blasphème?
396
Une femme... C'était Athalie elle-même.

JOSABETH
397
Ciel!

ZACHARIE
Dans un des parvis, aux hommes réservé,
398
Cette femme superbe entre, le front levé,
399
Et se préparait même à passer les limites
400
De l'enceinte sacrée ouverte aux seuls lévites.
401
Le peuple s'épouvante, et fuit de toutes parts.
402
Mon père... Ah! quel courroux animait ses regards!
403
Moïse à Pharaon parut moins formidable:
404
«Reine, sors, a-t-il dit, de ce lieu redoutable,
405
«D'où te bannit ton sexe et ton impiété.
406
«Viens-tu du Dieu vivant braver la majesté?»
407
La reine alors, sur lui jetant un oeil farouche,
408
Pour blasphémer, sans doute ouvrait déjà la bouche:
409
J'ignore si de Dieu l'ange se dévoilant
410
Est venu lui montrer un glaive étincelant;
411
Mais sa langue en sa bouche à l'instant s'est glacée,
412
Et toute son audace a paru terrassée;
413
Ses yeux, comme effrayés, n'osaient se détourner;
414
Surtout Eliacin paraissait l'étonner.

JOSABETH
415
Quoi donc! Eliacin a paru devant elle?

ZACHARIE
416
Nous regardions tous deux cette reine cruelle,
417
Et d'une égale horreur nos coeurs étaient frappés.
418
Mais les prêtres bientôt nous ont enveloppés:
419
On nous a fait sortir. J'ignore tout te reste,
420
Et venais vous conter ce désordre funeste.

JOSABETH
421
Ah! de nos bras sans doute elle vient l'arracher;
422
Et c'est lui qu'à l'autel sa fureur vient chercher.
423
Peut-être en ce moment l'objet de tant de larmes
424
Souviens-toi de David, Dieu qui vois mes alarmes!

SALOMITH
425
Quel est-il, cet objet des pleurs que vous versez?

ZACHARIE
426
Les jours d'Eliacin seraient-ils menacés?

SALOMITH
427
Aurait-il delà reine attiré la colère?

ZACHARIE
428
Que craint-on d'un enfant sans support et sans père?

JOSABETH
429
Ah! la voici. Sortons: il la faut éviter.

SCÈNE III

ATHALIE, ABNER, AGAR, SUITE D'ATHALIE

AGAR
430
Madame, dans ces lieux pourquoi vous arrêter?
431
Ici tous les objets vous blessent, vous irritent.
432
Abandonnez ce temple aux prêtres qui l'habitent;
433
Fuyez tout ce tumulte, et dans votre palais
434
A vos sens agités venez rendre la paix.

ATHALIE
435
Non, je ne puis: tu vois mon trouble et ma faiblesse.
436
Va, fais dire à Mathan qu'il vienne, qu'il se presse;
437
Heureuse si je puis trouver par son secours
438
Celte paix que je cherche, et qui me fuit toujours!

(Elle s'assied.)

SCÈNE IV.

ATHALIE, ABNER, SUITE D'ATHALIE.

ABNER
439
Madame, pardonnez si j'ose te défendre:
440
Le zèle de Joad n'a point dû vous surprendre.
441
Du Dieu que nous servons tel est l'ordre éternel:
442
Lui-même il nous traça son temple et son autel,
443
Aux seuls enfants d'Aaron commit ses sacrifices,
444
Aux lévites marqua leur place et leurs offices,
445
Et surtout défendit à leur postérité
446
Avec tout autre dieu toute société.
447
Hé quoi! vous, de nos rois et la fille et la mère,
448
Etes-vous à ce point parmi nous étrangère?
449
Ignorez-vous nos lois? et faut-il qu'aujourd'hui...
450
Voici votre Mathan: je vous laisse avec lui.

ATHALIE
451
Votre présence, Âbner, est ici nécessaire.
452
Laissons là de Joad l'audace téméraire,
453
Et tout ce vain amas de superstitions
454
Qui ferment votre temple aux autres nations.
455
Un sujet plus pressant excite mes alarmes.
456
Je sais que, dès l'enfance élevé dans les armes,
457
Abner a le coeur noble, et qu'il rend à la fois
458
Ce qu'il doit à son Dieu, ce qu'il doit à ses rois.
459
Demeurez.

SCÈNE V

ATHALIE, ABNER, MATHAN, SUITE D'ATHALIE

MATHAN
Grande reine, est-ce ici votre place?
460
Quel trouble vous agite , et quel effroi vous glace?
461
Parmi vos ennemis que venez-vous chercher?
462
De ce temple profane osez-vous approcher?
463
Avez-vous dépouillé cette haine si vive…

ATHALIE
464
Prêtez-moi l'un et l'autre une oreille attentive.
465
Je ne veux point ici rappeler le passé,
466
Ni vous rendre raison du sang que j'ai versé:
467
Ce que j'ai fait, Abner, j'ai cru le devoir faire.
468
Je ne prends point pour juge un peuple téméraire;
469
Quoi que son insolence ait osé publier,
470
Le ciel même a pris soin de me justifier.
471
Sur d'éclatants succès ma puissance établie
472
A fait jusqu'aux deux mers respecter Athalie;
473
Par moi Jérusalem goûte un calme profond;
474
Le Jourdain ne voit plus l’Arabe vagabond,
475
Ni l'altier Philistin, par d'éternels ravages,
476
Comme au temps de vos rois, désoler ses rivages;
477
Le Syrien me traite et de reine et de soeur;
478
Enfin de ma maison le perfide oppresseur,
479
Qui devait jusqu’à moi pousser sa barbarie,
480
Jéhu, le lier Jéhu, tremble dans Samarie;
481
De toutes parts pressé par un puissant voisin,
482
Que j'ai su soulever contre cet assassin,
483
II me laisse en ces lieux souveraine maîtresse;
484
Je jouissais en paix du fruit de ma sagesse;
485
Mais un trouble importun vient, depuis quelques jours,
486
De mes prospérités interrompre le cours.
487
Un songe (me devrais-je inquiéter d'un songe?)
488
Entretient dans mon coeur un chagrin qui le ronge:
489
Je l'évite partout, partout il me poursuit.
490
C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit;
491
Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée,
492
Comme au jour de sa mort, pompeusement parée:
493
Ses malheurs n'avaient point abattu sa fierté;
494
Même elle avait encor cet éclat emprunté
495
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage,
496
Pour réparer des ans l'irréparable outrage;
497
«Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi;
498
«Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi sur toi.
499
«Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
500
«Ma fille.» En achevant ces mots épouvantables,
501
Son ombre vers mon lit a paru se baisser;
502
Et moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser;
503
Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange
504
D'os et de chair meurtris, et traînés dans la fange,
505
Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux
506
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux.

ABNER
507
Grand Dieu!

ATHALIE
Dans ce désordre à mes yeux se présente
508
Un jeune enfant couvert d'une robe éclatante,
509
Tels qu'on voit des Hébreux les prêtres revêtus.
510
Sa vue a ranimé mes esprits abattus:
511
Mais lorsque, revenant de mon trouble funeste,
512
J'admirais sa douceur, son air noble et modeste,
513
J'ai senti tout à coup un homicide acier
514
Que le traître en mon sein a plongé tout entier.
515
De tant d'objets divers le bizarre assemblage
516
Peut-être du hasard vous paraît un ouvrage:
517
Moi-même quelque temps, honteuse de ma peur,
518
Je l'ai pris pour l'effet d'une sombre vapeur.
519
Mais de ce souvenir mon âme possédée
520
A deux fois en dormant revu la même idée;
521
Deux fois mes tristes yeux se sont vu retracer
522
Ce même enfant toujours tout prêt à me percer.
523
Lasse enfin des horreurs dont j'étais poursuivie,
524
J'allais prier Baal de veiller sur ma vie,
525
Et chercher du repos au pied de ses autels:
526
Que ne peut la frayeur sur l'esprit des mortels!
527
Dans le temple des Juifs un instinct m'a poussée,
528
Et d'apaiser leur Dieu j'ai conçu la pensée;
529
J'ai cru que des présents calmeraient son courroux,
530
Que ce Dieu, quel qu'il soit, en deviendrait plus doux.
531
Pontife de Baal, excusez ma faiblesse.
532
J'entre: le peuple fuit, le sacrifice cesse,
533
Le grand prêtre vers moi s'avance avec fureur:
534
Pendant qu'il me parlait, ô surprise! ô terreur!
535
J'ai vu ce même enfant dont je suis menacée,
536
Tel qu'un songe effrayant l'a peint à ma pensée.
537
Je l'ai vu: son même air, son même habit de lin,
538
Sa démarche, ses yeux, et tous ses traits enfin;
539
C'est lui-même. Il marchait à côté du grand prêtre;
540
Mais bientôt à ma vue on l'a fait disparaître.
541
Voilà quel trouble ici m'oblige à m'arrêter,
542
El sur quoi j'ai voulu tous deux vous consulter.
543
Que présage, Mathan, ce prodige incroyable?

MATHAN
544
Ce songe et ce rapport, tout me semble effroyable...

ATHALIE
545
Mais cet enfant fatal, Abner, vous l'avez vu:
546
Quel est-il? de quel sang, et de quelle tribu?

ABNER
547
Deux enfants à l'autel prêtaient leur ministère:
548
L'un est fils de Joad, Josàbeth est sa mère;
549
L'autre m'est inconnu.

MATHAN
Pourquoi délibérer?
550
De tous les deux, madame, il se faut assurer.
551
Vous savez pour Joad mes égards, mes mesures;
552
Que je ne cherche point à venger mes injures;
553
Que la seule équité règne en tous mes avis;
554
Mais lui-même, après tout, fût-ce son propre fils,
555
Voudrait-il un moment laisser vivre un coupable?

ABNER
556
De quel crime un enfant peut-il être capable?

MATHAN
557
Le ciel nous le fait voir un poignard à la main:
558
Le ciel est juste et sage, et ne fait rien en vain.
559
Que cherchez-vous de plus?

ABNER
Mais, sur la foi d'un songe,
560
Dans le sang d'un enfant voulez-vous qu'on se plonge?
561
Vous ne savez encor de quel père il est né,
562
Quel il est.

MATHAN
On le craint: fout est-examiné.
563
A d'illustres parents s'il doit son origine,
564
La splendeur de son sort doit hâter sa ruine;
565
Dans le vulgaire obscur si le sort l'a placé,
566
Qu'importe qu'au hasard un sang vil soit versé?
567
Est-ce aux rois à garder cette tente justice?
568
Leur sûreté souvent dépend d'un prompt supplice.
569
N'allons point les gêner d'un soin embarrassant:
570
Dès qu'on leur est suspect on n'est plus innocent.

ABNER
571
Hé quoi, Mathan! d'un prêtre est-ce là le langage?
572
Moi, nourri dans la guerre aux horreurs dû carnage,
573
Des vengeances des rois ministre rigoureux,
574
C'est moi qui prête ici ma voix au malheureux!
575
Et vous, qui lui devez des entrailles de père,
576
Vous, ministre de paix dans les temps de colère,
577
Couvrant d'un zèle faux votre ressentiment,
578
Le sang à votre gré coule trop lentement!
579
Vous m'avez commandé de vous parler sans feinte,
580
Madame: quel est donc ce grand sujet de crainte?
581
Un songe, un faible enfant que votre oeil prévenu
582
Peut-être sans raison croit avoir reconnu.

ATHALIE
583
Je le veux croire, Abner; je puis m'être trompée:
584
Peut-être un songe vain m'a trop préoccupée.
585
Eh bien! il faut revoir cet enfant de plus près;
586
Il en faut à loisir examiner les traits.
587
Qu'on les fasse tous deux paraître en ma présence.

ABNER
588
Je crains...

ATHALIE
Manquerait-on pour moi de- complaisance?
589
De ce refus bizarre où seraient les raisons?
590
Il pourrait me jeter en d'étranges soupçons.
591
Que Josàbeth, vous dis-je, ou Joad tes amène.
592
Je puis, quand je voudrai, parler en souveraine.
593
Vos prêtres, je veux bien, Abner, vous l'avouer,
594
Dés bontés d'Athalie ont lieu de se louer.
595
Je sais sur ma conduite et contre ma puissance
596
Jusqu'où de leurs discours ils portent la licence:
597
Ils vivent cependant, et leur temple est debout.
598
Mais je sens que bientôt ma douceur est à bout.
599
Que Joad mette un frein à son zèle sauvage,
600
Et né m'irrite point par un second outrage.
601
Allez.

SCÈNE VI.

ATHALIE, MATHAN, SUITE D'ATHALIE.

MATHAN
Enfin je puis parler en liberté;
602
Je puis dans tout son jour mettre la vérité.
603
Quelque monstre naissant dans ce temple s'élève,
604
Reine: n'attendez pas que le nuage crève.
605
Abner chez le grand prêtre a devancé le jour:
606
Pour le sang de ses rois vous savez son amour.
607
Et qui sait si Joad ne veut point en leur place
608
Substituer l'enfant dont le ciel vous menace,
609
Soit son fils, soit quelque autre...

ATHALIE
Oui, vous m'ouvrez les yeux:
610
Je commence à voir clair dans cet avis des cieux.
611
Mais je veux de mon doute être débarrassée:
612
Un enfant est peu propre à trahir sa pensée;
613
Souvent d'un grand dessein un mot nous fait juger.
614
Laissez-moi, cher Mathan, te voir, l'interroger.
615
Vous cependant, allez; et, sans jeter d'alarmes,
616
A tous mes Tyriens faites prendre les armes.

SCÈNE VII.

JOAS, ATHALIE, JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH, ABNER , DEUX LÉVITES , LE CHOEUR , SUITE D'ATHALIE.
Josabeth, aux deux lévites.

JOSABETH
617
O vous! sur ces enfants si chers, si précieux,
618
Ministres du Seigneur, ayez toujours les yeux.

ABNER
619
(à Josàbeth)
Princesse, assurez-vous, je les prends sous ma garde.

ATHALIE
620
O ciel! plus j'examine et plus je le regarde...
621
C'est lui! D'horreur encor tous mes-sens sont saisis.
622
(Montrant Joas.)
Epouse de Joad, est-ce là votre fils?

JOSABETH
623
Qui? lui, madame?

ATHALIE
Lui.

JOSABETH
Je ne suis point sa mère.
624
(Montrant Zacharie)
Voilà mon fils.

ATHALIE
(à Joas)
Et vous, quel est donc votre père?
625
Jeune enfant, répondez.

JOSABETH
Le ciel jusque aujourd'hui...

ATHALIE
626
Pourquoi vous pressez-vous de répondre pour lui?
627
C'est à lui de parler.

JOSABETH
Dans un âge si tendre
628
Quel éclaircissement en pouvez-vous attendre?

ATHALIE
629
Cet âge est innocent: son ingénuité
630
N'altère point encor la simple vérité.
631
Laissez-le s'expliquer sur tout ce qui le touche.

JOSABETH
632
(à part.)
Daigne mettre, grand Dieu, ta sagesse en sa bouche!

ATHALIE
633
Comment vous nommez-vous?

JOAS
J'ai nom Eliacin.

ATHALIE
634
Votre père?

JOAS
Je suis, dit-on, un orphelin
635
Entre les bras de Dieu jeté dès ma naissance,
636
Et qui de mes parents n'eus jamais connaissance.

ATHALIE
637
Vous êtes sans parents?

JOAS
Ils m'ont abandonné.

ATHALIE
638
Comment? et depuis quand?

JOAS
Depuis que je suis né.

ATHALIE
639
Ne sait-on pas au moins quel pays est le vôtre?

JOAS
640
Ce temple est mon pays; je n'en connais point d'autre.

ATHALIE
641
Où dit-on que le sort vous a fait rencontrer?

JOAS
642
Parmi les loups cruels prêts à me dévorer.

ATHALIE
643
Qui vous mit dans ce temple?.

JOAS
Une femme inconnue,
644
Qui ne dit point son nom, et qu'on n'a point revue.

ATHALIE
645
Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris soin?

JOAS
646
Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin?
647
Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
648
Et sa bonté s'étend sur toute la nature.
649
Tous tes jours je l'invoque; et d'un soin paternel
650
Il me nourrit des dons offerts sur son autel.

ATHALIE
651
Quel prodige nouveau me trouble et m'embarrasse!
652
La douceur de sa voix, son enfance, sa grâce,
653
Font insensiblement à mon inimitié
654
Succéder... Je serais sensible à la pitié!

ABNER
655
Madame, voilà donc cet ennemi terrible?
656
De vos songes menteurs l'imposture est visible,
657
A moins que la pitié qui semble vous troubler
658
Ne soit ce coup fatal qui vous faisait trembler.

ATHALIE
659
(à Joas et à Josabeth)
Vous sortez?

JOSABETH
Vous avez entendu sa fortune:
660
Sa présence à la fin pourrait être importune.

ATHALIE
661
(A Joas.)
Non: revenez. Quel est tous lés jours votre emploi?

JOAS
662
J'adore le Seigneur; on m'explique sa loi;
663
Dans son livre divin on m'apprend à la lire;
664
Et déjà de ma main je commence à l'écrire.

ATHALIE
665
Que vous dit celte loi?

JOAS
Que Dieu veut être aimé;
666
Qu'il venge tôt ou tard son saint nom blasphémé;
667
Qu'il est le défenseur de l'orphelin timide;
668
Qu'il résiste au superbe, et punit l'homicide.

ATHALIE
669
J'entends. Mais tout ce peuple enfermé dans ce lieu,
670
A quoi s'occupe-t-il?

JOAS
Il loue, il bénit Dieu.

ATHALIE
671
Dieu veut-il qu'à toute heure on prie, on le contemple?

JOAS
672
Tout profane exercice est banni de son temple.

ATHALIE
673
Quels sont donc vos plaisirs?

JOAS
Quelquefois à l'autel
674
Je présente au grand prêtre ou l'encens ou le sel;
675
J'entends chanter de Dieu les grandeurs infinies;
676
Je vois l'ordre pompeux dé ses cérémonies.

ATHALIE
677
Hé quoi! vous n'avez point de passe-temps plus doux?
678
Je plains le triste sort d'un enfant tel que vous.
679
Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire.

JOAS
680
Moi! des bienfaits de Dieu je perdrais la mémoire!

ATHALIE
681
Non, je ne vous veux pas contraindre, à l'oublier.

JOAS
682
Vous ne le priez point.

ATHALIE
Vous pourrez le prier.

JOAS
683
Je verrais cependant en invoquer un autre.

ATHALIE
684
J'ai mon Dieu que je sers; vous servirez le vôtre:
685
Ce sont deux puissants dieux.

JOAS
Il faut craindre le mien:
686
Lui seul est Dieu, madame; et te vôtre n'est rien.

ATHALIE
687
Les plaisirs près de moi vous chercheront en foule.

JOAS
688
Le bonheur des méchants comme un torrent s'écoule.

ATHALIE
689
Ces méchants, qui sont-ils?

JOSABETH
Hé, madame! excusez
690
Un enfant...

ATHALIE
( à Josàbeth)
J'aime à voir comme vous l'instruisez.
691
Enfin, Eliacin, vous avez su me plaire;
692
Vous n'êtes point sans doute un enfant ordinaire.
693
Vous voyez, je suis reine, et n'ai point d'héritier:
694
Laissez là cet habit, quittez ce vil métier.
695
Je veux vous faire part de toutes mes richesses;
696
Essayez dès ce jour l'effet de mes promesses.
697
A ma table, partout, à mes côtés assis,
698
Je prétends vous traiter comme mon propre fils;

JOAS
699
Comme votre fils!

ATHALIE
Oui..., Vous vous taisez?

JOAS
Quel père
700
Je quitterais! Et pour...

ATHALIE
Hé bien?

JOAS
Pour quelle mère!

ATHALIE
701
(à Josàbeth)
Sa mémoire est fidèle; et, dans tout ce qu'il dit,
702
De vous et de Joad je reconnais l'esprit.
703
Voilà comme, infectant cette simple jeunesse,
704
Vous employez tous deux le calme où je vous laisse.
705
Vous cultivez déjà leur haine et leur fureur,
706
Vous ne leur prononcez mon nom qu'avec horreur.

JOSABETH
707
Peut-on de nos malheurs leur dérober l'histoire?
708
Tout l'univers les sait; vous-même en faites gloire.

ATHALIE
709
Oui, ma juste fureur, et j'en fais vanité,
710
A vengé mes parents sur ma postérité.
711
J'aurais vu massacrer et mon père et mon frère,
712
Du haut de son palais précipiter ma mère ,
713
Et clans un même jour égorger à la fois
714
(Quel spectacle d'horreur!) quatre-vingts fils de rois:
715
Et pourquoi? pour venger je ne sais quels prophètes
716
Dont elle avait puni les fureurs indiscrètes:
717
Et moi, reine sans coeur, fille sans amitié,
718
Esclave d'une lâche et frivole pitié,
719
Je n'aurais pas du moins à cette aveugle rage
720
Rendu meurtre pour meurtre, outrage pour outrage,
721
Et de votre David traité tous les neveux
722
Comme on traitait d'Achab tes restes malheureux!
723
Où serais-je aujourd'hui si, domptant ma faiblesse,
724
Je n'eusse d'une mère étouffé la tendresse;
725
Si de mon propre sang ma main versant des flots
726
N'eût par ce coup hardi réprimé vos complots?
727
Enfin de votre Dieu l'implacable vengeance
728
Entre nos deux maisons rompit toute alliance:
729
David m'est en horreur; et les fils de ce roi,
730
Quoique nés de mon sang, sont étrangers pour moi.

JOSABETH
731
Tout vous a réussi. Que Dieu voie, et nous juge.

ATHALIE
732
Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge,
733
Que deviendra l'effet de ses prédictions?
734
Qu'il vous donne ce roi promis aux nations,
735
Cet enfant de David, votre espoir, votre attente...
736
Mais nous nous reverrons. Adieu. Je sors contente.
737
J'ai voulu voir; j'ai vu.

ABNER
(à Josàbeth)
Je vous l'avais promis:
738
Je vous rends le dépôt que vous m'avez commis.

SCÈNE VIII

JOAS, JOAD, JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH,ABNER, LÉVITES, LE CHOEUR.

JOSABETH
739
(à Joad)
Avez-vous entendu cette superbe reine,
740
Seigneur?

JOAD
J'entendais tout, et plaignais votre peine.
741
Ces lévites et moi, prêts à vous secourir,
742
Nous étions avec vous résolus de périr.
743
(A Joas, en l'embrassant. )
Que Dieu veille sur vous, enfant dont le courage
744
Vient de rendre à son nom ce noble témoignage!
745
Je reconnais, Abner, ce service important:
746
Souvenez-vous de l'heure où Joad vous attend.
747
Et nous, dont celte femme impie et meurtrière
748
A souillé les regards et troublé la prière,
749
Rentrons; et qu'un sang pur, par mes mains épanché,
750
Lave jusques au marbre où ses pas ont touché.

SCÈNE IX.

LE CHOEUR

UNE DES FILLES DU CHOEUR
751
Quel astre à nos yeux vient de luire?
752
Quel sera quelque jour cet enfant merveilleux?
753
Il brave le fasle orgueilleux,
754
Et ne se laisse point séduire
755
A tous ses attraits périlleux.

UNE AUTRE
756
Pendant que du dieu d'Athalie
757
Chacun court encenser l'autel,
758
Un enfant courageux publie
759
Que Dieu lui seul est éternel ,
760
El parle comme un autre Elie
761
Devant cette autre Jézabel.

UNE AUTRE
762
Qui nous révélera la naissance secrète,
763
Cher enfant? Es-tu fils de quelque saint prophète?

UNE AUTRE
764
Ainsi l'on vit l'aimable Samuel
765
Croître à l'ombre du tabernacle:
766
il devint des Hébreux l'espérance et l'oracle.
767
Puisses-tu, comme lui, consoler Israël!

UNE AUTRE
768
O bienheureux mille fois
769
L'enfant que le Seigneur aime,
770
Qui de bonne heure entend sa voix ,
771
Et que ce Dieu daigne instruire lui-même!
772
Loin du monde élevé, de tous tes dons des cieux
773
Il est orné dès son enfance;
774
Et du méchant l'abord contagieux
775
N'altère point son innocence.

LE CHOEUR
776
TOUT LE CHOEUR.
Heureuse, heureuse l'enfance
777
Que le Seigneur instruit et prend sous sa défense!

UNE DES FILLES DU CHOEUR
778
(la même voix, seule)
Tel en un secret vallon,
779
Sur le bord d'une onde pure,
780
Croît, à l'abri de l'aquilon,
781
Un jeune lis, l'amour de la nature.
782
Loin du inonde élevé, dé tous tes dons des cieux
783
Il est orné dès sa naissance;
784
Et du méchant l'abord contagieux
785
N'altère point son innocence.

LE CHOEUR
786
(Tout le choeur)
Heureux, heureux mille fois
787
L'enfant que le Seigneur rend docile à ses lois!

UNE AUTRE
788
(seule)
Mon Dieu, qu'une vertu naissante
789
Parmi tant de périls marche à pas incertains!
790
Qu'une âme qui te cherche et veut être innocente
791
Trouve d'obstacle à ses desseins!
792
Que d'ennemis lui font la guerre!
793
Où se peuvent, cacher tes saints?
794
Les pécheurs couvrent la terre.

UNE AUTRE
795
O palais de David, et sa chère cité,
796
Mont fameux, que Dieu même a longtemps habité,
797
Comment as-tu du ciel attiré la colère?
798
Sion, chère Sion, que dis-tu quand tu Vois
799
Une impie étrangère
800
Assise, hélas! au trône 'de tés rois?

LE CHOEUR
801
(Tout le choeur)
Sion, chère Sion, que dis-tu quand tu vois
802
Une impie étrangère
803
Assise, hélas! au trône de les rois?

UNE AUTRE
804
(la même voix continue)
Au lieu des cantiques charmants
805
Où David t'exprimait ses saints ravissements,
806
Et bénissait son Dieu, son seigneur et son père;
807
Sion, chère Sion, que dis-tu, quand tu vois
808
Louer le dieu de l'Impie étrangère,
809
Et blasphémer le nom qu'ont adoré tes rois?

UNE VOIX
810
(seule.)
Combien de temps, Seigneur, combien de temps encore
811
Verrons-nous contre toi les méchants s'élever ' ?
812
Jusque dans ton saint temple ils viennent te braver :
813
Ils traitent d'insensé le peuple qui t'adore.
814
Combien de temps, Seigneur, combien de temps encore
815
Verrons-nous contre toi les méchants s'élever?

UNE AUTRE
816
Que vous sert, disent-ils, cette vertu sauvage?
817
De tant de plaisirs si doux
818
Pourquoi fuyez-vous l'usage ?
819
Votre Dieu ne fait rien pour vous.

UNE AUTRE
820
Rions, chantons, dit cette troupe impie;
821
De fleurs en fleurs, de plaisirs en plaisirs,
822
Promenons nos désirs.
823
Sur l'avenir insensé qui se fie.
824
De nos ans passagers le nombre est incertain:
825
Hâtons-nous aujourd'hui de jouir de la vie;
826
Qui sait si nous serons demain?

LE CHOEUR
827
Qu'ils pleurent, ô mon Dieu! qu'ils frémissent de crainte,
828
Ces malheureux, qui de ta cité sainte
829
Ne verront point l'éternelle splendeur.
830
C'est à nous de chanter, nous à qui tu révèles
831
Tes clartés immortelles;
832
C'est à nous de chanter tes dons et ta grandeur.

UNE VOIX
833
(seule)
De tous ces vains plaisirs où leur âme se plonge,
834
Que leur restera-t-il ? Ce qui reste d'un songe
835
Dont on a reconnu l'erreur.
836
A leur réveil (ô réveil plein d'horreur!)
837
Pendant que le pauvre à ta table
838
Goûtera de ta paix la douceur ineffable ,
839
Ils boiront dans la coupe affreuse, inépuisable,
840
Que tu présenteras au jour de ta fureur
841
A toute la race coupable.

TOUT LE CHOEUR
842
O réveil plein d'horreur!
843
O songe peu durable!
844
O dangereuse erreur!


ACTE TROISIÈME

SCÈNE I.

MATHAN, NABAL, LE CHOEUR.

MATHAN
845
Jeunes filles, allez: qu'on dise à Josàbeth
846
Que Mathan veut ici lui parler en secret.

UNE DES FILLES DU CHOEUR
847
Mathan! O Dieu du ciel, puisses-lu le confondre!

NABAL
848
Hé quoi! tout se disperse, et fuit sans vous répondre!

MATHAN
849
Approchons.

SCÈNE II.

ZACHARIE, MATHAN, NABAL.

ZACHARIE
Téméraire, où voulez-vous passer?
850
Au delà de ce lieu gardez-vous d'avancer:
851
C'est des ministres saints la demeure sacrée;
852
Les lois à tout profane en défendent l'entrée.
853
Qui cherchez-vous? Mon père, en ce jour solennel,
854
De l'idolâtre impur fuit l'aspect criminel;
855
Et devant le Seigneur maintenant prosternée
856
Ma mère en ce devoir craint d'être détournée.

MATHAN
857
Mon fils, nous attendrons; cessez de vous troubler.
858
C'est votre illustre mère à qui je veux parler:
859
Je viens ici chargé d'un ordre de la reine.

SCÈNE III.

MATHAN, NABAL.

NABAL
860
Leurs enfants ont déjà leur audace hautaine.
861
Mais que veut Athalie en cette occasion?
862
D'où naît dans ses conseils cette confusion?
863
Par l'insolent Joad ce matin offensée,
864
Et d'un enfant fatal en songe menacée,
865
Elle allait immoler Joad à son courroux,
866
Et dans ce temple enfin placer Baal et vous.
867
Vous m'en aviez déjà confié votre joie;
868
Et j'espérois ma part d'une si riche proie.
869
Qui fait changer ainsi ses voeux irrésolus?

MATHAN
870
Ami, depuis deux jours je ne la connais plus.
871
Ce n'est plus cette reine éclairée, intrépide,
872
Elevée au-dessus de son sexe timide,
873
Qui d'abord accablait ses ennemis surpris,
874
El d'un instant perdu connaissait tout le prix :
875
La peur d'un vain remords trouble cette grande âme;
876
Elle flotte, elle hésite; en un mot, elle est femme.
877
J'avais tantôt rempli d'amertume et de fiel
878
Son coeur déjà saisi des menaces du ciel;
879
Elle-même, à mes soins confiant sa vengeance,
880
M'avoit dit d'assembler s a garde en diligence;
881
Mais, soit que cet enfant devant elle amené,
882
De ses parents, dit-on, rebut infortuné,
883
Eût d'un songe effrayant diminué l'alarme,
884
Soit qu'elle eût même en lui vu je ne sais quel charme,
885
J'ai trouvé son courroux chancelant, incertain,
886
Et déjà remettant sa vengeance à demain.
887
Tousses projets semblaient l'un l'autre se détruire.
888
«Du sort de cet enfant je me suis fait instruire,
889
«Ai-je dit: on commence à vanter ses aïeux;
890
«Joad de temps en temps le montre aux factieux,
891
«Le fait attendre aux Juifs comme un autre Moïse,
892
«Et d'oracles menteurs s'appuie et s'autorise.»
893
Ces mots ont fait monter la rougeur sur son front.
894
Jamais mensonge heureux n'eut un effet si prompt.
895
«Est-ce à moi de languir dans cette incertitude?
896
«Sortons, a-t-elle dit, sortons d'inquiétude.
897
«Vous-même à Josàbeth prononcez cet arrêt:
898
«Les feux vont s'allumer, et le fer est tout prêt:
899
« Rien ne peut de leur temple empêcher le ravage,
900
«Si je n'ai de leur foi cet enfant pour otage.»

NABAL
901
Hé bien! pour un enfant qu'ils ne connaissent pas,
902
Que le hasard peut-être a jeté dans leurs bras,
903
Voudront-ils que leur temple enseveli sous l'herbe...

MATHAN
904
Ah! de tous les mortels connais le plus superbe.
905
Plutôt que dans mes mains par Joad soit livré
906
Un enfant qu'à son Dieu Joad a consacré,
907
Tu lui verras subir la mort la plus terrible.
908
D'ailleurs pour cet enfant leur attache est visible
909
Si j'ai bien de la reine entendu le récit,
910
Joad sur sa naissance en sait plus qu'il ne dit.
911
Quel qu'il soit, je prévois qu'il leur sera funeste;
912
Ils le refuseront: je prends sur moi le reste;
913
Et j'espère qu'enfin de ce temple odieux
914
Et la flamme et le fer vont délivrer mes yeux.

NABAL
915
Qui peut vous inspirer une haine si forte?
916
Est-ce que de Baal le zèle vous transporte?
917
Pour moi, vous le savez, descendu d'Ismaël,
918
Je ne sers ni Baal, ni te dieu d'Israël.

MATHAN
919
Ami, peux-tu penser que d'un zèle frivole
920
Je me laisse aveugler pour une vaine idole,
921
Pour un fragile bois, que, malgré mon secours,
922
Les vers sur son autel consument tous les jours?
923
Né ministre du Dieu qu'en ce temple on adore,
924
Peut-être que Mathan le servirait encore,
925
Si l'amour des grandeurs, la soif de commander,
926
Avec son joug étroit pouvaient s'accommoder.
927
Qu'est-il besoin, Nabal, qu'à tes yeux je rappelle
928
De Joad et de moi là fameuse querelle,
929
Quand j'osai contre lui disputer l'encensoir,
930
Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir?
931
Vaincu par lui, j'entrai dans une autre carrière,
932
Et mon âme à la cour s'attacha tout entière.
933
J'approchai par degrés de l'oreille des rois,
934
Et bientôt en oracle on érigea ma voix.
935
J'étudiai leur coeur, je flattai leurs caprices;
936
Je leur semai de fleurs le bord des précipices;
937
Près de leurs passions rien ne me fut sacré;
938
De mesure et de poids je changeais à leur gré.
939
Autant que de Joad l'inflexible rudesse
940
De leur superbe oreille offensait la mollesse,
941
Autant je les charmais par ma dextérité:
942
Dérobant à leurs yeux la triste vérité,
943
Prêtant à leurs fureurs des couleurs favorables,
944
Et prodigue surtout du sang des misérables.
945
Enfin, au dieu nouveau qu'elle avait introduit,
946
Par les mains d'Athalie un temple fut construit.
947
Jérusalem pleura de se voir profanée;
948
Des enfants de Lévi la troupe consternée
949
En poussa vers le ciel des hurlements affreux.
950
Moi seul, donnant l'exemple aux timides Hébreux,
951
Déserteur de leur loi, j'approuvai l'entreprise,
952
Et par là de Baal méritai la prêtrise;
953
Par là je me rendis terrible à mon rival,
954
Je ceignis la tiare, et marchai son égal.
955
Toutefois, je l'avoue, en ce comble de gloire,
956
Du Dieu que j'ai quitté l'importune-mémoire
957
Jette encore en mon âme un reste de terreur:
958
Et c'est ce qui redouble et nourrit ma fureur.
959
Heureux si, sur son temple achevant ma vengeance,
960
Je puis convaincre enfin sa haine d'impuissance,
961
Et parmi le débris, le ravage et les morts.
962
A force d'attentats perdre tous mes remords!
963
Mais voici Josabeth.

SCÈNE IV.

JOSÀBETH, MATHAN, NABAL.

MATHAN
Envoyé par la reine,
964
Pour rétablir 1e calme et dissiper la haine,
965
Princesse, en qui le ciel mit un esprit si doux,
966
Ne vous étonnez pas si je m’adresse à vous.
967
Un bruit, que j'ai pourtant soupçonné de mensonge,
968
Appuyant les avis qu'elle a reçus en songé,
969
Sur Joad, accusé de dangereux complots,
970
Allait de sa colère attirer tous les flots.
971
Je ne yeux point ici vous, vanter mes services:
972
De Joad contre moi je sais les injustices,
973
Mais il faut à l'offense opposer les bienfaits.
974
Enfin, je viens chargé de paroles de paix.
975
Vivez, solennisez vos fêtes sans ombrage.
976
De votre obéissance elle né veut qu'un gage:
977
C'est, pour l'en détourner j'ai fait ce que j'ai pu,
978
Cet enfant sans parents, qu'elle dit qu'elle a vu.

JOSABETH
979
Eliacin?

MATHAN
J'en ai pour elle quelque honte:
980
D'un vain songe peut-être elle fait trop de compte.
981
Mais vous vous déclarez ses mortels ennemis,
982
Si cet enfant sur l'heure en mes mains n'est remis.
983
La reine impatiente attend votre réponse.

JOSABETH
984
Et voilà de sa part la paix qu'on nous annonce!

MATHAN
985
Pourriez-vous un moment douter de l'accepter?
986
D'un peu de complaisance est-ce trop l'acheter?

JOSABETH
987
J'admirais si Mathan, dépouillant l'artifice,
988
Avait pu de son coeur surmonter l'injustice,
989
Et si de tant de maux le funeste inventeur
990
De quelque ombre de bien pouvait être l'auteur.

MATHAN
991
De quoi vous plaignez-vou ? Vient-on avec furie
992
Arracher de vos bras votre fils Zacharie?
993
Quel est cet autre enfant si cher à votre amour?
994
Ce grand attachement me surprend à mon tour.
995
Est-ce un trésor pour vous si précieux, si rare?
996
Est-ce un libérateur que te ciel vous prépare?
997
Songez-y: vos refus pourraient me confirmer
998
Un bruit sourd que déjà l'on commence à semer.

JOSABETH
999
Quel bruit?

MATHAN
Que cet enfant vient d'illustre origine;
1000
Qu'à quelque grand projet votre époux le destine.

JOSABETH
1001
Et Mathan, par ce bruit qui flatte sa fureur...

MATHAN
1002
Princesse, c'est à vous à me tirer d'erreur.
1003
Je sais que, du mensonge implacable ennemie,
1004
Josabeth livrerait même sa propre vie,
1005
S'il fallait que sa vie à sa sincérité
1006
Coûtât le moindre mot contre la vérité.
1007
Du sort de cet enfant on n'a donc nulle trace?
1008
Une profonde nuit enveloppe sa race?
1009
Et vous-même ignorez de quels parents issu,
1010
De quelles mains Joad en ses bras l'a reçu?
1011
Parlez; je vous écoute, et suis prêt à vous croire:
1012
Au Dieu que vous servez, princesse, rendez gloire.

JOSABETH
1013
Méchant, c'est bien à vous d'oser ainsi nommer
1014
Un Dieu que votre bouche enseigne à blasphémer!
1015
Sa vérité par vous peut-elle être attestée,
1016
Vous, malheureux, assis dans la chaire empestée
1017
Où le mensonge règne et répand son poison
1018
Vous, nourri dans la fourbe et dans la trahison?

SCÈNE V.

JOAD, JOSABETH, MATHAN, NABAL.

JOAD
1019
Où suis-je? De Baal ne vois-je pas le prêtre?
1020
Quoi? fille de David, vous parlez à ce traître!
1021
Vous souffrez qu'il vous parle! Et vous ne craignez pas
1022
Que du fond de l'abîme entr'ouvert sous ses pas
1023
Il ne sorte à l'instant des feux qui vous embrasent,
1024
Ou qu'en tombant sur lui ces murs ne vous écrasent?
1025
Que veut-il? De quel front cet ennemi de Dieu
1026
Vient-il infecter l'air qu'on respire en ce lieu?

MATHAN
1027
On reconnaît Joad à celte violence.
1028
Toutefois il devrait montrer plus de prudence,
1029
Respecter une reine, et ne pas outrager
1030
Celui que de son ordre elle a daigné charger.

JOAD
1031
Hé bien! que nous fait-elle annoncer de sinistre?
1032
Quel sera l'ordre affreux qu'apporte un tel ministre?

MATHAN
1033
J'ai fait à Josabeth savoir sa volonté.

JOAD
1034
Sors donc de devant moi, monstre d'impiété.
1035
De toutes tes horreurs, va, comble la mesure.
1036
Dieu s'apprête à te joindre à la race parjure,
1037
Abiron et Dathan, Doëg, Achitophel:
1038
Les chiens, à qui son bras a livré Jézabel,
1039
Attendant que sur toi sa fureur se déploie,
1040
Déjà sont à la porte , et demandent leur proie.

MATHAN
1041
( Il se double.)
Avant la fin du jour... on verra qui de nous...
1042
Doit... Mais sortons, Nabal.

NABAL
Où vous égarez-vous?
1043
De vos sens étonnés quel désordre s'empare?
1044
Voilà votre chemin.

SCÈNE VI.

JOAD, JOSABETH.

JOSABETH
L'orage se déclare:
1045
Athalie en fureur demande Eliacin.
1046
Déjà de sa naissance et de votre dessein
1047
On commence, seigneur, à percer le mystère:
1048
Peu s'en faut que Mathan ne m'ait nommé son père.

JOAD
1049
Au perfide Mathan qui l'aurait révélé?
1050
Votre trouble à Mathan n'a-l-il point trop parlé?

JOSABETH
1051
J'ai fait ce que j'ai pu pour m'en rendre maîtresse.
1052
Cependant, croyez-moi, seigneur, le péril presse.
1053
Réservons cet enfant pour un temps plus heureux.
1054
Tandis que les méchants délibèrent entreeux ,
1055
Avant qu'on l'environne, avant qu'on nous l'arrache,
1056
Une seconde fois souffrez que je te cache:
1057
Les portes, tes chemins lui sont encore ouverts.
1058
Faut-il le transporter aux plus affreux déserts?
1059
Je suis prête: je sais une secrète issue
1060
Par où, sans qu'on le voie, et sans être aperçue,
1061
De Cédron avec lui traversant te torrent,
1062
J'irai dans le désert où jadis en pleurant,
1063
Et cherchant comme nous son salut dans la fuite,
1064
David d'un fils rebelle évita la poursuite.
1065
Je craindrai moins pour lui tes lions et les ours...
1066
Mais pourquoi de Jéhu refuser te secours?
1067
Je vous ouvre peut-être un avis salutaire.
1068
Faisons de ce trésor Jéhu dépositaire:
1069
On peut dans ses états le conduire aujourd'hui,
1070
Et te chemin est court qui mène jusqu'à lui.
1071
Jéhu n'a point un coeur farouche, inexorable;
1072
De David à ses yeux le nom est favorable.
1073
Hélas! est-il un roi si dur et si cruel,
1074
A moins qu'il n'eût pour mère une autre Jézabel,
1075
Qui d'un tel suppliant ne plaignît l'infortune?
1076
Sa cause à tous les rois n'est-elle pas commune?

JOAD
1077
Quels timides conseils m'osez-vous suggérer?
1078
En l'appui de Jéhu pourriez-vous espérer?

JOSABETH
1079
Dieu défend-il tout soin et toute prévoyance?
1080
Ne l'offense-l-on point par trop de confiance?
1081
A ses desseins sacrés employant les humains,
1082
N'a-t-il pas de Jéhu lui-même armé les mains?

JOAD
1083
Jéhu, qu'avait choisi sa sagesse profonde,
1084
Jéhu, sur qui je vois que votre espoir se fonde,
1085
D'un oubli trop ingrat a payé ses bienfaits:
1086
Jéhu laisse d'Achab l'affreuse fille en paix,
1087
Suit des rois d'Israël les profanes exemples,
1088
Du vil dieu de l'Egypte a conservé les temples;
1089
Jéhu, sur les hauts lieux enfin osant offrir
1090
Un téméraire encens que Dieu ne peut souffrir,
1091
N'a pour servir sa cause et venger ses injures
1092
Ni le coeur assez droit, ni les mains assez pures.
1093
Non, non: c'est à Dieu seul qu'il nous faut attacher.
1094
Montrons Eliacin; et, loin de le cacher,
1095
Que du bandeau royal sa tête soit ornée:
1096
Je veux même avancer l'heure déterminée,
1097
Avant que de Mathan le complot soit formé.

SCÈNE VII.

JOAD, JOSABETH, AZARIAS, SUIVI DU CHOEUR ET DE PLUSIEURS LÉVITES.

JOAD
1098
Hé bien, Azarias, le temple est-il fermé?

AZARIAS
1099
J'en ai fait devant moi fermer toutes les portes.

JOAD
1100
N'y reste-t-il que vous et vos saintes cohortes?

AZARIAS
1101
De ses parvis sacrés j'ai deux fois fait te tour.
1102
Tout a fui, tous se sont séparés sans retour,
1103
Misérable troupeau qu'a dispersé la crainte;
1104
Et Dieu n'est plus servi que dans là tribu sainte.
1105
Depuis qu'à Pharaon ce peuple est échappé,
1106
Une égale terreur ne l'avait point frappé.

JOAD
1107
Peuple lâche, en effet, et né pour l'esclavage,
1108
Hardi contre Dieu seul! Poursuivons notre ouvrage.
1109
Mais qui retient encor ces enfants parmi nous?

UNE DES FILLES DU CHOEUR
1110
Hé! pourrions-nous, seigneur, nous séparer de vous?
1111
Dans le temple de Dieu sommes-nous étrangères?
1112
Vous avez près de vous nos pères et nos frères.
1113
UNE AUTRE Hélas! si, pour venger l'opprobre d'Israël,
1114
Nos mains ne peuvent pas, comme autrefois Jahel,
1115
Des ennemis de Dieu percer la tête impie,
1116
Nous lui pouvons du moins immoler notre vie.
1117
Quand vos bras combattront pour son temple attaqué,
1118
Par nos larmes du moins il peut être invoqué.

JOAD
1119
Voilà donc quels vengeurs s'arment pour ta querelle,
1120
Des prêtres, des enfants, ô Sagesse éternelle!
1121
Mais, si tu les soutiens, qui peut les ébranler?
1122
Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous rappeler;
1123
Tu frappes et guéris, lu perds et ressuscites.
1124
Ils ne s'assurent point en leurs propres mérites,
1125
Mais en ton nom sur eux invoqué tant de fois,
1126
En tes serments jurés au plus saint de leurs rois,
1127
En ce temple où tu fais la demeure sacrée,
1128
Et qui doit du soleil égaler la durée.
1129
Mais d'où vient quem-on coeur frémit d'un saint effroi?
1130
Est-ce l'esprit divin qui s'empare de moi?
1131
C'est lui-même; il m'échauffe, il parle: mes yeux s'ouvrent,
1132
Et les siècles obscurs devant moi se découvrent.
1133
Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords,
1134
Et de ses mouvements secondez tes transports.

Le Choeur chante au son de toute la symphonie des instruments.

LE CHOEUR
1135
Que du Seigneur la voix se fasse entendre,
1136
Et qu'à nos coeurs son oracle divin
1137
Soit ce qu'à l'herbe tendre
1138
Est, au printemps, la fraîcheur du matin.

JOAD
1139
Cieux, écoutez ma voix; terre, prête l'oreille.
1140
Ne dis plus, ô Jacob, que ton Seigneur sommeille!
1141
Pécheurs, disparaissez; le Seigneur se réveille.
(Ici recommence la symphonie, et Joad aussitôt reprend la parole.)
1142
Comment en un plomb vil l'or pur" s'est-il changé?
1143
Quel est dans le lieu saint ce pontife égorgé?
1144
Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide!
1145
Des prophètes divins malheureuse homicide:
1146
De son amour pour toi ton Dieu s'est dépouillé;
1147
Ton encens à ses yeux est un encens souillé.
1148
Où menez-vous ces enfants et ces femmes?
1149
Le Seigneur a détruit la reine des cités:
1150
Ses prêtres sont captifs, ses rois sont rejetés;
1151
Dieu ne veut plus qu'on vienne à ses solennités:
1152
Temple /renverse-loi, cèdres , jetez dés flammes.
1153
Jérusalem, objet de ma douleur,
1154
Quelle main en un jour t'a ravi tous les charmes?
1155
Qui changera mes yeux en deux sources de larmes
1156
Pour pleurer ton malheur?

AZARIAS
1157
O saint temple!

JOSABETH
O David!

LE CHOEUR
Dieu de Sion, rappelle,
1158
Rappelle en sa faveur tes antiques bontés.

(La symphonie recommence encore; et Joad, un moment après, l'interrompt.)

JOAD
1159
Quelle Jérusalem nouvelle
1160
Sort du fond du désert, brillante de clartés,
1161
Et porte sur le front une marque immortelle?
1162
Peuples de la terre, chantez:
1163
Jérusalem renaît plus charmante et plus belle.
1164
D'où lui viennent de tous côtés
1165
Ces enfants 2 qu'en son sein elle n'a point portés?
1166
Lève, Jérusalem, lève ta tête altière;
1167
Regarde tous ces rois de ta gloire étonnés;
1168
Les rois des nations, devant toi prosternés,
1169
De tes pieds baisent la poussière;
1170
Les peuples à l'envi marchent à ta lumière.
1171
Heureux qui pour Sion d'une sainte ferveur
1172
Sentira son âme embrasée!
1173
Cieux, répandez votre rosée,
1174
Et que la terre enfante son Sauveur.

JOSABETH
1175
Hélas! d'où nous viendra cette insigne faveur,
1176
Si les rois de qui doit descendre ce Sauveur...

JOAD
1177
Préparez, Josabeth, le riche diadème
1178
Que sur son front sacré David porta lui-même.
( Aux lévites.)
1179
Et vous, pour vous armer, suivez-moi dans ces lieux
1180
Où se garde caché, loin des profanes yeux,
1181
Ce formidable amas de lances et d'épées
1182
Qui du sang philistin jadis furent trempées,
1183
Et que David vainqueur, d'ans et d'honneurs chargé,
1184
Fit consacrer au Dieu qui l'avait protégé.
1185
Peut-on les employer pour un plus noble usage?
1186
Venez, je veux moi-même en faire le partage.

SCÈNE VIII.

SALOMITH, LE CHOEUR.

SALOMITH
1187
Que de crainte, mes soeurs, que de troubles mortels!
1188
Dieu tout-puissant, sont-ce là les prémices,
1189
Les parfums et les sacrifices
1190
Qu'on devait en ce jour offrir sur tes autels?

UNE DES FILLES DU CHOEUR
1191
Quel spectacle à nos yeux timides!
1192
Qui l'eût cru qu'on dût voir jamais
1193
Les glaives meurtriers, les lances homicides
1194
Briller dans la maison de paix?

UNE AUTRE
1195
D'où vient que, pour son Dieu pleine d'indifférence,
1196
Jérusalem se tait en ce pressant danger?
1197
D'où vient, mes soeurs, que, pour nous protéger,
1198
Le brave Abner au moins ne rompt pas le silence?

SALOMITH
1199
Hélas! dans une cour où l'on n'a d'autres lois
1200
Que la force et la violence,
1201
Où les honneurs et les emplois
1202
Sont le prix d'une aveugle et basse obéissance,
1203
Ma soeur, pour la triste innocence
1204
Qui voudrait élever sa voix?

UNE AUTRE
1205
Dans ce péril, dans ce désordre extrême,
1206
Pour qui prépare-t-on le sacré diadème?

SALOMITH
1207
Le Seigneur a daigné parler;
1208
Mais ce qu'à son prophète il vient de révéler,
1209
Qui pourra nous le faire entendre?
1210
S'arme-t-il pour nous défendre?
1211
S'arme-t-il pour nous accabler?

TOUT LE CHOEUR
1212
(chante.)
O promesse! ô menace! ô ténébreux mystère!
1213
Que de maux, que de biens sont prédits toùr à tour!
1214
Comment peut-on avec tant de colère
1215
Accorder tant d'amour?

UNE VOIX
1216
(seule.)
Sion ne sera plus: une flamme cruelle
1217
Détruira tous ses ornements.

UNE AUTRE VOIX
1218
Dieu protège Sion: elle a pour fondements
1219
Sa parole éternelle.

LA PREMIÈRE
1220
Je vois tout son éclat disparaître à mes yeux.

LA SECONDE
1221
Je vois de toutes parts sa clarté répandue.

LA PREMIÈRE
1222
Dans un gouffre profond Sion est descendue.

LA SECONDE
1223
Sion a son front dans les cieux. .

LA PREMIÈRE
1224
Quel triste abaissement!

LA SECONDE
Quelle immortelle gloire!

LA PREMIÈRE
1225
Que de cris de douleur!

LA SECONDE
Que de chants de victoire!

UNE TROISIÈME
1226
Cessons de nous troubler: nôtre Dieu, quelque jour,
1227
Dévoilera ce grand mystère.

TOUTES TROIS
1228
Révérons sa colère;
1229
Espérons en son amour.

UNE AUTRE
1230
D'un coeur qui t'aime,
1231
Mon Dieu, qui peut troubler la paix?
1232
I1 cherche en tout ta volonté suprême,
1233
Et ne se cherche jamais.
1234
Sur la terre, dans le ciel même,
1235
Est-il d'autre bonheur que la tranquille paix
1236
D'un coeur qui t'aime?


ACTE QUATRIÈME

SCÈNE I

JOAS, JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH, UN LÉVITE, LE CHOEUR.

SALOMITH
1237
D'un pas majestueux, à côté de ma mère,
1238
Le jeune Eliacin s'avance avec mon frère.
1239
Dans ces voiles, mes soeurs, que portent-ils tous deux?
1240
Quel est ce glaive enfin qui marche devant eux?

JOSABETH
1241
(à Zacharie.)
Mon fils, avec respect posez sur cette table
1242
De notre sainte loi le livre redoutable.
1243
Et vous aussi, posez, aimable Eliacin,
1244
Cet auguste bandeau près du livre divin.
1245
Lévite, il faut placer, Joad ainsi l'ordonne,
1246
Le glaive de David auprès de sa couronne.

JOAS
1247
Princesse, quel est donc ce spectacle nouveau?
1248
Pourquoi ce livre saint, ce glaive, ce bandeau?
1249
Depuis que le Seigneur m'a reçu dans son temple,
1250
D'un semblable appareil je n'ai point vu d'exemple.

JOSABETH
1251
Tous vos doutes, mon fils, bientôt s'éclairciront.

JOAS
1252
Vous voulez essayer ce bandeau sur mon front?
1253
Ah! princesse, gardez d'en profaner la gloire:
1254
Du roi qui l'a porté respectez la mémoire.
1255
Un malheureux enfant aux ours abandonné...

JOSÀBETH
1256
(lui essayant le diadème.)
Laissez, mon fils: je fais ce qui m'est ordonné.

JOAS
1257
Mais j'entends tes sanglots sortir de votre bouche!
1258
Princesse, vous pleurez! Quelle pitié vous touche?
1259
Est-ce qu'en holocauste aujourd'hui présenté,
1260
Je dois, comme autrefois la fille de Jephté,
1261
Du Seigneur par ma mort apaiser la colère?
1262
Hélas! un fils n'a rien qui ne soit à son père.

JOSABETH
1263
Voici qui vous dira les volontés des cieux.
1264
Ne craignez rien. Et nous, sortons tous de ces lieux.

SCÈNE II

JOAS,JOAD.

JOAS
1265
(courant dans les bras du grand prêtre.)
Mon père!

JOAD
Hé bien, mon fils?

JOAS
Qu'est-ce donc qu'on prépare?

JOAD
1266
Il est juste , mon fils , que je vous le déclare.
1267
Il faut que vous soyez instruit, même avant tous,
1268
Des grands desseins de Dieu sur son peuple et sur vous.
1269
Armez-vous d'un courage et d'une foi nouvelle:
1270
II est temps de montrer cette ardeur et ce zèle
1271
Qu'au fond de votre coeur mes soins ont cultivés,
1272
Et de payer à Dieu ce que vous lui devez.
1273
Sentez-vous celte noble et généreuse envie?

JOAS
1274
Je me sens prêt, s'il veut, de lui donner ma vie.

JOAD
1275
On vous a lu souvent l'histoire de nos rois:
1276
Vous souvient-il, mon fils, quelles étroites lois
1277
Doit s'imposer un roi digne du diadème?

JOAS
1278
Un roi sage, ainsi Dieu l'a prononcé lui-même,
1279
Sur la richesse et l'or ne met point son appui,
1280
Craint le Seigneur son Dieu, sans cesse a devant lui
1281
Ses préceptes, ses lois, ses jugements sévères,
1282
Et d'injustes fardeaux n'accable point ses frères.

JOAD
1283
Mais sur l'un de ces rois s'iL fallait vous régler,
1284
A qui choisiriez-vous, mon fils, de ressembler?

JOAS
1285
David, pour le Seigneur plein d'un amour fidèle,
1286
Me paraît des grands rois le plus parfait modèle.

JOAD
1287
Ainsi dans leurs excès vous n'imiteriez pas
1288
L'infidèle Joram, l'impie Ochozias?

JOAS
1289
O mon père!

JOAD
Achevez, dites: que vous en semble?

JOAS
1290
Puisse périr comme eux quiconque leur ressemble!
1291
( Joad se prosterne à ses pieds.)
Mon père, en quel état vous vois-je devant moi!

JOAD
1292
Je vous rends te respect que je dois à mon roi.
1293
De votre aïeul David, Joas, rendez-vous digne.

JOAS
1294
Joas! Moi?

JOAD
(se relevant.)
Vous saurez par quelle grâce insigne,
1295
D'une mère en fureur Dieu trompant le dessein,
1296
Quand déjà son poignard était dans voire sein,
1297
Vous choisit, vous sauva du milieu du carnage.
1298
Vous n'êtes pas encore échappé de sa rage:
1299
Avec la même ardeur qu'elle voulut jadis
1300
Perdre en vous lé dernier des enfants de son fils,
1301
A vous faire périr sa cruauté s'attache,
1302
Et vous poursuit encor sous te nom qui vous cache.
1303
Mais sous vos étendards j'ai déjà su ranger
1304
Un peuple obéissant et prompt à vous venger.
1305
Entrez, généreux chefs des familles sacrées,
1306
Du ministère saint tour à tour honorées.

SCÈNE III

JOAS, JOAD, AZARIAS, ISMAEL, ET LES TROIS AUTRES CHEFS DES LÉVITES.

JOAD
1307
(continue.)
Roi, voilà vos vengeurs contre vos ennemis.
1308
Prêtres, voilà le roi que je vous ai promis.

AZARIAS
1309
Quoi! c'est Eliacin?

ISMAEL
Quoi! cet enfant aimable...

JOAD
1310
Est dès rois dé Juda l'héritier véritable,
1311
Dernier né des enfants du triste Ochozias,
1312
Nourri, vous le savez, sous le nom de Joas.
1313
De cette fleur si tendre et sitôt moissonnée,
1314
Tout Juda, comme vous, plaignant la destinée,
1315
Avec ses frères morts le crut enveloppé.
1316
Du perfide couteau comme eux il fut frappé;
1317
Mais Dieu du coup mortel sut détourner l'atteinte,
1318
Conserva dans son coeur la chaleur presque éteinte,
1319
Permit que, des bourreaux trompant l'oeil vigilant,
1320
Josabeth dans son sein l'emportât tout sanglant,
1321
Et, n'ayant de son vol que moi seul pour complice,
1322
Dans le temple cachât l'enfant et la nourrice.

JOAS
1323
Hélas! de tant d'amour et de tant de bienfaits,
1324
Mon père, quel moyen de m'acquitter jamais?

JOAD
1325
Gardez pour d'autres temps cette reconnaissance.
1326
Voilà donc votre roi, votre unique espérance.
1327
J'ai pris soin jusqu'ici de vous le conserver:
1328
Ministres du Seigneur, c'est à vous d'achever.
1329
Bientôt de Jézabel la fille meurtrière,
1330
Instruite que Joâs voit encor la lumière,
1331
Dans l'horreur du tombeau viendra le replonger:
1332
Déjà, sans te connaître, elle veut l'égorger.
1333
Prêtres saints, c'est à vous de prévenir sa rage;
1334
Il faut finir des Juifs le honteux esclavage,
1335
Venger vos princes morts, relever votre loi,
1336
Et faire aux deux tribus reconnaître leur roi.
1337
L'entreprise, sans doute, est grande et périlleuse:
1338
J'attaque sur son trône une reine orgueilleuse,
1339
Qui voit sous ses drapeaux marcher un camp nombreux
1340
De hardis étrangers, d'infidèles Hébreux;
1341
Mais ma force est au Dieu dont l'intérêt me guide.
1342
Songez qu'en cet enfant tout Israël résidé.
1343
Déjà ce Dieu vengeur commence à la troubler;
1344
Déjà, trompant ses soins, j'ai su vous rassembler.
1345
Elle nous croit ici sans armés, sans défense.
1346
Couronnons, proclamons Joas en diligence:
1347
De là, du nouveau prince intrépides soldats,
1348
Marchons, en invoquant l'arbitre des combats;
1349
Et réveillant la foi dans les coeurs endormie,
1350
Jusque dans son palais cherchons notre ennemie.
1351
Et quels coeurs si plongés dans un lâche sommeil,
1352
Nous voyant avancer dans ce saint appareil,
1353
Ne s'empresseront pas à suivre noire exemple?
1354
Un roi, que Dieu lui-même a nourri dans son temple,
1355
Le successeur d'Aaron de ses prêtres suivi,
1356
Conduisant au combat les enfants de Lévi,
1357
Et, dans ces mêmes mains des peuples révérées,
1358
Les armes au Seigneur par David consacrées!
1359
Dieu sur ses ennemis répandra sa terreur.
1360
Dans l'infidèle sang baignez-vous sans horreur;
1361
Frappez et Tyriens, et même Israélites.
1362
Ne descendez-vous pas de ces fameux lévites
1363
Qui, lorsqu'au dieu du Nil te volage Israël
1364
Rendit dans le désert un culte criminel,
1365
De leurs plus chers parents saintement homicides,
1366
Consacrèrent leurs mains dans le sang des perfides,
1367
Et parce noble exploit vous acquirent l'honneur
1368
D'être seuls employés aux autels du Seigneur?
1369
Mais je vois que déjà vous brûlez de me suivre.
1370
Jurez donc, avant tout, sur cet auguste livre,
1371
A ce roi que le ciel vous redonne aujourd'hui,
1372
De vivre, de combattre, et de mourir pour lui.

AZARIAS
1373
Oui, nous jurons ici pour nous, pour tous nos frères,
1374
De rétablir Joas au trône de ses pères,
1375
De ne poser le fer entre nos mains remis
1376
Qu'après l'avoir vengé dé tous ses ennemis.
1377
Si quelque transgresseur enfreint cette promesse,
1378
Qu'il éprouve, grand Dieu, ta fureur vengeresse;
1379
Qu'avec lui ses enfants, de ton partage exclus,
1380
Soient au rang de ces morts que tu ne connais plus!

JOAD
1381
Et vous, à celte loi, votre règle éternelle,
1382
Roi, ne jurez-vous pas d'être toujours fidèle?

JOAS
1383
Pourrais-je à celle loi ne me pas conformer?

JOAD
1384
O mon fils! de ce nom j'ose encor vous nommer,
1385
Souffrez cette tendresse, el pardonnez aux larmes
1386
Que m'arrachent pour vous de trop justes alarmes.
1387
Loin du trône nourri, de ce fatal honneur,
1388
Hélas! vous ignorez le charme empoisonneur;
1389
De l'absolu pouvoir vous ignorez l'ivresse,
1390
Et des lâches flatteurs la voix enchanteresse.
1391
Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois,
1392
Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois;
1393
Qu'un roi n'a d'autre frein que sa volonté même;
1394
Qu'il doit immoler tout à sa grandeur suprême;
1395
Qu'aux larmes, au travail, te peuple est condamné,
1396
Et d'un sceptre de fer veut être gouverné;
1397
Que , s'il n'est opprimé, tôt ou tard il opprime:
1398
Ainsi de piège en piège, et d'abîme en abîme,
1399
Corrompant de vos moeurs l'aimable pureté,
1400
Ils vous feront enfin haïr la vérité,
1401
Vous peindront la vertu sous une affreuse image.
1402
Hélas! ils ont des rois égaré le plus sage.
1403
Promettez sur ce livre, et devant ces témoins,
1404
Que Dieu fera toujours le premier de vos soins;
1405
Que, sévère aux méchants, et des bons lé refuge,
1406
Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge;
1407
Vous souvenant, mon fils, que, caché sous ce lin,
1408
Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin.

JOAS
1409
Je promets d'observer ce que la loi m'ordonne.
1410
Mon Dieu, punissez-moi si je vous abandonne!

JOAD
1411
Venez: de l'huile sainte il faut vous consacrer.
1412
Paraissez, Josabeth: vous pouvez vous montrer!

SCÈNE IV

JOAS, JOAD, JOSABETH , ZACHARIE, SALOMITH , AZARIAS, ISMAEL , LES TROIS AUTRES CHEFS DES LÉVITES, LE CHOEUR.

JOSABETH
1413
(embrassant Joas.)
O roi, fils de David!

JOAS
O mon unique mère!
1414
Venez, cher Zacharie, embrasser votre frère.

JOSABETH
1415
(à Zacharie.)
Aux pieds de votre roi prosternez-vous, mon fils.

(Zacharie se jette aux pieds de Joas.)

JOAD
1416
(Joad, pendant qu'il s'embrassent.)
Enfants, ainsi toujours puissiez-vous être unis!

JOSABETH
1417
(à Joas.)
Vous savez donc quel sang vous a donné la vie?

JOAS
1418
Et je sais quelle main sans vous me l'eût ravie.

JOSABETH
1419
De votre nom, Joas, je puis donc vous nommer?

JOAS
1420
Joas ne cessera jamais de vous aimer,

LE CHOEUR
1421
Quoi! c'est là...

JOSABETH
C'est Joas.

JOAD
Ecoulons ce lévite.

SCÈNE V

JOAS, JOAD, JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH,AZARIAS, ISMAEL , LES TROIS AUTRES CHEFS DES LÉVITES; UN LÉVITE, LE CHOEUR.

UN LÉVITE
1422
J'ignore contre Dieu quel projet on médite;
1423
Mais l'airain menaçant frémit de toutes parts;
1424
On voit luire des feux parmi des étendards,
1425
Et sans doute Athalie assemble son armée:
1426
Déjà même au secours toute voie est fermée;
1427
Déjà le sacré mont où le temple est bâti
1428
D'insolents Tyriens est partout investi;
1429
L'un d'eux, en blasphémant, vient de nous faire en tendre,
1430
Qu'Abner est dans les fers, et ne peut nous défendre.

JOSÀBETH
1431
(à Joas.)
Cher enfant, que le ciel en vain m'avait rendu,
1432
Hélas! pour vous sauver, j'ai fait ce que j'ai pu:
1433
Dieu ne se souvient plus de David votre père!

JOAD
1434
(à Josàbeth.)
Quoi! vous ne craignez pas d'attirer sa colère
1435
Sur vous et sur ce roi si cher à votre amour?
1436
Et quand Dieu, de vos bras l'arrachant sans retour,
1437
Voudrait que de David la maison fût éteinte;
1438
N'êtes-vous pas ici sur la montagne sainte
1439
Où le père des Juifs sur son fils innocent
1440
Leva sans murmurer un bras obéissant,
1441
Et mit sur un bûcher ce fruit de sa vieillesse,
1442
Laissant à Dieu te soin d'accomplir sa promesse,
1443
Et lui sacrifiant, avec ce fils aimé,
1444
Tout l'espoir de sa race, en lui seul renfermé?
1445
Amis, partageons-nous : qu'Ismaël en sa garde
1446
Prenne tout te côté que l'orient regarde;
1447
Vous, le côté de l'ourse; et vous, de l'occident;
1448
Vous, le midi. Qu'aucun, par un zèle imprudent,
1449
Découvrant mes desseins, soit prêtre, soit lévite,
1450
Ne sorte avant le temps, et ne se précipite;
1451
Et que chacun enfin , d'un même esprit poussé,
1452
Garde en mourant le poste où je l'aurai placé.
1453
L'ennemi nous regarde, en son aveugle rage,
1454
Comme de vils troupeaux réservés au carnage,
1455
Et croit ne rencontrer que désordre et qu'effroi.
1456
Qu'Azarias partout accompagne le roi.
1457
(à Joas.)
Venez, cher rejeton d'une vaillante race,
1458
Remplir vos défenseurs d'une nouvelle audace;
1459
Venez du diadème à leurs yeux vous couvrir,
1460
Et périssez du moins en roi, s'il faut périr.
1461
(A un lévite.)
Suivez-le, Josabeth. Vous, donnez-moi ces armes.
1462
(Au choeur.)
Enfants, offrez à Dieu vos innocentes larmes.
SCÈNE VI.
SALOMITH, LE CHOEUR.
Tout le choeur chante.
1463
Partez, enfants d'Aaron, partez:
1464
Jamais plus illustre querelle
1465
De vos aïeux n'arma le zèle.
1466
Partez, enfants d'Aaron, partez:
1467
C'est votre roi, c'est Dieu pour qui vous combattez.

UNE VOIX
1468
(seule.)
Où sont les traits que tu lancés,
1469
Grand Dieu, dans ton juste courroux?
1470
N'es-tu plus le Dieu jaloux?
1471
N'es-tu plus le Dieu des vengeances?

UNE AUTRE
1472
Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés?
1473
Dans l'horreur qui nous environne,
1474
N'entends-tu que la voix de nos iniquités?
1475
N'es-lu plus le Dieu qui pardonne?

LE CHOEUR
1476
(Tout)
Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés?

UNE VOIX
1477
(seule.)
C'est à toi que dans celle guerre
1478
Les flèches des méchants prétendent s'adresser.
1479
«Faisons, disent-ils cesser,
1480
«Les fêtes de Dieu sur la terre;
1481
«De son joug importun délivrons les mortels;
1482
«Massacrons tous ses saints; renversons ses autels;
1483
«Que de son nom, que de sa gloire
1484
«Il ne reste plus de mémoire;
1485
«Que ni lui ni son Christ ne règnent plus sur nous.»

LE CHOEUR
1486
(Tout le Choeur)
Où sont les traits que tu lances,
1487
Grand Dieu, dans ton juste courroux?
1488
N'es-tti plus le Dieu jaloux?
1489
N'es-tu plus le Dieu des vengeances?

UNE VOIX
1490
(seule.)
Triste reste de nos rois,
1491
Chère et dernière fleur d'une tige si belle,
1492
Hélas! sous le couteau d'une mère cruelle
1493
Te verrons-nous tomber une seconde fois?
1494
Prince aimable, dis-nous si quelque ange, au berceau,
1495
Contre tes assassins prit soin de te défendre;
1496
Ou si dans la nuit du tombeau
1497
La voix du Dieu vivant a ranimé la cendre?

UNE AUTRE
1498
D'un père et d'un aïeul contre toi révoltés,
1499
Grand Dieu , les attentats lui sonl-ils imputés?
1500
Est-ce que sans retour la pitié l'abandonne?

LE CHOEUR
1501
Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés?
1502
N'es-lu plus le Dieu qui pardonne?

UNE DES FILLES DU CHOEUR
1503
(sans chanter.)
Chères soeurs , n'entendez-vous pas
1504
Des cruels Tyriens la trompette qui sonne?

SALOMITH
1505
J'entends même les cris des barbares soldats,
1506
Et d'horreur j'en frissonne.
1507
Courons, fuyons; retirons-nous
1508
A l'ombre salutaire
1509
Du redoutable sanctuaire.


ACTE CINQUIÈME

SCÈNE I

ZACHARIE, SALOMITH, LE CHOEUR.

SALOMITH
1510
Cher Zacharie, eh bien! que nous apprenez-vous?

ZACHARIE
1511
Redoublez au Seigneur votre ardente prière:
1512
Peut-être nous touchons à notre heure dernière;
1513
Pour l'horrible combat, ma soeur, l'ordre est donné.

SALOMITH
1514
Que fait Joas?

ZACHARIE
Joas vient d'être couronné:
1515
Le grand prêtre a sur lui répandu l'huile sainte.
1516
O ciel! dans tous les yeux quelle joie était peinte
1517
A l'aspect de ce roi racheté du tombeau!
1518
Ma soeur, on voit encor la marque du couteau;
1519
On voit paraître aussi sa fidèle nourrice,
1520
Qui , cachée en un coin de ce vaste édifice,
1521
Gardait ce cher dépôt, et n'avait de ses soins
1522
Que les yeux de ma mère el que Dieu pour témoins.
1523
Nos lévites pleuraient de joie et de tendresse,
1524
Et mêlaient leurs sanglots à leurs cris d'allégresse.
1525
Lui, parmi ces transports, affable et sans orgueil,
1526
A l'un tendait la main, flattait l'autre de l'oeil,
1527
Jurait de se régler par leurs avis sincères,
1528
Et les appelait tous ses pères ou ses frères.

SALOMITH
1529
Ce secret au dehors est-il aussi semé?

ZACHARIE
1530
Ce secret dans le temple est encor renfermé.
1531
Des enfants de Lévi la troupe partagée
1532
Dans un profond silence aux portes s'est rangée.
1533
Tous doivent à la fois précipiter leurs pas,
1534
Et crier pour signal: Vive te roi Joas!
1535
Mais mon père défend que le roi Se hasarde,
1536
Et veut qu'Azarias demeure pour sa garde.
1537
Cependant Athalie un poignard à la main,
1538
Rit des faibles remparts de nos portes d'airain.
1539
Pour les rompre, elle attend tes fatales machines,
1540
Et ne respire enfin que sang et que ruines.
1541
Quelques prêtres, ma Soeur, ont d'abord proposé
1542
Qu'en un lieu souterrain, par nos pères creusé,
1543
On renfermât du moins notre arche précieuse.
1544
«O crainte, a dit mon père, indigne, injurieuse!
1545
«L'arche qui fit tomber tant de superbes tours,
1546
«Et força le Jourdain de rebrousser son cours,
1547
«Des dieux des nations tant de fois triomphante,
1548
«Fuirait donc à l'aspect d'une femme insolente!»
1549
Ma mère, auprès du roi, dans un trouble mortel,
1550
L'oeil tantôt sur ce prince et tantôt vers l'autel,
1551
Muette, et succombant sous le poids des alarmes,
1552
Aux yeux les plus cruels arracherait des larmes.
1553
Le roi de temps en temps la presse entre ses bras,
1554
La flatte... Chères soeurs, suivez toutes mes pas:
1555
Et, s'il faut aujourd'hui que notre roi périsse,
1556
Allons, qu'un même sort avec lui nous unisse.

SALOMITH
1557
Quelle insolente main frappe à coups redoublés?
1558
Qui fait courir ainsi ces lévites troublés?
1559
Quelle précaution leur fait cacher leurs armes ?
1560
Le temple est-il forcé?

ZACHARIE
Dissipez vos alarmes.
1561
Dieu nous envoie Abner.

SCÈNE II

JOAD, JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH, ABNER, ISMAEL, DEUX LÉVITES, LE CHOEUR.

JOAD
En croirai-je mes yeux,
1562
Cher Abner? Quel chemin a pu jusqu'en ces lieux
1563
Vous conduire au travers d'un camp qui nous assiège?
1564
On disait que d'Achab la fille sacrilège
1565
Avait, pour assurer ses projets inhumains,
1566
Chargé d'indignes fers vos généreuses mains.

ABNER
1567
Oui, seigneur, elle a craint mon zèle et mon courage;
1568
Mais c'est le moindre prix que me gardait sa rage.
1569
Dans l'horreur d'un cachot, par son ordre enfermé,
1570
J'attendais que, le temple en cendres consumé,
1571
De tant de flots de sang non encore assouvie,
1572
Elle vint m'affranchir d'une importune vie,
1573
Et retrancher des jours qu'aurait dû mille fois
1574
Terminer la douleur de survivre à mes rois.

ABNER
1575
Dieu dans ce coeur cruel sait seul ce qui se passe.
1576
Elle m'a fait venir; et d'un air égaré:
1577
«Tu vois de mes soldats tout ce temple entouré,
1578
«Dit-elle; un feu vengeur va le réduire en cendre,
1579
«Et ton Dieu contre moi ne le saurait défendre.
1580
«Ses prêtres toutefois , mais il faut se hâter,
1581
«A deux conditions peuvent se racheter;
1582
«Qu'avec Eliacin on mette en ma puissance
1583
«Un trésor dont je sais qu'ils ont la connaissance,
1584
«Par votre roi David autrefois amassé,
1585
«Sous le sceau du secret au grand prêtre laissé.
1586
«Va, dis-leur qu'à ce prix je leur permets de vivre.»

JOAD
1587
Quel conseil, cher Abner, croyez-vous qu'on doit suivre?

ABNER
1588
Et tout l'or de David , s'il est vrai qu'en effet
1589
Vous gardiez de David quelque trésor secret;
1590
Et tout ce que des mains de cette reine avare
1591
Vous avez pu sauver et de riche et de rare,
1592
Donnez-le. Voulez-vous que d'impurs assassins
1593
Viennent briser l'autel, brûler les chérubins;
1594
Et, portant sur notre arche une main téméraire,
1595
De votre propre sang souiller te sanctuaire?

JOAD
1596
Mais siérait-il, Abner , à des coeurs généreux
1597
De livrer au supplice un enfant malheureux,
1598
Un enfant que Dieu même à ma garde confie,
1599
Et de nous racheter aux dépens de sa vie?

ABNER
1600
Hélas! Dieu voit mon coeur. Plût à ce Dieu puissant
1601
Qu'Athalie oubliât un enfant innocent,
1602
Et que du sang d'Abner sa cruauté contente
1603
Crût calmer par ma mort le ciel qui la tourmente!
1604
Mais que peuvent pour lui vos inutiles soins?
1605
Quand vous périrez tous, en périra-t-il moins?
1606
Dieu vous ordonné-t-il de tenter l'impossible?
1607
Pour obéir aux lois d'un tyran inflexible,
1608
Moïse, par sa mère au Nil abandonné,
1609
Se vit, presque en naissant, à périr condamné;
1610
Mais Dieu, le conservant contre toute espérance,
1611
Fit par le tyran même élever son enfance.
1612
Qui sait ce qu'il réserve à votre Eliacin;
1613
Et si, lui préparant un semblable destin,
1614
Il n'a point de pitié déjà rendu capable
1615
De nos malheureux rois l'homicide implacable?
1616
Du moins, et Josabeth comme moi l'a pu voir,
1617
Tantôt à son aspect je l'ai vu s'émouvoir;
1618
J'ai vu de son courroux tomber la violence.
1619
(A Josabeth.)
Princesse, en ce péril vous gardez le silence?
1620
Hé quoi! pour un enfant qui vous est étranger
1621
Souffrez-vous que sans fruit Joad laisse égorger
1622
Vous, son fils, tout ce peuple, et que le feu dévore
1623
Le seul lieu sur la terre où Dieu veut qu'on l'adore?
1624
Que feriez-vous de plus, si des rois vos aïeux
1625
Ce jeune enfant était un reste précieux?

JOSÀBETH
1626
(bas à Joad.)
Pour le sang de ses rois vous voyez sa tendresse:
1627
Que ne lui parlez-vous?

JOAD
Il n'est pas temps , princesse.

ABNER
1628
Le temps est cher, seigneur, plus que vous ne pensez.
1629
Tandis qu'à me répondre ici vous balancez,
1630
Mathan, près d'Athalie, étincelant de rage,
1631
Demande te signal, et presse le carnage.
1632
Faut-il que je me jette à vos sacrés genoux?
1633
Au nom du lieu si saint qui n'est ouvert qu'à vous,
1634
Lieu terrible, où de Dieu la majesté repose,
1635
Quelque dure que soit la loi qu'on vous impose,
1636
De ce coup imprévu songeons à nous parer.
1637
Donnez-moi seulement le temps de respirer;
1638
Demain, dès cette nuit, je prendrai des mesures
1639
Pour assurer le temple et venger ses injures.
1640
Mais je vois que mes pleurs et que mes vains discours
1641
Pour vous persuader sont un faible secours;
1642
Votre austère vertu n'en peut être frappée:
1643
Eh bien! trouvez-moi donc quelque arme, quelque épée;
1644
Et qu'aux portos du temple, où l'ennemi m'attend,
1645
Abner puisse du moins mourir en combattant.

JOAD
1646
Je me rends. Vous m'ouvrez un avis que j'embrasse:
1647
De tant de maux , Abner, détournons la menace.
1648
Il est vrai, de David' un trésor est resté,
1649
La garde en fut commise à ma fidélité;
1650
C'était des tristes Juifs l'espérance dernière,
1651
Que nies soins vigilants cachaient à la lumière.
1652
Mais puisqu'à votre reine il faut te découvrir,
1653
Je vais la contenter; nos, portes vont s'ouvrir.
1654
De ses plus braves chefs qu'elle entre accompagnée;
1655
Mais de nos saints autels qu'elle tienne éloignée
1656
D'un ramas d'étrangers l’indiscrète fureur:
1657
Du pillage du temple épargnez-moi l'horreur.
1658
Des prêtres, des enfants lui feraient-ils quelque ombre?
1659
De sa suite avec vous qu'elle règle le nombre.
1660
Et quant à cet enfant si craint, si redouté,
1661
De votre coeur, Abner, je connais l'équité,
1662
Je vous veux devant elle expliquer sa naissance:
1663
Vous verrez s'il le faut remettre en sa puissance;
1664
Et je vous ferai juge entre Athalie et lui.

ABNER
1665
Ah! je le prends déjà, seigneur, sous mon appui:
1666
Ne craignez rien. Je cours vers celle qui m'envoie.

SCÈNE III.

JOAD, JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH, ISMAEL, DEUX LÉVITES, LE CHOEUR.

JOAD
1667
Grand Dieu! voici ton heure, on t'amène ta proie!
1668
Ismaël, écoutez.

(II lui parle bas.)

JOSABETH
Puissant maître des cieux,
1669
Remets-lui le bandeau dont tu couvris ses yeux
1670
Lorsque , lui dérobant tout le fruit de son crime,
1671
Tu cachas dans mon sein cette tendre victime!

JOAD
1672
Allez, sage Ismaël, ne perdez point de temps;
1673
Suivez de point en point ces ordres importants:
1674
Surtout qu'à son entrée, et que sur son passage
1675
Tout d'un calme profond lui présente l'image.
1676
Vous, enfants, préparez un trône pour Joas;
1677
Qu'il s'avance suivi de nos sacrés soldats.
1678
Faites venir aussi sa fidèle nourrice,
1679
Princesse, et de vos pleurs que la source tarisse.
1680
(A un lévite.)
Vous, dès que cette reine, ivre d'un fol orgueil,
1681
De la porte du temple aura passé le seuil,
1682
Qu'elle ne pourra plus retourner en arrière,
1683
Prenez soin qu'à l'instant la trompette guerrière
1684
Dans le camp ennemi jette un subit effroi:
1685
Appelez tout le peuple au secours de son roi;
1686
Et faites retentir jusques à son oreille
1687
De Joas conservé l'étonnante merveille.
1688
Il vient.

SCÈNE IV.

JOAS, JOAD, JOSABETH , ZACHARIE , SALOMITH, AZARIAS, TROUPE DE PRÊTRES ET DE LÉVITES , LE CHOEUR.

JOAD
(continue.)
Lévites saints , prêtres de notre Dieu,
1689
Partout sans vous montrer environnez ce lieu;
1690
Et, laissant à mes soins gouverner voire zèle,
1691
Pour paraître attendez que ma voix vous appelle.
1692
(Ils se cachent tous.)
Roi, je crois qu'à vos voeux cet espoir est permis,
1693
Venez voir à vos pieds tomber vos ennemis.
1694
Celle dont la fureur poursuivit votre enfance
1695
Vers ces lieux à grands pas pour vous perdre s'avance;
1696
Mais ne la craignez point: songez qu'autour de vous
1697
L'ange exterminateur est debout avec nous.
1698
Montez sur votre trône, et... Mais la porte s'ouvre:
1699
Permettez un moment que ce voile vous couvre.
1700
(Il tire un rideau.)
Vous changez de couleur, princesse!

JOSABETH
Ah! sans pâlir,
1701
Puis-je voir d'assassins te temple se remplir?
1702
Quoi! ne voyez-vous pas quelle nombreuse escorte...

JOAD
1703
Je vois que du saint temple on referme la porte:
1704
Tout est en sûreté.

SCÈNE V

JOAS, ATHALIE , JOAD , JOSABETH, ABNER, SUITE D'ATHALIE.
(Joas est caché derrière le rideau.)

ATHALIE
(à Joad.)
Te voilà, séducteur,
1705
De ligues, de complots , pernicieux auteur,
1706
Qui dans le trouble seul as mis tes espérances,
1707
Eternel ennemi des suprêmes puissances!
1708
En l'appui de ton Dieu tu l'étais reposé:
1709
De ton espoir frivole es-tu désabusé ?
1710
Il laisse en mon pouvoir et son temple et ta vie.
1711
Je devrais sur l'autel où ta main sacrifie
1712
Te... Mais du prix qu'on m'offre il faut me contenter.
1713
Ce que lu m'as promis songe à l'exécuter:
1714
Cet enfant, ce trésor qu'il faut qu'on me remette,
1715
Où sont-ils?

JOAD
Sur-le-champ tu seras satisfaite:
1716
Je le les vais montrer l'un et l'autre à la fois.
(Le rideau se tire. On voit Joas sur son trône; sa nourrice est à genoux à sa droite; Azarias, l'épée à la main, est debout à sa gauche; et près de lui Zacharie et Salomith sont à genoux sur les degrés du trône; plusieurs lévites, l'épée à la main, sont rangés sur les côtés.)
1717
Paraissez, cher enfant, digne sang de nos rois.
1718
Connais-lu l'héritier du plus saint des monarques,
1719
Reine? De ton poignard connais du moins ces marques.
1720
Voilà ton roi, ton fils, le fils d'Ochosias.
1721
Peuples, et vous, Abner, reconnaissez Joas.

ABNER
1722
Ciel!

ATHALIE
(à Joad.)
Perfide!

JOAD
Vois-tu cette Juive fidèle
1723
Dont tu sais bien qu'alors il suçait la mamelle?
1724
Il fut par Josàbeth à la rage enlevé:
1725
Ce temple te reçut, et Dieu l'a conservé.
1726
Des trésors de David voilà ce qui me reste.

ATHALIE
1727
Ta fourbe à cet enfant, traître, sera funeste.
1728
D'un fantôme odieux, soldats, délivrez-moi.

JOAD
1729
Soldats du Dieu vivant, défendez votre roi.

(Le fond du théâtre s'ouvre: on voit le dedans, du temple; et les lévites armés entrent de tous côtés sur la scène.)

ATHALIE
1730
Où suis-je? 0 trahison! ô reine infortunée!
1731
D'armes et d'ennemis je suis environnée!

JOAD
1732
Tes yeux cherchent en vain, tu ne peux échapper,
1733
Et Dieu de toutes parts a su t'envelopper.
1734
Ce Dieu que tu bravais en nos mains t'a livrée:
1735
Rends-lui compte du sang dont tu t'es enivrée.

ATHALIE
1736
Quoi! la peur a glacé mes indignes soldats!
1737
Lâche Aimer, dans quel piège as-tu conduit mes pas?

ABNER
1738
Reine, Dieu m'est témoin...

ATHALIE
Laisse là ton Dieu, traître,
1739
Et venge-moi.

ABNER
(se jetant aux pieds de Joas.)
Sur qui? sur Joas! sur mon maître!

ATHALIE
1740
Lui Joas! lui ton roi! Songez, méchants, songez
1741
Que mes armes encor vous tiennent assiégés.
1742
J'entends à haute voix tout mon camp qui m'appelle.
1743
On vient à mon secours: tremblez, troupe rebelle!

SCÈNE VI

JOAS, ATHALIE, JOAD, ISMAEL, ET TOUS LES ACTEURS DE LA SCÈNE PRÉCÉDENTE.

ISMAEL
1744
Seigneur, le temple est libre et n'a plus d'ennemis:
1745
L'étranger est en fuite, et le Juif est soumis.
1746
Comme le vent dans l'air dissipe la fumée,
1747
La voix du Tout-Puissant a chassé cette armée.
1748
Nos lévites, du haut de nos sacrés parvis,
1749
D'Ochozias au peuple ont annoncé le fils,
1750
Ont conté son enfance au glaive dérobée,
1751
Et la fille d'Achab dans te piège tombée.
1752
Partout en même temps la trompette a sonné:
1753
Et ses sons et leurs cris dans son camp étonné
1754
Ont répandu le trouble et la terreur subite
1755
Dont Gédéon frappa le fier Madianite.
1756
Les Tyriens, jetant armes et boucliers,
1757
Ont, par divers chemins, disparu les premiers;
1758
Quelques Juifs éperdus ont aussi pris la fuite;
1759
Mais, de Dieu sur Joas admirant la conduite,
1760
Le reste à haute voix s'est pour lui déclaré.
1761
Enfin, d'un même esprit tout te peuple inspiré,
1762
Femmes, vieillards, enfants, s'embrassant avec joie,
1763
Bénissent le Seigneur et celui qu'il envoie.
1764
Tous chantent de David te fils ressuscité.
1765
Baal est en horreur dans la sainte cité;
1766
De son temple profane on a brisé les portes;
1767
Mathan est égorgé.

ATHALIE
Dieu des Juifs , tu l'emportes
1768
Oui, c'est Joas; je cherche en vain à me tromper:
1769
Je reconnais l'endroit où je te fis frapper;
1770
Je vois d'Ochozias et le port et le geste;
1771
Tout me retrace enfin un sang que je déleste.
1772
David, David triomphe; Achab seul est détruit.
1773
Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit!
1774
C'est toi qui, me flattant d'une vengeance aisée,
1775
M'as vingt fois en un jour à moi-même opposée:
1776
Tantôt pour un enfant excitant mes remords,
1777
Tantôt m'éblouissant de tes riches trésors
1778
Que j'ai craint de livrer aux flammes, au pillage.
1779
Qu'il règne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage;
1780
Et que, pour signaler son empire nouveau,
1781
On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau!
1782
Voici ce qu'en mourant lui souhaite sa mère:
1783
Que dis-je, souhaiter! je me flatte, j'espère
1784
Qu'indocile à ton joug, fatigué de ta loi,
1785
Fidèle au sang d'Achab qu'il a reçu de moi,
1786
Conforme à son aïeul, à son père semblable,
1787
On verra de David l'héritier détestable
1788
Abolir tes honneurs, profaner ton autel,
1789
Et venger Athalie, Achab, et Jézabel.

(Athalie sort, les lévites la suivent.)

JOAD
1790
Qu'à l'instant hors du temple elle soit emmenée,
1791
Et que la sainteté n'en soit point profanée.
1792
Allez, sacrés vengeurs de vos princes meurtris,
1793
De leur sang par sa mort faire cesser les cris.
1794
Si quelque audacieux embrasse sa querelle,
1795
Qu'à la fureur du glaive on le livre avec elle.

SCÈNE VII

JOAS, JOAD, JOSABETH, ABNER, ET TOUS LES ACTEURS DELA SCÈNE PRÉCÉDENTE.

JOAS
1796
(descendu de son trône.)
Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction,
1797
Détournez loin de moi sa malédiction,
1798
Et ne souffrez jamais qu'elle soit accomplie:
1799
Faites que Joas meure avant qu'il vous oublie.

JOAD
1800
(aux lévites.)
Appelez tout te peuple, et montrons-lui son-roi:
1801
Qu'il lui vienne en ses mains renouveler sa foi.
1802
Roi, prêtres, peuple, allons, pleins de reconnaissance,
1803
De Jacob avec Dieu confirmer l'alliance,
1804
Et, saintement confus de nos égarements,
1805
Nous rengager à lui par de nouveaux serments.
1806
Abner, auprès du roi reprenez votre place.

SCÈNE VIII

JOAS, JOAD, UN LÉVITE, ET TOUS LES ACTEURS DE LA SCÈNE PRÉCÉDENTE.

JOAD
1807
(au lévite.)
Eh bien! de cette impie a-t-on puni l'audace?

LE LÉVITE
1808
Le fer a de sa vie expié tes horreurs.
1809
Jérusalem, longtemps en proie à ses fureurs,
1810
De son joug odieux à la fin soulagée,
1811
Avec joie en son sang la regarde plongée.

JOAD
1812
Par cette fin terrible, et due à ses forfaits,
1813
Apprenez, roi des Juifs, et n'oubliez jamais,
1814
Que les rois dans le ciel ont un juge sévère,
1815
L'innocence un vengeur, et l'orphelin un père.

FIN D'ATHALIE.